Si le Starship de SpaceX peut voler, Mars sera à notre portée

La capacité du Starship que SpaceX est en train de finaliser* nous permet d’envisager la faisabilité de l’installation de l’homme sur Mars. En effet ce vaisseau spatial pourra déposer sur le sol de la planète plusieurs dizaines de personnes ou cent tonnes d’équipements dans un volume viabilisé de 1100 m3.

*même s’« il ne faut pas vendre la peau de l’Ours », on peut maintenant évoquer avec un indice de confiance élevé, la probabilité qu’il puisse voler.

La progression satisfaisante du processus de réalisation du Starship nous permet d’envisager d’apporter sur Mars les équipements nécessaires à la caractérisation précise de l’eau martienne, nécessaires à son extraction (puisqu’elle se présente sous forme de glace sous un mort-terrain d’épaisseur à définir mais qui ne devrait pas dépasser quelques mètres), nécessaires à son transport et nécessaires à son utilisation, comme nous l’avons vu la semaine dernière.

Comme chacun peut le comprendre la solution à ces problèmes de l’eau est vitale non seulement pour la vie à long terme mais aussi pour la réussite d’une mission habitée puisqu’au-delà du recyclage de l’eau pour les besoins humains (qui devrait atteindre un pourcentage d’au moins 80%), les hommes auront besoin d’eau pour obtenir l’hydrogène nécessaire à la production des ergols pour pouvoir revenir sur Terre (dans le cadre d’une réaction de Sabatier pour obtenir du méthane et de l’oxygène, après électrolyse de l’eau).

J’ai évoqué ce problème de l’eau la semaine dernière mais dans l’étude à laquelle je me référais et à laquelle je me réfère encore aujourd’hui, les auteurs mentionnent tout ce qu’il conviendra de faire également pendant les toutes premières missions et que permettent d’envisager le Starship avec ses capacités de transport extraordinaires. Il s’agit au moyen d’une première mission entièrement robotisée, de tester les technologies essentielles, de bien vérifier l’habitabilité biologique de la planète, de prospecter les ressources locales nécessaires à la vie, donc celles qui permettront de déterminer l’implantation de la base, de prépositionner des équipements ou des ressources utiles qu’on ne pourra pas obtenir immédiatement du sol martien, et commencer à édifier quelques infrastructures utilisables par la suite (car pendant longtemps on reviendra au même endroit afin de ne pas gâcher le capital physique accumulé).

Tester les technologies essentielles, c’est d’abord mesurer les doses et l’intensité de dose des radiations solaires et cosmiques au niveau du sol à l’endroit où l’on veut implanter la Base. On peut même imaginer évaluer le degré de protection contre ces mêmes radiations, procuré par le régolithe en fonction de la profondeur, puisqu’on procédera à des forages. En cas de besoin, on pourrait même en déduire la prévision d’implantation de certains locaux sous le gisement de glace pour bénéficier d’une protection particulière.

On pourrait également tester lors de cette première mission robotisée, une production expérimentale de végétaux comestibles, de façon limitée puisque l’homme ne pourra intervenir en direct. Mais cela serait suffisant pour tester l’alimentation en eau (par hydroponie), l’alimentation en gaz respirables, les quantités de lumière qu’il convient d’ajouter à la lumière naturelle, les réglages nécessaires de la température, la protection contre les radiations, la protection contre les micrométéorites sur une surface en verre (ou altuglas, ou autres semblables), l’effet de la gravité sur la croissance, l’adéquation du support matériel utilisé pour l’ISRU, l’efficacité des protections sanitaires contre les maladies phytosanitaires.

Il faudra également tester les techniques que l’on utilisera pour la construction. Possibilité réelle d’excavation, effet de la poussière sur les équipements (utilisation d’équipements ou de produits annulant les effets de l’électricité statique), possibilité réelle de l’hydratation pour créer du duricrete et capacités mécaniques de ce « béton martien », protection contre les micrométéorites (exposition de plaques de matériau permettant de mesurer et d’enregistrer la masse et la vitesse donc l’énergie des particules reçues).

Il faudra encore, bien s’assurer de la viabilité pour l’homme, de la surface de Mars sur le plan biologique. Il s’agit de tester les techniques de transformation chimiques des sels de perchlorates en matières sans effets négatifs pour la vie et les techniques de protection des zones débarrassées de ces sels (donc du transport par le vent avec la poussière). Il s’agit aussi de vérifier qu’il n’y a pas sur Mars de molécules organiques qui pourraient être dommageables à la vie humaine. Rappelons-nous que les prions, par exemple, sont des molécules dont on ne soupçonnait pas l’existence avant 1982. Je veux dire qu’il serait intéressant de constater par exemple que la production de nourriture dans les conditions martiennes n’entraîne pas des malformations de protéines (du fait des radiations ?) qui pourraient avoir des conséquences aussi néfastes que les prions sur Terre. En dehors de cela, on n’aura évidemment pas épuisé le sujet de la vie sur Mars et autant on ne risque probablement pas de rencontrer de vie martienne en surface du fait de la forte irradiation subie depuis très longtemps, autant on ne connaît rien de ce qui peut « exister » en sous-sol (même si les émissions de méthane sont extrêmement faibles).

Il faudra enfin tester la production d’ergols à partir de l’atmosphère martienne. On pourra tenter une hydrolyse de la glace martienne (mais on pourrait au tout début de l’implantation de l’homme, utiliser au moins en partie de l’eau importée de la Terre) et surtout de la production de méthane à partir de l’atmosphère martienne et de l’eau (réaction de Sabatier). Le test requerra une pompe, des filtres, des réactifs (nickel ou ruthénium), un peu d’énergie (RTG ou Kilopower ?), des réservoirs, des capteurs…et “un peu” de plomberie !

Simultanément, pendant la première mission robotisée, il faudra explorer les environs du site choisi a priori pour l’installation de la base à partir des orbiteurs. Cette exploration minutieuse à l’aide de rovers et de drones hélicoptères servira, outre la vérification des propriétés du gisement de glace comme développé la semaine dernière, à procéder à une étude géologique précise pour savoir de quelles autres ressources minérales on pourra disposer (fer, silice, alumine, phosphates, souffre, bore, etc…). Il faudra faire une étude géomorphologique du sol (avec radars) pour déterminer la surface d’atterrissage optimale pour le premier vaisseau habité. On pourra aussi déblayer le site choisi comme future « plateforme d’atterrissage » à l’aide d’un rover équipé d’une lame de bulldozer embarqué dans les soutes d’un des deux starships robotisés, aplanir le sol et monter des remblais de protection pour limiter les projections de poussière et pierres sur les premières installations lors des atterrissages suivants.

Lorsque l’on aura bien repéré et analysé le site d’atterrissage et le site de l’implantation de la Base (aussi proche que possible mais avec une distance de sécurité d’au moins un km), on pourra prépositionner les équipements qui seront utiles pour les vols suivants (habités). Il s’agit notamment des engins de construction ; de traitement des matériaux martiens (pour l’extraction, la production de duricrete, de briques) ; de capteurs d’énergie (un réacteur à fission non activé, de panneaux solaires emballés) ; des éléments de structure de la serre (je vote pour un Biopod d’Interstellar Lab) qui pourront être montés ou activés dès l’arrivée des premiers hommes ; d’autres produits qui ne souffriront pas du temps restant avant cette mission habitée (y compris du sel, du sucre mais aussi des réactifs divers ou compléments pour l’industrie du verre, comme le bore, ou de l’acier, comme le carbone), et bien sûr des protections antiradiations dont on aura toujours besoin que ce soit dans la construction ou pour porter sur soi (veste et casque d’Astrorad). On pourra encore commencer à produire quelques infrastructures dans la mesure de disponibilités d’équipements robotisés capable de les réaliser et de temps pour le faire. Dans tous les cas, on veillera à la polyvalence et à la modularité des éléments ou des outils utilisés. Un élément quelconque doit pouvoir servir à autant d’objets que possible “afin de maximiser la flexibilité opérationnelle et d’optimiser l’allocation des masses qui seront transportées depuis la Terre” comme le disent les auteurs.

Ensuite un des deux starships, vidé de sa charge utile, pourra repartir vers la Terre, si l’on a pu produire suffisamment d’ergols pour son vol de retour au cours des 18 mois passé sur Mars. Ce n’est pas l’hypothèse retenue par les auteurs de l’étude sur laquelle je me fonde, car ils estiment sans doute que les premiers équipements embarqués ne permettront pas la production d’ergols en quantité suffisante de façon entièrement robotisée. Ce serait pourtant intéressant de le tenter pour tester la rentrée dans l’atmosphère terrestre à la vitesse impliquée par un retour de Mars (plus élevée que lorsqu’on vient de la Lune). Il faudra en effet vérifier la bonne capacité de résistance du revêtement de tuiles thermiques avant que des hommes voyagent à bord (et après un atterrissage sur / suivi d’un décollage de Mars). Je pense personnellement qu’on pourra, comme le préconise Robert Zubrin, faire fonctionner la réaction de Sabatier par moyens robotiques et stocker suffisamment de méthane et d’oxygène pour revenir sur Terre sans équipage, surtout que le vaisseau restera présent pendant 18 mois sur Mars avant de pouvoir repartir (sauf urgence, voir ci-dessous) ce qui donne le temps de produire une quantité non négligeable d’ergols.

Au cas où l’on n’aurait pas totalement confiance dans le fonctionnement des équipements robotisés pour la méthanation, ou s’ils ne fonctionnaient pas une fois sur place, on pourrait du moins envisager d’extraire de la glace, de l’électrolyser et de stocker l’hydrogène (même s’il y aura des fuites, il en restera toujours un peu) et l’oxygène en quantité suffisante, toujours par moyens robotiques, avant l’arrivée de l’homme (32 mois après l’arrivée des vaisseaux robotisés sur Mars). Cela servirait toujours !

NB : on pourrait tenter de sauver une partie de l’hydrogène sous forme de « powerpaste » en le mélangeant à de l’hydrure de magnésium comme l’a démontré possible l’institut de recherche allemand IFAM. Dans le cas d’échec de la méthanation, ou si les réservoirs du starship ne peuvent être remplis ou bien si l’électrolyse échouait, les deux vaisseaux resteraient sur le sol de Mars comme l’envisagent de toute façon les auteurs de l’étude. Ils serviraient alors d’annexes à l’habitat ou d’ateliers aux astronautes de la mission suivante habitée. Leurs équipements intégrés seraient également bienvenus pour ces hommes puisqu’ils fourniraient une redondance. In fine l’ensemble des vaisseaux sera une source de matériaux.

Ces premières missions robotisées seront donc capitales pour décider ou non de nous établir sur Mars. Nous approchons de « l’heure de vérité » car je suis certain que si le Starship peut voler, atterrir et repartir avec des ergols produits par ISRU, Elon Musk trouvera un moyen pour aller sur Mars. Et si les tests de vie sur Mars nous « donnent le feu vert », il est certain que des hommes prendront le risque du voyage puis de l’isolement, puis de la vie avec des ressources limitées, pour décider de s’installer sur la planète pour la durée d’une mission (30 mois tout de même entre départ et retour sur Terre) puis pour plus longtemps. Je connais suffisamment (indirectement) Elon Musk et je connais suffisamment les Américains pour n’avoir aucun doute là-dessus. Et probablement quelques Européens prendront aussi le risque de les accompagner (puisque l’ESA a décidé que l’aventure était pour les cow-boys). Le déclencheur de tout cela sera le parcours par le Starship de sa première orbite autour de la Terre, prévue pour cette année. Un événement très encourageant a eut lieu ce 09 février avec la mise à feu statique réussie du SuperHeavy Booster 7. Faire fonctionner ensemble les 31 moteurs était un énorme défi. Une étape importante a donc été franchie. Nous vivons une époque formidable !

Illustration de titre : magnifique vue d’artiste d’un Starship atterrissant sur (ou décollant de) Mars. (SpaceX Illustration).

 

Article de référence :

Mission Architecture Using the SpaceX Starship Vehicle to Enable a Sustained Human Presence on Mars (Architecture de mission utilisant le Starship de SpaceX pour rendre possible une présence humaine durable sur Mars). Lien : https://doi.org/10.1089/space.2020.0058

Publication en septembre 22 dans New Space, revue scientifique du groupe Mary Ann Liebert. Les 19 auteurs sont membres d’organisation et d’universités américaines de premier plan :

NASA Ames Research Center (dont l’auteure principale Jennifer Heldmann); Bechtel Corp.; NASA Kennedy Space Center; Honeybee Robotics; Purdue University; Planetary Science Institute, Tucson; United States Geological Survey…et Margarita Marinova, Docteure en Sciences planétaires du CalTech, ancienne de SpaceX où elle était « Senior Mars Development Officer » (que je mets en exergue parce qu’elle est auteure en second…et que je la connais pour avoir longuement discuté avec elle en compagnie de Richard Heidmann, fondateur de l’Association Planète Mars – France, sur introduction de Robert Zubrin).

Sur Mars, l’eau sera l’objectif premier des missions robotisées du Starship

En Septembre 2022, un groupe d’ingénieurs et de scientifiques travaillant dans des entreprises, institutions ou universités américaines de premier plan*, y compris la NASA, ont co-signé une étude (dont le titre est donné en fin du présent article) publiée par un éditeur scientifique de renommée mondiale (New Space, groupe Mary Ann Liebert Inc.) montrant comment exploiter les possibilités ouvertes par l’arrivée du Starship de SpaceX pour établir une présence humaine pérenne sur Mars.

*NASA Ames Research Center (dont l’auteure principale, Jennifer Heldmann); Bechtel Corp.; NASA Kennedy Space Center; Honeybee Robotics; Purdue University; Planetary Science Institute, Tucson; United States Geological Survey…et Margarita Marinova, Docteure en Sciences planétaires du CalTech, ancienne de SpaceX où elle était « Senior Mars Development Officer » (que je mets en exergue parce qu’elle est auteure en second…et que je la connais).

Ce n’est évidemment pas la première fois que des personnes qualifiées envisagent cette utilisation, à commencer bien sûr par Elon Musk et son entourage dont le fondateur de la Mars Society, l’ingénieur en propulsion Robert Zubrin. Mais c’est le premier document qui examine sérieusement la démarche qu’il conviendra de suivre grâce à la contribution du Starship. Nous entrons ainsi dans la préparation concrète de l’implantation humaine sur Mars.

Le Starship du fait de sa capacité (100 tonnes de charge utile dans un volume utilisable de 1100 m3) va en effet nous permettre non seulement de transporter des hommes avec leur système de support-vie mais généralement tous les équipements nécessaires à leur séjour de longue durée sur Mars. Ces hommes et leurs équipements mettront le plus possible à profit l’ISRU (In Situ Resource Utilization*) pour limiter au maximum les masses et les volumes qui devront être importés depuis la Terre. Et l’ISRU reposera principalement (mais bien sûr pas exclusivement) sur l’utilisation de l’eau martienne. Les autres ressources majeures susceptibles d’ISRU, ainsi qu’abondamment décrit par Robert Zubrin, sont le régolithe et le CO2 de l’atmosphère.

* le concept d’ISRU est une « innovation » de Robert Zubrin. Lire ou relire, The Case for Mars, édition 2021, celle du 25ème anniversaire de la première (1996).

A. L’eau

Le facteur déterminant pour une implantation humaine, pleinement reconnu par les auteurs, c’est l’eau liquide.

Avec de l’eau, « on peut tout faire ». On peut s’hydrater, se laver ; élever des poissons, des crevettes pour se nourrir, ou des algues spirulines encore pour respirer ou se nourrir ; cultiver des plantes pour se nourrir ; durcir le régolithe pour en faire une sorte de béton (le « duricrete ») ; produire toutes sortes de biens tangibles (à  commencer par l’acier à partir du fer contenu dans le régolithe) ; faire écran contre les radiations (les protons de l’hydrogène faisant bouclier aux protons du Soleil et des radiations galactiques) ; sans oublier produire des ergols (CH4 et O2) pour revenir sur Terre (électrolyse de l’eau pour alimenter en hydrogène la réaction de Sabatier). L’eau c’est donc la vie, non seulement végétative mais aussi active et en disposer sur Mars sera indispensable pour s’y établir.

