La mobilité sur Mars (1)

Lorsque l’homme ira sur Mars, très vite il devra se déplacer à la surface de la planète. Pour ce faire il devra prendre en compte les caractéristiques très particulières de son environnement et les possibilités technologiques dont il disposera.

Tout d’abord voyons les avantages de l’environnement. Ils sont limités mais réel. Il s’agit d’un sol (surface ferme et non pas gazeuse), d’une gravité planétaire qui permet de transporter avec soi des masses plus importantes que sur Terre (0,38g au lieu de 1g), de la disponibilité de l’énergie solaire, de ressources minérales et gazeuses diversifiées aussi bien dans l’atmosphère de la planète que dans le sol, de l’absence de mer, de lac ou de fleuve à franchir pour aller où que ce soit. C’est sans doute tout.

Les contraintes sont fortes. Il n’y a bien sûr aucune infrastructure sur Mars et les construire à grande-échelle prendra beaucoup de temps, d’autant que la population sera pendant très longtemps très faible. Même remarque pour l’entretien. Des routes pourraient être construites mais il faudrait les maintenir fonctionnelles (par exemple les débarrasser de la poussière qui pourrait poser problème après une tempête importante), ce qui suppose des robots, des hommes, de l’énergie pour le faire. Concernant l’énergie, il n’y aura pas de « station-service » dans le paysage. Par ailleurs il n’y aura ni atelier de réparation, ni magasin d’alimentation, ni cabinet médical, aucune « facilité » en dehors de la Base, si ce n’est sans doute quelques abris contre les radiations en cas de tempête solaire (SeP – Solar energetic Particles). On ne pourra se déplacer en extérieur que revêtu d’un scaphandre et équipé de bombonnes d’air respirable. Et malgré tout, on restera toujours exposé aux radiations cosmiques. Il fera très froid la nuit et aussi à l’ombre (jusqu’à -100°C). Les tempêtes de poussière pourraient empêcher tout déplacement pendant un certain temps (plusieurs semaines). Enfin les télécommunications seront difficiles car l’atmosphère, peu dense et sans couche d’ozone réfléchissante, ne portera pas les ondes autour du globe et l’on devra recourir aux satellites relais (ce qui suppose une bonne couverture planétaire géostationnaire si on veut s’éloigner) au-delà de l’environnement immédiat (antenne visible).

Dans ce contexte, on ne sortira pas souvent de la Base car ce sera compliqué et dangereux, et qu’on pourra faire « beaucoup de choses » par robots interposés commandés en direct depuis l’intérieur protégé. Mais on sortira quand même de temps en temps, parce que dans certains cas on ne pourra pas faire autrement et aussi pour le plaisir ou l’agrément.

La première possibilité sera de sortir à pied.

Pourquoi pas. Il faudra le faire pour le contrôle et l’entretien des constructions diverses. Même si des robots agissent, on voudra vérifier, toucher soi-même. Mais l’usage des pieds ne pourra être que pour « le dernier kilomètre ».

La deuxième possibilité sera l’automobile.

Elle sera forcément du genre 4×4 ou plutôt « rover » comme on a pris l’habitude de les nommer. Il n’y aura pas de route avant longtemps, sauf pour aller à l’astroport, au gisement de glace d’eau et peut-être au réacteur nucléaire s’il est implanté un peu à l’écart de la Base. Les roues seront donc semblables à celles que l’on utilise pour les rovers d’aujourd’hui, pleine, larges et aussi résistantes que possible aux aspérités du sol (pas de caoutchouc trop sensible aux variations de températures et d’une manière générale trop fragile). La propulsion pourrait être chimique, du méthane brulant dans l’oxygène, puisqu’on en produira pour les fusées. On peut aussi penser qu’elle sera électrique, avec des batteries rechargées auprès d’un réacteur nucléaire ou mixte chimique/électrique avec de l’énergie solaire recueillie par panneaux photovoltaïques posés sur le toit du véhicule. A ce propos, il faudra toujours penser à se protéger des radiations spatiales. Pour ce faire, deux solutions, soit des sacs de glace sur le toit (les protons de l’hydrogène arrêtent les SeP quasi exclusivement composées de protons), soit tout simplement un ballon empli d’hydrogène en surpression (1,5 à 2,0 pour garantir la stabilité de l’enveloppe, selon sa texture). Le ballon pourra être parallélépipédique et couvert sur toute la surface du dessus, de panneaux solaires. Comme il y aura peu de trafic et qu’on ne recherchera pas la vitesse, on peut même concevoir que le ballon soit surdimensionné (le double ?) par rapport à la surface au sol du rover (pour donner une meilleure protection aux rayons latéraux) et que donc la surface photovoltaïque soit plus importante. Dans ce cas on pourrait concevoir un grand volume oblong. Dans les deux cas (parallélépipède ou volume oblong) on peut envisager une forme aérodynamique même si la prise au vent, sauf exceptions météorologiques rarissimes, sera très faible car la pression atmosphérique est extrêmement basse (moyenne 610 pascals). Même si son enveloppe structurée aurait une masse non négligeable, cette protection serait quand même allégée par l’hydrogène dont la masse volumique est moindre que le CO2 de l’atmosphère environnante (car on ne forcera jamais la pression de l’hydrogène de telle sorte qu’elle pèse aussi lourd que le CO2 extérieur, les risques de fuite hors de l’enveloppe étant trop élevés). Un tel dôme ne remontera donc pas le centre de gravité du véhicule.

