Artemis 1 a finalement pris son envol vers et autour de la Lune

Ce 16 Novembre à 07h47, heure d’Europe Centrale (UTC+1), le Space Launch System (SLS) de la NASA portant la mission Artemis I est partie pour la Lune. Après deux échecs, l’envol était moins que certain et les ingénieurs et dirigeants de la NASA peuvent maintenant « respirer ». De leurs côté tous les partisans de l’exploration spatiale par vols habités se réjouissent car quoi qu’on puisse penser de ce SLS par rapport au système SuperHeavy/Starship de SpaceX, un succès dans ce domaine de l’astronautique, si difficile à maitriser, est incontestablement une bonne nouvelle. Saluons donc la persévérance et la performance, et félicitons la NASA en espérant que de son côté SpaceX continuera à faire progresser son Starship. La concurrence a toujours été le moteur de l’amélioration d’une entreprise.

L’objectif de cette première mission Artemis est de tester le dispositif de base des futurs missions habitées autour de la Lune (Artemis II) et sur la Lune (Artemis III). Il s’agissait d’abord de démontrer que le SLS, en l’occurrence « SLS Block 1 » (il y aura un « Block 2 », plus puissant), conçu et réalisé par un consortium conduit par Boeing et en gestation depuis 2007 (sous le nom d’Ares), pouvait voler. C’est fait ! Il s’agissait ensuite de démontrer le fonctionnement du second étage du lanceur, constitué par ce qu’on appelle l’IPCS (Interim Cryogenic Propulsion Stage) et chargé d’injecter le vaisseau spatial proprement dit sur sa trajectoire translunaire. C’est fait. Il s’agit maintenant de démontrer la maniabilité du vaisseau (capsule Orion porté par son module de service) tout au long d’une trajectoire qui doit le conduire autour de la Lune. Soulignons que le module de service, cet instrument très complexe qui est en fait le troisième étage de la fusée, s’appelle l’European Module Service (EMS) car il a été fourni par l’ESA. Ce choix est une reconnaissance par la NASA des capacités de l’Agence spatiale européenne dans les véhicules spatiaux de service automatisés (démontrée lors des vols d’approvisionnement de l’ISS par les modules automatisés ATV). Il n’y a pas de raison de douter qu’il donne moins de satisfaction car le système est largement éprouvé.

Maintenant nous ne sommes qu’au début de la mission. Il faudra au moins 8 jours pour atteindre la Lune (380.000 km) ; il faudra au moins 6 jours pour parcourir une à deux orbites autour de la Lune (à 61.000 km d’altitude) ; et ensuite au moins 9 jours pour revenir sur Terre. La mission ne sera évidemment terminée qu’à ce moment là et on ne pourra en tirer les conclusions qu’après examen de tous les capteurs embarqués dans la capsule à la place des hommes. Il n’est évidemment pas question d’entreprendre Artemis II, avec un équipage à bord, si l’on a le moindre doute sur le fonctionnement de l’ensemble du système. Nous ne sommes plus à l’époque des premiers vols russes ou même des missions Apollo où les risques humains étaient pris plus légèrement. Ce qu’on peut espérer de plus que ces vérifications, outre bien sûr les données que recueilleront les nombreux cubesats embarqués (dont parle très bien Hugo Ruher dans Le Temps daté du 17 novembre), ce sont de belles vidéos de la Lune et surtout de la Terre derrière la Lune. On aura de très beaux levers et couchers de Terre car pour la première fois depuis Apollo, on sera dans la position très particulière de se retrouver derrière la Lune par rapport à la Terre.

Au-delà de cette première mission, le décollage d’une fusée n’est pas suffisant pour considérer que la suite se passera bien. On ne peut généraliser à partir d’un seul vol même s’il faut bien commencer par une première fois pour construire la confiance. Certains aspects du SLS me semblent préoccupants :