Nous savons depuis des dizaines d’années qu’il y a de nombreux gisements de glace d’eau à la surface de Mars, y compris aux latitudes inter-tropicales. Le sujet est donc plus précisément de l’exploiter grâce à la mise à disposition de moyens permise par le Starship.

Stratégie.

Avant l’arrivée de l’homme les auteurs préconisent l’envoi de deux séries de vols robotisés pour « préparer le terrain ». Au-delà de la construction de la première plateforme d’atterrissage, il s’agira de reconnaître et caractériser précisément les ressources en eau, grâce aux équipements embarqués, de telle sorte que les hommes puissent avoir accès à cette ressource avec le minimum de moyens et le maximum d’efficacité. C’est immédiatement à proximité de cette ressource que la station appelée à devenir la Base-habitée puis la première ville martienne, devra être établie.

  1. Identification du gisement de glace exploitable

Il s’agit de délimiter aussi précisément que possible au sol, les volumes et l’accessibilité de cette eau déjà identifiée depuis l’espace. Rien que pour produire les ergols nécessaires au retour sur Terre, on aura besoin d’un cube de glace de 9 m de côté. Pour les personnes le besoin est estimé à 0,6 kg/h/personne. Cette seconde partie devra être recyclée avec un minimum d’eau noire (non récupérable pour quelque usage que ce soit) et toute évolution positive dans les techniques de recyclage permettra d’améliorer le pourcentage réutilisable (90% sur l’ISS). Le premier problème sera l’épaisseur de la couche de « mort-terrain » qui recouvre la glace dans les régions de latitude basse. En effet l’atmosphère martienne s’étant dissipée très tôt dans l’espace jusqu’à devenir extrêmement ténue (610 pascals aujourd’hui au datum), la sublimation a fait son œuvre dans la zone intertropicale de la planète. Il n’existe plus de glace à ciel ouvert dans cette zone et la couche de régolithe qui la protège a été vidée de son eau sur le(s) premier(s) mètre(s), avec la succession de périodes de températures positives. Par ailleurs, le phénomène qui s’est produit dans la couche supérieure du sol, s’ajoute probablement à la diminution progressive du taux de glace sur les marges du gisement. Il faudra donc aussi déterminer jusqu’où les engins devront et pourront s’approcher pour pratiquer une extraction utile.

  1. Caractérisation du réservoir de glace (exploration/prospection de la ressource)

Mais il ne s’agit pas que de volume il s’agit aussi de qualité. Là aussi des robots embarqués sur les premiers vols robotisés et équipés de divers capteurs et spectromètres, pourront nous renseigner sur les caractéristiques exactes de la glace, notamment sa pureté pour la consommation et les autres usages. L’outil que les auteurs recommandent pour cette caractérisation est la suite d’instruments VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) que l’on prépare pour la Lune (mission prévue au milieu des années 20). Cette suite qui pourra être embarquée sur des* rovers ou d’autres moyens mobiles (drones hélicoptères), comprend les instruments ci-dessous :

*les auteurs recommandent l’utilisation de flottes de ces véhicules puisque la capacité d’emport du Starship le permettra. Le nombre aura pour intérêt d’atténuer le risque de non fonctionnement d’un de ses éléments (redondance) et d’explorer plusieurs sites à la fois.

Le Neutron Spectrometer System (NSS). La spectroscopie à neutrons est une technique expérimentée qui parvient à très bien identifier les atomes d’hydrogènes dans le sol…et qui dit hydrogène dit le plus souvent eau.

Near-InfraRed Volatiles Spectrometer System (NIRVSS). Ce système mesure la composition des volatils, la minéralogie, les propriétés thermophysiques et la géomorphologie à petite échelle. Le NIRVSS pourra donc étudier la surface et la géologie du site d’extraction, fournissant le contexte minéral de la surface et du régolithe. C’est le complément naturel au NSS.

Mass Spectrometer Observing Lunar Operations (MSolo). L’instrument est basé sur le spectromètre de masse quadripolaire haute performance « Transpector MPH » de la Sté INFICON (utilisé sur Terre). Il pourra analyser les matières volatiles libérées du régolithe, lors des déplacements du rover ainsi que lors de l’extraction par forage. MSolo pourra non seulement estimer l’abondance de l’eau mais aussi identifier la présence et les densités relatives de diverses autres espèces volatiles (H2, He, CO, CO2, CH4, NH3, H2S, SO2).

Regolith and Ice Drill for Exploring New Terrain (TRIDENT). L’instrument est un foret rotatif à percussion de 1 m de long, développé par la société Honeybee Robotics et conçu pour remonter en surface du régolithe sec ou enrichi en volatils à fin d’analyse par NIRVSS et MSolo. Il comporte une face pleine avec des fraises en carbure à l’extrémité d’une tarière de 1 m pour briser le régolithe et transporter les brisures à la surface. La tarière comprend deux sections : les 10 cm inférieurs qui ont des cannelures profondes à angle faible, idéales pour rétention du matériau ; la section supérieure de 90 cm qui a des cannelures peu profondes à angle raide et qui conviennent à un retrait efficace de matière. Evidemment la glace peut être présente à une profondeur plus grande qu’un seul mètre mais l’analyse du sol jusqu’à cette profondeur pourra déjà donner des indications sur ce qu’on peut trouver en-dessous (et éventuellement on pourrait ajouter des rallonges à la tige principale).

  1. Acquisition de la glace

Le système recommandé par les auteurs, après identification de la ressource, est l’utilisation de la technologie du « puits Rodriguez » connue sous le nom de « Rodwell » (différente de celle du TRIDENT utilisée pour la simple exploration. Le Rodwell permet d’aller beaucoup plus profond). Le Rodwell a été conçu et testé par Honeybee Robotics pour être utilisé au Groenland et en Antarctique. Le concept consiste à faire fondre la glace en profondeur pour créer une poche d’eau liquide pouvant être pompée à la surface. Le Rodwell maintient l’eau liquide dans la cavité souterraine par chauffage pendant toute la durée de vie opérationnelle du puits. La poche d’eau se dilate au fur et à mesure que la glace fond à partir des parois de la cavité, fournissant ainsi une source d’eau constamment renouvelée. Le « RedWater » (en cours de conception) sera la version du Rodwell adaptée à Mars. Le RedWater mettra en œuvre deux technologies terrestres éprouvées (notamment au Pôle Sud) : le « coiled tubing » (CT) pour le forage et le principe de base Rodwell pour l’extraction de l’eau. L’extrémité du tube CT comporte un ensemble (« Bottom Hole Assembly », « BHA ») constitué autour d’un moteur et d’un foret. Pour éliminer les débris et éclats de roche, de l’air martien comprimé sera pompé dans le tube. Une fois le trou fait, le CT sera laissé à l’intérieur et utilisé comme conduit pour l’extraction de l’eau. Le BHA comprend un sous-système de forage à percussion rotatif et des radiateurs. En atteignant une couche de glace, la perceuse continuera pendant environ 3 m puis s’arrêtera, mais la mèche continuera de tourner. La foreuse déploiera une garniture flexible pour sceller le trou et les appareils de chauffage seront allumés pour faire fondre la glace environnante. Après qu’il ait fait fondre le volume de glace prévu, le trou de forage sera pressurisé et une vanne sera ouverte pour permettre à l’eau de s’écouler vers la surface, comme dans un geyser terrestre. L’opération pourrait être effectuée au travers d’un mort-terrain allant jusqu’à 20 mètres. Pour l’approche on peut envisager de simples rovers, à la condition qu’on choisisse un gisement de glace sous un mort-terrain accessible à ces véhicules. On évitera donc en particulier les gisements de LDA (Lobated Debris Aprons, tabliers de débris lobés) dont la surface est probablement encombrée de pierres et de rochers emportés par le flux lors de leur formation. Une alternative au RedWater serait l’extraction minière classique, soit avec pelles excavatrices et marteaux-piqueurs ou scies, soit avec utilisation d’explosifs.

  1. Système de distribution de l’eau

La glace extraite sur le site minier devra être transportée jusqu’à la base habitée pour un traitement supplémentaire et pour utilisation. Le transport pourra être effectué par plusieurs moyens, pipeline et/ou camion. Le mode choisi dépendra de la distance entre le site minier et la base habitée ou les starships. Les emplacements des installations de traitement et de stockage sont bien sûr des considérations importantes pour le choix. On devra optimiser la conception du processus de transport selon que l’eau sera stockée sous forme de glace et fondue selon le besoin, ou que des réservoirs d’eau liquide seront maintenus pour une utilisation à la demande. Il est fort probable que l’on extraira l’eau nécessaire d’un (ou de plusieurs) puits et qu’on la maintiendra en quantité minimum disponible immédiatement sous forme liquide. Le reste sera stocké sous forme de glace pour utilisation future. Pour l’eau en phase liquide, il sera évidemment important de tenir compte de l’importance de la gravité dans le flux puisqu’il est avantageux sur le plan énergétique que le consommateur soit situé à une altitude inférieure à l’approvisionnement.

  1. Purification de l’eau

L’eau extraite de sources in situ devra être testée pour déceler les contaminants ou une présence biologique potentielle, et purifiée en conséquence. Le niveau d’impuretés tolérable doit être déterminé pour les différentes utilisations possibles. Par exemple, les exigences pour les ergols seront différentes des exigences pour l’eau potable. Cependant, la quantité d’eau nécessaire pour permettre la vie des hommes sur Mars sera relativement faible par rapport à l’eau nécessaire pour faire le plein des starships. On pourra recycler l’eau comme on le fait sur l’ISS, mais comme la ressource en eau ne sera pas soumis à la même contrainte de rareté, on pourra descendre en dessous des 90%.

Il existe plusieurs méthodes utilisables pour la purification de l’eau. Les technologies de traitement physique utilisent la séparation de phase des constituants du liquide par différence de densité (flottation, décantation, centrifugation), changements de phase (distillation, évaporation, congélation), barrière physique sélective (filtration), osmose inverse ou chimie de surface différentielle (séparation capillaire et chromatographique, échange d’ions, sorption).

Des traitements chimiques peuvent aussi éliminer les contaminants indésirables et désinfecter un approvisionnement en eau. Les missions martiennes devraient donner la priorité aux technologies pour lesquelles les réactifs pourront être produits in situ.

Des traitements biologiques peuvent également être envisagées. Bien que leur cinétique soit généralement inférieure (heures à jours) à celle des processus physiques ou chimiques (secondes à minutes), leur processus présentent l’avantage d’être capables d’auto-régénération et peuvent donc fournir un système de purification durable avec une masse initiale très réduite.

B. Les auteurs n’ont pas oublié les autres nécessités que peut permettre de satisfaire le Starship. Ils les considèrent seulement comme secondaires par rapport à l’eau. Je vous en parlerai la semaine prochaine !

Pour le moment on voit que l’apport du Starship n’est pas une technologie supplémentaire pour adapter l’environnement martien aux ambitions de l’homme, c’est simplement et c’est déjà beaucoup, une capacité d’emport tout à fait extraordinaire qui permettra de déposer sur Mars tous les équipements nécessaires dont on aura besoin et qui permettra aussi de vivre sur Mars en attendant qu’on ait construit les infrastructures nécessaires avec les matériaux provenant de la planète elle-même.

Lien vers l’article de NewSpace (open source) : https://doi.org/10.1089/space.2020.0058

Lien vers une traduction libre en Français de cet article (par moi-même): Architecture de mission utilisant le Starship de SpaceX pour permettre une présence humaine durable sur Mars

Titre :

Mission Architecture Using the SpaceX Starship Vehicle to Enable a Sustained Human Presence on Mars (Architecture de mission utilisant le Starship de SpaceX pour rendre possible une présence humaine durable sur Mars)

Illustration de titre:

Schéma de principe du puits Rodriguez « RedWater » conçu pour Mars par Honeybee Robotics. Les principaux sous-systèmes y sont indiqués. La foreuse du RedWater est transportée par le rover ATHLETE de la NASA. Crédit aux auteurs de l’article cité.

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 23 01 29

Les Sursauts Gamma, l’une des raisons possibles de notre isolement dans l’Univers

Les sursauts gamma proviennent d’événements d’une extrême violence, l’explosion d’étoiles massives ou la fusion d’étoiles à neutrons. Leurs conséquences pour les planètes éventuellement habitées de systèmes stellaires qui leurs sont voisins, peuvent être cataclysmiques. De tels événements ne sont pas rares dans notre univers surtout si l’on écarte le champ du temps et de l’espace où ils ont le moins de probabilités de se produire. C’est l’une des raisons qui peut expliquer pourquoi la vie évoluée est si rare sinon unique et donc pourquoi nous n’avons toujours pas reçu de preuve d’existence de civilisation extraterrestre (paradoxe de Fermi).

Certaines étoiles massives, les étoiles de Wolf Rayet, à partir de 15 à 20 masses solaires et jusqu’à 100 ou exceptionnellement encore plus, sont comme beaucoup de phénomènes, la meilleure et la pire des choses pour la vie. La meilleure car c’est en leur cœur que se complexifie la matière par fission nucléaire, le plus vite et le plus loin, sous forme d’atomes de plus en plus lourds, conduisant l’Univers à une « métallicité », comme on dit, de plus en plus élevée. La pire car leur implosion en fin de combustion de l’hydrogène dont elles sont essentiellement constituées, est extrêmement violente puisqu’à partir d’une quinzaine de masses solaires la plus grande partie de leur matière peut s’effondrer en étoile à neutrons et à partir d’une vingtaine de masses solaires (selon le degré de métallicité) en trou noir. Le reste, en périphérie, est expulsé dans l’espace à des vitesses relativistes de plus en plus rapides (jusqu’à 99,995% de la vitesse de la lumière) par couches successives, dans une explosion de type « supernova ». dans le cadre de cette explosion, lorsqu’une salve de matière rencontre la précédente, il en résulte une onde de choc qui génère des rayons gammas. Ces rayons sont ceux qui ont la plus petite longueur d’onde du spectre électromagnétique. Ils sont donc les plus pénétrants de ce spectre et ils sont aussi extrêmement énergétiques puisque leurs photons peuvent aller jusqu’à plusieurs centaines de GeV. Le phénomène du « sursaut » (« GRB » pour « Gamma Ray Burst ») peut durer plusieurs minutes. En fait il est d’autant plus énergétique qu’il est plus court (l’évolution en étoile à neutrons génère, elle, un sursaut « long », jusqu’à une vingtaine de minutes). A noter que la fusion de deux étoiles à neutrons binaires, qui évolue forcément en trou noir, peut aussi générer un GRB.

La très grande vitesse et la très grande énergie de ces photons gamma, en font des rayonnements « de destruction massive ». Ils vont en effet briser les molécules et ioniser les atomes et ceci d’autant plus qu’ils sont émis de moins loin et dans la « bonne » direction. Sur une distance de 200 années-lumière (AL), tout sera désintégré et sur plusieurs milliers d’AL il y aura ionisation totale des atmosphères pénétrées. En particulier, la couche d’ozone de la Terre n’y résisterait pas et laisserait la « porte ouverte » jusqu’au sol, aux rayonnements les plus agressifs du Soleil (UVc), tuant toute vie exposée. Heureusement l’essentiel des projections et de l’énergie se concentre dans des « faisceaux » ou jets émanant des deux pôles du fait de la rotation de l’astre en implosion. Le plus grand danger est donc de se trouver dans l’axe de ces monstres ou de se trouver trop près de l’étoile. En effet l’explosion ne produit pas que des rayons gamma (les plus dangereux) mais aussi toutes sortes d’autres rayonnements « cosmiques » (du visuel aux rayons X) et de projections de matière (électrons et protons ou même atomes neutres, UHECR) qui peuvent provenir de l’ensemble de sa masse aussi bien que du jet lui-même en accompagnement des rayons gamma, sans oublier les ondes gravitationnelles et les neutrinos. A noter que le jet, extrêmement dense à sa source, se diffuse au fur et à mesure qu’il s’en éloigne tout en gardant sa cohésion sur plusieurs milliers d’années-lumière. Ceci pour dire que pour un sursaut gamma provenant de quelques 500 AL, ce serait probablement l’entièreté du système solaire qui serait pris dans le diamètre du jet et « brûlé ». Tout de même, un sursaut gamma provoquerait des dégât importants (appauvrissement de la couche d’ozone, pluies acides, refroidissement climatique) dans l’atmosphère d’une planète habitable, jusqu’à 6000 à 7000 AL.

