La 18ème Conférence européenne sur la planète Mars (EMC18) qui s’est tenue au Musée International d’Horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds du 26 au 28 octobre, s’est terminée après un programme dense et brillant tant au point de vue des orateurs que des sujets traités. Elle se déroulait dans la magnifique salle de conférence du musée horloger le plus riche et le plus beau du monde, comme les participants ont pu le réaliser lors de la visite guidée. Toute l’histoire de la mesure du temps est là, expliquée, illustrée par des objets rarissimes et souvent magnifiques dans une muséographie impeccable. Dans la grande salle, d’une fonctionnalité irréprochable, on se trouve au milieu des fresques de Hans Erni, exécutées en 1958 pour l’exposition universelle de Bruxelles. A elles seules, elles méritaient le voyage des participants venus des quatre coins du monde.
Sur le thème de la connaissance de la planète, les présentations de Michel Cabane (molécules organiques), Antoine Pommerol (instrument d’observation CaSSIS), Tomaso Bontognali (formes possibles de vie martienne), Philippe Lognonné (sismographie) ont été éblouissantes. Avec le premier, on a pu comprendre jusqu’où la chromatographie en phase gazeuse a pu conduire l’analyse de la composition du sol martien et percevoir que l’environnement planétaire martien a très probablement généré au fil du long temps où l’eau a été liquide, des molécules beaucoup plus complexes et plus longues que l’espace environnant avec les astéroïdes qu’on y trouve. On bute maintenant sur le fait qu’on doive chauffer et donc détruire ces molécules pour les étudier puisque les réactifs à froid (liquides) n’ont pas été encore utilisés (ils sont contenus dans quelques six coupelles seulement, que l’on garde précieusement pour le terrain le plus propice à la préservation de traces de vie, les fameuses argiles du Mont Sharp, maintenant en vue). Avec Antoine Pommerol, on a pu admirer les premières photos prises par CaSSIS à partir de l’orbiter TGO, des nuances de couleurs et une précision jamais égalée, des angles de vue jamais utilisés, permettant de voir le même endroit sous différents éclairages mettant en valeur les changements au cour de la journée donc des compositions de sol et des effets atmosphériques différents. On revient déjà, pour certains « gullies » sur le rôle qu’a pu jouer l’eau dans leur formation (il y aurait plusieurs types de gullies). Avec Tomaso Bontognali, on devrait être prêt à reconnaître visuellement la vie ou plutôt les traces qu’elle a laissées, si elle s’est jamais exprimée sur Mars. La « caméra » CLUPI à bord du rover de la mission ExoMars doit y être déposée début 2021 et les travaux du Dr. Bontognali nous donneront la possibilité de comprendre ce que nous verrons, sur le plan exobiologique. La précision ne pourra dépasser 35 µm alors que les fossiles de cellules primitives devraient être beaucoup plus petits (sur Terre les bactéries ont une taille de l’ordre du micromètre). Cependant on doit pouvoir compter sur un comportement sans doute universel de la vie, son grégarisme et son aptitude à la symbiose, donc à la vie en communauté, ce qui aurait dû générer des tapis microbiens. Avec Philippe Lognonné on a pu admirer l’ingéniosité du sismomètre embarqué à bord d’InSight (qui doit arriver sur Mars le 26 Novembre). Cet appareil extraordinaire disposera d’une sensibilité telle que tout mouvement interne de la planète tant soit peu significatif, pourra être détecté, et ce à partir d’un seul instrument déposé (en utilisant les ondes de surface). Nous pourrons ainsi savoir jusqu’à quelle point la planète s’est refroidie et quelle est l’épaisseur de sa croûte. De là on pourra faire toute sorte de déductions sur son histoire et son potentiel d’activité résiduelle.
