La société martienne devra vivre dans un contexte sanitaire très exigeant

La pandémie du covid-19 nous a laissé entrevoir ce que serait la vie dans un monde durablement confiné. Imaginer la vie humaine sur Mars nous conduit à envisager les comportements qui seraient les plus adaptés et les plus acceptables, en anticipation indirectement de ce que pourrait devenir les conditions de vie sur Terre et les contraintes auxquelles nous devrions tous nous plier. En effet le milieu viabilisé martien sera très exigeant, poussant à l’extrême des tendances que l’on voit apparaître sur Terre avec la surpopulation et la facilité des déplacements, donc les brassages de population et la multiplication des contacts. 

Les caractéristiques du milieu martien habité seront les faibles volumes viabilisés disponibles, la forte densité de population et le fort isolement par rapport aux sources externes d’approvisionnement (de fait, terrestres !). Cela conduira donc à la construction de structures protectrices de dimensions réalistes compte tenu des différences de pressions entre intérieur et extérieur (soit de 500 à 6 millibars en moyenne), disposant d’une atmosphère respirable créée à partir des gaz disponibles localement) et qui devront être entretenues (résistance, dégradation des matériaux, fuites, etc…). Le résultat c’est que pour très longtemps les « villes » martiennes seront petites, très densément peuplée, d’une population très réduite par rapport à celle de la Terre ; peut-être, au mieux, comme l’Islande aujourd’hui (300.000 habitants). 

Au sein de ce milieu relativement restreint en volume, les hommes mais aussi les plantes et les animaux devront coexister. Or le propre des êtres vivants (à la différence des robots) c’est (1) que chacun d’entre eux « vient avec » son microbiote (l’ensemble de ses hôtes microscopiques qui vivent de l’être vivant, pour l’être vivant, et éventuellement contre l’être vivant), évoluant au sein d’un microbiome (enveloppe au contour flou et mouvant occupé par le microbiote), (2) qu’on ne peut évidemment pas stériliser le microbiome sans tuer l’être vivant qui en est le cœur, (3) que ces microbiomes sont forcément en contact les uns avec les autres quand les êtres vivants sont proches physiquement les uns des autres et que, de ce fait, des échanges de microbes se produisent entre individus ou populations. 

Tous ces microbiotes, on les connaît encore assez mal malgré les progrès de la Science depuis Pasteur. Grace au « Human Microbiome Project », on a certes identifié (sans toutefois parfaitement le comprendre dans son fonctionnement) entre 80 et 99% du microbiote strictement humain mais on ne connait toujours qu’un pourcentage infime (moins de 0,01%) des microbes de l’ensemble de notre environnement, englobant nos plantes, nos animaux, notre sol (peut-être un trillion d’espèces pour la Terre entière). Sur Mars il n’y a très probablement pas de microbe sur le sol ni dans le sous-sol immédiat mais déjà avec les hommes, les plantes et surtout les animaux, on aura quand même une belle diversité. Un autre problème tout aussi préoccupant, c’est que le microbiote est constitué d’êtres vivants et que ces êtres vivants évoluent constamment. Les générations de microbes se renouvellent sur des durées très courtes et le « but » (évidement inconscient) des individus de chaque espèce qui les composent est de se reproduire en s’adaptant constamment par évolution darwinienne pour conquérir une « part de marché » aussi grande que possible. En particulier les bactéries ou leurs cousines archées, tout comme les virus, sont les champions des échanges de gênes à l’occasion de leurs mutations. 

Donc inutile de rêver, on ne contrôle pas un microbiome, a fortiori le microbiome collectif d’une population humaine exposée à de multiples contacts. On le pilote à grande vitesse en essayant d’éviter les crashs. 

Pour le piloter, on dispose de régulateurs : l’hygiène personnelle et collective, les médicaments, les vaccins, les produits antiseptiques. « On » (généralement les médecins, infectiologues, bactériologues, virologues) observe, et si nécessaire on intervient pour éviter la « sortie de route ». Sur Terre on disposait jusqu’à présent d’amortisseur, l’étendue géographique très vaste de la surface habitable. On appelle ça l’effet tampon (« buffer effect ») : un déséquilibre local va se résorber parce qu’il peut être isolé avant de s’étendre à l’ensemble de la planète ; ou bien il va se diffuser et se diluer. Ce n’est plus vrai dans le cas d’une pandémie (un peu comme la vitesse donne de la substance à l’atmosphère que l’on traverse ou rétrécit l’espace) et ce ne sera pas le cas sur Mars où le volume viabilisé sera très restreint. 

Dans ces conditions, la vie sur Mars, sans doute annonciatrice de périodes de plus en plus fréquentes pour la vie sur Terre, sera constamment sous surveillance et très probablement, souvent « confinée ». Mais qu’est-ce que cela implique ? Des précautions, des contrôles, une prophylaxie, des traitements. 

Les précautions, ce seront, outre les capteurs et analyseurs d’atmosphère (type MiDASS de BioMérieux) et des fluides, les contrôles médicaux. On peut concevoir qu’en dehors de tout symptôme, la prise de température de tous les individus soit fréquente, les visites médicales, avec prises de sang, mensuelles et obligatoires. Un deuxième impératif sera l’hygiène, impliquant outre la propreté des individus, le nettoyage complet et fréquent, bien entendu des installations de recyclage des déchets organiques mais aussi de tous les locaux viabilisés. Une personne infectée et contagieuse devra être immédiatement isolée des autres et ses contacts tracés depuis le début probable de sa contagiosité. De même un local sale (présence de bactéries nuisibles ou de champignons) devra être obligatoirement et le plus vite possible, nettoyé (ceci implique lors de la conception des locaux de prévoir que tout endroit viabilisé permette un accès pour nettoyage complet). Dans ces domaines préventifs il ne peut y avoir aucune liberté car on ne peut laisser une personne en contaminer une autre ou permettre dans le domaine privatif d’une personne quelconque, le développement d’une prolifération microbienne qui pourrait nuire à la communauté. 