Pour qu’une vie complexe comme la nôtre puisse se développer sur une planète, il faut donc que pendant une période longue (il a fallu quatre milliards d’années pour que des métazoaires/animaux apparaissent sur Terre) dans un environnement relativement proche, il ne survienne pas de tels événements qui puissent nous saisir dans leur rayonnement de mort. On dit que l’extinction de la fin de l’Ordovicien, il y a 445 millions d’années, au cours de laquelle 27% des taxons et plus de 85% des espèces vivantes disparurent, serait due à un tel phénomène.

Or, dans le temps et l’espace un tel danger est inégalement présent. Les supernovæ sont plus fréquentes dans les petites galaxies que les grosses (comme la Voie Lactée) et plus fréquentes (du fait de la densité d’étoiles) dans le cœur des grosses galaxies spirales que dans leur disque. Par ailleurs, dans la périphérie des grosses galaxies, leurs conséquences se manifestent plus fréquemment dans celles qui ont de nombreuses petites galaxies satellites, du fait du plus grand nombre de supernovæ dans ces dernières. Il est enfin à noter sur ce point, que les grosses galaxies spirales de type Voie Lactée entourées de très peu de satellites proches, sont relativement rares (les nuages de Magellan sont trop éloignés pour que nous en subissions les éventuels sursauts gamma).

De ce point de vue, le système solaire est bien placé puisque, logé dans une galaxie sans satellites proches, il est situé à quelques 26.000 années-lumière du centre galactique et autant de la périphérie du disque. Nous sommes donc dans une région relativement calme mais pas non plus dans un désert total ce qui a permis au Soleil de bénéficier d’une métallicité certaine, suffisante pour permettre à la vie de se développer.

Ceci dit nous ne sommes pas pour autant à l’abri de toute catastrophe. Là où nous sommes situés, la probabilité d’une supernova avec jet de radiations gamma dans notre environnement et dans notre direction, détruisant la totalité de notre zone d’ozone protectrice, est estimée à 50% par période de 500 millions d’années. Comme nous avons eu l’extinction ordovicienne il y a 445 millions d’années, nous allons donc être bientôt à nouveau « éligibles ». Il faut toutefois introduire un bémol et un dièse. Le bémol c’est que 55 millions d’années est quand même une durée longue par rapport à l’histoire de la vie animale sur Terre puisque cela nous fait remonter presque à la destruction des dinosaures. Le dièse c’est que les 500 millions sont une durée statistique et qu’il n’y a nulle impossibilité à ce que deux événements successifs soient davantage rapprochés l’un de l’autre.

Alors sommes-nous actuellement en danger ? Il semble que non, pas tout de suite, car aucune étoile massive située à moins de 200 AL n’est susceptible de « tourner » prochainement en supernova. Nous ne savons pas si Eta Carinae, à plus de 8000 AL, n’est pas devenue supernova il y a 7900 années et si Bételgeuse, à 640 AL, n’a pas évolué de même il y a quelques centaines d’années, ce qui serait sans doute non mortel mais « ennuyeux ». Par contre, ce danger et sa probabilité d’occurrence sont une des raisons pour limiter encore plus la probabilité d’une vie développée ailleurs que sur Terre si on la cumule aux autres facteurs contraignants : métallicité minimum, ce qui exclut pratiquement un Univers sensiblement plus jeune que le nôtre ; étoiles de vie suffisamment longue mais d’une masse suffisante pour que sa zone habitable soit suffisamment éloignée de ses tempêtes radiatives et que sa rotation ne soit pas bloquée par force de marée ; étoile solitaire plutôt qu’en couple pour permettre le développement d’un système planétaire complet ; présence d’une géante gazeuse évoluant dans sa zone d’accrétion et n’ayant pas décroché vers son étoile pour devenir un jupiter chaud en détruisant tout sur son passage, et ne pouvant servir d’écran protecteur aux pluies de comètes ; sans compter une évolution biologique difficilement reproductible compte tenu des différents accidents qui l’auront marquée et qui sont impossibles à reproduire dans le même calendrier ; sans compter l’histoire des progrès scientifiques depuis que l’homme est conscient et dont la reproduction n’est sans doute pas non plus automatique. N’oublions pas que l’entropie ne peut aller qu’en s’accroissant.

Ceci dit les extinctions massives par sursauts gamma peuvent aussi avoir leur utilité dans l’apparition d’une vie intelligente. Ce qui ne nous tue pas, nous renforce. Une catastrophe cosmique peut aussi opérer une sélection. Si elle ne détruit pas tout comme ce fut le cas de l’extinction ordovicienne, du moins elle « élague » l’arbre de vie et, plus ou moins aveuglément, elle choisit ceux qui vont survivre et avoir une descendance (cf. aussi l’extinction résultant de la chute du météore de Chicxulub qui permit aux mammifères de disposer d’une fenêtre d’évolution qui leur serait restée fermée tant que les dinosaures dominaient la planète).

Les Sursauts gamma sont une raison supplémentaire pour dire que la vie complexe est fragile et rare et que nous avons, nous, êtres humains, une chance extraordinaire de pouvoir en jouir. Ne gâchons ni celle des autres ni la nôtre et, pour ceux qui ont la foi, rendons grâce à Dieu !

Illustration de titre : vue d’artiste d’un sursaut gamma, crédit NASA/Swift/Mary Pat Hrybryk-Keith and John Jones

références:

https://arxiv.org/pdf/1508.01034.pdf

https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.116.081301

https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.113.231102

file:///D:/Blog/gamma%20sursauts/5b30b76e8fe56f05de7fb837.pdf

https://www.cambridge.org/core/journals/international-journal-of-astrobiology/article/abs/did-a-gammaray-burst-initiate-the-late-ordovician-mass-extinction/F37A58C811EB82496CEF6CF989159807

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/Belgium_-_Francais/Sommes-nous_a_l_abri_des_sursauts_gamma#:~:text=Le%20sursaut%20gamma%20survient%20lorsque,explosion%20initiale%20de%20l’%C3%A9toile.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sursaut_gamma#:~:text=Un%20sursaut%20gamma%20ou%20sursaut,mani%C3%A8re%20al%C3%A9atoire%20dans%20le%20ciel.

https://www.isdc.unige.ch/~paltani/Courses/GP_highenergy.pdf

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Index L’appel de Mars 23 01 02

Comet Interceptor, la mission de l’ESA qui pour la première fois va nous permettre de (presque) chevaucher une comète de longue-période

Un des projets priorisés par l’ESA dans sa dernière réunion interministérielle est la visite d’une comète de longue-période, parcelle infime de notre disque protoplanétaire, en espérant que ce soit sa première descente vers le centre de notre système et que donc nous puissions l’observer avant qu’elle ait été altérée par les rayonnements provenant de notre Soleil. La préparation de la mission à l’étude pour remplir cet objectif, « Comet Interceptor », première de catégorie « F » (pour Fast), proposée et sélectionnée en 2019, a été confirmée fin 2022 et va donc être poursuivie afin de pouvoir être lancée avec la mission ARIEL (étude de l’atmosphère des exoplanètes de taille moyenne) en 2029. On profitera de cette occasion de « chasse à la comète » pour observer alternativement un astéroïde extragalactique comme Borisov ou l’étrange ‘Oumuamua, au cas où il s’en présenterait. La position d’attente de l’« intercepteur » sera le point de Lagrange Terre-Soleil L2 (localisé hors du puits gravitationnel terrestre et relativement stable), à 1,5 millions de km de la Terre.

Architecture d’une interception, vue d’artiste, crédit K. Yoshioka.

Rappelons que les comètes sont des petits corps riches en eau glacée, qui proviennent d’au-delà de la « Limite-de-glace » (distance du Soleil à partir de laquelle l’eau ne peut se trouver qu’en phase solide). Cette limite est située au milieu de la « Ceinture d’astéroïdes » qui orbite le Soleil entre Mars et Jupiter. Les trois principaux « réservoirs » de comètes sont, en s’éloignant de plus en plus du Soleil, cette Ceinture d’Astéroïdes, la Ceinture de Kuiper et les nuages de Oort. La Ceinture d’Astéroïdes et la Ceinture de Kuiper sont des tores qui orbitent le Soleil dans le plan de l’écliptique. La première « Ceinture » a été fortement « chamboulée » et appauvrie par les géantes gazeuses Jupiter et Saturne lorsqu’elles sont descendues vers le Soleil au début de la formation de nos planètes (il y a plus de 4,5 milliards d’années). Elle constitue encore une masse égale à 0,6% de celle de la Terre. La Ceinture de Kuiper orbite le Soleil au-delà de Neptune, entre 30 et 100 UA (Unités Astronomiques, 1UA = 150 millions de km) du Soleil. Elle aussi a souffert sur sa marge intérieure de l’intrusion de Neptune (après le retour de Jupiter et de Saturne un peu plus loin que leur lieu primitif d’accrétion). Elle contient une masse d’environ 10% de celle de la Terre (y compris des planètes-naines comme Sedna). Les Nuages de Oort (appelés aussi Nuage de Öpik-Oort pour rendre hommage au premier scientifique, estonien, qui les a théorisées en 1932) forment une coque constituée d’une myriade de petits astres glacés qui enveloppe complètement le système solaire ; la différence de forme de leur volume avec celle de la Ceinture de Kuiper étant explicable par la moins forte attraction gravitationnelle du Soleil car elle s’étend bien au-delà de la Ceinture de Kuiper, jusqu’à au moins 100.000 UA. L’ensemble de la masse de ces « nuages » est peut-être égal à une quarantaine de masses terrestres.

Dans cet environnement lointain (Oort encore plus que Kuiper), presque rien n’a changé depuis que les gaz et les poussières de notre disque protoplanétaires se sont concentrés par suite d’une perturbation extérieure quelconque (une supernova probablement), cette concentration aboutissant à la formation en son centre de notre Soleil puis en périphérie, de nos planètes et, beaucoup plus loin, des astéroïdes (y compris les comètes).  L’effet du Soleil a été et reste d’autant plus faible qu’on s’éloigne de lui, aussi bien au point de vue thermique (et autres radiations) que gravitationnel. C’est pour cela que les poussières et particules de glace ne se sont accrétées qu’en masses d’autant plus petites qu’on était loin du Soleil. Au point que, à la différence de ce qu’on observe dans la Ceinture de Kuiper, il n’y a très probablement aucune planète ou planète-naine dans l’environnement des Nuages de Oort.

Les comètes proviennent donc de ces trois réservoirs mais les plus nombreuses viennent de loin, aussi bien des Nuages de Oort que de la Ceinture de Kuiper compte tenu de la masse et de l’étendue de ces deux régions. On en a répertorié quelques 3000 depuis qu’on les observe, contre seulement 800 qui proviennent de notre environnement proche, les SPC (Short Period Comet) que l’on appelle aussi JPC (Jupiter Family Comet)…même si elles ne proviennent pas de Jupiter, car elles sont souvent déviées par Jupiter. Les premières sont des comètes à longue-période (LPC), les secondes, les SPC, des comètes à courte-période (5 à 20 ans). On fait la différence, bien entendu parce qu’on connaît la trajectoire des SPC mais aussi (et surtout) parce que la vitesse des LPC est beaucoup plus grande et que donc l’arc d’ellipse que décrit leur trajectoire observée est beaucoup moins courbé. Par ailleurs le plan de l’ellipse d’une LPC peut être complètement en dehors de celui de l’écliptique puisque les Nuages de Oort forme une sphère autour du Soleil.

Les distances entre ces corps glacés sur orbite sont très grandes, aussi bien dans les deux Ceintures que dans les Nuages de Oort (des millions de km). Mais plus on est éloigné du Soleil, plus leur vitesse sur orbite autour du Soleil est faible et moins leur déstabilisation requiert d’énergie. Malgré le temps passé depuis la formation du système solaire et les pluies de comètes qui ont eu lieu à l’origine du fait de la plus grande densité, des plus grandes différences de vitesse et des tiraillements gravitationnels, la stabilité aujourd’hui n’est toujours pas parfaite. Il reste des différences de densité, de masse, de réflectivité aux rayonnements, de vitesse. Et de temps en temps, un de ces corps en heurte un autre ou bien simplement sa vitesse diminue légèrement pour une raison quelconque et il décroche de son orbite en tombant en comète vers le centre de notre système suivant une ellipse de période plus ou moins longue en fonction de son origine plus ou moins lointaine.

Observer une comète LPC, c’est donc observer un morceau de notre système solaire dans son état presque originel qui du fait de la force de gravité omniprésente, se rapproche de nous. On voit tout de suite l’intérêt de profiter de ce « service à domicile ». Et il vaut mieux se servir du plat qui nous est présenté quand il entre pour la première fois (ou l’une des premières fois !) dans le four de l’environnement solaire que lorsqu’il y a déjà séjourné de nombreuses fois. Les comètes que l’on voit venir et revenir, les JFC, sont des plats réchauffés qui ont perdu beaucoup de leurs caractères primitifs. Et elles sont d’autant moins intéressantes que nous en avons déjà observées plusieurs de très près (missions Giotto ou Rosetta). NB : elles pourront toutefois servir de référence. La magnifique comète C/2022 E3 (ZTF) qui nous rend visite depuis ce 12 janvier (elle sera au plus près de la Terre, 42 millions de km, le 1er février, avec une magnitude apparente de 5,5*) est une LPC dont l’aphélie se trouve à 39.300 UA donc bel et bien dans le nuage de Oort intérieur. On ne sait pas si elle est déjà descendue dans notre région, c’est-à-dire si elle est une LPC de type « DNC » (Dynamically New Comets), ce qui aurait évidemment été préférable…si le Comet Interceptor avait été prêt !

*La magnitude-apparente limite pour l’œil nu est de 6.

La difficulté pour l’observation d’une comète LPC c’est (1) que par principe on ne les a jamais vues, que donc on ne connaît pas leur trajectoire et que donc on ne sait pas où et quand elles pénétreront dans notre espace observable ; (2) que lorsqu’on les a détectées il faut intervenir aussitôt c’est-à-dire aussi loin que possible du Soleil (pour que ce dernier ne puisse les avoir sensiblement altérées) donc, en fait, lorsque elles franchissent la Limite de glace ; (3) qu’avant que le Soleil décongèle leurs gaz, elles sont visuellement petites comme des astéroïdes « secs ». Il faut donc disposer (1) d’un instrument d’observation capable de les détecter aussi loin que possible (on les identifiera en fonction de leur vitesse ou de leur direction) et (2) d’un vaisseau en veille, prêt à partir vers elle sur le champ. Les astéroïdes extragalactiques semblent encore plus rares et leur vitesse est plus rapide (c’est d’ailleurs en partie à cela qu’on les reconnaît) ce qui ne facilitera pas leur interception.

