Dans trois jours la sonde DART* de la NASA va planter sa flèche dans le satellite Dimorphos de l’astéroïde Didymos. La mission du même nom est la première expérience visant à dévier un astéroïde. C’est une technique qu’il faut mettre au point dans la perspective où un objet comparable pourrait menacer sérieusement la Terre. C’est donc une entreprise pour laquelle l’humanité entière devrait être reconnaissante à la NASA puisqu’elle l’a conçue et qu’elle la réalise.
*« Double Asteroid Redirection Test » ou simplement « dard » ou « fléchette » en Français.
LICIACube (Light Italian CubeSat for Imaging of Asteroids), un cubesat de 6 unités de l’Italian Space Agency, embarqué à bord de DART et qui doit filmer l’impact le 27 septembre à 01h17 en Suisse (26 septembre à 19h17 aux Etats-Unis – EDT), a été lâché et déployé avec succès dimanche 11 septembre. LICIACube porte deux caméras optiques qui prendront des photos trois minutes après l’impact. Nous disposerons des images deux jours après l’événement. Ces photos complèteront celles de DART elle-même, qui s’arrêteront évidemment avec l’impact.
La manœuvre conduisant à l’impact doit commencer 4 heures avant, lorsque la sonde passera sous le contrôle de son système de guidage automatisé, « SMART Nav ». L’approche finale sera très rapide (le choc doit absolument être violent !) : 176.000 km, trois heures avant l’impact ; 38.000 km, 90 minutes avant impact. C’est à ce moment que la trajectoire d’impact sera figée mais la lune Dimorphos ne sera visible qu’à 24.000 km (1,4 pixels). La caméra DRACO à bord de DART filmera la progression en continu jusqu’à 2 secondes avant l’impact (résolution spatiale inférieure à 20 cm).
DART a quitté la Terre le 24 Novembre 2021. J’avais traité le sujet dans mon article du 27 Novembre. J’en reprends ici certains éléments et je complète :
L’impact d’un « gros » astéroïde à la surface de la Terre est une probabilité faible mais non nulle. S’il survenait sur une zone habitée, les conséquences seraient catastrophiques et elles le seraient presque autant, par ses conséquences indirectes, dans une zone inhabitée.
C’est malgré tout quelque chose qui, avec certitude, doit arriver « un jour » si nous ne faisons pas le nécessaire pour l’éviter (et peut-être ne le pourrons-nous pas). La mission DART est un test de ce que l’on pourrait faire. La théorie selon laquelle la trajectoire du bolide peut être modifiée par un impact (« kinetic impact deflection ») va être vérifiée, quantifiée, et on pourra ajuster les divers paramètres sur lesquels on pourra jouer.
La cible de DART, l’astéroïde Didymos, est composé de deux corps (Didymos veut dire jumeau), le principal, Didymos proprement dit, d’un diamètre de 780 mètres, et le secondaire, « Dimorphos », qui en est son satellite, ou sa lune, d’un diamètre de 160 mètres et qui orbite à 1,18 km du corps principal, à la vitesse de 17 cm/s.
Didymos est un astéroïde géocroiseur, classe d’astéroïdes dont l’acronyme anglais est « NEA » (pour Near Earth Asteroid). Les astronomes estiment à environ 25.000 le nombre de NEA d’une taille supérieure à 140 mètres (on n’en a sans doute identifié que 40%). Pour mémoire, celui de Chelyabinsk qui a explosé dans la basse atmosphère terrestre en février 2013, n’avait que 18 mètres. Didymos (périhélie de 1,014 UA, aphélie de 2,275 UA) que l’on a découvert récemment (1996), est de la catégorie « Apollon », c’est-à-dire que son périhélie est inférieur à l’aphélie de la Terre (demi-grand axe > 1 UA et périhélie < 1,017 UA). Il est donc potentiellement dangereux même si la « rencontre » n’est pas prévue dans les cent prochaines années. L’avantage de cette proximité pour notre test est que Didymos n’est pas difficile d’accès. Lors de l’impact il sera seulement à 11 millions de km de la Terre (Mars est au plus proche à 56 millions de km). Sa dernière approche de la Terre a eu lieu en 2003 et la prochaine aura lieu en Octobre 2022 (le choix de fin septembre 2022 pour l’impact est donc parfait pour en observer les conséquences). Il sera difficilement accessible après 2026 et comme l’approche suivante n’aura lieu qu’en 2062, le prochain test devra se faire sur un autre astéroïde !