Pour les déplacements dans les environs de la Base on utilisera des rovers non préssurisés car il serait difficile d’enlever et de remettre son scaphandre à chaque fois qu’on doit s’arrêter et descendre mais une tente embarquée, déployable et gonflable avec de l’air respirable et un nécessaire médical, pourrait servir d’abri en cas d’accident pour attendre les secours. Ces rovers ne seront pas chauffés puisque les utilisateurs garderont leur système de chauffage personnel intégré à leur scaphandre mais ils auront des portes avec des vitres (ordinaires) pour éviter trop de poussière à l’intérieur. Ils seront dotés d’un système de communication pour alerter la base en cas de besoin.

Par contre, les voyages lointains imposeront des rovers pressurisés, de véritables mini-bases ambulantes avec toutes les nécessités permettant une vie confortable et saine (voir illustration de titre). Ils pourraient eux aussi être protégés des radiations par un ballon sur leur toit qui comprendrait de l’hydrogène et/ou une réserve de glace d’eau qui pourrait être utilisée par l’équipage en cas de besoin et en tout cas pour le refroidissement du moteur. Ils seraient en outre équipés d’un système de télécommunication par satellite relai.

Je vous parlerai la semaine prochaine de la mobilité aérienne.

Illustration de titre : Sunrise on Polar Cap, par Philippe Bouchet, alias Manchu, Crédit Manchu et Association Planète Mars (APM). Dessin réalisé sur les conseils de l’APM, branche française de la Mars Society. Le rover est énorme, c’est un habitat. La différence avec ce que je décris dans mon texte c’est qu’il n’est pas équipé d’une protection d’hydrogène.

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Index L’appel de Mars 21 12 31

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

14 réponses à “La mobilité sur Mars (1)

  1. Les rovers pressurisés devront évidemment être pourvus de scaphandres individuels, pour permettre des sorties et aussi par sécurité en cas de problèmes. Pour éviter d’encombrer l’intérieur des véhicules, permettre d’enfiler ces équipements sans trop perdre de temps et sans imposer de difficiles contorsions aux astronautes (!), et limiter l’amenée de poussière à l’intérieur du rover au retour d’une sortie, je pense que ceux -ci devraient être connectés de manière étanche à la surface extérieur de celui-ci, par leur face arrière (alors ouverte) de manière à ce que les astronautes puissent y pénétrer directement depuis l’habitacle, sans devoir passer par un véritable sas (il faudra évidemment prévoir un couvercle pour fermer de manière étanche l’emplacement occupé précédemment par le scaphandre lorsque celui-ci aura été détaché du rover). Sinon (scaphandres stockés à l’intérieur + sas), ça risque d’être compliqué et de prendre beaucoup de place!

    1. Dans quel délai est il possible d’installer centrale Nucléaire (combien de voyages) et quelle technologie?

      PS:
      M.Pierre-André Haldi, je vous serai obligé de réagir à mon message LinkedIn, car je souhaite vous poser des questions sur le Nucléaire, en dehors de ce contexte spatial. Merci.

      1. La réponse est dans le texte. Les Kaleidos devraient être commercialisés en 2028.
        Compte tenu de la masse des réacteurs et surtout des protections, il est difficile d’envisager un déchargement sans présence humaine de réacteurs de puissance moyenne. Par ailleurs ils occuperaient beaucoup de place dans le vaisseau.
        On pourrait, dans un vol robotique préliminaire, plus facilement décharger et mettre en service plusieurs réacteurs de type Kilopower.

      2. @Serge R.: Tout dépend ce que l’on entend par “centrale nucléaire”. S’il s’agit de petit réacteur pour alimenter une station typiquement de quelques dizaines de personnes sur Mars, Monsieur Brisson a déjà donné ici des exemples de systèmes actuellement en développement qui pourraient très rapidement être transportés et installés sur Mars. Maintenant, si on parle vraiment de centrales de puissance comme celles que l’on a sur Terre (de la “classe” 1000 MW électriques), il faudrait sans doute en grande partie les construire sur place, ce qui suppose une implantation humaine importante et hautement “industrialisée”, ce qui nous reporte assez loin dans le futur.
        P.S.: Je n’utilise plus Linkedin depuis pas mal de temps déjà (cela fait plus de 10 ans que je suis à la retraite) et n’ai plus de mot de passe. J’ai essayé de répondre directement à votre message le 8.01 à 15h06, mais sans doute que cela n’a pas marché ainsi (?) car ce n’est pas votre propre adresse. Vous pouvez demander la mienne à M. Brisson; c’est OK pour moi.

    2. Tout fait d’accord. D’ailleurs cette solution à déjà été étudiée par l’association Planète Mars. Il faudrait envisager un sas à l’intérieur duquel on penetrerait dans l’un des scaphandres. Le double sas serait une sécurité au cas où l’un des scaphandres serait détérioré.