Nous disposons déjà de plusieurs observatoires pour la détection (programme Pan-STARRS et ATLAS). Mais, surtout, nous aurons bientôt (en principe en 2024) le « LSST » (« Large Synoptic Survey Telescope ») maintenant nommé « Vera C. Rubin Observatory ». Avec cet instrument construit au Chili, sur le Cerro Pachón, au Nord de Santiago sous leadership américain (Université de Tucson) et qui couvrira le ciel austral en trois jours, l’on pourra voir au-delà de la magnitude-apparente 24 (Pluton est à 13,7, Hubble peut voir jusqu’à 31). Parce qu’il a ces capacités et parce qu’il est optimisé pour détecter les phénomènes transitoires, il est particulièrement bien adapté pour travailler de concert avec le Comet Interceptor. Avec lui on pourra repérer les comètes un peu avant qu’elles atteignent l’orbite d’Uranus, ce qui nous donnerait le temps de nous préparer. C’est un peu parce que Vera Rubin était en cours de réalisation que l’on a décidé en juin 2019 de lancer cette mission Comet Interceptor. C’est une coopération ESA/JAXA (Agence spatiale japonaise). Elle entre bien dans la définition de « mission Fast » car elle a une durée de développement courte (9 ans au lieu de 8 à l’origine) et une masse de seulement 600 kg (donc à l’intérieur des 1000 kg posés comme limite pour cette catégorie).

La mission couvrira deux domaines : (1) celui de la science du noyau cométaire (« Comet Nucleus Science ») pour répondre aux questions sur la composition, la forme, la morphologie et la structure de l’objet cible ; (2) celui de la science de l’environnement cométaire (« Comet Environment Science ») pour répondre aux questions sur la composition de la chevelure, son lien avec le noyau (activité) et la nature de son interaction avec le vent solaire.

L’intercepteur sera composé de trois éléments qui resteront solidaires jusqu’à l’approche de l’objectif : une plateforme (ESA) et deux sous-satellites, B1 (JAXA) et B2 (ESA), équipés d’instruments différents et bien sûr complémentaires. L’énergie sera fournie par des panneaux solaires. La plateforme commune comprendra un bloc télécom pour les relations avec la Terre, une caméra « CoCa » (Comet Camera) pour obtenir des images à haute résolution du noyau de la comète dans plusieurs longueurs d’onde, un spectromètre de masse MANiaC (Mass Analyser for Neutrals in a Coma) pour analyser les gaz émis par la comète, un spectromètre, MIRMIS (Multispectral InfraRed Molecular and Ices Sensor) pour mesurer la chaleur libérée du noyau et étudier la composition moléculaire du gaz de la chevelure, un instrument DFP (Dust, Field, Plasma) pour mesurer les gaz ionisés, les atomes neutres énergisés, les champs magnétiques et la poussière entourant la comète. Le sous-satellite B1 portera une caméra UV pour observer le nuage d’hydrogène entourant la comète ; un instrument PS ayant un peu le rôle de l’instrument DFP ; une caméra grand angle pour voir la comète lors de son survol rapproché. Le sous-satellite B2 portera une caméra pour cartographier en lumière visible et infrarouge la tête et la chevelure ; un spectromètre de masse pour analyser les gaz s’échappant de la comète ; une caméra pour étudier la jonction entre la tête de la comète et sa chevelure ; un autre instrument DFP fonctionnant en liaison avec le premier.

La vitesse de la sonde sera réduite du fait de ses faibles moyens de propulsion mais évidemment suffisant pour l’observation rapprochée dans un vaste secteur. A noter qu’on peut difficilement faire autrement pour un véhicule en attente lancé en 2029 et qui pourrait n’être activé qu’en 2035. Par ailleurs il n’est pas nécessaire de disposer de beaucoup d’énergie puisqu’on n’aura pas à s’extraire d’un puits de gravité avant de se déplacer et qu’on disposera de temps entre l’observation et l’arrivée sur site. Le déplacement vers la cible pourrait durer quelques mois mais s’étendre jusqu’à 3 ou 4 ans. La plateforme ne s’approchera pas à plus de 1000 km pour éviter les éjectas mais les sous-satellites pourront s’approcher beaucoup plus près, quitte à être détruits. Le sous-satellite B1 explorera le noyau et la chevelure jusqu’à 850 km, le sous-satellite B2 qui survolera la comète au plus près, jusqu’à 400 km, explorera particulièrement l’intérieur de la chevelure. La rencontre pourrait se faire à une vitesse de 40 à 70 km/s. Le plan d’interception est présenté ci-dessous.

 Schéma de l’« interception », crédit ESA/Comet Interceptor science study team.

Le « Comet Interceptor Science study team » est composé de cinq personnes dont Geraint Jones (UCL, UK) et Hideyo Kawakita (Kyoto Sangyo University), complété par dix « Comet Interceptor Lead Scientists » dont Martin Rubin de l’Université de Bern, pour le spectromètre de masse MANiaC et Nick Thomas, également de l’Université de Bern, pour la caméra CoCa. L’ESA suit le projet avec un ESA Study Team de 10 personnes avec coordination par l’ESTEC. L’ensemble est entouré de plus de 300 contributeurs scientifiques.

Le lancement de la sonde sera fait par une Ariane 62…dont on attend confirmation des capacités !

https://space-travel.blog/opik-oort-comet-interceptor-opic-e309e0de2bff

https://www.cometinterceptor.space/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Comet_Interceptor

https://www.scinexx.de/news/kosmos/komet-im-anflug/

https://www.cosmos.esa.int/web/comet-interceptor/documentation

http://psp.gp.tohoku.ac.jp/hisaki/lib/exe/fetch.php?media=text_reading:hisaki2_reading_yoshioka_201021.pdf

https://www.cosmos.esa.int/documents/3760686/3760706/Comet+Interceptor+Red+Book.pdf/dfa9634f-b15b-e918-17b5-5a8523149ea7?t=1664524062069

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Index L’appel de Mars 23 01 02

Tous mes souhaits de bonheur à mes amis Coréens en ce jour d’ouverture du Seollal / 설날 !

…et Gongxi fa cai! pour cette année sous le signe du Lapin d’eau, à mes amis de Singapour!

ARIEL, une mission ambitieuse de l’ESA pour mieux comprendre le contexte atmosphérique des (grosses) exoplanètes.

Ariel est l’une des cinq missions que la réunion interministérielle de l’ESA a mis en exergue en Novembre 2022, lors de l’approbation de son budget 2023 – 2025. Son acronyme est celui d’Atmospheric Remote-sensing Infrared Exoplanet Large-survey. Le nom développé comprend les mots essentiels d’« atmosphère », d’« infrarouge » et insiste sur le fait que l’étude sera de « grande ampleur ». C’est la mission de taille moyenne « M4 » du programme Cosmic Vision de l’ESA et elle fonctionnera à partir d’une plateforme spatiale au point de Lagrange L2. Les autres missions « privilégiées » lors de la réunion interministérielle sont JUICE (L1), EUCLID (M2), PLATO (M3) et Comet Interceptor (F1). Je vous ai déjà parlé de JUICE, EUCLID, PLATO et je vais aujourd’hui développer le sujet d’ARIEL (M4).

Le choix d’ARIEL en 2022 est une confirmation. En effet l’étude a commencé bien avant (en 2009 !), puisque la mission a été sélectionnée en 2018 sur un dossier déjà précis constitué en 2014 (avec lancement prévu en 2025) suite à l’échec du projet DARWIN en 2007 (flotte de télescopes spatiaux opérant en interférométrie). Elle est passée de la phase d’étude à celle de mise en œuvre en Novembre 2020, avec l’objectif de terminer le « design » en 2025 (suivant la dernière « payload design review » qui a eu lieu juste avant l’interministérielle).  « De fil en aiguille », malheureusement, aujourd’hui le lancement n’est prévu qu’en 2029 (après encore une « flight acceptance review » en début de la même année). Je rappelle ces dates car leur succession illustre bien, me semble-t-il, la difficulté de faire sortir puis aboutir un projet. Cette difficulté n’est pas simplement un problème d’obtention de financement ou de mise au point technologique, c’est aussi un problème de temps sous-tendu par beaucoup de travail de nombreux scientifiques et d’ingénieurs de haut niveau…et par beaucoup de conciliabules et de réunions.

Comme l’écrit la NASA, ARIEL est la première mission axée sur la mesure de la composition chimique de l’atmosphère des exoplanètes et de leur lien avec l’environnement de leur étoile-hôte dans lequel elles se sont formées. Cette mission va combler une lacune importante dans ce domaine. Une responsable du projet nous dit : « avant nous collectionnions des timbres pour leur nombre, maintenant nous allons regarder ce qu’il y a dessus ». La mission va également nous aider à mieux comprendre comment le type d’étoile hôte influence les aspects physiques et chimiques de l’évolution de la planète.

Son principal objectif est l’analyse de l’atmosphère de planètes d’une taille comprise entre celle de Neptune et celle des super-Terres. Je souligne cette limite pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas encore de nouvelles-Terres. Il est en effet moins difficile d’observer de grosses planètes que des petites puisque l’effet qu’elles ont sur leur étoile, que ce soit visuellement du fait de leur transit atténuant leur luminosité (transit) ou du fait du déplacement qu’elles causent (vitesse radiale), est plus marqué du fait de la masse. Dès 2009, les scientifiques de l’ESA et de l’Exoplanetary Community réunis à Barcelone pour discuter du projet avaient convenus qu’il fallait une mission intermédiaire avant de pouvoir envisager analyser la composition chimique de l’atmosphère des planètes de type terrestre. De ce point de vue l’objectif est décevant. Mais on est obligé d’aller pas à pas, au rythme de ce que permet l’évolution de nos progrès technologiques.

L’étude portera sur un échantillon de cinq cent à mille planètes (500 au moins pour la période nominale qui pourra être étendue au-delà de 4 ans), ce qui permettra de déduire toutes sortes de comparaisons de statistiques et d’inférences. Les planètes étudiées seront bien entendu des planètes de systèmes proches de la Terre (ceux qui sont les plus accessibles à l’observation) et on positionnera le télescope au point de Lagrange L2 (système Terre-Soleil, à 1,5 millions de km, en opposition au Soleil), comme on le fait souvent maintenant. L’avantage de ce positionnement est qu’il évite l’interférence des rayonnements provenant de la Terre.

Le principe consistera à prendre un spectrogramme de la planète observée lorsqu’elle passera en transit devant et derrière l’étoile et la nouveauté sera la précision inégalée de ce spectrogramme. Le pointage pourra se faire avec la précision d’une seconde d’arc avec une stabilité de 200 millisecondes d’arc sur 90 secondes et de 100 millisecondes d’arc sur 10 heures (pour référence le diamètre de la Lune ou du Soleil vu de la Terre est de 1800 secondes d’arc). A noter que les observations d’une même cible pourront se faire même au-delà de 10 heures, jusqu’à trois jours (ce qui pourra nécessiter une adaptation du pointage). Lors du passage devant l’étoile l’atténuation de la lumière pourra être mesurée avec une précision de 10 à 100 parties par million (selon l’éloignement). Lors du passage derrière l’étoile (juste avant l’occultation*), lorsque nous pourrons observer la face éclairée de la planète, le spectrographe sera capable de distinguer dans l’atmosphère des composés tels que l’eau (vapeur), le dioxyde de carbone, le monoxyde de carbone, le méthane, l’ammoniac, le cyanure d’hydrogène, l’hydrogène sulfuré, l’acétylène, la phosphine. Il pourra aussi détecter d’autres éléments présents dans le système tels que des composés métalliques. Le passage des longueurs d’onde en visible aux longueurs d’onde en infrarouge sur la même cible permettra d’apprécier les caractéristiques des aérosols. Pour les planètes les plus proches et les plus grosses, ARIEL pourra même étudier le système nuageux et les variations atmosphériques saisonnières et quotidiennes.

*Pendant le transit, on pourra aussi déduire la teneur en certains gaz de l’atmosphère en fonction du rayon perçu de la planète selon les longueurs d’onde spécifiques d’absorption correspondant aux signatures spectrales de ces gaz.

Vue d’artiste de l’observatoire ARIEL. Le module de service est en blanc, les panneaux solaires sont en dessous (sous le premier bouclier thermique protecteur). Entre le télescope et le module de service on voit trois ailettes en « v » qui sont d’autres boucliers thermiques indispensables pour atteindre des températures extrêmement basses. L’axe du télescope est parallèle au module et aux panneaux. Cette configuration doit donner une plus grande stabilité au télescope car elle réduit le moment de force généré par la distance entre le centre de masse du vaisseau et le centre de pression du rayonnement photonique. Crédit ESA.

L’observatoire comprendra un télescope et son module de service. Le télescope, de type Cassegrain, a un miroir primaire parabolique elliptique (1100 mm x 730 mm) de 0,67m2 et un miroir secondaire, hyperbolique. Le rayonnement collecté est dirigé via deux autres miroirs, vers deux ensembles de détecteurs : 1) un spectromètre à basse résolution analysant les longueurs d’onde comprises entre 1,2 et 1,95 micron (proche infrarouge) ; 2) le spectromètre spécifique AIRS (« ARIEL InfraRed Spectrometer ») à moyenne résolution collectant les rayonnements infrarouges entre 0,5 et 7,8 microns (visible et proche infrarouge). Le télescope et les détecteurs (« PLM ») ne pèsent que 450 kg, 1,2 tonnes avec le module de service « SVM » (masse sèche) qui comprend les équipements nécessaires au contrôle d’attitude, les réservoirs d’ergols, le système de télécommunications, les panneaux solaires, ainsi que l’électronique de la charge utile.

Les capteurs sont cryogéniques puisqu’ils doivent discerner les ondes reçues dans l’infrarouge, ce qui suppose que la chaleur du Soleil comme celle résultant du fonctionnement du vaisseau, ne crée pas un bruit empêchant d’identifier le rayonnement reçu de l’astre observé. Le spectromètre à basse résolution doit être maintenu à 70 K, le spectromètre AIRS, à < 42 K ! L’architecture du télescope sera suffisante pour maintenir la première jusqu’à environ 55K mais pour obtenir le froid nécessaire pour AIRS, on utilisera un refroidisseur au néon en circuit fermé utilisant l’effet Joule-Thomson (« Ne JT-cooler ») qui peut permettre de descendre la température jusqu’à 32 K. Par ailleurs, le télescope aura besoin d’ergols (en l’occurrence, de l’hydrazine) pour désaturer les roues de réaction permettant la stabilité de l’instrument et aussi quelques corrections d’orbite (le positionnement en L2 est instable). La mission est donc limitée dans le temps : en principe 4 ans (pour la mission « nominale »). L’énergie électrique nécessaire au fonctionnement du télescope et à la transmission des données (environ 236 Gbit par semaine) par une antenne parabolique à grand gain, sera fournie par des cellules solaires (puissance environ 1kW) tapissant la paroi inférieure du module de service tournée en permanence vers le Soleil.

Le lancement devrait avoir lieu entre 2026 et 2029 (mais il y a hélas peu de chances que ce soit avant 2029). Il sera effectué par une Ariane 6 à partir de Kourou. Attention cependant, Ariane 6 dont le premier lancement doit être tenté en 2023, n’a pas encore fait ses preuves. Comme la masse de l’ensemble n’est que de 1,5 tonnes (dont 1,2 tonnes à sec), la fusée devrait pouvoir embarquer une autre charge utile. Ce sera « Comet Interceptor », la première mission de catégorie « F » (« F1 ») pour « Fast », de l’ESA.

L’équipe en charge de la mission, (« Ariel Mission Consortium ») est comme toujours, multinationale (17 pays regroupant 50 institutions y compris le JPL Américain). Le Consortium est dirigé par l’UCL (University College London) et son « PI » (« Principal Investigator » i.e. chef scientifique de la mission, est la professeure Giovanna Tinetti de l’UCL). C’est Airbus Defense and Space avec Thales Alenia Space qui vont construire le satellite et les différents participants apporteront chacun leur contribution. La Suisse n’est pas « en pointe » sur ce projet mais y participe quand même, notamment via Ruag.

