Comet Interceptor, la mission de l’ESA qui pour la première fois va nous permettre de (presque) chevaucher une comète de longue-période

Un des projets priorisés par l’ESA dans sa dernière réunion interministérielle est la visite d’une comète de longue-période, parcelle infime de notre disque protoplanétaire, en espérant que ce soit sa première descente vers le centre de notre système et que donc nous puissions l’observer avant qu’elle ait été altérée par les rayonnements provenant de notre Soleil. La préparation de la mission à l’étude pour remplir cet objectif, « Comet Interceptor », première de catégorie « F » (pour Fast), proposée et sélectionnée en 2019, a été confirmée fin 2022 et va donc être poursuivie afin de pouvoir être lancée avec la mission ARIEL (étude de l’atmosphère des exoplanètes de taille moyenne) en 2029. On profitera de cette occasion de « chasse à la comète » pour observer alternativement un astéroïde extragalactique comme Borisov ou l’étrange ‘Oumuamua, au cas où il s’en présenterait. La position d’attente de l’« intercepteur » sera le point de Lagrange Terre-Soleil L2 (localisé hors du puits gravitationnel terrestre et relativement stable), à 1,5 millions de km de la Terre.

Architecture d’une interception, vue d’artiste, crédit K. Yoshioka.

Rappelons que les comètes sont des petits corps riches en eau glacée, qui proviennent d’au-delà de la « Limite-de-glace » (distance du Soleil à partir de laquelle l’eau ne peut se trouver qu’en phase solide). Cette limite est située au milieu de la « Ceinture d’astéroïdes » qui orbite le Soleil entre Mars et Jupiter. Les trois principaux « réservoirs » de comètes sont, en s’éloignant de plus en plus du Soleil, cette Ceinture d’Astéroïdes, la Ceinture de Kuiper et les nuages de Oort. La Ceinture d’Astéroïdes et la Ceinture de Kuiper sont des tores qui orbitent le Soleil dans le plan de l’écliptique. La première « Ceinture » a été fortement « chamboulée » et appauvrie par les géantes gazeuses Jupiter et Saturne lorsqu’elles sont descendues vers le Soleil au début de la formation de nos planètes (il y a plus de 4,5 milliards d’années). Elle constitue encore une masse égale à 0,6% de celle de la Terre. La Ceinture de Kuiper orbite le Soleil au-delà de Neptune, entre 30 et 100 UA (Unités Astronomiques, 1UA = 150 millions de km) du Soleil. Elle aussi a souffert sur sa marge intérieure de l’intrusion de Neptune (après le retour de Jupiter et de Saturne un peu plus loin que leur lieu primitif d’accrétion). Elle contient une masse d’environ 10% de celle de la Terre (y compris des planètes-naines comme Sedna). Les Nuages de Oort (appelés aussi Nuage de Öpik-Oort pour rendre hommage au premier scientifique, estonien, qui les a théorisées en 1932) forment une coque constituée d’une myriade de petits astres glacés qui enveloppe complètement le système solaire ; la différence de forme de leur volume avec celle de la Ceinture de Kuiper étant explicable par la moins forte attraction gravitationnelle du Soleil car elle s’étend bien au-delà de la Ceinture de Kuiper, jusqu’à au moins 100.000 UA. L’ensemble de la masse de ces « nuages » est peut-être égal à une quarantaine de masses terrestres.

Dans cet environnement lointain (Oort encore plus que Kuiper), presque rien n’a changé depuis que les gaz et les poussières de notre disque protoplanétaires se sont concentrés par suite d’une perturbation extérieure quelconque (une supernova probablement), cette concentration aboutissant à la formation en son centre de notre Soleil puis en périphérie, de nos planètes et, beaucoup plus loin, des astéroïdes (y compris les comètes).  L’effet du Soleil a été et reste d’autant plus faible qu’on s’éloigne de lui, aussi bien au point de vue thermique (et autres radiations) que gravitationnel. C’est pour cela que les poussières et particules de glace ne se sont accrétées qu’en masses d’autant plus petites qu’on était loin du Soleil. Au point que, à la différence de ce qu’on observe dans la Ceinture de Kuiper, il n’y a très probablement aucune planète ou planète-naine dans l’environnement des Nuages de Oort.

Les comètes proviennent donc de ces trois réservoirs mais les plus nombreuses viennent de loin, aussi bien des Nuages de Oort que de la Ceinture de Kuiper compte tenu de la masse et de l’étendue de ces deux régions. On en a répertorié quelques 3000 depuis qu’on les observe, contre seulement 800 qui proviennent de notre environnement proche, les SPC (Short Period Comet) que l’on appelle aussi JPC (Jupiter Family Comet)…même si elles ne proviennent pas de Jupiter, car elles sont souvent déviées par Jupiter. Les premières sont des comètes à longue-période (LPC), les secondes, les SPC, des comètes à courte-période (5 à 20 ans). On fait la différence, bien entendu parce qu’on connaît la trajectoire des SPC mais aussi (et surtout) parce que la vitesse des LPC est beaucoup plus grande et que donc l’arc d’ellipse que décrit leur trajectoire observée est beaucoup moins courbé. Par ailleurs le plan de l’ellipse d’une LPC peut être complètement en dehors de celui de l’écliptique puisque les Nuages de Oort forme une sphère autour du Soleil.