Sur le thème du voyage, les présentations de Pierre-André Haldi (critique constructive de la BFR d’Elon Musk), de Jean-Marc Salotti (possibilité de missions habitées avec une Ariane Super Heavy), Angelo Genovese (modes de propulsion avancés), de Jürgen Herholz (historique des projets de l’ESA en termes de vols habités), de Maxime Lenormand et Anne-Marlène Rüede (EDL des masses lourdes) et aussi de Claude Nicollier, nous ont montré que les missions habitées étaient bien possibles en termes de propulsion, de configuration des lanceurs et d’architecture de missions, avec plusieurs variantes envisageables. Avec Pierre-André Haldi, on a bien vu les imperfections du projet BFR, Elon Musk ayant à ce stade un peu trop cédé à l’esprit Star-Treck (fenêtres, panneaux solaires, non traitement de l’apesanteur) mais le Dr. Haldi reconnaît la valeur de quelques excellentes idées, notamment la réutilisation de divers éléments du lanceur, le ravitaillement en ergols en orbite basse terrestre avant l’impulsion vers Mars et l’utilisation du méthane comme carburant (en attendant mieux). Il propose par ailleurs un système de génération de gravité artificielle, une modularité qui apporterait de multiples avantages (notamment la possibilité de changement de mode de propulsion) et la descente en surface de Mars limitée à des véhicules légers annexes (ce qui représenterait d’importantes économies d’énergie). Avec Jean-Marc Salotti on voit qu’on pourrait utiliser un lanceur existant, de performance moyenne, Ariane Super Heavy, pour mener à bien des missions habitées sur Mars. Avec Jürgen Herholz on voit encore mieux que si l’ESA n’a pas réussi à égaler la NASA sur le plan des vols habités c’est tout simplement qu’elle ne l’a pas voulu (ce qui génère une certaine frustration). Les étudiants, Maxime Lenormand* et Anne-Marlène Rüede qui se sont exprimés, ont choisi de parler de la phase difficile de l’EDL (« Entry, Descent, Landing ») et ils ont présentés des solutions très sérieuses qui montrent qu’avec les technologies d’aujourd’hui, on peut descendre en surface de Mars les masses nécessaires à un séjour sur cette planète, suffisantes pour y vivre dans des conditions acceptables le temps d’un cycle synodique. Claude Nicollier a montré que, s’il était très important que le voyage ne se fasse pas en condition d’apesanteur, il était néanmoins encore difficile d’envisager la création de gravité artificielle au sein de deux masses en rotation liées entre elles par un filin. Le déploiement des filins et le maintien d’une tension adéquate (il faut surtout éviter le filin « mou » – slack, en Anglais – a souligné Claude Nicollier) apparait extrêmement délicat. C’est un des sujets dont il faudrait poursuivre sérieusement l’étude (ce qui n’est malheureusement pas prévu). Angelo Genovese a ouvert la porte des technologies nouvelles de propulsion qui, n’en doutons pas, pourront un jour, pas si lointain, réduire considérablement le temps des voyages ce qui rendrait un peu moins grave ce problème d’apesanteur (et également de dose de radiations reçues) et cela à une époque où un « comité d’accueil » pourrait prendre en charge les voyageurs affaiblis à leur arrivée sur Mars.
*accompagné d’Anaïs Sabadie et de Léopold Comby.
Sur le thème du séjour en surface, nous avons eu d’excellentes présentations de Théodore Besson, d’Anne Marlène Rüede, d’Olivia Haider, de Richard Heidmann. J’ai moi-même pris la parole sur le thème de la dualité nécessaire de la mesure du temps prenant en compte l’environnement martien et les relations des Martiens avec les Terriens, et Mitko Tanevski a mis en évidence la complexité des communications tout en mettant en évidence la contrainte que je trouve la plus dérangeante. Avec Théodore Besson et son projet Scorpius-1, nous sortons des simulations « faiblardes » faîtes par les Russes (« Mars 500 ») qui ne traitaient vraiment que du problème psychologique d’un voyage de longue durée en situation de confinement, pour entrer dans la problématique des tests du support vie. Je ne crois pas à la gravité des soi-disant problèmes psychologiques car je suis convaincu que les personnes partant pour Mars seront suffisamment motivées pour supporter le voyage, et imaginer que les conditions sur Mars seront pratiquement identiques à celles vécues pendant le voyage n’a pratiquement pas de sens. Par contre l’alimentation des astronautes, le recyclage de l’air et de l’eau, le contrôle microbien, sont de vrais problèmes. Ils sont « adressés » par MELiSSA mais il faudra bien un jour les tester avec des « équipages » humains. Olivia Haider a montré le niveau sophistiqué qu’ont atteint les simulations d’EVA sur Terre. Avec AMEDEE 18, on est très loin des caricatures de ballades en faux scaphandres présentées il y a quelques années. Comme quoi il faut persévérer et on arrive à des résultats qui seront utiles pour la vraie exploration. Avec Anne-Marlène Rüede, on voit bien les ressources qu’apportent la planète Mars pour envisager de s’y établir. Il y a de l’eau sur Mars et pas qu’un peu (ne parlons pas des misérables ressources lunaires !). Grace à l’eau et à l’atmosphère on peut envisager un établissement pérenne sur Mars et Anne-Marlène Rüede en a bien vu, et démontré, le potentiel. Avec Richard Heidmann, on part beaucoup plus loin dans le futur. On voit les possibilités d’une colonie (1000 habitants), au-delà d’un premier établissement mais on voit aussi les difficultés et on en déduit donc que la progression (l’augmentation du nombre des habitants) ne pourra être que lente (il faut tout construire, à partir d’une énergie difficile à capter). La dépendance à la Terre sera durable, mais elle sera positive (créativité résultant des défis posés) et les Martiens auront de ce fait des ressources pour offrir en échange aux importations de la Terre, des services qui seront précieux aux deux parties, gage de pérennité pour les colonies martiennes. Le plan économique sans la prise en compte duquel rien ne se fera, a été traité par Antonio del Mastro. Il ne s’agit pas en effet d’attendre que les impôts résolvent tous les problèmes. L’économie tournée vers le spatiale doit se prendre en charge dès maintenant. Il ne faut pas oublier que travailler pour Mars c’est déjà travailler sur Terre, concevoir, acheter, vendre sur Terre. Le constater est une excellente façon de ne pas désespérer.