1) L’utilisation de l’hydrogène comme carburant. On a vu lors d’une précédente tentative de décollage avortée que le très grand froid auquel se présente l’hydrogène liquide ou gazeux très comprimé à la sortie du réservoir pose problème pour les matériaux à l’entrée des moteurs qu’il faut réfrigérer à température très basse pour que le choc thermique de l’arrivée de ce carburant soit supportable. On peut se demander pourquoi les concepteurs du SLS n’ont pas préféré utiliser le méthane (CH4) au lieu de l’hydrogène comme carburant, comme veut le faire SpaceX pour son Starship. L’Isp du méthane est moins bonne que celle de l’hydrogène (373 contre 435 secondes) mais le méthane a un point de liquéfaction beaucoup plus haut (-161°C contre -252,85°C) et se conserve donc beaucoup mieux d’autant que la molécule d’hydrogène étant la plus “petite” (masse moléculaire la plus faible) il est très difficile de l’empêcher de fuir.  Par ailleurs, le méthane liquide est beaucoup plus dense que l’hydrogène liquide 422,8 kg/m3 contre 71kg/1met cela implique des réservoirs beaucoup plus volumineux (et donc aussi une masse de métal plus importante pour les contenir). Peut-être la préférence a-t-elle une justification écologique, par le fait que le produit de la combustion du CH4 dans l’O2 est le CO2 ? Mais il faudrait savoir ce que l’on veut, lancer le système le plus efficace et gérable possible, ou faire plaisir à une partie de l’opinion qui de toute façon condamne ce qu’elle considère comme un gaspillage d’argent public.

2) La non réutilisabilité des éléments du système. Forcément cela va jouer si le Starship peut voler avec son SuperHeavy. Si ce dernier système, récupérable et réutilisable, peut fonctionner, le SLS sera immédiatement déclassé, non seulement pour des raisons écologiques mais surtout pour des raisons économiques. Personne aujourd’hui n’imaginerait que le Boeing ou l’Airbus à bord duquel il voyage pour traverser l’Atlantique, devrait être jeté après avoir servi une seule fois.

Ensuite il faut bien voir qu’on est toujours loin d’Artemis III, c’est-à-dire du retour de l’homme sur la Lune (en l’occurrence l’« homme » sera la femme) prévu pour 2026 car il faut finaliser le vaisseau HLS (Human Landing System), version lunaire du Starship « commun » (utilisable dans un environnement sans atmosphère à l’atterrissage) qui prendra le relai du SLS dans l’environnement lunaire. A ce propos le test réussi de la mise à feu simultanée de 14 moteurs Raptor de SuperHeavy cette semaine, est une information encourageante. Reste qu’il faudra faire fonctionner 29 moteurs à la fois et que le test d’essai de cette semaine n’a duré que 10 secondes. On ne pourra croire vraiment à la date de 2026 (mais 2027 serait très bien aussi !) que lorsque le Starship avec son SuperHeavy auront parcouru au moins une orbite terrestre et se seront reposés au sol en bonnes conditions.

Mais chaque chose en son temps et le moment présent est celui de simplement exprimer notre satisfaction pour cette réussite qui redonne espoir dans l’exploration spatiale.

Illustration de titre : la mission Artemis 1, crédit NASA.

Illustration ci-dessous : La capsule Orion et son module de service, volant vers la Lune, panneaux solaires déployés. Tout ce qui reste du SLS après que les deux premiers étages aient été largués. Capture d’écran NASA TV.

Liens :

https://en.wikipedia.org/wiki/Artemis_program

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Module_de_service_europeen_fabrique_en_France

https://www.esa.int/Science_Exploration/Human_and_Robotic_Exploration/Orion/The_making_of_the_European_Service_Modules

https://www.lefigaro.fr/sciences/la-nasa-tente-pour-la-3e-fois-de-faire-decoller-sa-mega-fusee-pour-la-lune-20221115

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Index L’appel de Mars 22 11 03

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

6 réponses à “Artemis 1 a finalement pris son envol vers et autour de la Lune

  1. Enfin, la mission Artemis I est en route vers la Lune !
    Le mélange LH2-LOX retenu justement pour cet avantage permet même d’atteindre une impulsion spécifique d’au moins 450 à 453 s (valeur hors atmosphère dans le vide, bien sûr, qui n’est que de 363 à 366 s au niveau de la mer), cela pour les 4 moteurs RS-25D.
    Cela dit, on se réjouit de revoir bientôt de nouvelles images de la Lune et surtout celles de sa face cachée. Que d’années il a fallu attendre pour ces retrouvailles qu’inaugure ce programme Artemis !

  2. Je ne pense pas que l’utilisation du mélange hydrogène (LH2)-oxygène (LOX) puisse réellement poser problème. La NASA a montré avec la Saturn V (étages S-II et S-IV-B) qu’elle maîtrisait parfaitement cette technologie, et cela dès les années 1960 déjà; pourquoi alors se priver du net avantage qu’elle présente en matière d’impulsion spécifique (isp)?

    1. Je suis du même avis. Le mélange LH2-LOX est le plus difficile mais aussi le plus performant : qui en maîtrise la technologie aurait tort de s’en priver. A cela s’ajoute que le programme SLS a été lancé avec la requête explicite du Sénat d’utiliser le plus grand nombre possible de technologies et même de composants existants du Space Shuttle “pour en réduire le coût”. Si ce dernier objectif a été atteint, et l’idée était bonne, est une autre histoire.