Au-delà de cette mission une autre se profile, HWO (Habitable World Observatory) de la NASA qui remplace les projets HabEx (Habitable Exoplanet Observatory) et LOUVOIR. Derrière elles, une troisième n’arrête pas de disparaître avant de réapparaitre peut-être un jour, DARWIN, qui consistait en une flotte de télescope spatiaux, observant de concert et collectant les données en interférométrie. Le projet fut abandonné en 2007, comme dit ci-dessus, par crainte d’un manque de possibilité de précision dans la coordination des télescopes. On y reviendra peut-être un jour puisque c’est le seul moyen d’obtenir des surfaces de collectes vraiment grandes et qu’on en a besoin pour observer des détails de plus en plus infimes. Dans la mythologie biblique Ariel est l’archange qui reprend la Lumière après que Lucifer l’ait laissée choir mais Ariel n’est qu’un relai pour d’autres. Nul doute que dans notre cas la lumière de la science sera reprise après ARIEL et qu’elle nous permettra de voir jusqu’aux différentes variétés de molécules qui composent l’atmosphère de planètes comme la nôtre. Le chemin est tracé !

Illustration de titre : vue d’artiste d’une planète chaude de grande taille en transit devant son étoile : crédit ESA/ATG medialab, CC BY-SA 3.0 IGO

Liens :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Atmospheric_Remote-Sensing_Infrared_Exoplanet_Large-survey

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/La_mission_Ariel_en_voie_de_concretisation

https://arielmission.space/

https://www.cosmos.esa.int/documents/1783156/3267291/Ariel_RedBook_Nov2020.pdf/30a9501c-8b63-227b-bcaf-b7f544c3628e?t=1604684048651

https://www.ralspace.stfc.ac.uk/Pages/ASC2020_Martin%20Crook_%20JT%20Cooler%20Developments%20at%20STFC%20-%202K-30K%20coolers%20in%20support%20of%20space.pdf

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400ème! JUICE, mission majeure de l’ESA, va être lancée ce mois d’avril vers les lunes de Jupiter

L’événement astronautique pour l’Europe cette année sera le lancement par l’ESA entre le 14 et le 30 Avril, de la mission JUICE (JUpiter ICy moons Explorer). Son objet est de chercher à savoir jusqu’à quel niveau de complexification vers la vie ont pu mener les « astres-océan » que sont Europa, Ganymède et Callisto, les plus grosses lunes de Jupiter. La mission sur place durera quatre ans, le vaisseau passant de l’orbite de l’une à l’orbite de l’autre. Mais il lui faudra malheureusement cheminer huit années pour parvenir dans l’environnement jovien qui n’est pourtant qu’à 778,6 millions de km du Soleil.

Cet article est le 400ème que j’ai publié dans ce blog. Je vous en dis deux mots à la fin de cette présentation de JUICE.

C’est en 2004 que tout a commencé, quand l’ESA a entrepris de consulter la communauté scientifique des pays membres pour choisir l’orientation de son futur programme « Cosmic Vision 2015-2025 ». Il a été décidé dans ce cadre de répondre à quatre questions (qui épuisent d’ailleurs le sujet de l’exploration spatiale) : « Quelles sont les conditions qui entourent l’émergence de la vie et la formation des planètes ? Comment le Système solaire fonctionne-t-il ? Quelles sont les lois fondamentales qui régissent l’Univers ? Comment l’Univers est-il né et de quoi est-il constitué ? ». L’ESA a ensuite, en 2007, lancé un « appel à missions » pour déterminer quelle devrait être la mission majeure (de classe « L ») de ce programme. En 2012, trois propositions ont été retenues pour étude plus approfondie (phase de « définition ») : JUICE, NGO et ATHENA. Finalement JUICE a été choisie et les deux autres ont été reportées. ATHENA (Advanced Telescope for High Energy Astrophysics) qui doit étudier avec un capteur à rayon X l’accumulation de la matière dans les galaxies ainsi que la formation et l’évolution des trous noirs, pourrait faire l’objet d’une seconde mission « L » mais, telle que prévue, elle coûte trop cher et elle a été remise à l’étude en 2022. NGO (New Gravitational wave Observatory), dédiée à l’étude des ondes gravitationnelles (adaptation de LISA) reste « en suspens ». On peut voir là (et regretter) la sévérité des choix imposés par les limitations budgétaires (et s’étonner que l’« encore-riche » Europe ne consacre pas à sa recherche scientifique dans l’espace, proportionnellement au moins autant de ressources que les Etats-Unis).

Ceci dit l’étude des mondes de Jupiter n’est pas inintéressante (euphémisme) et elle est tout à fait faisable sur le plan astronautique et sur le plan scientifique en raison des équipements d’observation embarqués.

Sur le plan astronautique, ce sera une fusée Ariane 5-ECA, qui effectuera le lancement. La version « ECA » est la plus récente et la plus puissante de la gamme des Arianes. Elle permet de placer 21 tonnes en orbite basse terrestre et 10,5 tonnes en orbite géostationnaire. Sur trajectoire interplanétaire c’est environ moitié moins. En l’occurrence la masse à injecter sur cette dernière sera de 5,1 tonnes dont 285 kg d’instruments scientifiques. C’est cette version d’Ariane qui a lancé le télescope JWST vers le point de Lagrange L2 le 25 décembre 2021. Avec JUICE, ce sera son 84ème lancement ; il y a donc de fortes chances qu’il soit réussi. Le problème, comme évoqué en introduction, c’est la durée (pour ceux qui attendent avec impatience les données). Galileo, lancé par la navette-spatiale de la NASA, arriva dans l’environnement de Jupiter en 6 ans ; Cassini, lancé par un Titan-IVB de Martin Marietta arriva autour de Jupiter en 3ans (et de Saturne en 6 ans) ; Juno, lancé par un Atlas V 551 de Lockheed Martin arriva près de Jupiter en 3 ans. 8 ans pour JUICE c’est donc beaucoup. Force est de constater que les Etats-Unis se déplacent en Tesla tandis que les Européens utilisent encore la 2CV Citroën.

Dans tous les cas, on utilise la force de gravité des planètes en plus de la propulsion par expulsion d’ergols après combustion de la fusée (« propulsion chimique »). En effet la durée d’un voyage dans l’espace est aussi une affaire de navigation où la gravité joue le rôle du vent ou des courants, en utilisant celle générée par les astres dont on s’approche. On appelle cette force, l’« assistance gravitationnelle » ou, quand elle est positive, « l’effet de fronde ». Avec JUICE, pour s’éloigner plus vite du Soleil, on peut jouer avec l’effet de fronde en approchant certaines planètes sans oublier qu’on doit surcompenser le freinage qu’exerce le Soleil sur tout corps qui cherche à s’en éloigner. Dans le cas de cette mission, cette assistance gravitationnelle sera « EVEE ». Cela veut dire que la propulsion chimique sera complétée par des impulsions gravitationnelles successives de la Terre (E), de Vénus (V) puis deux fois de la Terre (EE). Cette assistance gravitationnelle va un peu compenser la faiblesse de propulsion chimique qui a été calculée pour réduire au minimum le delta V (somme des différences de vitesses) résultant de cette propulsion afin de garder un maximum d’ergols pour la réalisation de la totalité de la mission dans le monde de Jupiter, qui implique de multiples changements d’orbites, donc de consommation d’ergols. Nous pourrions néanmoins aller plus vite en dépensant plus d’ergols dans une fusée à propulsion chimique plus puissante (comme l’Atlas V de Lockheed Martin) ou en utilisant la propulsion nucléaire (mais, hélas, elle n’est pas encore disponible !).

Quoi qu’il en soit les objectifs sont passionnants. Il s’agit d’abord d’étudier les zones habitables de Ganymède (comme « objet planétaire et habitat potentiel »), Europa (en insistant sur les zones les plus récemment actives) et Callisto (comme témoin du système le plus ancien de Jupiter), les trois lunes abritant un océan sous une carapace de glace. Il est notable que le fond de ces océans soit constitué de roches, ce qui doit permettre des imprégnations, des enrichissements, des évolutions). On veut en même temps explorer le système de Jupiter comme archétype de planète géante gazeuse (son atmosphère, sa magnétosphère et son système de satellites et d’anneaux). Ce sera en fait la suite de la mission JUNO de la NASA (2016-2021-2025).

Ganymède va être étudié par de nombreux survols à basse altitude. C’est un satellite particulièrement intéressant du fait non seulement de son océan sous surface mais aussi de sa magnétosphère, le seul satellite du système solaire à en générer une, et de sa taille puisque c’est le plus gros des satellites du système, avec un diamètre de 5.268 km (plus que Titan, D = 5.149 km ; mais nettement moins que Mars, D = 6.779 et beaucoup plus que notre Lune, D = 3.475). JUICE devrait terminer sa course en s’écrasant sur Ganymède (et donc en transmettant un supplément d’informations). L’altitude minimum des survols sera de 500 km (pour référence, L’ISS orbite la Terre à environ 400 km).

Europa, bien connue pour sa surface de glace blanche (mais un peu sale) et réfléchissante, va être scrutée dans les régions où les rejets d’eau et de matière souterraines apparaissent les plus récents et l’on va essayer de déterminer la composition chimique des matériaux autres que la glace apparaissant dans les nombreuses fissures, tout en analysant aussi précisément que possible les processus de remontée de ces matériaux en surface. L’altitude minimum sera de 400 km.

Callisto est une lune particulière en ce qu’elle est la plus éloignée de Jupiter (elle est aussi très grosse, D = 4820 km) et de beaucoup, puisque son orbite est à 1.882.700 km de Jupiter (notre Lune est à 385.000 km de la Terre) alors que la deuxième, Ganymède, évolue à 1.070.000 km. Elle a donc été beaucoup moins transformée par Jupiter que les autres par force de marée (ou marquée par ses radiations), comme en témoigne d’ailleurs sa surface extrêmement cratérisée (qui est aussi une indication sur l’épaisseur de la croûte recouvrant son océan interne). Elle peut donner de ce fait des informations sur la période la plus ancienne du système jovien et servir de référence pour comparaison avec Ganymède.  Le survol le plus bas sera effectué à seulement 200 km !

Pour exploiter ces différents passages à basse altitude, la sonde sera équipée d’un grand nombre d’équipements, pertinents et à la pointe de ce que l’on sait faire aujourd’hui : Imaging system (JANUS), Visible-IR Imaging spectrometer (MAJIS), UV Spectrograph (UVS), Sub Millimeter Wave Instrument (SWI), JUICE Magnetometer (J-MAG), Radio and Plasma Wave Instrument (RPWI), Particle Environmental Package (PEP), Laser Altimeter (GALA), Ice Penetrating Radar (RIME), Radio Science Experiment (3GM), VLBI Experiment (PRIDE). Je les évoque l’un après l’autre :

Janus va nous fournir des cartes géologiques détaillées à haute résolution et imagées avec les altitudes (DTM) et donner le contexte des autres données observées. Il opérera dans les longueurs d’ondes du spectre visible et du proche infra-rouge. Il bénéficie du know-how des caméras Bepi-Colombo, Dawn, Rosetta et de Mars Express. MAJIS va ajouter une dimension spectrométrique à l’image avec une précision jamais atteinte (1280 bandes spectrales dans le segment 0,4 µm à 5,7 µm, soit de l’IR moyen à l’IR profond). Mais de l’autre côté du visible, surtout pour analyser les différentes atmosphères et leurs interactions avec l’espace, JUICE sera aussi équipée d’un spectromètre, UVS, opérant dans l’ultraviolet (55 à 210 nm, UV lointain et UV extrême). Dans l’atmosphère de Jupiter, SWI mesurera et dressera la carte des températures et des vents Doppler (mouvements verticaux) ; il identifiera les molécules CO, CS, HCN, H2O, présentes dans la stratosphère de cette planète géante. Il caractérisera aussi les atmosphères ténues des lunes galiléennes. Il mesurera également les propriétés thermophysiques et électriques des surfaces et sous-sol de ces mêmes astres et les corrèlera avec les propriétés atmosphériques et les traits géographiques. Le magnétomètre J-MAG permettra de mieux comprendre la formation des satellites galiléens, de caractériser leurs océans souterrains (profondeur, étendue, conductivité), et donnera un éclairage sur le comportement d’un astre magnétisé en rotation rapide, comme l’est Jupiter, et sur la façon dont il accélère ses particules émises. Il permettra aussi de caractériser la petite magnétosphère de Ganymède. En surface d’Europa, il pourra détecter et caractériser les éventuels dégazages. RPWI disposera de sondes de Langmuir qui lui permettront de mesurer la température, la densité électronique et le potentiel du plasma circulant entre Jupiter et ses lunes et en particulier de mesurer comment les océans des satellites et les ionosphères réagissent aux variations très fortes de la magnétosphère de Jupiter. Le PEP permettra la mesure et l’imagerie des densités et des mouvements des particules énergétiques neutres (ENA) et du plasma dans l’environnement de Jupiter et de ses satellites (NB : les particules peuvent atteindre une énergie se mesurant en plusieurs MeV). GALA est spécifique à Ganymède. Il va mesurer l’effet de marée exercé par Jupiter sur cette dernière et déduira des déformations de la croûte, l’épaisseur de celle-ci et l’importance du volume de l’océan sous-jacent. Le rôle de RIME (Ice Penetrating Radar) s’explique de lui-même. Il concerne au premier chef Europa. Compte tenu de ses caractéristiques visibles et de sa position dans le système de Jupiter (chaleur interne par effet de marée), c’est la meilleure candidate pour disposer d’un océan capable de faire évoluer les molécules organiques au plus loin vers la vie. RIME est la continuation des radars MARSIS et SHARAD opérant en orbite autour de Mars. Le radar aura une pénétration allant jusqu’à 9 km. C’est nettement moins que l’épaisseur de la banquise d’Europa qui peut faire entre 80 et 170 km mais cela donnera une vision en 3D de cette banquise. 3GM étudiera tous les effets que peut avoir la gravité dans le système de Jupiter : effet de Jupiter sur ses lunes, effets des lunes entre elles. PRIDE étudiera tout ce qui peut être mesuré par effet Doppler à l’intérieur du système de Jupiter et de ce système vers les autres astres du système solaire par la mesure précise des positions et déplacements du vaisseau spatial sur le cadre de référence ICRF (International Celestial Reference Frame). Enfin les organisateurs de la mission ont insisté pour la coordination et la synergie des différents instruments embarqués (“Synergistic payload capabilities”) ce qui est à la fois judicieux pour un ensemble aussi riche mais montre aussi un haut souci d’efficacité.

Vous voyez que cette « instrumentation » absolument magnifique (on peut en effet comparer ces instruments scientifiques embarqués à des instruments de musique joués en orchestre, du fait de la coordination et de la synergie sur lesquelles les concepteurs de JUICE insistent beaucoup) doit nous permettre d’avancer considérablement dans la compréhension du système de Jupiter. On se rend bien compte que ce système, animé par un cœur violent, la redoutable Jupiter elle-même, est un milieu très hostile de par son environnement radiatif. Mais « la nature est bien faite » ; la vie, si elle existait dans les océans souterrains, bénéficierait d’une protection contre ces forces destructrices du fait de la présence d’une carapace de glace et d’ailleurs ces océans n’existent que du fait de ces carapaces et de la chaleur interne des lunes stimulée par les forces de marée générées par la masse de Jupiter. On peut toujours espérer.

Au-delà, en m’éloignant de la science jusqu’aux rives de la science-fiction, je ne peux m’empêcher de penser que c’est dans ce cadre grandiose qu’évoluait l’un des monolithes-relais de l’épopée 2001 Odyssée de l’Espace conçue par l’esprit fertile d’Arthur Clarke et merveilleusement mis en images et en musique par le génial Stanley Kubrick. JUICE rencontrera-t-elle un Monolithe ? Ce serait bien sûr une révolution pour nous, l’ouverture d’une porte splendide vers l’infini et vers la vie ailleurs. On peut toujours rêver.