Le test consiste à projeter frontalement sur Dimorphos la masse (550 Kg) de la sonde DART animée d’une vitesse de 6,6 km/s (23.760 km/h, tout de même !). La collision doit ralentir la vitesse de Dimorphos sur orbite de moins de 1% (la masse de Dimorphos est de moins de 5 millions de tonnes) mais cela sera suffisant pour changer la durée de son parcours de l’orbite autour du corps principal de plusieurs minutes (la distance de l’orbite de Dimorphos à celle de Didymos sera réduite). Cette durée (« période orbitale ») est actuellement de 11h55 et 20 secondes.
L’intérêt du choix de Dimorphos pour le test est évidemment qu’étant captif de Didymos, la trajectoire de l’ensemble ne sera pas modifiée (ce qui veut dire qu’on ne risque pas de le « recevoir sur la tête » du fait de l’expérience).
L’approche de Didymos sera vue par l’œil de DRACO (« Didymos Reconnaissance and Asteroid Camera for Optical navigation »), télescope à angle étroit à bord de DART. Cette observation sera faite en liaison avec la Terre où les observatoires pourront aussi suivre l’événement car Dimorphos sera en position telle qu’il éclipsera partiellement Didymos (on ne verra pas son ombre se déplacer le long de la surface de Didymos mais on constatera une atténuation de sa luminosité). Lors et après l’impact, le relai de DRACO sera pris, comme dit ci-dessus, par LICIA qui fait aussi partie du voyage (mais qui vient de prendre son autonomie). LICIA pourra donc être le témoin « sur place » (précision 2 mètres par pixel) et retransmettra à la Terre les données et les images précises montrant les conséquences de l’impact. La coopération entre DART et LICIA (donc l’ESA) se fait dans le cadre de ce qu’on appelle la « collaboration AIDA » (« Asteroid Impact and Deflection Assessment »).
Il y aura une suite car une autre sonde, Héra, sera lancée par l’ESA en Octobre 2024 pour, examiner en décembre 2026 le cratère d’impact et faire des analyses très précises (2cm/pixel).
L’inconnue majeure est la réaction de la masse heurtée (bien qu’on ait évidemment fait des hypothèses). L’astéroïde, comme beaucoup de NEA (mais il y a des variétés importantes résultat de l’évolution complexe du système solaire) a une densité très faible, 1,7 +/- 0,4 kg /m3, car il résulte d’une lente agglomération de matière sans action gravitationnelle forte. DART ne va avoir d’action sur lui qu’en raison de sa vitesse et de sa densité. Mais on ne sait pas de combien elle va s’enfoncer dans le sol et si elle ne génèrera que de la poussière ou des fragments plus gros.
DART est la première mission de défense planétaire (« Planetary Defense Mission ») de la NASA (et bien sûr de l’ESA via AIDA), la première mission visant à protéger la Terre des astéroïdes. Elle résulte d’une collaboration avec l’Agence Spatiale Italienne et John Hopkins APL (Applied Physics Laboratory). Il y a d’autres méthodes de « déflection » imaginée mais celle-ci est la plus « mature ». Alternativement on peut imaginer, par exemple, de revêtir l’astéroïde (généralement extrêmement sombre) d’un film réfléchissant sur une moitié de sa surface qui permettrait à la lumière solaire de le dévier. Faire éclater l’astéroïde (avec une bombe atomique comme dans certaines œuvres de science-fiction) ne serait pas forcément une bonne idée car de gros débris pourrait rester sur la trajectoire d’origine.