      Reste que le SLS n’a aujourd’hui que les 2/3 de la puissance de Saturn 5 (en masse orbitale, le seul paramètre qui compte). Et que rien ne garantit que les projets d’amélioration Block 1B e 2 seront conduits à leur terme …

  3. Bonjour,
    Enfin on dépasse de nouveau l’orbite terrestre avec un engin prévu pour des vols habités vers la Lune , ça changera des “orbitonautes” :-))
    Mais qu’est-ce que ce fut long !
    Au moins une génération a grandi avec la seule ISS comme repère de l’épopée spatiale habitée.
    Ils n’ont jamais su ce que c’était de voir des équipages humains sur la Lune, pour eux c’était de l’histoire passée. Maintenant ils vont comprendre un peu mieux. Ils pourront de nouveau discuter avec des astronautes (des vrais :-), de ceux qui auront marché sur un astre, la Lune, comme ceux des livres et videos anciennes.
    En attendant le premier humain qui marchera sur Mars car aucun astronaute n’a encore marché sur une autre planète (la Lune c’est un satellite de la Terre à moitié composé de matières terrestre).

    Ce sera un exploit rare car, à part marcher sur Mercure, sur sa face sombre, on ne pourra guère marcher sur une autre planète avant bien longtemps, Vénus c’est très compliqué et Pluton c’est fort loin en distance et durée du voyage.

    En ce qui concerne le LH2 des fusées :
    le premier étage de la Saturn 5 c’était Lox et RP1 soit un kérosène et il faisait le gros du travail, le LH2 venait dans les autres étages moins puissants et moins volumineux…
    La Falcon Heavy c’est aussi du kérosène et Lox, comme Falcon 9 et le lanceur Soyouz.
    Tous fiables, efficaces et financièrement intéressants, même la Saturn 5.

    Le LH2 c’était pour la navette et Ariane 5 par exemple mais 70 à 80% de l’effort est supporté par les boosters à poudre. Et on les a jugé trop chers ces appareils, à l’usage …

    Ça pourrait être pareil pour le SLS…

    Surtout quand on pense que la Falcon Heavy aurait pu faire ce lancement pour moins cher et bien avant.
    Elle n’a pas les capacités des futurs SLS certe mais ils risquent d’être encore plus coûteux par lancement que celui qui vient de décoller.

    Pour le module de service européen, sa propulsion principale serait issue de la navette, donc pas européenne, dommage.

    Mais c’est un bon début, à force de créer des éléments on finira bien par obtenir une capsule européenne, après l’Inde, l’Iran et peut être le Listenbourg !? :-))

    1. Au cas où la question des émissions de CO2 pour un décollage serait soulevée…
      La combustion du mélange LH2-LOX des moteurs principaux ne produit évidemment pas de CO2. Par contre le propergol solide classique, le plus commun actuellement utilisé dans les boosters, est composé de perchlorate d’ammonium (environ 70%), de poudre d’aluminium (environ 20%) et de polybutadiène acrylonitrile (environ 10%). Seul ce dernier composant contient des atomes de carbone susceptibles de former du CO2.
      Un « booster » de 590 tonnes (environ 90 tonnes à vide) brûle son contenu de 500 tonnes de poudre en environ 2 minutes. Ses 50 tonnes de polybutadiène acrylonitrile vont produire environ au moins 150 tonnes de CO2, pour un seul booster. La fusée Artemis I avait deux boosters et donc son décollage a dû émettre quelque 300 tonnes de CO2, soit l’équivalent de ce que 200 voitures émettent en une année (15’000 km/an, 100 gCO2/km).
      Par contre, si le mélange solide utilisé était un mélange dit “à haute performance”, avec de l’hexogène (RDX, C3H6N6O6) ou de l’octogène (HMX, C4H8N8O8), ces molécules très “puissantes” sont encore plus riches en atomes de carbone que le mélange classique ci-dessus et la quantité de CO2 produit croît d’autant. Dans le cas de 500 t de RDX ou de HMX, ce serait près de 300 tCO2 émis par booster ! Il existe encore deux autres substances encore plus “puissantes”, l’octanitrocubane (C8N8O16) dont la combustion donnerait 380 tCO2 et l’heptanitrocubane (C8HN7O14) qui donnerait 420 tCO2, cela toujours pour 500 t de substance “puissante” pour chacun des boosters.

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