Utopie pour une communauté martienne de 1000 résidents

Puisque nous avons tous un ego, nous avons tous une grande aspiration à la liberté individuelle. Elle est nécessaire à l’épanouissement de notre satisfaction personnelle et ce faisant, à l’épanouissement de la communauté à laquelle nous appartenons.

Cependant, la civilisation (vivre ensemble) implique que les gens se comportent selon des règles afin de ne pas empiéter sur les droits des autres ni sur les intérêts de la communauté à laquelle ils appartiennent. Les résidents de la Colonie martienne devront donc respecter les règles (« lois ») établies par la « Compagnie des Nouvelles Indes », (structure juridique créée par ses actionnaires pour gérer et développer la Colonie1) et qu’ils auront acceptées avant de quitter la Terre. Cela est essentiel à un pilotage efficace et à la cohérence des activités au sein de la Colonie. Très probablement, ces règles à appliquer aux relations entre résidents et entre les résidents et la Compagnie seront incorporées dans les statuts de la Compagnie et résulteront d’un compromis entre les différents pays1 participant à la Compagnie en tant qu’actionnaires, soit directement en tant qu’États (par le biais de leurs agences spatiales), soit par le biais de certains de leurs citoyens (investisseurs). Bien entendu, ces règles seront rédigées dans le cadre de déclarations de droits de l’homme généralement reconnus mais, en raison des risques inhérents à l’environnement martien extrême et dangereux et en raison du caractère très précieux sur le plan scientifique des particularités planétaires et de la fragilité écologique de Mars, certains des droits individuels fondamentaux pourront être restreints si leur exercice pourrait compromettre la sécurité de la Colonie ou la recherche scientifique (par exemple, les inspecteurs sanitaires devraient avoir le droit de mener en urgence et sans autorisation préalable, un nettoyage approfondi des locaux privés de quiconque réside dans la Colonie). En effet, l’environnement martien très particulier implique que des règles de sécurité strictes soient respectées sans discussion afin de permettre à la population de survivre d’une fenêtre synodique de départ à une autre. Cela implique également que les ressources vitales et rares telles que l’énergie, l’oxygène ou l’eau, ne soient attribuées en fonction de la demande et de l’offre que dans la mesure où les besoins vitaux de la communauté en matière de survie puissent être sauvegardés. Cela implique enfin que l’on ne fasse pas n’importe quoi avec ses déchets et que l’on ait toujours le soin de limiter son empreinte écologique sur la planète. Cela signifie que dans un souci de sécurité commune, l’on puisse ne pas respecter sans restriction le jeu de l’offre et de la demande, que l’expertise doive toujours être respectée, que les décisions importantes doivent toujours être soigneusement considérées avant d’être prises mais, en même temps, que les urgences doivent toujours être traitées efficacement.

Au sein de la population d’une société naissante de 1000 personnes sur Mars, nous devrons faire la différence entre plusieurs catégories de résidents, car ils auront des intérêts et des responsabilités différents. Nous aurons d’une part, (1) des résidents particuliers (« hôtes-payants ») soit chercheurs, soit touristes, soit résidents privés de longue durée; (2) des entreprises libres, qu’il s’agisse de sociétés ou d’individus (« entreprises-libres ») poursuivant un objectif économique indépendant; et d’autre part, (3) le personnel relevant du pouvoir exécutif de la Colonie (le « personnel ») chargé de l’administration ou de la satisfaction des besoins jugés nécessaires au bon fonctionnement de la Colonie et non fournis par les entreprises-libres (comme décidé/accepté par la Compagnie). Cette dernière catégorie comprendra les sociétés opérant à la demande (de) et sous contrat avec la Compagnie (« contractants »). Le personnel sera censé mieux savoir comment gérer ou contrôler les différentes activités de la colonie en vue de l’intérêt commun de ses résidents et de la continuité de la colonie, et il bénéficiera en conséquence du droit de gestion des intérêts communs. D’autre part, les résidents payants, c’est-à-dire les personnes qui auront dépensé des sommes considérables pour vivre un cycle synodique (ou plus) sur Mars, devront avoir le droit d’obtenir en retour une contrepartie à la hauteur de ces sommes (dans leur échelle de valeur) et les entreprises-libres qui auront investi des capitaux pour en tirer profit, devront avoir le droit de poursuivre la maximisation de ce profit, à condition que cela ne nuise pas au bon fonctionnement de la Colonie et à la nature particulière de l’environnement. Dans la plupart des entreprises menées sur Mars, les actionnaires de la Compagnie des Nouvelles Indes, comme jadis ceux de la Compagnie des Indes occidentales (ou orientales !) seront les principaux acteurs car ils auront fourni son financement et, par conséquent, ils s’attendront, à bon droit, à un retour sur cet engagement. En tant que propriétaires, ils seront collectivement les décideurs ultimes de l’utilisation des actifs de la Compagnie de la Colonie et de l’évolution de la Colonie. Ils seront représentés sur Mars par un « Directoire de la  Colonie » (nombre impaire de personnes, sans doute trois, pour  limiter les erreurs de jugement et éviter les risques de dominance).