La sonde a été lancée par une fusée Falcon 9 de SpaceX (qui confirme une fois de plus ses capacités et sa fiabilité). Le satellite est alimenté en énergie par deux « ailes » de panneaux solaires. Leur particularité est d’avoir été enroulés sur eux-mêmes au moment du décollage, pour former deux rouleaux (« ROSA », pour « Roll-Out Solar Arrays »), de part et d’autre de la sonde et qu’ils se sont déroulés après mise en orbite. Mais, d’autres technologies avancées sont / vont également être testées :
« TSA » (« Transformational Solar Array »). Système de captation d’énergie également développé par APL. Les panneaux solaires « boostés » de ce système complètent un ensemble de panneaux classiques. Les nouveaux panneaux sont munis de concentrateurs de lumière et, à surface égale aux panneaux standards, ils doivent procurer 3 fois plus de puissance.
“NEXT-C” (“NASA’s Evolutionary Xenon Thruster–Commercial”) est un système de propulsion ionique utilisant l’énergie solaire, développé par le Glenn Research Center de la NASA et Aerojet Rocketdyne. Comme dans le cas de TSA, NEXT-C n’est pas le système de propulsion principal (hydrazine) mais un prototype auxiliaire.
SMART Nav (« Small-body Maneuvering Autonomous Real Time Navigation ») développée par APL permet un guidage optique autonome (qui, entre autres, permettra à DART de faire la différence entre Dydimos et Dimorphos !).
Cet impact ne sera donc qu’un petit choc sur un petit astéroïde mais un grand pas en avant pour assurer notre sécurité. Ne serait-ce que pour cela, la science astronautique nous est extrêmement précieuse.
liens:
https://www.nasa.gov/specials/pdco/index.html#dart
https://dart.jhuapl.edu/News-and-Resources/files/DART-press-kit-web-FINAL.pdf
https://en.wikipedia.org/wiki/65803_Didymos
https://fr.wikipedia.org/wiki/Double_Asteroid_Redirection_Test
https://www.nasa.gov/planetarydefense/dart
Illustration de titre :
Vue d’artiste de DART à l’approche de Dimorphos. Vous voyez le LICIACube en bas à droite. Crédit NASA/Johns Hopkins, APL/Steve Gribben.
Illustration ci-dessous : échelle de comparaison de Didymos avec des « objets » connus. Crédit NASA/John Hopkins APL
Illustration ci-dessous : La mission DART en image. Crédit NASA/John Hopkins APL:
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
Pour la première fois, l’espèce humaine va changer volontairement la trajectoire d’un corps céleste entier!
Influer sur le destin naturel du système solaire ! L’espace devient un des domaines maîtrisé par cette espèce vivante du troisième rock du Soleil.
Article très intéressant et très bien informé
Intéressante expérience … mais, sans vouloir me montrer exagérément pessimiste, j’ai bien peur que ce ne soit pas des objets célestes qui présentent la menace la plus immédiate pour l’Humanité. Et ces autres objets risquent d’être nettement plus difficiles et aléatoires à “dévier” malheureusement!
Expérience très intéressante et qui était à faire. Mais quand un astéroïde réellement dangereux, visant la terre apparaîtra, le détectera-t-on suffisamment tôt? Et, s’il est détecté à temps, l’expérience dont vous nous parlez pourra-t-elle être répétée de façon sûre, efficace, notamment s’il s’agit d’une masse plus grande, plus rapide? Est-ce que nous valons mieux que les dinosaures?
Non, on ne pourra probablement pas tout arrêter. Un astéroïde trop gros ne pourra pas être dévié, de même, tout simplement, un astéroïde que nous aurions vu trop tard.
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C’est pour cela que l’on établit un catalogue des NEA. Maintenant, d’autres peuvent venir, comme ceux qui pourraient décrocher de la Ceinture d’astéroïdes ou même de la Ceinture de Kuiper.
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Mais si l’on peut dévier les astéroïdes NEA de taille moyenne (de cent à quelques centaines de mètres), on se sera déjà un peu protégé. Le problème étant, comme le mentionne Patrick Sibon, qu’il faut s’y prendre à temps et que les NEA qui ont une trajectoire connue qui se rapproche à un moment donné de l’orbite de la Terre, sont les plus faciles à repérer loin et longtemps avant de nous approcher.