Les distances entre ces corps glacés sur orbite sont très grandes, aussi bien dans les deux Ceintures que dans les Nuages de Oort (des millions de km). Mais plus on est éloigné du Soleil, plus leur vitesse sur orbite autour du Soleil est faible et moins leur déstabilisation requiert d’énergie. Malgré le temps passé depuis la formation du système solaire et les pluies de comètes qui ont eu lieu à l’origine du fait de la plus grande densité, des plus grandes différences de vitesse et des tiraillements gravitationnels, la stabilité aujourd’hui n’est toujours pas parfaite. Il reste des différences de densité, de masse, de réflectivité aux rayonnements, de vitesse. Et de temps en temps, un de ces corps en heurte un autre ou bien simplement sa vitesse diminue légèrement pour une raison quelconque et il décroche de son orbite en tombant en comète vers le centre de notre système suivant une ellipse de période plus ou moins longue en fonction de son origine plus ou moins lointaine.

Observer une comète LPC, c’est donc observer un morceau de notre système solaire dans son état presque originel qui du fait de la force de gravité omniprésente, se rapproche de nous. On voit tout de suite l’intérêt de profiter de ce « service à domicile ». Et il vaut mieux se servir du plat qui nous est présenté quand il entre pour la première fois (ou l’une des premières fois !) dans le four de l’environnement solaire que lorsqu’il y a déjà séjourné de nombreuses fois. Les comètes que l’on voit venir et revenir, les JFC, sont des plats réchauffés qui ont perdu beaucoup de leurs caractères primitifs. Et elles sont d’autant moins intéressantes que nous en avons déjà observées plusieurs de très près (missions Giotto ou Rosetta). NB : elles pourront toutefois servir de référence. La magnifique comète C/2022 E3 (ZTF) qui nous rend visite depuis ce 12 janvier (elle sera au plus près de la Terre, 42 millions de km, le 1er février, avec une magnitude apparente de 5,5*) est une LPC dont l’aphélie se trouve à 39.300 UA donc bel et bien dans le nuage de Oort intérieur. On ne sait pas si elle est déjà descendue dans notre région, c’est-à-dire si elle est une LPC de type « DNC » (Dynamically New Comets), ce qui aurait évidemment été préférable…si le Comet Interceptor avait été prêt !

*La magnitude-apparente limite pour l’œil nu est de 6.

La difficulté pour l’observation d’une comète LPC c’est (1) que par principe on ne les a jamais vues, que donc on ne connaît pas leur trajectoire et que donc on ne sait pas où et quand elles pénétreront dans notre espace observable ; (2) que lorsqu’on les a détectées il faut intervenir aussitôt c’est-à-dire aussi loin que possible du Soleil (pour que ce dernier ne puisse les avoir sensiblement altérées) donc, en fait, lorsque elles franchissent la Limite de glace ; (3) qu’avant que le Soleil décongèle leurs gaz, elles sont visuellement petites comme des astéroïdes « secs ». Il faut donc disposer (1) d’un instrument d’observation capable de les détecter aussi loin que possible (on les identifiera en fonction de leur vitesse ou de leur direction) et (2) d’un vaisseau en veille, prêt à partir vers elle sur le champ. Les astéroïdes extragalactiques semblent encore plus rares et leur vitesse est plus rapide (c’est d’ailleurs en partie à cela qu’on les reconnaît) ce qui ne facilitera pas leur interception.

Nous disposons déjà de plusieurs observatoires pour la détection (programme Pan-STARRS et ATLAS). Mais, surtout, nous aurons bientôt (en principe en 2024) le « LSST » (« Large Synoptic Survey Telescope ») maintenant nommé « Vera C. Rubin Observatory ». Avec cet instrument construit au Chili, sur le Cerro Pachón, au Nord de Santiago sous leadership américain (Université de Tucson) et qui couvrira le ciel austral en trois jours, l’on pourra voir au-delà de la magnitude-apparente 24 (Pluton est à 13,7, Hubble peut voir jusqu’à 31). Parce qu’il a ces capacités et parce qu’il est optimisé pour détecter les phénomènes transitoires, il est particulièrement bien adapté pour travailler de concert avec le Comet Interceptor. Avec lui on pourra repérer les comètes un peu avant qu’elles atteignent l’orbite d’Uranus, ce qui nous donnerait le temps de nous préparer. C’est un peu parce que Vera Rubin était en cours de réalisation que l’on a décidé en juin 2019 de lancer cette mission Comet Interceptor. C’est une coopération ESA/JAXA (Agence spatiale japonaise). Elle entre bien dans la définition de « mission Fast » car elle a une durée de développement courte (9 ans au lieu de 8 à l’origine) et une masse de seulement 600 kg (donc à l’intérieur des 1000 kg posés comme limite pour cette catégorie).

