Les datacenters: une obligation, un avantage et une contrainte pour les futurs Martiens

Imaginons une population humaine installée sur Mars. Elle sera constituée, au moins tant que ses éléments viendront de la planète Terre, de personnes extrêmement éduquées et performantes dans les diverses technologies nécessaires au fonctionnement de la colonie. Elle aura de plus, besoin du support de technologies certes éprouvées mais les plus performantes possibles et elle s’efforcera d’améliorer continûment cette technologie pour bénéficier d’une sécurité, d’un confort toujours plus grand avec une consommation d’énergie toujours plus faible permettant d’entreprendre toujours plus dans tous les domaines envisageables pour leur développement et la rentabilisation de ce développement.

N.B. Étant donné le coût des transports interplanétaires, la production que les Martiens pourront échanger avec la Terre en contrepartie d’équipements manufacturés impossibles à fabriquer sur place, sera de nature intellectuelle et forcément digitalisée.

Cette population aura donc besoin d’un accès aux bases de données constituées par les hommes restés sur Terre. Ce sera l’accès aux logiciels élaborés par la Terre, l’accès aux informations qui y auront été accumulées et qui pourraient être utilisées pour des travaux de tous ordres ; ce sera aussi les échanges avec les spécialistes ou les « proches » restés sur Terre; ce sera l’accès aux productions intellectuelles diverses y compris artistiques. Par ailleurs les Martiens accumuleront eux-mêmes des données dans le cadre de leurs propres activités, y compris la recherche scientifique ou technologique, leur activité industrielle et commerciale ou encore la création artistique. Or, Mars évolue à une distance allant de 3 à 22 minutes-lumière de la Terre. Cela compliquera beaucoup l’utilisation des ressources digitalisées et restées sur Terre et exclura a priori l’envoi des données martiennes dans des serveurs terrestres pour utilisation sur Mars. Imaginez vous travaillant sur votre ordinateur, recherchant une information dans une base de données et obligé d’attendre de 6 à 44 minutes avant d’obtenir réponse à votre question ! Certes, cette réactivité aurait été considérée comme extrêmement rapide avant l’apparition d’Internet, encore que, en cas d’intérêt, une conversation pouvait être engagée par téléphone avec échanges immédiats ou une réunion organisée et se tenir en quelques heures ou en quelques jours avec des participants venus « du bout du monde ». Quand « nous » serons sur Mars, rien de tel ne sera possible. Les échanges immatériels seront soumis au « time-lag » imposé par la vitesse de la lumière, quoi qu’il arrive et quels que soient les moyens qu’on utilisera, et les échanges matériels, au rythme des cycles synodiques selon lesquels les départs d’une planète vers l’autre ne seront possibles que tous les deux ans environ. On peut à la rigueur accepter les délais pour les seconds, pas pour les premiers. C’est en fait le plus gros handicap qui sera imposé aux nouveaux Martiens.

Que faire pour le pallier ou au moins l’atténuer ? On peut imaginer une première solution, très coûteuse en énergie et en moyens financiers, la copie en continu sur Mars de toutes les données créées sur Terre. On peut imaginer que les grandes « fermes de serveurs » ou « datacenters », qui stockent actuellement ces données sur Terre, les rayonnent vers Mars au fur et à mesure qu’ils les reçoivent après avoir transféré le stock existant. Ces données seraient, à réception sur Mars, stockées dans d’autres datacenters qui les tiendraient à disposition des résidents martiens. Cela présenterait l’avantage annexe pour tout le monde de la duplication et donc donnerait à l’humanité du fait de la redondance, une sécurité évidemment très appréciable en cas de catastrophes survenant sur Terre ayant pour conséquence (entre autres !) la destruction de ses datacenters. Par ailleurs la température en surface étant très basse (négative sauf quelques heures de la journée en été dans les régions intertropicales), ces serveurs pourraient constituer des sources de chaleur appréciables, énergie qui pourrait être utilisée sous une autre forme et qui serait sans danger pour l’environnement martien (dans la mesure où l’on souhaiterait plutôt le réchauffer que le refroidir).