Bonjour,
En avril 2021 les experts de la conférence de défense planétaire ont travaillé sur un scénario fictif, une simulation, l’astéroïde étant découvert 6 mois, avant l’impact, dans la simulation, aucun moyen d’éviter l’impact sur une partie de l’Europe cette fois.
Depuis 2009 des experts font ces simulations, 6 en tout, et ils ont évité l’impact une seule fois. Les autres fois on a par exemple perdu New York…
Donc détecter 6 mois avant ne suffirait pas.
Disons qu’on a un grand potentiel d’amélioration sur ce sujet…
Mais Dart est un petit pas de plus pour l’humanité.
Exactement. Il faut bien commencer et on apprend beaucoup par “trials and errors”!
Dévier est une chose. Dévier de façon suffisamment précise et contrôlée, c’est plus difficile. “Cela permettra d’évaluer l’efficacité de cette approche d’atténuation et de déterminer la meilleure façon de l’appliquer aux futurs scénarios de défense planétaire, ainsi que la précision des simulations informatiques et leur capacité à refléter le comportement d’un véritable astéroïde.” Et la part du hasard? Enfin, c’est un début. 600 kilos contre un caillou de 160 mètres! A grande vitesse! On va voir! Ce qui va être intéressant c’est d’observer de loin, par des télescopes, s’il y a eu un effet sur la trajectoire. Je suppose que l’angle de l’impact est calculé et maîtrisé. Je lis ” la vitesse de Dimorphos devrait être modifiée d’environ 1%”. Mais son changement de direction, l’angle espéré sont-ils maîtrisés, bien calculés et calculables? L’endroit d’impact sur l’astéroïde aura une influence là-dessus. Si c’est concluant, on pourra tirer des directions pour la recherche sinon Armageddon restera le dernier recours. Pour les dinosaures, ça a été épouvantable, définitif! Cela nous arrivera “un jour”! Dans un délai plus ou moins proche? Ce sont les astéroïdes interstellaires qui font peur, surtout s’ils sont gros, rocheux, ultra-rapides, comme 2I/Borisov. Concentrer les efforts sur l’établissement d’une base lunaire ou martienne semble vraiment nécessaire. Il n’y a pas que les astéroïdes qui nous menacent! Disséminer les hommes!
Effet papillon.
Ils vont réussir, par leur manoeuvre, à nous faire tomber un (autre) astéroide sur la tête plus tôt que prévu.
par Toutatis.
Comme vous avez pu le lire, la NASA a pris la précaution de viser le satellite de l’astéroïde et non l’astéroïde lui-même. Apres l’impact, le satellite restera sous le contrôle du corps principal et la trajectoire de ce dernier ne sera pas affectée.
La mission DART, lancée le 24 novembre 2021, a donc abouti ce 26 septembre 2022 à 23 h 14 min 23 s (UTC) par un impact de la sonde de 500 kg, à une vitesse de 6,6 km/s (24 000 km/h) sur Dimorphos, une lune de 160 à 170 m de diamètre orbitant à 1,190 ± 30 km de Didymos, située alors à 11 millions de kilomètres de la Terre. L’énergie de cet impact est de l’ordre de l’équivalent de 3 tonnes de TNT.
Le résultat escompté est une légère chute de Dimorphos et donc une petite diminution de l’altitude (d’environ 12 m, soit à 1,178 km d’altitude) de son orbite autour de Didymos, conduisant à une légère augmentation de sa vitesse orbitale (de 0,174 m/s à 0,175 m/s) et par là à un raccourcissement de son temps de révolution d’environ dix bonnes minutes (sur les 11,93 heures, soit 11 heures 55 minutes et 48 secondes ± 36 secondes actuelles, durée connue assez précisément, à 11,75 heures, soit 11 heures 45 minutes), une différence qui sera aisément observable depuis la Terre.