Les participants scientifiques (« JUICE Science Working Team ») à cette mission sont évidemment très nombreux. Ils sont ressortissants de plusieurs pays membres de l’ESA : l’Allemagne, l’Italie, de la France, la Grande Bretagne, la Suède, la Suisse, les Pays-Bas, mais aussi des Etats-Unis et d’Israël. NB: Peter Wurz de l’Université de Bern est co-PI pour l’instrument PEP.

Le moment le plus délicat de la mission, après le décollage, sera l’insertion en orbite de Jupiter mais malheureusement nous n’en sommes pas encore là.

Illustration de titre : Vue d’artiste du vaisseau Juice dans le système de Jupiter. Crédit ESA/AOES.

https://sci.esa.int/documents/33960/35865/1567260128466-JUICE_Red_Book_i1.0.pdf

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/Belgium_-_Francais/JUICE_prochaine_grande_mission_scientifique_de_l_Europe

https://www.esa.int/Science_Exploration/Space_Science/Juice

https://www.cosmos.esa.int/web/juice

https://saf-astronomie.fr/la_mission_juice_esa/

https://www.youtube.com/watch?v=r-k3t3DsPrg

https://sci.esa.int/documents/33960/35865/1567260193381-ESA_SPC%282012%2920_rev.-1_JUICE_SMP.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jupiter_Icy_Moons_Explorer

https://fr.wikipedia.org/wiki/Juno_(sonde_spatiale)

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Index L’appel de Mars 23 01 02

Cet article est le 400ème paru dans ce blog “Exploration spatiale” dont j’ai entrepris l’écriture début Septembre 2015. J’invite ceux qui l’apprécient à relire mon premier article qui était une invitation au grand voyage et un engagement à vous le faire vivre ici bas. J’espère qu’ils considéreront que je l’ai tenu.

J’ai toujours voulu exprimer et partager ma passion pour l’espace, l’infini et les grandes questions qui se posent à nous sur cette Terre quand nous regardons le ciel ou simplement nous y pensons, et le faire avec toute l’honnêteté possible.

Pour moi tenir ce blog a été un très grand plaisir, non seulement pour la recherche, l’étude, la réflexion et l’écriture mais aussi pour les rencontres qu’il a suscitées.

NB: L’index ne comporte que 396 titres car il n’était pas pertinent d’insérer les 4 autres dans le corpus de ce que je nomme “L’appel de Mars”.

Les 26 yeux de PLATO vont nous permettre de détecter des exoplanètes de type terrestre dans la zone habitable des étoiles proches de type solaire

PLATO est l’acronyme de “PLAnetary Transits and Oscillations of stars”. C’est l’un des deux projets de missions robotiques scientifiques dont la préparation est mise en exergue par l’ESA dans son nouveau budget triennal. La mission fait partie du programme à long terme « Cosmic-Vision » de l’ESA qu’il était déjà prévu de réaliser entre 2015 et 2025 et elle vient d’être en quelque sorte « mise sur orbite » avec quelques autres, par la dernière conférence interministérielle de l’ESA (Novembre 2022). Son originalité qui doit lui permettre des performances jamais atteintes dans la détection des exoplanètes, est à souligner.

Le contexte

Pour la situer, regardons les questions auxquelles le programme Cosmic-Vision doit permettre de répondre : « Quelles sont les conditions de formation des planètes et d’émergence de la vie ? Comment fonctionne le système solaire ? Quelles sont les lois physiques fondamentales de l’Univers ? Comment l’Univers est-il né et de quoi est-il fait ? » (selon les termes du rapport de définition de mission). Dans ce cadre les diverses missions sont classées « S » pour les petites (au niveau des agences spatiale des pays membres, coût environ 50 M€), « M » pour les moyennes (ESA seule ou en partenariat, coût environ 500 M€) et « L » pour les grosses (avec direction européenne, coût environ 900 M€). Une dernière catégorie, « F » pour « Fast », comprend de petites missions qui peuvent être montées et lancées « rapidement » avec les missions M.

La première mission S est CHEOPS (lancée en 2019, exoplanètes, conçue par l’Université de Berne). Les missions M sont Solar Orbiter (M1, lancée en février 2020), Euclid (M2, énergie sombre et matière noire, lancement prévu en 2023), PLATO (M3, objet de cet article), ARIEL (M4, exoplanètes, lancement prévu en 2029) et EnVision (M5, Vénus, lancement prévu au début de la décennie 2030). Les missions L sont JUICE (L1, pour les lunes de Jupiter, lancement prévu pour l’été 2023), ATHENA (L2, observatoire à rayons X) et LISA (L3, ondes gravitationnelles). Les deux missions F prévues sont Comet Interceptor et ARRAKIHS (pour tester certains aspects du modèle standard de la cosmologie – ΛCDM – à partir de l’observation des galaxies naines et des courants stellaires de leur environnement).

A l’issue de la réunion interministérielle de Novembre 2022, l’ESA a mis en exergue JUICE et Euclid (L1 et M2), PLATO et ARIEL (M3 et M4), et Comet Interceptor (F1). On peut en déduire que ces missions vont être complétées ou développées en priorité. Je vous parlerai donc aujourd’hui de PLATO.

L’objet

L’objet principal de PLATO est d’étudier les planètes de type terrestre orbitant autour des étoiles de type solaire à l’intérieur de leur zone habitable. Ces planètes sont évidemment les plus intéressantes mais aussi plus difficiles à observer que les grosses et ceci d’autant plus qu’elles orbitent des étoiles à forte luminosité (et non pas des naines-rouges). Elles ne parcourent en effet leur orbite que sur une période proche de l’année terrestre (elles doivent être suffisamment éloignées de l’étoile pour être dans sa zone habitable) et elles n’ont qu’un effet très réduit sur leur étoile, du fait de leur différence de masse et de luminosité. Nous n’avons à ce jour identifié aucune véritable « nouvelle Terre » bien que nous ayons découvert plus de 5000 exoplanètes (5277 confirmées le 09/12/2022).

Pour atteindre son objectif, PLATO fournira, selon les termes du rapport de définition de mission, « des informations clés (rayons planétaires, densités moyennes, âges, irradiance stellaire et architecture des systèmes planétaires) nécessaires pour déterminer l’habitabilité ». Et elle sera en mesure de le faire car « elle pourra capitaliser sur les énormes développements de la photométrie de haute précision depuis l’espace et des techniques de spectroscopie ultra-stable à partir du sol qui ont été largement dominées par l’Europe au cours des 20 dernières années. » NB : la photométrie est l’étude quantitative de la transmission du rayonnement lumineux.

Comme évoqué, l’étude de PLATO ne se limitera pas à la planète seulement mais elle portera aussi sur l’étoile dont elle dépend et le système planétaire auquel elle appartient. Utilisant la technique d’« astérosismologie » , le télescope va pouvoir déduire l’âge de l’étoile du fait de son activité. A noter que parler de petites exoplanètes oblige à ce que l’étoile autour de laquelle elles tournent, ait pour nous une forte visibilité (autrement leur influence sur elle ne serait pas perceptible). Autrement dit, on ne va rechercher que les étoiles de cette catégorie qui ont une magnitude apparente (« V ») élevée, donc qui sont relativement proches de notre système solaire. De ce point de vue on va se « focaliser » sur les étoiles de magnitude V<11 à V=13 (NB : Hubble « voit » jusqu’à V=31 et l’œil nu jusqu’à V=6). Ce qui n’exclut bien sûr pas que l’on étudie les étoiles plus lumineuses et certaines moins lumineuses si elles paraissent intéressantes. L’objet secondaire de PLATO, clairement énoncé, est bien d’étudier toute étoile ou planète qui serait accessible à l’observation du fait des capacités disponibles. Cela permettra notamment de compléter la base de données de Gaia. L’étude d’une multitude de systèmes permettra de les comparer les uns aux autres et à notre propre système solaire et permettra de mieux comprendre ce qui fait la spécificité de ce dernier.

Toute planète jugée « intéressante » pourra faire ensuite l’objet d’une étude plus poussée par des télescopes plus puissants dont nous disposons tels que le JWST ou l’E-ELT (quand il sera prêt). On peut espérer ainsi analyser leur atmosphère par spectrographie lors des transits.

Les moyens

Le moyen utilisé principalement sera donc la photométrie. Les variations d’intensité de rayonnement permettront l’étude des transits des planètes (devant l’étoile et lors de leur passage derrière l’étoile), aussi bien que l’évaluation de leur albedo, et l’astérosismologie de leur étoile. Ce sera la première fois qu’on pratiquera cette technique systématiquement. Il s’agit de suivre les oscillations de luminosité de l’étoile pour en déduire son activité de convection interne et donc sa composition aussi bien que son stade d’évolution (son âge). On attend plusieurs milliers de courbes lumineuses planétaires et de 300.000 à 1.000.000 de courbes lumineuses stellaires. La précision de la photométrie permettra aussi l’utilisation du TTV (Transit Timing Variation) c’est-à-dire l’étude de l’éventuelle perturbation de la durée d’un transit par le passage d’une autre ou de plusieurs autres planètes (les premiers TTV ont été utilisés avec KEPLER mais pour de grosses planètes).

Les missions précédentes

PLATO n’est évidemment pas le premier observatoire dédié à la détection des exoplanètes. Il y a eu notamment KEPLER, TESS et CHEOPS. Mais c’est l’observatoire auquel on va donner le plus de chances de détecter une nouvelle Terre dans la proximité de la Terre. KEPLER (NASA) devenue K2 après la perte de ses roues de réaction (et jusqu’à sa fin, en 2019), était beaucoup plus limité dans sa sensibilité. Comme un crayon lumineux, il explorait un tout petit secteur du ciel (0,28%), 20 fois plus petit que celui de PLATO mais sur une très grande profondeur (3000 années-lumière), et sans pouvoir focaliser longtemps une cible. Il ne pouvait donc voir que de grosses planètes orbitant très près de leur étoile. TESS (« Transit Exoplanet Survey Satellite ») également conçu et réalisé par la NASA, était plus précis mais il ne travaillait que sur les étoiles les plus brillantes (et plus brillantes que celles que va voir PLATO). Surtout il passait d’une bande d’observation à l’autre tous les 27 jours et ne pouvait donc distinguer que les planètes à plus courtes périodes orbitales sauf bien sûr dans la région polaire puisque c’est là que se rejoignent toutes les bandes d’observations. Mais cette région polaire ne représente que 2% de la voute céleste. Sa mission, prolongée, s’est terminée en Septembre 2022. CHEOPS est une mission de suivi et de caractérisation qui n’a pas vocation à découvrir de nouvelles exoplanètes mais à mieux les comprendre (période orbitale, densité…). Elle est en cours, jusqu’à la fin du premier semestre 2023.

Le fonctionnement

PLATO va pouvoir observer la même grande surface sur la durée d’au moins une année terrestre. Elle  pourra donc observer au moins deux transits de la même planète de type terrestre. Cela elle le doit à un dispositif très ingénieux, 24+2 petits télescopes de 20 cm de diamètre (ses « yeux ») qui fonctionnant ensemble, donneront l’équivalent d’un miroir primaire de 100 cm et couvriront constamment en surface sur la voûte céleste 10.000 fois la surface de la Lune soit 2232 degrés carré (NB : La totalité du ciel fait 41253 deg2). Elle maintiendra cette couverture à partir d’une orbite large autour du point de Lagrange L2, donc libre de toute interférence solaire ou terrestre (TESS et CHEOPS sont sur des orbites terrestres). Chaque télescope est équipé d’une caméra (24, « normale », 2 « rapides »). En réalité sur les 26 télescopes/caméras, 2 ont un rôle particulier, celui de maintenir le bon positionnement de l’instrument (attitude) et son orientation. Outre que l’utilisation de tous ces télescopes/caméra ensemble donnera un champ de vision plus large, elle permettra d’améliorer le ratio signal/bruit (donc de distinguer des déplacements/fluctuations plus petits que jamais). Chaque télescope a un champ de vision de 1037 deg2 et on parviendra aux 2232 degrés carrés collectifs en les combinant en quatre groupes de 6. Accessoirement ils observeront les astres les plus brillants (V de 4 à 8). Le pointage pourra être maintenu pendant plus d’un an mais il devra y avoir, sans quitter l’objectif, rotation des panneaux solaires de 90° tous les trois mois afin que la surface de ces panneaux puisse garder la meilleure orientation par rapport au Soleil. Les prises de vue des 24 caméras « normales » se feront toutes les 25 secondes, celles des caméras rapides, toutes les 2,5 secondes. L’observatoire fonctionnera pendant au moins 3 ans soit 2 ans d’observations primaires suivie d’une année d’observation spécifique sur les points les plus intéressants (confirmation de transits) ou bien deux fois deux ans. NB : en principe, le signal d’une planète n’est pas confirmé comme scientifiquement exploitable à moins de trois transits. Mais la durée de vie possible est plus longue (6,5 ans) « au cas où » (il y a souvent eu des extensions de missions) et, toujours « au cas où », les consommables seront fournis pour 8 ans. Le lancement est prévu en 2025 ou 2026, avec un « petit » problème car il était prévu à ce niveau une coopération avec les Russes (utilisation d’une fusée Soyouz !).

L’observatoire spatial sera complété par une installation au sol (observatoires terrestres existant) qui mènera des observations spectroscopiques sur les cibles identifiées et qui, par la détermination de la vitesse radiale de l’étoile, vont pouvoir évaluer la masse de la planète.

Le contracteur principal de l’ESA est la société allemande OHB System AG qui travaille avec Thales Alenia Space (France et Grande Bretagne) et Beyond Gravity (Zürich, Suisse). NB : Beyond Gravity est l’ancienne RUAG Space (changement de nom en Mars 2021). Pour PLATO, Beyond Gravity fournira le système qui utilisera l’énergie solaire (panneaux solaires de 30 m2). Les panneaux solaires procureront aussi l’isolation thermique aux caméras et aux équipements électroniques.

La mission est préparée et sera suivie par un « consortium » de quelques 350 scientifiques de 23 pays (européens auxquels se sont joints quelques américains et brésiliens) : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume Uni, Slovénie, Tchéquie, Suède, Suisse. Le PI (Principal Investigator, chef de projet) est actuellement la Professeure Heike Rauer de la DLR (agence spatiale allemande). Elle a succédé en 2012 au Dr Claude Catala de l’Observatoire de Paris. Les co-PI sont le Dr Miguel Mass-Hess (CSIC INTA, Madrid) et la Dre Isabella Pagano (INAF, Italie). Les participants suisses au Consortium sont membres de l’Université de Berne (notamment le Professeur Willy Benz) et de l’Université de Genève (notamment le professeur Stéphane Udry).

Le financement est fourni par les pays membres de l’ESA. Reste le problème, ennuyeux, du lancement ! Mais après les deux premières années d’observation, on aura peut-être enfin découvert et certifié une vraie nouvelle-Terre ? Je suis impatient !

Il y en a encore pour “un peu” de temps ! En attendant je vous souhaite une belle et bonne année 2023.

Illustration de titre : l’observatoire spatial PLATO, vue d’artiste, crédit ESA/ATG medialab.

Liens :

https://platomission.com/

https://platomission.files.wordpress.com/2018/05/plato2-rb.pdf

https://www.esa.int/Science_Exploration/Space_Science/Plato_factsheet

https://www.aanda.org/articles/aa/full_html/2019/07/aa35269-19/aa35269-19.html

 

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L’appel de Mars

Certains jouissent simplement du merveilleux globe bleu où ils vivent immergés. D’autres, au-delà du doigt regardent la Lune, éloignée mais sur laquelle on pourra bientôt retourner. Personnellement et comme je l’espère, beaucoup d’autres que moi, je me sens puissamment attiré par l’autre objet que l’on voit sur la photo, la toute petite bille ocre et terne, d’autant plus intrigante qu’elle est discrète, Mars, encore plus loin que la Lune, « beaucoup plus loin que loin » comme aurait dit Coluche.

