Après demain l’homme vivra sur Mars…et il pourra y être heureux !

J’ai parlé du voyage, je vais aborder le séjour sur Mars. Nos contradicteurs (Sylvia Ekström et son mari Javier Nombela) pensent que le support vie sera trop difficile à assurer, que les radiations resteront un risque rédhibitoire, que le risque médical ne peut être accepté, que le confinement sera insupportable, que les sorties à l’extérieur des habitats seront trop compliquées et inconfortables et que le risque de ne pas pouvoir revenir sur Terre est trop important. Ce n’est évidemment pas ce que je pense.

La différence entre la Lune ou l’ISS c’est que sur Mars, outre que les minéraux y sont plus diversifiés que sur la Lune, on pourra disposer de toutes les ressources atmosphériques de la planète (beaucoup de CO2, un peu d’azote) et surtout on pourra disposer d’eau (il n’y en a pratiquement pas sur la Lune). On choisira d’ailleurs le site d’atterrissage en fonction de l’accessibilité de glace d’eau en quantité suffisante. On minera cette glace, on la transportera à l’état solide par rover à la base et on la fera se sublimer dans une serre, à l’intérieur de laquelle l’on fera remonter progressivement la température et la pression.

Pour ce qui est de la nourriture, lors des deux premières missions, on commencera, dans des bacs fabriqués par impression 3D avec des matières premières martiennes, la culture des plantes, des algues spirulines (pour leur rejet métabolique d’oxygène et leurs protéines assimilables par le corps) et l’élevage des poissons ou des crevettes. Les plantes supérieures seront cultivées par hydroponie pour ne pas gâcher les nutriments importés (mais qui seront ensuite de plus en plus produits sur place) et pour ne pas risquer la contamination par les perchlorates du sol martien (contrairement à ce qu’on voit dans le film « Seul sur Mars »). Par sécurité (pour les deux ou trois premières missions seulement), les aliments nécessaires à la survie seront toutefois importés en totalité pour les 30 mois d’absence, lyophilisés ou congelés, avec les compléments alimentaires nécessaires pour pallier les carences.

Pour ce qui est du recyclage de l’eau, des gaz atmosphériques respirables, des matières organiques, je fais confiance aux ingénieurs des équipes de MELiSSA (ESA/ESTEC) qui parviennent aujourd’hui à des résultats spectaculaires dans leurs réacteurs biologiques. Le recyclage ne sera pas total car la « boucle » ne sera pas fermée (le sera-t-elle jamais ?) mais l’avantage de se trouver sur une planète plutôt que dans un vaisseau spatial, c’est qu’on pourra se réapprovisionner en matières premières (le CO2 ou le N2 de l’atmosphère, l’eau, les sels, les métaux, le souffre, etc…). Avec l’énergie importée, on pourra transformer « beaucoup » et au moins « suffisamment ».

Il faudra se protéger des radiations mais elles seront (mesures RAD dans le cratère Gale) de moitié celles qui existent dans l’espace profond et on pourra mieux le faire puisqu’on sera dans un environnement planétaire. On ne sortira des abris qu’en cas de nécessité, pour en limiter les doses. Et dans le même esprit on utilisera autant que possible la glace d’eau (sac de glace, épais de 20 à 40 cm, servant de « pare-soleil » antiradiations devant les hublots/fenêtres des habitats) ou le régolithe (1 à 2 mètres) pour couvrir les toits, à moins que l’on trouve des cavernes aménageables. En attendant que les habitats construits en matériaux martiens soient disponibles, les astronautes resteront dans leur vaisseau spatial. Lorsqu’ils seront construits on disposera d’espaces privés aussi bien que d’espaces sociaux (dômes en verre et acier possibles jusqu’à 20 mètres de diamètre). Il n’y a aucune raison de ne pas utiliser les matières premières martiennes pour bâtir et il n’y a aucune raison de ne pas utiliser la silice martienne pour poser des hublots plus ou moins grands pour laisser passer la lumière (on se protégera des radiations avec de la glace d’eau ou des métaux lourds incorporés dans la pâte de verre).