Merci Monsieur de Reyff pour cet exposé précis de la situation. Attendons maintenant la mission Hera de l’ESA pour constater de près les effets durables de cet impact puisque nous avons eu des photos avant et que nous en aurons après. Le lancement est prévu pour octobre 2024 et l’arrivée près de Didymos en décembre 2026.
On ne devrait pas attendre longtemps pour avoir la réponse sur une modification de la période de révolution de Dimorphos autour de Didymos.
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Encore quelques précisions : le calcul ci-dessus, montrant une diminution de la durée de révolution de Dimorphos autour de Didymos, est fait en supposant que la sonde a impacté Dimorphos quasiment (mais pas très exactement) « frontalement », contre le sens du mouvement de Dimorphos sur son orbite autour de Didymos. Si le choc avait été réalisé « par l’arrière », donc dans le sens de son mouvement, l’effet aurait été l’inverse et l’orbite de Dimorphos se serait élevée légèrement, augmentant sa période de révolution autour de Didymos. Il ne faut pas oublier que le but poursuivi par cette expérience de choc quasi frontal est de tester la faisabilité et les effets d’un impact énergétique pour dévier un futur astéroïde géocroiseur qui s’approcherait dangereusement de la Terre. Vu de la Terre, on le viserait bien sûr assez frontalement, contre le sens de sa marche, pour modifier sa trajectoire en l’incurvant pour qu’elle évite de passer par la Terre. Mais l’angle d’attaque est important pour obtenir la bonne déviation souhaitée. Il se pourrait aussi qu’une trajectoire initiale soit telle qu’il faille au contraire attaquer l’astéroïde « par l’arrière » pour que celle-là, une fois modifiée, évite la Terre qui, il ne faut pas l’oublier se déplace elle-même à 30 km/s sur son orbite, soit de son propre diamètre en 7 minutes. Les calculs balistiques seront à faire très précisément pour éviter un impact de l’astéroïde sur la Terre.
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Le comportement d’un satellite en orbite est un peu contre-intuitif : si on l’accélère par une poussée dans le sens de son mouvement orbital, son orbite va s’élever et sa vitesse orbitale diminuer ; si on le freine par une poussée opposée, son orbite va s’abaisser et sa vitesse orbitale augmenter. Par exemple, la Station spatiale internationale ISS (orbitant en moyenne entre 330 et 460 km d’altitude en une période d’environ 93 minutes) voit son orbite s’user progressivement par friction avec des restes ténus d’atmosphère (effet de traînée atmosphérique) ; ISS perd ainsi continûment de l’altitude (entre 50 et 100 m par jour), mais sa vitesse orbitale augmente et sa période de révolution diminue ; on doit alors allumer périodiquement ses moteurs pour que son orbite remonte, mais alors sa vitesse orbitale ralentit et sa période de révolution augmente.
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Un autre phénomène entre aussi en jeu, même s’il n’y a pas d’atmosphère exerçant un freinage : les satellites sur une orbite « sous-synchrone », c’est-à-dire dont la période de révolution orbitale est plus rapide que la durée de rotation de la planète, subissent un effet de marée qui les fait progressivement perdre de l’altitude et finalement tomber sur la planète. C’est le cas actuellement de Phobos (période de révolution orbitale de 7 h 39 min) qui s’approche lentement mais inéluctablement de Mars (période de rotation de 24 h 37 min) et cela a dû être le cas pour tous les probables satellites des planètes Mercure et Vénus (aux durées de rotation très lentes de 58 jours et de 243 jours) qui ont tous déjà disparus rapidement de cette manière, donc depuis longtemps. Inversement, les satellites sur une orbite « super-synchrone » subissent des forces de marée qui les font s’éloigner inéluctablement de la planète. Par exemple, la Lune s’éloigne continûment de la Terre à la vitesse actuelle, précisément mesurée par réflexion de faisceaux laser sur les miroirs déposés à sa surface, de 3,8 cm par année, ou 3,8 m par siècle, ou 38 m par millénaire, ou 38 km par million d’années, ou 38’000 km par milliard d’année, soit quelque 150’000 km en 4 milliards d’années.