La mission couvrira deux domaines : (1) celui de la science du noyau cométaire (« Comet Nucleus Science ») pour répondre aux questions sur la composition, la forme, la morphologie et la structure de l’objet cible ; (2) celui de la science de l’environnement cométaire (« Comet Environment Science ») pour répondre aux questions sur la composition de la chevelure, son lien avec le noyau (activité) et la nature de son interaction avec le vent solaire.

L’intercepteur sera composé de trois éléments qui resteront solidaires jusqu’à l’approche de l’objectif : une plateforme (ESA) et deux sous-satellites, B1 (JAXA) et B2 (ESA), équipés d’instruments différents et bien sûr complémentaires. L’énergie sera fournie par des panneaux solaires. La plateforme commune comprendra un bloc télécom pour les relations avec la Terre, une caméra « CoCa » (Comet Camera) pour obtenir des images à haute résolution du noyau de la comète dans plusieurs longueurs d’onde, un spectromètre de masse MANiaC (Mass Analyser for Neutrals in a Coma) pour analyser les gaz émis par la comète, un spectromètre, MIRMIS (Multispectral InfraRed Molecular and Ices Sensor) pour mesurer la chaleur libérée du noyau et étudier la composition moléculaire du gaz de la chevelure, un instrument DFP (Dust, Field, Plasma) pour mesurer les gaz ionisés, les atomes neutres énergisés, les champs magnétiques et la poussière entourant la comète. Le sous-satellite B1 portera une caméra UV pour observer le nuage d’hydrogène entourant la comète ; un instrument PS ayant un peu le rôle de l’instrument DFP ; une caméra grand angle pour voir la comète lors de son survol rapproché. Le sous-satellite B2 portera une caméra pour cartographier en lumière visible et infrarouge la tête et la chevelure ; un spectromètre de masse pour analyser les gaz s’échappant de la comète ; une caméra pour étudier la jonction entre la tête de la comète et sa chevelure ; un autre instrument DFP fonctionnant en liaison avec le premier.

La vitesse de la sonde sera réduite du fait de ses faibles moyens de propulsion mais évidemment suffisant pour l’observation rapprochée dans un vaste secteur. A noter qu’on peut difficilement faire autrement pour un véhicule en attente lancé en 2029 et qui pourrait n’être activé qu’en 2035. Par ailleurs il n’est pas nécessaire de disposer de beaucoup d’énergie puisqu’on n’aura pas à s’extraire d’un puits de gravité avant de se déplacer et qu’on disposera de temps entre l’observation et l’arrivée sur site. Le déplacement vers la cible pourrait durer quelques mois mais s’étendre jusqu’à 3 ou 4 ans. La plateforme ne s’approchera pas à plus de 1000 km pour éviter les éjectas mais les sous-satellites pourront s’approcher beaucoup plus près, quitte à être détruits. Le sous-satellite B1 explorera le noyau et la chevelure jusqu’à 850 km, le sous-satellite B2 qui survolera la comète au plus près, jusqu’à 400 km, explorera particulièrement l’intérieur de la chevelure. La rencontre pourrait se faire à une vitesse de 40 à 70 km/s. Le plan d’interception est présenté ci-dessous.

 Schéma de l’« interception », crédit ESA/Comet Interceptor science study team.

Le « Comet Interceptor Science study team » est composé de cinq personnes dont Geraint Jones (UCL, UK) et Hideyo Kawakita (Kyoto Sangyo University), complété par dix « Comet Interceptor Lead Scientists » dont Martin Rubin de l’Université de Bern, pour le spectromètre de masse MANiaC et Nick Thomas, également de l’Université de Bern, pour la caméra CoCa. L’ESA suit le projet avec un ESA Study Team de 10 personnes avec coordination par l’ESTEC. L’ensemble est entouré de plus de 300 contributeurs scientifiques.

Le lancement de la sonde sera fait par une Ariane 62…dont on attend confirmation des capacités !

https://space-travel.blog/opik-oort-comet-interceptor-opic-e309e0de2bff

https://www.cometinterceptor.space/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Comet_Interceptor

https://www.scinexx.de/news/kosmos/komet-im-anflug/

https://www.cosmos.esa.int/web/comet-interceptor/documentation

http://psp.gp.tohoku.ac.jp/hisaki/lib/exe/fetch.php?media=text_reading:hisaki2_reading_yoshioka_201021.pdf

https://www.cosmos.esa.int/documents/3760686/3760706/Comet+Interceptor+Red+Book.pdf/dfa9634f-b15b-e918-17b5-5a8523149ea7?t=1664524062069

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