Ces différents thèmes étaient considérés « sous le regard du temps ». Pour mieux comprendre l’importance de ce facteur, nous avons eu deux exposés sur les fondamentaux de sa mesure. Gaetano Mileti et Pascal Rochat nous ont expliqué où nous en étions de la sensibilité et de la précision. Ce n’est ni anodin, ni anecdotique puisque toute navigation (toute prévision de déplacement à une certaine vitesse) se fait à partir de la mesure du temps et cela est d’autant plus important que sur Mars on n’aura que très peu de moyens de communication physique et que la plupart des interventions à distance se feront par l’intermédiaire de robots par des commandes en direct impulsées depuis la base habitée où seront concentrés les moyens de vie. De ce point de vue, il était passionnant de voir que des progrès considérables sont fait dans la définition de la seconde (unité de base de toute mesure du temps). Alain Sandoz a présenté une complication appliquée à la mesure du temps en apesanteur, ce qui peut évidemment servir dans le cadre d’une navigation vers Mars avec des phases plus ou moins longues dans cet état. Pour terminer, Mitko Tanevski a abordé le problème très complexe des communications interplanétaires. On parvient à les maîtriser comme le prouve le succès des missions robotiques récentes mais il faut rendre hommage aux spécialistes qui maîtrisent le sujet, véritable illustration du concept de complexité. Pour conclure Mitko Tanevski a fait une remarque que je trouve très troublante car elle pose problème pour les futures colonies : lorsqu’une population quelconque vivra sur Mars elle ne pourra pas avoir accès immédiat aux bases de données terrestres. La vitesse de la lumière est en effet incontournable et la distance de Mars fera toujours qu’une question posée à la Terre (personnes physiques ou base de données) n’aura de réponses qu’après une durée de 5 à 45 minutes. Que faire ? Copier les bases de données existantes, puis procéder continûment à leurs mises à jour ? Est-ce possible aujourd’hui et encore plus demain quand elles auront atteint une taille gigantesque ? L’effort ne sera-t-il pas néanmoins utile pour simple conservation de ces bases de données au cas où un problème leur portant atteinte se produirait sur Terre ? La discussion est ouverte.
De telles considérations n’ont pas empêché Robert Zubrin de donner des perspectives enthousiasmantes à l’exploration spatiale. Il nous a fait remarquer que nous sommes déjà dans l’espace. Il faut en prendre conscience et aller aussi loin de notre Terre que pourra le permettre notre technologie. Il s’agit de vouloir. Nous avions abordé plus tôt dans le cadre de notre débat, la stratégie des vols habités. On a bien vu à cette occasion la divergence de vue, entre certains scientifiques (représentés par Jean-Luc Josset) qui ne souhaitent pas dépenser pour les missions habitées des sommes qui dépassent de beaucoup les missions robotiques, et les tenant de l’établissement de l’homme sur Mars (représentés par Robert Zubrin) qui mettent leur projet devant cette recherche. Nous étions avec Claude Nicollier, au milieu, en demandant les deux. In fine en effet il faut bien voir que les sommes à prendre en compte pour les missions habitées sont très faibles par rapport à toutes les autres dépenses effectuées par les Etats modernes. Le budget actuel de la NASA ne représente que 0,5% des dépenses publiques des Etats-Unis et il ne serait même pas nécessaire de les doubler pour mener à bien un programme d’exploration de Mars par vols habités comprenant cinq ou six missions sur une douzaine d’années. Mais il faudrait le vouloir au niveau des Etats, ce qui n’est pas le cas ! Alors pour débloquer la situation, plutôt que d’attendre une décision des Etats ou l’éventuelle concurrence chinoise susceptible de réveiller les Etats-Unis, peut-être faut-il plutôt compter sur l’initiative et l’action individuelle. Elon Musk ou l’un de ses semblables peut relever le défi, sans rien demander à personne. C’est mon espoir et il a tout notre soutien et nos encouragements.
Image à la une : fresques de Hans Erni dans la grande salle de conférence du MIH. Crédit MIH et Aline Henchoz (photographe, La Chaux-de-Fonds).
NB: il y a eu d’autres présentations remarquables et je ne voudrais pas en minorer l’importance. Jean-Luc Josset a admirablement présenté son instrument CLUPI qui doit naviguer à bord d’ExoMars pour accompagner visuellement les forages à deux mètres que fera le rover de l’ESA. Roland Loos a montré que l’on pouvait espérer faire voler des avions dans le ciel de Mars en s’inspirant de Solarstratos, l’avion qui par la seule puissance de l’énergie solaire doit pouvoir accéder à la stratosphère terrestre (il lui faudra un décollage vertical comme le propose Roland Loos puisqu’il n’y a pas d’aéroport et qu’il faudrait de très longues pistes pour qu’il puisse s’envoler compte tenu de la très faible portance de l’atmosphère).
Sponsors: Space Exploration Institute (Neuchâtel); MIH; Spectratime; BCN; Trax-L
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