Le risque médical est incontestable. Il y aura un ou plutôt, deux médecins parmi les astronautes (même s’ils ne sont que quatre) tant la survie de tous sera importante. Ces médecins pourront recourir à tout moment (malheureusement avec un décalage de temps) aux conseils de leurs confrères terrestres. Les médicaments importés de la Terre seront évidemment limités en quantité et en variété. Il faudra donc bien les choisir et espérer qu’ils couvriront les besoins. Il faudra certainement pratiquer quelques opérations chirurgicales et « faire avec les moyens du bord », en espérant que ces besoins ne soient pas trop graves (mais personne ne prétend que ces missions seront sans risque). A noter que sur place on pourra fabriquer toutes sortes d’instruments avec des imprimantes 3D utilisant les ressources minérales martiennes ou les éléments chimiques contenus dans l’eau ou les gaz atmosphériques.

Les sorties seront donc plus rares que sur Terre mais que l’on ne me dise pas que les résidents martiens souffriront d’enfermement sur une planète dont la surface accessible est égale à la totalité de celle de nos continents terrestres. De nos jours, qui sort de chez soi ou de son lieu de travail plus de quelques petites heures par jour, hormis bien sûr pour certains travaux « physiques » qui sur Mars pourront être largement robotisés ?

Quand on sortira, on portera des combinaisons à contre-pression mécanique (« bio-suit », en développement au MIT sous la direction de Dava Newman, la directrice du « Media Lab ») car il est vrai qu’il vaudra mieux éviter les scaphandres pressurisés à cause de leur rigidité. A noter qu’on devrait viabiliser les habitats avec une pression réduite pour éviter les trop grands écarts entre intérieur et extérieur (et donc les tensions sur les structures des habitats). Une pression de 50.000 pascals qui implique un pourcentage double d’oxygène pour les besoins humains (42%) devrait être acceptable.

La poussière, du moins celle constituée de grains à petite taille, est encore un problème. C’est non seulement parce que l’irradiance solaire est faible pendant l’hiver australe (le dégel semble être à l’origine des tempêtes planétaires périodiques, sérieuses tous les 3 ans martiens) mais aussi parce qu’il y a une atmosphère et pas d’eau liquide en surface. Cependant il ne faut pas exagérer. La poussière en suspension est quantitativement peu importante en « temps normal ». On le voit sur les photos prises par le rover Curiosity dans le cratère Gale qui permettent de voir nettement les murs du cratère dont il est distant de plusieurs dizaines de km. Donc il faudra effectivement repousser fréquemment la poussière par souffleur, de tous les équipements mobiles et des surfaces risquant de souffrir de l’abrasion. Mais ces poussières sont moins acérées que sur la Lune car il y a eu érosion sur Mars, ne serait-ce qu’éolienne. Si certaines poussières sont agressives c’est surtout du fait de leur taille et de ce qu’en raison de la sécheresse, elles ont tendances à coller. Un traitement anti-électrostatique des surfaces pourrait être utile.

Le retour sur Terre se fera avec des réservoirs remplis d’ergols (CH4 et O2) obtenus sur Mars à partir du CO2 de l’atmosphère et de l’eau locale, par réaction de Sabatier. Ce n’est pas une difficulté majeure comme l’écrit Madame Ekström. La réaction est connue, peu consommatrice d’énergie. Un seul problème à résoudre, c’est le dépoussiérage de l’air qu’il faudra concentrer par aspiration mais personne ne dit que ce sera rédhibitoire. Les réserves seront constituées au cours des 18 mois suivant l’arrivée du Starship sur Mars et donc avant l’envoi du premier vol habité qui ne partira, 26 mois après le lancement robotique précédent, qu’une fois constaté que les ergols nécessaires sont bien stockés.

