Automaticité du progrès ?

La possibilité théorique de l’existence de civilisations extraterrestres pose question sur le niveau de développement technologique possible de ces civilisations. Estimer qu’elles auraient pu atteindre notre propre niveau implique qu’au sein de ces civilisations d’autres « personnes » auraient fait les mêmes découvertes que nos plus grands génies sur Terre et qu’en quelque sorte, le progrès est inévitable. Est-ce acceptable intellectuellement ?

Passe encore que sur cette autre planète, des hommes (ou plutôt leurs équivalents) aient découvert par accident certains phénomènes comme le feu pour brûler ou chauffer, ou l’éclat d’une roche pour couper ou tuer. Mais peut-on aller beaucoup plus loin ?

Bien sûr, une évolution est possible pour toute collectivité d’individus intelligents. On peut imaginer parvenir « naturellement » à l’élevage, à l’agriculture, à la navigation sur un morceau de bois qui flotte, faire certaines déductions astronomiques d’après l’observation des étoiles. Tout cela résulte de l’observation de l’environnement avec une réflexion sous-tendue par une intelligence. Mais il me semble qu’au bout d’un moment on atteint des limites que l’on ne peut plus franchir automatiquement.

Ainsi, comme chacun sait, les Indiens d’Amérique n’ont jamais découvert la roue ou plutôt ils n’ont jamais déduit de la connaissance de la roue la possibilité qu’elle ait, appariée en deux ou quatre unités, d’équiper grâce à un essieu un châssis qui permettrait de transporter « quelque chose », en réduisant l’effort par l’exploitation de leur instabilité au sol résultant de leur très faible incidence.

Plus on s’éloigne des phénomènes les plus simples, plus on entre dans la complexité et dans l’abstraction, plus les calculs et les mathématiques qui les utilisent deviennent nécessaires, plus le degré d’improbabilité d’obtenir les mêmes résultats à partir d’une même base augmente.

Ainsi on peut observer le ciel, comme les Grecs anciens le firent et développer des outils relativement sophistiqués comme la Machine d’Anticythère et ses engrenages pour en déduire les mouvements apparents futurs des astres, sans pour autant avoir l’idée d’utiliser des verres d’une certaine courbure pour augmenter la puissance d’observation et mieux comprendre ainsi les mouvements apparents et la différence entre la Lune, les planètes et les étoiles. On peut aussi inventer l’hélice, comme l’a fait Archimède, sans pour autant en déduire qu’on pourrait l’utiliser pour propulser un navire. Le savant grecs (dont le nom est perdu) à l’origine de la Machine d’Anticythère était génial tout comme Archimède mais ce n’est qu’en 1600 après Jésus-Christ que Galilée eu l’idée d’utiliser l’invention toute récente de la lunette pour observer les étoiles et ce n’est qu’en 1486 que Léonard de Vinci comprit que l’hélice pouvait servir à la propulsion (dans ce cas pour un aéronef) et ce n’est qu’encore plus tard, en 1806, que Charles Dallery compris qu’on pouvait l’utiliser pour faire avancer les bateaux.

A noter que l’utilisation de lentilles dans la lunette astronomique ne devenait possible qu’après que l’optique (les opticiens) et le travail du verre (les maîtres verriers) aient fait suffisamment de progrès. A noter aussi que la propulsion au moyen de l’hélice ne pouvait être possible que s’il y avait un moteur fournissant l’énergie pour la faire tourner (Léonard ne pouvait imaginer que la force musculaire). Il fallait donc que Denis Papin intervint en concevant le piston à vapeur en 1690, pour que le rapprochement pu se faire.

Alors Denis Papin ou plus près de nous Michel Mayor pensant que l’effet Doppler (après que Doppler l’eut compris !) pouvait être utilisé pour détecter les exoplanètes, sont-ils « inévitables » ? Leur rôle n’est-il que d’être des révélateurs interchangeables ? Si ce n’avait pas été eux, peut-on dire que leurs inventions auraient été faites par d’autres ?

C’est une interrogation à laquelle il est très difficile de répondre. Disons que la progression en éventail des découvertes scientifiques et technologiques créée un champ de possibles. Ce champ peut être exploité par ceux qui connaissent parfaitement une science et qui sont ainsi capables de la porter un peu plus loin ou de l’utiliser pour développer une autre branche de la connaissance qui peut utiliser la leur ou plutôt la réflexion qu’eux-mêmes peuvent avoir exprimée grâce à leur acquis. Mais il me semble qu’il n’y a nul automatisme et qu’une découverte ou une progression de la science n’est possible que si un individu est suffisamment intelligent et persistant dans sa réflexion et l’application de sa réflexion, pour qu’une nouvelle découverte se manifeste, soit démontrée, et que l’évidence de sa validité soit reconnue par tous.

Je ne vois nul automatisme dans le progrès mais je vois bien la nécessité de ces individus, de ces savants prodigieux qui non seulement ont les connaissances à partir desquelles il faut partir (« on ne va pas réinventer la roue ») mais qui en plus ont les capacités intellectuelles pour pouvoir et oser sortir des sentiers battus, juste à côté ou un peu plus loin. Mais on ne trouve pas toujours. Rien n’est facile, rien n’est évident, sauf après-coup.

La conséquence c’est que si sur une planète quelconque à l’environnement favorable, la vie est apparue puis s’est développée et complexifiée jusqu’à parvenir à produire une espèce intelligente comme la nôtre (et comme peut-être certains descendants de dinosaures auraient pu devenir), il n’est pas du tout évident que cette espèce ait atteint le niveau que nous avons atteint. Elles n’ont peut-être généré ni Denis Papin, ni Georges Lemaître, ni Einstein, ni Michel Mayor, ni Elon Musk…

Le contraire peut être vrai, c’est-à-dire qu’elles ont pu avoir l’équivalent de nos plus grands savants et ingénieurs et plus encore, de telle sorte que notre civilisation paraîtrait bien primitive en comparaison de la leur. Mais ce que je veux dire c’est que la nécessité de l’intervention d’individus remarquables dans le processus de progrès induit que nous ne pouvons absolument pas préjuger du niveau technique des « autres » (petits hommes verts). Le progrès n’est pas seulement une question de temps ni d’environnement favorable, c’est une question d’hommes.

Nous n’aurons de preuve de la possibilité de civilisations extraterrestres évoluées que lorsque nous les obtiendrons. C’est pour cela que nous devons les chercher.

Illustration de titre : Diagramme expliquant la méthode dite de vélocité-radiale (autrement dit l’effet Doppler). Crédit : Las Cumbres Observatory (réseau mondial de télescopes robotiques, siège en Californie).

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