Le problème est que si les datacenters produisent beaucoup de chaleur « fatale » (du fait de l’effet joule résultant du passage continu de l’électricité dans des matériaux conducteurs), c’est qu’ils ont besoin de beaucoup d’énergie pour fonctionner et maintenir le système utilisable. En 2017, la consommation des datacenters terrestres s’est élevée à 200 TWh (un réacteur nucléaire de 900 MW produit en moyenne moins de 10 TWh). Si on adopte la solution du transfert intégral et continu des données terrestres sur Mars, le besoin en énergie ne sera probablement pas aussi important (moindre utilisation des données sur Mars que sur Terre du fait d’une moindre population) mais il sera quand même énorme (mises à jour et transmissions constantes de et vers la Terre). Or sur Mars, la production d’énergie sera un problème pour plusieurs raisons. Ce n’est pas l’objet de cet article de les détailler mais pour être suffisante et régulière, sa source devrait être nucléaire et avant qu’une industrie nucléaire soit développée sur Mars, « il coulera beaucoup d’eau sous les ponts »…dans les rivières martiennes qui sont à sec depuis des centaines de millions d’années. Les combustibles des centrales nucléaires tout comme les équipements pouvant les utiliser devront donc être pendant très longtemps importés de la Terre parce que l’industrie qui peut les procurer sera très longue à développer sur Mars.

Une solution non optimale au point de vue des besoins mais plus réaliste serait de rayonner à partir de la Terre un sous-ensemble des données de la totalité des datacenters. Il me semble en effet qu’une partie importante de la totalité des données ne sera pas indispensable au fonctionnement d’une base martienne ou à la recherche effectuée dans une telle base et, en cas de besoin, un chercheur ou un développeur d’une nouveauté technologique ou culturelle, pourrait se faire envoyer de la Terre ce dont il aurait besoin en lançant des requêtes utilisant des mots-clés (et les données reçues seraient ensuite conservées dans le datacenter martien). Cependant, même dans ce cas, la consommation d’énergie sera très importante. Il faudra entretenir la base de données martienne, pour conserver les données stockées et pour en permettre l’utilisation (consultation, modification, enrichissement, transmission à la Terre), c’est-à-dire continuer à l’alimenter en énergie. Par ailleurs, même dans ce cas, le volume des équipements servant de relais ou de stockage posera problème. Ils sont encore aujourd’hui très importants. Les datacenters de Facebook ou de Google s’étendent chacun sur plusieurs hectares. Il faudra toujours plus compresser les données. Le progrès technologique le permettra certainement mais jusqu’où? Peut-on imaginer un jour atteindre une densité qui permette de rassembler toutes nos connaissances et nos capacités informatiques dans un « objet » tel que le fameux monolithe d’Arthur Clarke et de Stanley Kubrick? En tout cas ce ne sera pas « demain ». 