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En contrepartie, par effet de marée exercé sur la Terre (aussi bien sur les océans que sur la croûte solide), la Lune ralentit progressivement la vitesse de rotation de celle-ci (soit un freinage, une décélération entraînant un allongement de la durée du jour d’environ 17 microsecondes par an), une durée de rotation qui, il y a 4 milliards d’années, avait dû être d’environ 18 à 19 heures plus courtes qu’actuellement, soit « un jour » de seulement 5 à 6 heures (la Lune étant alors située à moins de 200’000 km de la Terre au lieu des 384’000 km actuels que représente le demi-grand axe de son orbite). Avec le temps qui passe, l’altitude de l’orbite synchrone s’élève lentement au-delà des 35’796 km actuels (soit à 42’167 km du centre le Terre), mais elle est encore loin d’atteindre l’orbite de la Lune. Dans le cas de la petite planète Pluton et de son gros satellite Charon, cette orbite a été atteinte et les deux corps tournent de façon synchrone et figée, face à face, la planète sur elle-même et le satellite autour d’elle en 6 jours et 9 heures.
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De même, toujours par effet de marée, la Terre s’éloigne du Soleil de quelque 15 cm par an, ce qui allonge imperceptiblement la durée de l’année sidérale, considérée habituellement comme une grandeur constante, qui a dû être un peu plus courte qu’actuellement de 2 à 3 de nos jours de 24 heures il y a 4 milliards d’années où la Terre était plus proche du Soleil de 600’000 km (plus précisément, le demi-grand axe de son orbite était plus court de cette valeur) ; mais, comme le « jour » d’alors ne durait que 6 heures, l’année d’alors comportait 4 fois plus de « jours » effectifs !
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Veuillez excuser la longueur imprévue de cet “excursus” !
Vous êtes tout excusé Monsieur de Reyff. Votre commentaire est comme toujours très pertinent et très intéressant.
Merci pour ce développement sur l’orbite synchrone qui explique bien des choses sur l’évolution des satellites naturels et en particulier pour notre chère Lune que l’on voit bien être un partenaire capital pour la Terre.
Pour ce qui est des conséquences de l’impact de DART sur Dimorphos, vous avez raison, nous pouvons très vite en tirer des enseignements importants et utiles (grâce au Cubesat LICIA). Mais la mission Hera pourra aller voir de près les conséquences visuelles de l’impact bien après l’instant et cela sera aussi passionnant.
Mon ami lecteur, toujours très attentif, me dit ne pas avoir bien compris comment ni pourquoi, en percutant frontalement un satellite, celui-ci, au lieu de subir un freinage, acquiert une vitesse supérieure, certes sur une orbite inférieure.
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Si vous me le permettez une dernière fois, cette réponse pourrait être utile à d’autres lecteurs.
Donc, pour en revenir à une modification artificielle d’orbite, il faut raisonner, d’une part, en force et, d’autre part, en énergie. Rappelons que, lorsqu’un satellite est en orbite (à une distance R du centre de la Terre et avec une vitesse orbitale V), la force centrifuge, due à sa vitesse, équilibre exactement la force centripète, due à l’attraction gravitationnelle de la planète. Un choc frontal dû à un impact va brusquement diminuer la vitesse orbitale du satellite et par là faire instantanément diminuer la force centrifuge (qui est proportionnelle à V² et inversement proportionnelle à R, soit V²/R), et donc le satellite va « plonger », soit perdre un peu d’altitude sous l’effet de la gravité dont la force centripète l’emporte légèrement. Ce faisant, il va accélérer et acquérir une nouvelle vitesse, cette fois-ci un peu plus grande qu’avant le choc, provoquant alors une force centrifuge accrue qui va à nouveau équilibrer la force centripète devenue plus élevée, car effective sur une orbite plus basse, parcourue avec une vitesse orbitale plus grande. Le raisonnement est symétrique en cas d’un choc par l’arrière, en remplaçant les verbes « diminuer » par « augmenter », « plonger » par « s’élever », « perdre » par « gagner » et « accélérer » par « décélérer ».