Cette photo et le commentaire que je lui donne, expriment assez bien pour moi les différents états d’esprit qui permettent de classer nos contemporains. J’en vois trois catégories. Ceux de la première se soucient peu du monde extérieur à leur bulle, ils se cantonnent dans notre biosphère de tout temps considérée immense mais que l’on ressent de plus en plus rétrécir au fur que nous circulons et que nous communiquons mieux ; les étoiles ne sont pour eux que de belles lumières scintillant sur la voûte céleste, un décor intangible pour la poésie et pour l’amour (cette dernière appréciation étant, je le reconnais, également partagée par beaucoup d’hommes et de femmes des autres catégories). Ceux de la deuxième gardent les pieds sur Terre et veulent y rester mais ils ont conscience de l’espace environnant et ils veulent mieux le connaître pour éventuellement élargir leur domaine d’action et en tirer profit toujours sur cette même Terre. Ceux de la troisième sont prêts à vraiment partir, à larguer les amarres, ou même pour certains à rompre les ponts, par attrait de l’inconnu ou par amour de l’aventure. Quand ils voient Mars, ils s’y projettent corps et âme, pour le moment par la seule pensée mais aussi par leur réflexion et leurs calculs devenant dans certains cas leur travail. Ce ne sont pas les plus nombreux mais ce sont les plus curieux et les plus rêveurs. Ce sont aussi les plus exigeants, ceux qui ne se contentent pas de la Lune ou qui même, pour les plus extrémistes, la dédaignent, parce qu’elle est trop proche, trop petite et trop grise, mais qui comprennent que Mars puisqu’elle n’est pas aujourd’hui aussi morte et qu’« elle a de beaux restes », a pu être autrefois vivante et qu’elle pourrait peut-être le redevenir, au moins suffisamment, avec eux, pourvu qu’ils utilisent les forces technologiques nécessaires qu’eux-mêmes aujourd’hui peuvent mobiliser.

Cela ne veut pas dire qu’ils refusent de passer par la Lune pour atteindre Mars. Au contraire, la déesse Artemis avec son fin croissant de lumière en diadème dans les cheveux ou bien qu’elle brandit comme un arc lorsqu’elle chasse, est la bienvenue pour concrétiser leur projet car c’est elle qui va leur/nous ouvrir la porte, pourvu que nous ne la négligions pas et sachions la séduire en lui rendant régulièrement visite avec nos missions aujourd’hui programmées, en la suivant sur le terrain, nature-sauvage/espace-profond, où elle nous ouvre le chemin, et en lui démontrant que nous apprécions tous ses charmes. Plus qu’un autre intercesseur, il semble aujourd’hui que c’est elle qui puisse le mieux faciliter l’envoi de notre vaisseau, que l’on peut voir comme la pointe acérée d’une flèche tendue sur le fil de notre savoir par sa main délicate et puissante accompagnant et guidant la nôtre, dans le cadre étroit et précis de ce même arc lumineux par-delà lequel nous apercevons notre but, la précieuse petite bille ocre et terne.

La Lune apparaît donc de plus en plus comme la porte par laquelle nous devons passer pour pouvoir un jour aller vers et sur Mars et, si nous franchissons cette première porte, Mars sera la seconde, notre véritable introduction à l’Univers immense. Si nous franchissons cette seconde porte, nous aurons alors acquis notre vraie liberté, celle de nous mouvoir dans l’espace illimité, de choisir non seulement notre lieu de vie mais notre environnement planétaire et un jour, peut-être, l’étoile devenue notre nouveau Soleil. Une fois cette liberté acquise, nul doute que nous serons capables, comme des héros antiques, comme l’architecte Dédale et son fils Icare s’ils étaient transposés dans le temps d’aujourd’hui, de créer au-delà de simples vaisseaux, nos propres astres, les sphères ou les cylindres que Gerard O’Neill a imaginés construire à partir des matériaux de la Lune, pour voguer sur les courants ouverts par les diverses forces de gravité jouant concurremment dans cet espace illimité, en exploitant bien sûr l’énergie inépuisable du Soleil.

Ce sont toutes ces possibilités sinon ces promesses que je vois en regardant la photo de Mars apparaissant derrière la Lune que je partage avec vous aujourd’hui. C’est une image qui donne courage et espérance, un moteur en quelque sorte, aussi puissant que les moteurs tangibles du SLS ou du Starship car c’est le moteur de la Motivation, celui qui suscite et qui entraine à « faire », qui motive pour créer les vrais moteurs de métal et leurs ergols de plus en plus puissants et de moins en moins massifs et de plus en plus maniables, et qui motive aussi pour surmonter les difficultés techniques ou financières. Si de telles photos ne pouvaient avoir de tels effets, toute la population terrestre appartiendrait à la première catégorie que j’évoquais au début, celle qui se contente de vivre au sein de notre merveilleuse bulle bleue.

J’introduirais toutefois un bémol: il faut un pont entre ceux qui voient cette image dans leur tête et l’ensemble de la population qui peut faire. La petite constellation des poètes sera certes pour le monde toujours un ferment. Leur esprit est en effet le seul atelier où l’image peut naître car ils sont incontournables pour simplement envisager la création, comme Rimbaud qui voyait la mer immense dans une simple flaque après la pluie et qui partit se perdre jusqu’en Abyssinie ou comme ceux qui se voient eux-mêmes dans le paysage austère mais splendide de Mars et demain dans la lumière des étoiles simplement au travers de l’image quelconque d’une petite bille ocre et terne. Mais ce n’est pas suffisant. Ce pont indispensable que je viens d’évoquer, ce sont des êtres hybrides, des Janus bifrons, qui sont sensibles au chant des poètes et qui avec eux regardent le ciel mais qui avec leur autre face regardent en même temps la matière. Ce sont soit des artisans-scientifiques comme le génial réalisateur de la machine d’Anticythère ou des constructeurs-artistes comme les architectes qui édifièrent les cathédrales ou des entrepreneurs-inspirés comme aujourd’hui, Elon Musk et ses ingénieurs passionnés ou, pour commencer à regarder sérieusement comment franchir la Seconde Porte, Iouri Milner, le promoteur de Breakthrough Starshot et ses équipes de chercheurs non moins enthousiastes. Pour concrétiser un rêve il faut non seulement avoir la tête dans les nuages mais il faut encore avoir les pieds sur Terre et sans doute du temps et de l’argent.

Joyeux Noël à tous et soutien aux « hommes de bonne volonté » pour ramener la Paix dans la Justice sur cette Terre commune et pour le moment unique. Surtout, n’oubliez pas la petite bille ocre et terne. Contrairement à ce que beaucoup pensent et disent, c’est un vrai Nouveau-monde et un jour, nous en parcourrons les vallées desséchées avant d’y faire à nouveau couler l’eau et chanter les couleurs de la vie.

Illustration : Photo prise par la NASA le 09 décembre 2022 depuis le sol de la Terre mais qui aurait pu être prise à la même date par une des caméras embarquées sur le vaisseau Orion de la mission Artemis. Crédit/copyright Tom Glenn (https://twitter.com/thomasdglenn) et NASA (APOD). Mars se trouvait alors à 82 millions de km. Je remercie Christine Vogt pour avoir attiré mon attention sur elle.

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Commentaire général sur le budget triennal de l’ESA : Peut mieux faire!

Mi-Novembre, la conférence interministérielle des pays membres de l’ESA a discuté et approuvé son nouveau budget. Il est en forte hausse, 17% soit 16,9 milliards d’euros pour 3 ans (contre 24,4 milliards de dollars pour la seule année 2022 pour la NASA). Les ministres ont « confirmé la nécessité absolue pour l’Europe de disposer d’un accès indépendant à l’espace ». Mais aussitôt cette forte déclaration faite, il est précisé que son objet est de : « continuer à bénéficier des retombées du spatial sur Terre ». Là, on retombe effectivement bel et bien, sur terre.

Je ne veux pas noircir le tableau et dire que tout est « à jeter » dans ce budget. En particulier je souscris totalement au programme d’exploration robotique. Je veux seulement dire qu’il est très décevant, à cause de son orientation principalement « terre à terre » ; à cause de l’absence d’ambition concernant les lanceurs ; à cause du manque d’ambition pour les vols habités (on reste « dans l’ADN » de l’Europe spatiale) ; à cause de l’allégeance « de bon ton » à la mode écologique du moment ; enfin à cause de l’insuffisance de son montant global comparé à celui des Etats-Unis. Le résultat sera, pour l’astronautique la continuation d’une dépendance sur le partenaire américain pour tout ce qui est vols habités et la faiblesse concurrentielle sur le plan économique ; pour la science, l’insuffisance d’un programme qui aurait pu être plus ambitieux. Je détaille :

Ecologie

En effet le premier point sur lequel le compte rendu officiel de l’ESA insiste est « l’enjeux climatique et le développement durable ». C’est selon ce document, ce que Josef Aschbacher (directeur de l’ESA) a déclaré devoir rester la première priorité de l’ESA. Comment peut-on être aussi conformiste (pour ne pas dire « hors sujet ») quand on est responsable d’une institution qui ne peut réussir que si elle ne l’est pas ?!

En allant plus loin, on constate que c’est Robert Habeck, ministre allemand « de l’Économie et de la Protection du climat » mais auparavant député du groupe parlementaire allemand de centre gauche écologiste, « Alliance 90/Les Verts », qui présidait le Conseil de l’ESA au niveau ministériel. Nous ne sommes décidément pas dans l’aventure, ni dans la conquête de l’espace. D’ailleurs il insiste : « nous avons franchi une nouvelle étape vers le renforcement des infrastructures spatiales européennes qu’utilise au quotidien chaque citoyen, dans des domaines tels que la surveillance du climat, la navigation et les télécommunications par satellite ». Pour ces responsables, l’« espace » c’est bien très principalement, l’espace proche de la Terre et l’objet c’est bien « le quotidien ». D’ailleurs une des réformes phares programmées est le développement d’un mix d’ergols « propres ». Quand on est dans un contexte aussi pitoyable de l’astronautique européenne presque éliminée du marché mondial des lanceurs, et dans une concurrence économique aussi féroce (Etats-Unis, Russie, Inde…), il devrait y avoir d’autres priorités (d’abord et avant tout le réutilisable !). Ce Monsieur n’a, hélas, ni bien conscience des contraintes économiques que lui impose la Concurrence ni aucune étoile dans les yeux.

Mais le plus étonnant dans ce contexte où l’on parle d’écologie, donc de protection de l’environnement, c’est de constater l’engagement pour le financement d’une constellation européenne de satellites ! On ne peut que s’étonner de la désinvolture avec laquelle l’ESA s’engage dans un programme de pollution de l’espace-proche dont les satellites vont s’ajouter aux myriades déjà existantes. Les astronomes et astrophysiciens européens apprécieront !

Autonomie

Dans le domaine des lanceurs, cette politique se veut bien sûr « ambitieuse » (quelle politique ne veut pas l’être, en paroles du moins ?!). Mais aucun progrès n’est envisagé en matière d’autonomie pour les vols lourds dans l’espace lointain même si l’ESA va bien développer un atterrisseur lunaire (en fait un « troisème étage ») pour les vols robotiques. Et, faute d’autonomie, elle se condamne à rester dans la coopération et dans la dépendance en dehors de l’orbite basse terrestre. La rupture forcée par la guerre en Ukraine de la coopération avec les Russes pour lancer le rover d’exploration ExoMars, prêt depuis deux ans, n’aura servi à rien en matière d’incitation à faire mieux.

En matière de vols habités, cela fait des années que Joseph Aschbacher, avant Philippe Baptiste (PDg du CNES), nous parle d’un changement politique. Mais renâcler devant l’obstacle est devenu une habitude depuis l’abandon de la navette européenne Hermès en 1992. On se demande pourquoi nous inonder d’informations à propos de Thomas Pesquet ou pourquoi choisir une nouvelle équipe d’astronautes européens. On se demande aussi pourquoi nous présenter à l’IAC en Septembre à Paris, le concept SUSIE de navette spatiale pouvant être lancée à partir d’une Ariane 6, pour ne même pas la mentionner en Novembre à la Conférence interministérielle. La conséquence c’est qu’il faudra au moins attendre la prochaine interministérielle, en 2025 pour traiter du sujet sérieusement. Le fera-t-on ? De plus que fera-t-on de SUSIE après 2025 puisqu’elle doit opérer en orbite basse terrestre et que l’ISS va être mise hors service à la fin de la décennie ? J’imagine qu’on n’ira pas dire bonjour aux Russes ou aux Chinois dans leurs propres stations et je doute que les Américains faciliteront la desserte par les Européens de leurs propres stations privées alors qu’ils auront les moyens d’y aller par eux-mêmes (et d’en tirer le bénéfice pour eux-mêmes).

Concurrence

Il est évident que sans récupération et réutilisation, les lanceurs européens pour l’orbite basse terrestre qui déjà disposent d’un marché naturel petit par rapport à celui des Américains (publics et privés), resteront plus cher que ces derniers et bien sûr que les Indiens, les Russes ou les Chinois. Ils continueront donc à vivre de clients institutionnels européens, contraints et peu nombreux.

Contributions par pays

Il est intéressant de noter l’engagement financier des divers pays européens et leur évolution. L’Allemagne (20.8%) et la France (18.9%) restent les « leaders » de l’Europe spatiale mais le pourcentage de l’Allemagne diminue (-1.9) tandis que celui de la France augmente (+0.5). Le résultat c’est que la France n’est plus qu’à un point d’écart avec l’Allemagne (mais la France jusqu’en 2019 était le premier contributeur). L’Italie (18.2%) suit de très près la France avec 0,7 points d’écart. A noter qu’à eux trois ces pays financent près de 60% du budget, Un pays comparable à l’Italie, l’Espagne, est très loin derrière, avec seulement 5.5%. Quant au Royaume Uni qui pourrait « jouer dans la même cour » que la France ou l’Allemagne, sa part n’est que de 11.2% ce qui marque un désintérêt certain pour l’espace. Parmi les « petits » pays, la Belgique et la Suisse se détachent avec respectivement 5.6% et 3.7%, stables, les Pays-Bas d’importance comparable ne participant que pour 2.8% (+0.4%).

Nul doute que l’effort par pays n’est pas très important, même pour ceux du “pelotton de tête”. Celui de l’Allemagne, pays qui dépense le plus, n’est que de 1.17 milliards par an à l’ESA, comparé aux 24.4 milliards que les Etats-Unis versent cette année à la NASA, c’est vraiment très peu. Rappelons qu’en 2021 le PIB de l’Allemagne était de 3,57 trillions d’euros et celui des Etats Unis de 22,9 trillions, et que le budget total de l’Allemagne au niveau fédéral en 2022 était de 457 milliards. Celui des Etats-Unis pour la même année était de 6.27 trillions.

Comparaison

Pour comparaison, voici le budget de la NASA 2022 :

Illustration de titre : répartition du financement, par pays contributeurs, crédit ESA. Vous pouvez voir la répartition par poste dans mon article précédent.

Liens :

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/vol-spatial-habite-europeen-si-proche-et-si-loin-a-la-fois-942320.html

https://siecledigital.fr/2022/07/06/terrae-novae-2030-lesa-devoile-sa-feuille-de-route-pour-les-10-prochaines-annees/

https://www.esa.int/Newsroom/Press_Releases/Les_ministres_soutiennent_les_grandes_ambitions_de_l_ESA_en_lui_octroyant_un_budget_record_en_hausse_de_17

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Le budget triennal de l’ESA décidé fin Novembre est en progrès mais reste décevant

Je vous présente cette semaine les différents postes du nouveau budget triennal de l’ESA, tels qu’approuvés par la conférence des ministres des pays membres, ce mois de Novembre. Je ferai un commentaire général la semaine prochaine.