L’énergie ne pourra être, raisonnablement, que d’origine nucléaire (Krusty ou Megapower quand le développement de ce dernier réacteur sera finalisé par le LANL). De tels réacteurs utilisant l’Uranium 235 ne sont pas dangereux tant que la réaction n’est pas déclenchée. Elle est ensuite pilotable/maitrisable par des réflecteurs en alumine ou en oxyde de béryllium et des barres d’arrêt en carbure de bore (puissant absorbeur de neutrons) mais d’abord par le simple fonctionnement des réacteurs. La demande d’énergie génère l’évacuation de la chaleur par des tuyaux caloporteurs remplis de sodium ou de potassium, vers des moteurs Stirling. Enfin, par sécurité, il est prévu un dispositif d’évacuation de chaleur résiduelle (par les mêmes tuyaux). Il ne faut pas que l’opinion publique soit paniquée à chaque fois que l’on parle de nucléaire. Il n’y a pas ici d’interdit religieux.

Enfin la motivation. Chez nos contradicteurs la question est « pourquoi se donner tout ce mal et prendre tous ces risques ? ». En réalité la question a le sens d’une affirmation : « ça ne vaut pas la peine de prendre tous ces risques ». Je pense tout le contraire. La recherche visant à trouver les solutions pour vivre sur Mars aura des retombées positives pour une vie sur Terre moins gaspilleuse et plus efficace sur le plan énergétique et technologique. Une présence humaine sur Mars rendrait la recherche scientifique beaucoup plus efficace (difficile à un robot de dire « donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde »).

Surmonter des difficultés, résoudre des problèmes est en soi une récompense. Albert Camus envisageait Sisyphe heureux. Il y a toujours « de ça » dans l’accomplissement d’un travail. Mais la vie de Sisyphe « n’était quand même pas très drôle ». Je pense que sur Mars il y aura d’autres satisfactions que celle de rouler un rocher, tout comme sur Terre (et partout) l’ingéniosité et le travail peuvent en procurer : dominer la nature tout en s’y adaptant, obtenir une vie plus confortable, avoir accès à des activités plus diversifiées et plus enrichissantes intellectuellement, pour soi-même et pour les siens. Considérez un canapé, le plaisir n’est pas de s’y vautrer à longueur de journée en se lamentant sur les malheurs du monde mais de pouvoir s’y assoir pour « se détendre » pour discuter ou avec un bon livre, une fois qu’on s’est bien fatigué physiquement ou intellectuellement. Enfin oui, je l’assume, je pense que répondre à l’appel de Mars c’est aussi « émotionnellement » répondre aux pulsions d’aventure et de curiosité qui habitent tout homme. Il n’y a aucune raison que ceux qui pourront se l’offrir ou ceux à qui on paiera le voyage parce qu’on aura besoin d’eux sur place en raison de leurs compétences, ne répondent pas positivement à cet appel, animés par cette motivation.

Pour terminer, que ceux qui pensent que notre civilisation est immortelle prennent le temps de sortir de leurs préoccupations quotidiennes pour réfléchir un peu plus que d’habitude. Les causes qui pourraient y mettre fin sont nombreuses et faciles à trouver (surpopulation, maladies, guerres, idéologies destructrices). Si l’implantation sur Mars « prend », nous aurons bel et bien une planète-B c’est-à-dire une chance parallèle pour l’humanité et un conservatoire pour notre civilisation.

A la lecture de ce texte, certains diront que j’ai réponse à tout. Je voudrais surtout montrer qu’à un problème il faut chercher une solution plutôt que de déclarer forfait sans essayer. Je ne dirais pas simplement comme Elon Musk « when there is the will, there is a way » qui peut paraître trop présomptueux mais “when there is the will, there can be a way” ou encore (une sorte d’anti-proverbe qui confirme le proverbe) “when there is no will, there is no way” car il y a bien sûr un parti pris négatif dans le discours de Madame Ekström.

Illustration de titre : Un vaisseau spatial pénètre dans l’atmosphère de Mars au-dessus de Valles Marineris. Crédit William Black (2015). Imaginez-vous dans ce cadre, pour moi un moment de pure beauté et de rêve !

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