Le personnel sera organisé en divers « départements opérationnels », chacun responsable d’une gamme de services spécifiques nécessaires au bon fonctionnement de la Colonie: 1) production, transport et stockage de l’énergie; 2) production, transport, recyclage et stockage de l’eau; 3) production, stockage, diffusion et équilibrage dans des zones habitables des gaz atmosphériques respirables ; chauffage et climatisation; 4) santé, assainissement et contrôle microbien, soins médicaux et assistance sociale; 5) agriculture et serres, culture de spirulines, gestion phytosanitaire, élevage avicole, élevage caprin, pisciculture, services vétérinaires, transformation et stockage des aliments; 6) informatique, traitement et stockage des données, robotique, communication au sein de la base, autour de la planète et avec la Terre ; information, éducation; 7) ressources humaines ; 8) recherche scientifique ; 9) recyclage des solides, recyclage organique, gestion des déchets ; services funéraires; 10) exploitation minière, transport, production chimique, production métallurgique, production de verre, gestion des machines-outils, construction d’infrastructures et d’habitats; 11) Fabrication, nettoyage et recyclage des vêtements et des scaphandres; 12) impression 3D; 13) Stockage et gestion des stocks; 14) contrôle des activités planétaires; 15) assistance au tourisme et à la recherche; 16) Supervision des échanges monétaires au sein de la base, gestion du budget de la colonie; 17) planification et développement des infrastructures; 18) maintenance des aéroports planétaires et de l’astroport; 19) assistance aux systèmes juridiques terrestres; assistance aux investissements et aux fiscalités; (20) Application de la loi, résolution des conflits et police.

Le personnel sera placé sous l’autorité d’un organe directeur que l’on pourrait appeler le « Conseil exécutif de la Colonie », chargé de la coordination et du contrôle des diverses activités développées dans la Colonie. Autour du Directoire de la Colonie (chargé de la gestion au jour le jour), il comprendra les chefs de départements concernés par les décisions à prendre et cinq représentants des résidents, « Conseil des représentants des résidents martiens » (« CRRM »), élus tous les six mois par les hôtes-payants (dont 2 par ceux qui auront été présents sur Mars depuis plus d’un cycle synodique).

Les décisions concernant une activité spécifique ne seront prises par le Conseil-exécutif qu’après consultation du ou des responsables du/des service(s) opérationnel(s) concerné(s). Les responsables des « départements vitaux », c’est-à-dire du contrôle de l’énergie, de l’informatique, de l’eau, de l’atmosphère, de la climatisation, des aliments, de la sécurité, de la santé, et le responsable de la recherche scientifique, auront le droit de participer à toutes les réunions du Conseil (ou seront requis par le Directoire, en fonction du sujet discuté). Tout porteur d’une voix minoritaire dissidente au sein du Conseil exécutif aura le droit de soumettre un référendum à l’ensemble de la population des résidents martiens, sauf en cas d’opposition du chef d’un des départements-vitaux. Un pourcentage raisonnable (10%?) de la population de résidents devrait être autorisé à faire des propositions à ses concitoyens et ces propositions devraient être soumises à leur approbation et à celles du Conseil-exécutif, à condition que cela ne gêne pas la sécurité de la colonie, que ses ressources matérielles le permettent et qu’elles soient acceptées par la Compagnie (et éventuellement par ses actionnaires). Dans tous les cas, le Directoire aura un droit de veto. Les conflits seront résolus par un tribunal arbitral composé de trois juges, dont deux nommés par la Compagnie des Nouvelles Indes et un élu par le CRRM. Ils seront indépendants du Conseil exécutif, sauf pour les questions de sécurité. L’application de la loi et les décisions d’arbitrage seront contrôlées / exécutées par une force de police de cinq personnes (qui sera aussi chargée des inspections sanitaires) sous l’autorité du Directoire de la Colonie.

Une adaptation permanente à une situation en évolution sera nécessaire pour permettre le développement correct de la Colonie, mais il faudra également une autorité pour arbitrer les besoins de tous les résidents, compte tenu des contraintes liées à la rareté des ressources et aux dangers de l’environnement, tout en servant les intérêts des actionnaires du projet et en respectant la planète. Un pilotage difficile…mais nous avons encore le temps d’y réfléchir !

1Il est supposé que la Colonie ne sera pas américaine mais multinationale et que des intérêts privés feront partie des actionnaires. En effet, même si la création de la colonie résulte de la volonté d’un homme (Elon Musk?), il est très probable que le succès fasse collaborer d’autres investisseurs, privés et publics. Leur participation devrait être la bienvenue car le développement de l’établissement nécessitera d’énormes moyens financiers et, logiquement, les participants à l’effort devraient demander et obtenir le droit de vote leur permettant de prendre part à la décision en fonction du poids de leur investissement.

Image à la Une: Landing at Sunset. Illustration de Philippe Bouchet (crédit Manchu/Association Planète Mars).

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Index L’appel de Mars 09 03 19