Mes commentaires spécifiques sont en italiques. Le fond du texte provient du « press release » 62-2022 de l’ESA du 22 Novembre 2022.

Le premier poste est celui du programme scientifique par moyens robotiques (« Vision cosmique »)

3,186 milliards contre 2,823 milliards en 2019 (+12,85%) sur un total de 16,9 milliards alors que le budget total augmente, lui, de 17%.

Cette augmentation est une bonne chose, même si le montant est relativement faible (seulement 18,88% du total du budget). Les missions prévues portent incontestablement des objectifs passionnants.

Il s’agit d’abord de la continuation des missions Juice et Euclid qui doivent être lancées en 2023. Juice explorera Jupiter et ses lunes. Euclid observera les galaxies sur une distance/temps de dix milliards d’années afin de tenter d’identifier la matière noire et l’énergie sombre.

Il s’agit ensuite de poursuivre la mise au point des missions PLATO (PLAnetary Transits and Oscillations of stars) et ARIEL (Atmospheric Remote-sensing Infrared Exoplanet Large-survey) pour l’étude des exoplanètes (lancement prévu en 2026 et 2029). Par ailleurs, la sonde Comet Interceptor (qui sera lancée avec Ariel) sera mise en attente dans l’espace proche (point de Lagrange ?) afin de pouvoir être projetée le moment venu et sans retard, à la rencontre d’une comète pénétrant le Système solaire interne. Cela doit permettre d’observer l’astre dans son état d’origine (avant réchauffement et modification par augmentation de l’intensité du rayonnement solaire). La sonde pourrait aussi bien être mobilisée en cas de pénétration d’un bolide extrasolaire, comme Borissov ou ‘Oumouamoua.

Le deuxième poste est celui du programme astronautique

Le budget de l’ESA affecté au transport spatial est porté à 2,835 milliards d’euros (contre 2,758 en 2019, soit une augmentation de 2,8%).

Toujours le même biais vers le robotique et le même préjugé contre les vols habités que par le passé. C’est l’augmentation la plus faible, avec celle du poste dédié au « NewSpace ». C’est regrettable car la réalisation d’un lanceur puissant et l’encouragement aux forces vives du secteur privé à entrer dans le spatial, est ce qui manque le plus à l’Europe (cf a contrario SpaceX aux Etats-Unis).

L’ESA va continuer à renforcer ses lanceurs Ariane 6 (puissance moyenne) et Vega C (lanceur léger) ; achever le développement du véhicule robotique réutilisable Space Rider (lançable par Vega C) qui pourra séjourner plus de deux mois en orbite terrestre basse avant de revenir sur Terre pour être remis en état (mais Vega C ne sera toujours pas réutilisable !) ; mettre au point un propulseur « vert », à hydrogène, pour les lanceurs Ariane ; l’objectif visé étant de produire de l’hydrogène entièrement décarboné d’ici 2030 (pure démagogie compte tenu du petit nombre de lancements !). L’ESA « continuera à porter à maturité les technologies dont la maîtrise est indispensable à l’Europe tout en s’attachant à rendre les systèmes de transport spatial plus écologiques et moins coûteux, et en préparant les technologies nécessaires au développement de capacités de transport d’équipage dans l’espace » (c’est bien vague ; sans doute une référence à l’Argonaute – voir ci-dessous). En outre, à travers son programme « Boost! », elle aidera les entrepreneurs à concrétiser leurs projets de véhicules spatiaux (faible concession au NewSpace. L’ESA aidera-t-elle les étudiants de Gruyere Space Program à réaliser leur rêve de « hopper » planétaire ? On peut en rêver).

Le troisième poste est celui de « l’exploration spatiale » humaine et robotique (programme « Terrae Novae »).

Montant 2,707 milliards (contre 1,972, soit une augmentation de 37,27%).

Des astronautes européens pourront explorer le Système solaire en s’appuyant sur des robots qui serviront de pionniers et d’éclaireurs. Trois destinations : l’orbite basse terrestre, la Lune et Mars.

Placer l’orbite basse terrestre dans l’« exploration » est un abus de langage. Continuer à « ronronner » dans la Station Spatiale Internationale n’est pas une révolution. Pour la Lune et Mars, on aurait pu commencer à envisager une autonomie par rapport aux Américains. L’augmentation importante du budget cache le sauvetage coûteux de la mission ExoMars retardée par la rupture avec la Russie, à l’initiative de l’ESA (les Américains ont continué à coopérer avec elle dans le cadre de l’ISS).

Les ministres ont décidé de prolonger jusqu’en 2030 la participation de l’Europe à la Station spatiale internationale, pour permettre aux astronautes de l’ESA de continuer à travailler à bord du laboratoire européen de recherche Columbus.

Par ailleurs, l’ESA s’associe aux Américains pour le programme Artemis (fourniture du module de service de la capsule Orion, ESM), ce qui permettra en échange, la participation de trois astronautes de l’ESA aux missions de ce programme, y compris le séjour de l’un d’entre eux sur le sol lunaire. Un nouvel élément a été approuvé, l’alunisseur européen à grande capacité logistique (« l’Argonaute »), qui sera capable d’envoyer régulièrement du fret et des charges utiles scientifiques (la suite des ATV) tout au long des années 2030 ainsi que des équipements permettant de vivre pendant la nuit lunaire (ce qu’on n’a jamais tenté jusqu’à présent). NB : cet alunisseur fera la navette entre un module en orbite lunaire, peut-être le Lunar Gateway, et le sol lunaire. ll a été également convenu d’engager les travaux concernant le module de service européen (suite de Columbus) qui sera « branché » au Gateway. Le dispositif sera complété par un satellite de télécommunications, Lunar Pathfinder.

Toujours rien pour le transport des hommes !

Pour remplacer l’atterrisseur de Roscosmos dans le cadre de la mission ExoMars, il a été décidé de construire un atterrisseur européen destiné à acheminer le rover Rosalind Franklin jusque sur la surface martienne.

Du côté de Mars, on veut donc toujours faire équipe avec les Américains, c’est-à-dire qu’on accepte sans état d’âme de dépendre de leur lanceur alors que c’est eux qui ont fait défaut à l’Europe au début du projet ExoMars. C’est cette défaillance qui a contraint l’ESA a recherché en solution de rechange, le partenariat des Russes. Malheureusement la fusée Ariane 6 (premier lancement prévu fin 2023) ne serait apparemment pas assez puissante.

Pour l’atterrisseur, l’ESA se lance dans la conception/construction d’un véhicule bien à elle. La technologie devrait être assez proche de celle de l’Argonaute qui doit être utilisé pour la Lune (avec l’atmosphère martienne à prendre en compte en plus). Elle ne devrait donc pas poser de problème insurmontable. Le montant nécessaire, 360 millions d’euros, explique en partie l’augmentation du poste. On doit reconnaître la persévérance de l’ESA dans cette filière des modules de service ou de l’Earth Return Orbiter (voir ci-dessous) qui fait elle-même suite aux ATV, modules de transport entre la Terre et l’ISS, qui ont donné toute satisfaction. C’est une compétence importante et donc un avantage que l’ESA fait bien d’entretenir. 

La date annoncée pour le lancement d’ExoMars, 2028, est une nouvelle douce-amère puisque le lancement était initialement prévu en 2018 et que, si on n’avait pas rompu avec les Russes, on aurait pu le faire en 2022 !

Bien entendu la poursuite de la coopération entre l’ESA et la NASA a été confirmée pour ce qui concerne la campagne de retour d’échantillons martiens. Les travaux de conception venant d’être achevés, il y aura développement de l’Earth Return Orbiter (orbite martienne à orbite terrestre) et du bras robotique (Sample Transfer Arm) qui transférera les échantillons martiens à bord du conteneur avant son décollage pour l’orbite de Mars.

Le quatrième poste est celui de l’observation de la Terre

Budget de 2,707 milliards d’euros contre 1,972 (+37,27%).

C’est ce poste que le rapport de l’ESA met en exergue et, compte tenu de son augmentation, on voit bien quelle est l’orientation de sa politique : la Terre plus que l’espace !

Ce montant servira notamment à FutureEO, programme de recherche (sciences de la Terre) pour mieux comprendre le fonctionnement de la Terre en tant que système, et comment l’humanité affecte les processus naturels.

Les ministres se sont par ailleurs engagés sur les actions suivantes :

(1) poursuivre le développement de la composante spatiale du programme Copernicus (collecte, actualisation de manière continue et restitution des données portant sur l’état de la Terre) sur la base des nouveaux besoins recensés ;

(2) mener à bien la mission opérationnelle Aeolus-2 visant à mesurer la vitesse des vents à l’échelle du globe et à améliorer les prévisions météorologiques ;

(3) consolider le suivi des nouvelles variables climatiques essentielles, pour soutenir une action climatique ;

(4) poursuivre l’initiative InCubed-2 visant à stimuler la commercialisation dans l’industrie de l’observation de la Terre ;

(5) établir une copie numérique du système Terre en s’appuyant sur l’informatique, le calcul haute performance et l’intelligence artificielle ;

(6) continuer la mise au point de la mission TRUTHS destinée à assurer l’étalonnage croisé des données de différentes missions climatologiques sur lesquelles reposent des modèles critiques ;

(7) élargir le réseau des missions d’observation de la Terre ;

(8) assurer la préservation sur le long terme d’un ensemble de données climatiques essentielles.

La ministérielle a été aussi l’occasion de donner le feu vert à deux missions : (1) Harmony, qui promet des données inédites permettant de répondre à des questions fondamentales liées à la dynamique des océans, des glaces et des terres émergées, laquelle influe directement sur la surveillance des risques, les ressources en eau et en énergie, la sécurité alimentaire et le changement climatique ; (2) Magic qui mesurera la gravité terrestre pour en déduire le volume d’eau présent dans les océans, les calottes glaciaires et les glaciers, dans le but de mieux comprendre les variations du niveau de la mer et d’améliorer la gestion de l’eau.

Le cinquième poste est celui des satellites terrestres au service de la connectivité, de la sécurité et du développement durable

Budget 1,894 contre 1,590 milliards (+19,12%).

C’est dans ce budget que l’on aborde le fameux projet de constellation européenne.

Le budget sera consacré aux moyens assurant une « connectivité permanente » en tout point du globe. La majeure partie de ces fonds sera gérée par l’intermédiaire du Programme de recherche de pointe sur les systèmes de télécommunications (ARTES) de l’ESA, qui vise à stimuler l’innovation dans l’industrie spatiale européenne pour permettre à ses entreprises de s’imposer sur le marché mondial des satellites de télécommunications et de leurs applications.

La première phase déclenchera une souscription ferme de 35 millions d’euros qui permettront à l’ESA d’engager les activités préparatoires au développement d’une constellation européenne de satellites. La deuxième phase, d’un coût de 685 M€, doit être confirmée en 2023.

Parmi les autres projets financés figurent le programme Moonlight de l’ESA, qui vise à encourager des entreprises privées européennes du secteur spatial à proposer des services de télécommunications et de navigation lunaires en installant autour de la Lune une constellation de satellites, et le nouveau Programme de satellites au service de la sécurité civile pour contribuer à la gestion de crises en temps réel au bénéfice du citoyen européen.

Décidemment, même sur la Lune on ne pourra pas être tranquilles ! Pourquoi des constellations autour de la Lune ?! Ne pourrait-on se contenter de relais de communication au niveau des points de Lagrange du système Terre-Lune. Il y aurait bien sûr un décalage de temps entre réception de données et retour d’informations au sol, mais ce décalage ne serait-il pas acceptable ? La face cachée de la Lune serait un excellent support pour installer de puissants observatoires astronomiques qui pourraient avoir une surface de collecte énorme en raison de la faible gravité, et qui ne serait jamais perturbés par des vents chargés de poussière comme sur Mars. Va-t-on ruiner nos possibilités d’observer le ciel à partir d’une plateforme solide autre que la Terre ?

Le sixième poste est celui des « basic activities »

Budget de 1,629 contre 1,407 milliards en 2019, soit +15,78%.

Les activités « de base » comprennent toute une catégorie concernant l’infrastructure et la logistique, qui restent invisibles la plupart du temps parce que tout simplement elles fonctionnent sans souci particulier.

Elles vont du développement de laboratoires, de stations au sol et d’installations de contrôle de mission à des efforts de développement technologique à l’échelle européenne, à des actions de soutien à l’innovation, et à l’infrastructure informatique. Elles comprennent également des moyens de développer, de préserver et de diffuser les connaissances acquises.

Le septième poste est celui de la Sécurité spatiale

Budget de 731 millions, contre 455 en 2019, soit + 60,66%

Avec cette hausse, l’ESA va pouvoir intensifier ses efforts pour protéger la Terre des dangers provenant de l’espace grâce à différentes missions : Vigil, qui surveillera l’activité solaire ou la sonde Hera, qui procèdera à l’analyse approfondie de l’astéroïde Dimorphos, satellite de Dydimos, après impact de la sonde DART en 2022, et une première mission de retrait d’un débris spatial en orbite, prévue en 2026 (Espérons qu’à l’occasion la société spin-off de l’EPFL, ClearSpace, partenaire de l’ESA dans ce domaine, puisse démontrer brillamment ses capacités !).

Le programme contribuera également à l’essor d’un nouveau marché, celui des services en orbite, ainsi qu’au développement de nouvelles technologies s’inscrivant dans la perspective d’une économie spatiale « circulaire et durable » (petit clin d’œil à l’esprit du temps !).

Le huitième poste est celui de la technologie et du développement commercial

Budget de 542 millions contre 582 millions en 2019, soit -7,21%.

Il s’agit ici de l’économie du NewSpace. Très curieusement alors que ce secteur se développe beaucoup aux Etats-Unis, on a décidé d’y aller « prudemment » en Europe à moins que l’on craigne de ne pas avoir suffisamment de partenaires privés dignes d’être aidés. Il faut espérer que ce ne soit pas que de la communication pour une activité considérée comme marginale, alors que bien comprise cela pourrait être une pépinière d’initiatives potentiellement très porteuses de création de richesses aussi bien pour l’ESA que pour ses partenaires.

Les ministres ont décidé de lancer le nouveau programme ScaleUp, dont l’objectif est de promouvoir les activités spatiales commerciales ainsi que le développement d’un nouvel écosystème spatial en Europe. Par le biais de l’élément « Développement, Fabrication et Vol » de son Programme général de technologie de soutien (GSTP), l’ESA accompagnera les entreprises spatiales européennes jusqu’à ce que les nouvelles technologies qu’elles développent soient prêtes pour le marché spatial commercial. En investissant dans une nouvelle infrastructure multi-mission et des moyens-sol de prochaine génération développés par l’industrie européenne, l’Agence renforcera sa capacité à faire voler tout type de missions en toute indépendance et sécurité.

Avec son programme ScaleUp, l’ESA entend faire de l’Europe un pôle d’activités spatiales commerciales en créant des incubateurs et des accélérateurs d’entreprises et en proposant aux jeunes sociétés des services dans les domaines de la propriété intellectuelle et des transferts de technologies, tout en faisant en sorte que les nouveaux projets commerciaux trouvent des débouchés et attirent les investissements publics et privés.

Illustration de titre : tableau des différents postes du budget de l’ESA pour les trois prochaines années tels que présenté officiellement après la conférence de Novembre 2022. Crédit ESA.

Liens : https://www.esa.int/Newsroom/Press_Releases/Les_ministres_soutiennent_les_grandes_ambitions_de_l_ESA_en_lui_octroyant_un_budget_record_en_hausse_de_17

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/vol-spatial-habite-europeen-si-proche-et-si-loin-a-la-fois-942320.html

https://siecledigital.fr/2022/07/06/terrae-novae-2030-lesa-devoile-sa-feuille-de-route-pour-les-10-prochaines-annees/

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