      1. Je vois mal un véritable sas installé dans un rover, il prendrait une place énorme. Avec la solution que j’ai évoquée plus haut, un sas au sens propre du terme devient inutile (c’est le scaphandre + le couvercle qui font office de sas; ou est-ce à cela que vous faite allusion en parlant de “double sas”?).

        1. Non, je pensais à une sécurité compte tenu du fait que sans sas on se trouverait à proximité d’une ouverture qui peut se coincer (cf le caillou de Perseverance) ou même découvrir en rentrant dans le scaphandre qu’il a une faiblesse qui n’apparaissait pas tant qu’on ne le touchait pas (et entrer dans le scaphandre se fera de toute façon avec quelques efforts). Mais ce sera quelque chose sans doute à étudier de plus près.

          1. Il est clair qu’aussi bien à “l’entrée” qu’à la “sortie” des scaphandres leur absolue étanchéité ainsi que celle du “couvercle” de fermeture seront testées avant de mettre l’habitacle en contact avec leur “atmosphère interne”. Quant au problème posé par d’éventuelles poussières (des cailloux seraient bien sûr détectés et éliminés avant de rentrer), il est plutôt moins important avec la solution proposée qu’avec la solution sas. Et puis, il reste qu’un sas permettant de sortir et rentrer avec un scaphandre prendrait une place disproportionnée dans l’habitacle.

          2. Je ne suis pas d’accord (mais ce n’est pas grave!). Le sas dont je parlais pourrait aussi être une sorte de vestiaire, avec WC et douche. Il en faudra pour les longues missions en rover pressurisé. Par ailleurs, le dos du scaphandre pourrait être très sale. Si on l’accole à la paroi du vaisseau et qu’on l’ouvre, de la poussière pourrait rentrer. Un peu ça ira, mais beaucoup (après une douzaine de jours?), ça serait beaucoup moins bien. Enfin l’étanchéité sera plus difficile à contrôler sur les lignes de contact avec le vaisseau de deux ou trois scaphandres qui vont servir parfois dans des conditions difficiles, que l’étanchéité d’une porte entre l’habitat et le vestiaire.

  2. Nous revoilà en pleine science fiction ! Toutes ces considérations na valent rien tant que des missions habitées n’auront pas évalué in situ les options les plus réalistes . Dans un premier temps , les astronautes ne pourront se déplacer que dans le périmètre immédiat de leur site d’atterrissage ( comme sur la Lune de quelques km ) . Cela dépendra de la masse des équipements disponibles ( des bulldozers pour préparer des routes ou creuser le sol , …) . Sans équipement lourd, impossible de prévoir des séjours prolongés !!! Il faudra donc anticiper le largage de dizaines ( voire centaines ) de tonnes de fret avant l’arrivée des humains … Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs … Mais on n’a jamais dépassé l’atterrissage de plus d’une tonne sur Mars et cela reste le premier souci !!!
    Inutile de bruler les étapes … l’humanité a des millénaires devant elle si elle sait préserver l’unique planète vivante connue …

    1. Le Starship doit permettre de déposer 100 tonnes sur Mars.
      L’humanité n’a peut-être pas le temps d’attendre des millénaires pour installer ailleurs que sur Terre quelques uns de ses représentants pour que notre civilisation survive. Vous êtes un optimiste, Monsieur Giot et je ne partage pas cet optimisme. Vous avez d’ailleurs une petite hésitation car vous écrivez “si elle sait préserver l’unique planète vivante connue”. C’est ça le problème!

    2. @H. Giot: “l’humanité a des millénaires devant elle”, non, ou en tout cas probablement pas si on pense à sa possibilité de devenir une espèce “multi-planétaire”. Nous avons actuellement ouverte une “fenêtre d’opportunité” qui permet d’envisager l’établissement de “postes avancés” de l’Humanité sur Mars au moins, et peut-être d’autres corps célestes encore. Nous avons les moyens technologiques pour cela, plus que ce n’était le cas au début des années 60 pour aller sur la Lune quand le Président Kennedy a lancé son défi lunaire. Aucun développement de ce genre ne peut se faire si on fixe un horizon de réalisation à quelques milliers d’années; qui s’y intéressera dans de telles conditions?! Et qui sait si la fenêtre dont je parlais plus haut ne va pas à terme se refermer? Nous pourrions avoir rater une occasion à jamais. Or, c’est dans nos gênes de chercher en toutes occasions d’aller jusqu’aux limites de nos possibilités. On en serait encore à sauter de branches en branches si tel n’avait pas été le cas jusqu’ici :-); serions nous moins devenus entreprenants et audacieux que nos ancêtres?!

    1. Bien sûr qu’il y avait un océan sur Mars. Cela fait un moment que l’on a suffisamment d’indices pour en être convaincu. La seule nouveauté, c’est l’hypothèse de la circulation de l’eau (courants allant des zones chaudes vers les zones froides et, en profondeur, du froid vers le chaud), ce qui semble tout à fait logique, même si l’essentiel de la surface de l’océan pouvait être gelée ce qui expliquerait la faible capture de carbone par l’eau.

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