La chaleur fatale (même relativement faible puisqu’elle devrait se situer entre 25°C et 50°C) posera un problème non pas à l’environnement (comme dit plus haut, on ne peut craindre de réchauffer l’atmosphère martienne) mais au datacenter lui-même car il faut pouvoir le maintenir à une température à peu près constante (de l’ordre de 20°C), c’est à dire conditionner l’atmosphère, c’est à dire ventiler la chaleur. Par chance il y a une source froide sur Mars qui est le sol naturellement gelé de la planète (pas de fleuve, pas de mer). Cependant cette source est peu active car non fluide . Elle ne peut emporter suffisamment rapidement la chaleur loin de sa source, et l’atmosphère au-dessus du sol, bien que froide elle aussi, est trop ténue pour assurer efficacement un rôle de radiateur. En plus la dissipation de la chaleur dans le sol serait un gaspillage inacceptable sur une planète si froide et si pauvre en énergie alors que nous aurons besoin de nous chauffer. Il faudra donc imaginer des systèmes caloporteurs qui permettent l’évacuation et la récupération de la chaleur c’est à dire créer un environnement fluide autour des générateurs de chaleur. Ce peut être soit un atmosphère dense ventilée, soit une circulation d’eau. Dans les deux cas, on peut envisager d’installer le datacenter au centre de la base habitée, sur le sol martien ou plutôt en dessous du sol, au-dessus d’un faux-plancher permettant une meilleure diffusion/régulation de la température, baignant dans l’atmosphère de cette base qui serait évidemment d’une densité proche de celle de l’atmosphère terrestre et on compléterait l’effet radiateur du sol et de l’atmosphère (accentué par des ventilateurs plus ou moins naturels – courants-d’air) par un système de tuyauterie transportant en circuit fermé de l’eau provenant de la fonte de glace, qui ensuite serait répartie par pompes dans la base habitée pour la chauffer.

Par ailleurs l’étendue même des datacenters posera problème (ou imposera des choix) car il faudra trouver ou creuser des cavités suffisamment vastes pour abriter les rangées d’armoires et les circuits, et faciliter la vie humaine autour. Construire une énorme bulle en surface pour les abriter est exclu car les risques de destruction de circuits hyper-fins par radiations, sont non négligeables et parce que la pressurisation de grands volumes est encore techniquement impossible (dômes d’une vingtaine de mètres de diamètre au maximum). Il faut plutôt envisager de couvrir l’ouverture étroite d’un gouffre volcanique profond et de disposer les armoires en étages (ou de trouver d’autres cavités naturelles, ce qui n’est pas encore le cas) ou de disséminer de petits datacenters dans le sous-sol de chaque bulle viabilisée (peut-être une sécurité mais il faudra penser aux liaisons entre datacenters). De toute façon les volumes habitables seront limités et il faudra toujours faire un choix entre l’information indispensable et l’information accessoire.

Tout cela revient à dire que l’expansion des datacenters et de l’activité humaine sur Mars ne sera possible qu’avec beaucoup de temps, d’investissements (qui toujours devront être faits sur la base de la prévision d’un retour sur investissement) et progressivement avec l’évolution des structures de la colonie. Mais on peut et il faut commencer « demain ».

Ainsi on ne parviendra jamais à réduire le time-gap entre la Terre et Mars mais on peut envisager grâce à des datacenters martiens (petits puis plus grands), de vivre avec des éléments informatiques suffisants pour travailler dans la base, pour utiliser les logiciels nécessaires, pour commander en direct les différents robots travaillant en surface partout autour de la planète et pour communiquer et échanger avec la Terre.

Si nous nous installons sur Mars, nous devrons effectuer un retournement copernicien. La Terre ne sera plus le centre du monde au point de vue de la population humaine et de sa création de richesses (intellectuelles et autres) mais « simplement » son origine (et longtemps son « site » le plus riche). S’ils veulent se développer, les Martiens devront s’assumer et avoir leurs propres datacenters. Il faudra déterminer quelle devra être l’importance de ces centres et comment les cordonner aux autres installés sur Terre. Cela sera fonction de la capacité des Martiens à les entretenir et les faire fonctionner, et aux Terriens ainsi qu’aux Martiens d’innover pour parvenir à en réduire la taille et la consommation en énergie. La recherche et les progrès de ces derniers sur ce sujet (du fait d’une stimulation plus forte que sur Terre) pourront faire l’objet d’exportations de logiciels et de know-how martiens vers la Terre.

Image à la Une: une vue du datacenter de Facebook à Lulea (Nord de la Suède): des rangées d’armoires de stockage de données, connectées à toutes sortes d’équipements informatiques et irriguées d’énergie électrique (crédit Facebook).

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