Une particularité de la communauté martienne sera que les contacts physiques avec les membres de la communauté terrestre ne seront possibles que tous les 26 mois puisque les départs vers Mars ne seront possibles qu’avec cette périodicité du fait de l’évolution synodique de la configuration des planètes. Ceci implique que des mesures de confinement devront être prises à l’arrivée du vaisseau sur Mars pour protéger aussi bien les résidents que les arrivants puisque le contenu des microbiomes respectifs aura pu évoluer différemment pendant la période d’isolement et qu’il conviendra d’éviter toute mise en contact brutale. Sans doute faudra-t-il lors de l’atterrissage des vaisseaux, vacciner les arrivants comme les résidents contre les dernières mutations de coronavirus et autres ! On peut en déduire la réciprocité sur Terre. 

Le confinement est une particularité du traitement d’un dérèglement du microbiome. Il intervient quand on ne sait pas comment le traiter avec effet neutralisant immédiat. C’est une solution d’attente même si l’attente peut être longue (mise au point d’un vaccin, élaboration sur place ou fourniture d’un médicament par la Terre). Dans ce cas, il doit être aussi stricte que nécessaire, en isolant les personnes à risque et en réduisant les échanges physiques avec elles à ce qui est absolument indispensable. Dans cet état d’esprit, la question n’est pas de savoir si un confinement est acceptable mais plutôt faire tout ce qu’il est possible de faire pour qu’il ne soit pas nécessaire et, si on ne peut l’éviter, prendre ses dispositions pour qu’il soit vivable, socialement et fonctionnellement, aussi longtemps qu’il le faudra sans pour autant y mettre fin au seul prétexte qu’un individu ou une partie de la population ne le supporterait pas psychologiquement. Cependant un confinement durant « vraiment longtemps » (plusieurs mois) serait effectivement un échec qui porterait atteinte à la pérennité de la communauté car il nuirait sérieusement à l’interaction nécessaire de ses membres. Il faudra donc toujours évaluer le rapport coût / bénéfice probable de la décision de son application. 

Les palliatifs sociaux sont les contacts entre individus via écrans interposés, en modes video et/ou audio, ou au mieux en respectant simplement les « distances sociales » c’est-à-dire les distances que l’agent pathogène ne peut franchir seul. Eventuellement les contacts protégés avec masque, gants, blouse, etc…sont possibles mais ils sont forcément rares compte tenu de leurs difficultés opérationnelles. En fait dans certaines situations à haut risque, il n’y a pas de bonne solution mais plutôt un choix entre une vie, limitée, et un risque de mort. Pour pousser le raisonnement plus loin, on peut concevoir que certaines personnes assument pour elles-mêmes ce dernier. C’est un choix qui doit être laissé à l’individu ou plutôt aux individus qui manifestent la volonté de le prendre ensemble, mais qui ne peut être généralisé car il pourrait entraîner la non viabilité de l’ensemble de la communauté. En fait cela dépendra de la fonction de la personne souhaitant prendre cette décision au cas où la redondance de la capacité ne serait pas certaine. Sur Mars certaines fonctions techniques devront à tout prix être assurées faute de quoi la Colonie ne serait plus viable (par exemple contrôle des composants de l’atmosphère respirable). 

On peut encore considérer qu’on peut faire respecter un confinement dans une population de petite taille comme sera celle de Mars moins difficilement que dans une population de plusieurs centaines de millions ou de plusieurs milliards d’habitants (faisabilité des contrôles !). Cependant il faut dire que les Martiens jouiront d’un avantage unique. Lorsqu’ils auront besoin de se dégourdir les jambes, ils pourront tout simplement…sortir à l’extérieur de l’habitat viabilisé. Vêtus d’un scaphandre (dont l’intérieur devra être nettoyé après chaque usage) ils ne courront aucun risque à se tenir à moins d’un mètre l’un de l’autre, à rester seul à seul où à retrouver une douzaine de personnes pour partager une excursion ou contempler un coucher de soleil. Et même les rayons ultraviolets se chargeront de nettoyer à fond la surface extérieure de leur vêtement de sortie. Bien sûr il y aura toujours un bon centimètre de tissu et de matériaux isolant entre leurs corps…et la visière d’un masque entre leurs visages mais on a déjà mis au point des gants qui transmettent parfaitement à la peau des doigts le sens du toucher (gants haptiques). 

Dans la base elle-même il faut prévoir, pour pouvoir traiter l’éventualité, la multiplicité des cellules viabilisées, que ce soit les habitats, les dômes sociaux ou les corridors. Il faut pour des raisons de sécurité qui ne seront pas d’ailleurs toujours à caractère sanitaire, pouvoir court-circuiter une partie de la base sans rendre son fonctionnement global impossible. Ce sera un des aspects de la redondance indispensable dans une telle situation et cela « tombe bien » car les particularités du milieu (différentiel de pression entre extérieur et intérieur, irrespirabilité de l’atmosphère) imposeront la modularité et cette multiplicité des espaces viabilisés.

illustration de titre: EBIOS dans le désert des Mojaves, vue d’artiste (crédit Interstellar Lab).