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Plus une orbite est basse, plus la vitesse V est élevée et plus le rayon R est petit et en conséquence plus la force centrifuge augmente comme V²/R (V augmente au carré, et R diminue linéairement, le tout faisant croître la force centrifuge), et, de même, plus la gravité est forte, plus la force centripète augmente, mais ici comme 1/R². Comme effet résultant, le carré de la vitesse est proportionnel à l’inverse de la distance : V² = cte (1/R).
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Ce comportement découle du fait que, dans le cas d’un corps satellisé, l’énergie totale et l’énergie potentielle (toujours proportionnelle à -1/R) du satellite sont toutes les deux négatives alors que l’énergie cinétique (toujours proportionnelle à (1/2)V² et donc à (1/2)1/R) est toujours positive. Il y a un théorème, dit théorème du Viriel, qui explicite une relation particulière entre l’énergie cinétique du mouvement (positive) : Ecin > 0, et l’énergie potentielle de la gravitation (négative) : Epot < 0. Il énonce que l’énergie potentielle vaut deux fois l’opposé de l’énergie cinétique (donc avec signe négatif) : Epot = -2 Ecin < 0, et que l’énergie totale, qui est la somme des deux, vaut l’opposé de l’énergie cinétique (aussi avec signe négatif) et est donc est égale à la moitié de l’énergie potentielle ;
en effet : Etotale = Epot + Ecin = -2 Ecin + Ecin = -Ecin = ½ Epot < 0.
Mettre un satellite en orbite, c’est en quelque sorte « vaincre l’énergie potentielle » (plus fortement négative sur le sol qu’en orbite), donc « remonter dans un puits de potentiel », dont on n’atteindrait strictement le maximum, soit la valeur zéro, que lorsque R tend vers l’infini. Une orbite plus basse qu’une autre est aussi située plus bas dans le puits de potentiel, son énergie totale est plus négative. Une orbite plus haute est située plus haut dans le puits de potentiel et son énergie totale est moins négative. On peut dire aussi qu’un satellite en orbite plus basse, bien qu’ayant plus d’énergie cinétique qu’en orbite haute (car sa vitesse orbitale est là plus grande qu’ici), a une énergie potentielle et donc une énergie totale qui sont plus négatives qu’en orbite haute.
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Merci d'avoir eu la patience de lire ces trois longs commentaires !
On apprend aujourd’hui 11 octobre que la durée de révolution de l’orbite de Dimorphos autour de Didymos a même diminué de 32 minutes, suite à l‘impact de la sonde DART. Ce qui implique que cette orbite s’est abaissée de 1’190 m à 1’154,5 m, soit de 35,5 m, ce qui est remarquable, car trois fois plus qu’attendu. La troisième loi de Kepler donne que R^3/T^2 = constante pour chaque orbite. La durée orbitale initiale ayant été de 11 h 56 min, elle est désormais de 11 h 24 min. La vitesse orbitale est passée de 0,174 m/s à 0,177 m/s.
Merci Monsieur de Reyff.
Effectivement le test a réussi. C’est très encourageant pour la suite.
Ce qui est curieux c’est que l’effet (abaissement de l’orbite) ait été trois fois plus important qu’attendu. Mais il vaut sans doute mieux qu’il ait été plus fort que plus faible, vu le but recherché.
Tout dépend de la masse effective de cette lune de Didymos. On a fait l’hypothèse, assez raisonnable, que ces deux corps ont la même densité (masse volumique) de ~2,17 g/cm^3, ou 2,17 kg/L, ou 2,17 t/m^3. Connaissant les dimensions de Dimorphos (208 m x 160 m x 133 m), son volume est équivalent à celui d’une sphère de 164 m de diamètre, soit 2,31 millions de m^3. En multipliant par la densité on obtient une masse de 5 millions de tonnes. Si la densité effective est plus faible (ou bien aussi si les dimensions retenues ne sont pas exactes), la masse est probablement plus faible que calculée et l’impact dynamique de DART (500 kg, une fois les ergols consommés) a eu plus d’effet sur la cinétique.