Le sismomètre SEIS de la sonde InSIGHT est opérationnel sur le sol de Mars depuis février 2019. Suffisamment de données ont été recueillies et analysées aujourd’hui* pour préciser nos connaissances de la planète tant en ce qui concerne son activité interne que sa structure. Ce que nous constatons n’est pas tout à fait ce que nous attendions. Nous en saurons bien entendu davantage après la fin de la mission étendue du 6 Novembre 2020 à la fin de 2022. C’est déjà un plaisir de lire ces premières publications.
*articles dans la revue américaine Science du 23 juillet (voir liens ci-dessous).
D’abord il faut dire qu’il est difficile d’étudier l’intérieur d’une planète avec un seul capteur. Sur Terre on dispose de sismomètres en de nombreux points de la surface ce qui permet de faire des triangulations rapides, précises et couvrant l’ensemble du volume du globe. Sur Mars, à partir de l’unique sismomètre SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure) de la sonde InSight (INterior exploration using Seismic Investigation, Geodesy and Heat Transport) de la NASA, il faut « ruser ». Les concepteurs ont voulu pallier cette difficulté sans toutefois pouvoir la surmonter totalement, en utilisant les ondes de surface de type Rayleigh (déformations verticales) ou Love (déformations longitudinales), en même temps que les ondes volumétriques (en profondeur) de type « P » (compression/extension) ou « S » (cisaillement). La coordination des différents renseignements obtenus permet énormément de déductions passionnantes.
Ensuite il faut admirer l’appareil qui a été déposé sur Mars. Il est d’une sensibilité extrême, de 0,1 à 1000 mouvements par seconde, on dit « VBB » (Very Broad Band), grâce à deux appareils complémentaires un pour les basses fréquences (< 1 Hz) et l’autre pour les hautes fréquences (> 1 Hz). La sensibilité a justifié qu’on protège les appareils avec une précaution extraordinaire pour limiter au maximum le « bruit » de l’environnement, y compris les effets du vent sur le site où s’est posé InSIGHT, sans y parvenir tout à fait autant qu’on l’aurait voulu.
L’intérêt accessoire mais non négligeable de la veille sismologique c’est qu’elle peut nous informer sur la fréquence et la masse des impacts météoritiques. C’est important pour les projets d’implantation de base habitée sur Mars. Compte tenu de la faible atmosphère de Mars, ces impacts ne constituent théoriquement pas un risque aussi faible que sur Terre car un petit astéroïde qui sera brûlé dans l’atmosphère de la Terre, descendra jusqu’au sol de Mars et les astéroïdes sont d’autant plus nombreux que la masse considérée est faible. Il y en a donc beaucoup plus qui parviennent jusqu’au sol de Mars que sur Terre.
Ce qu’on a appris
Sur les signaux d’abord. Il y a beaucoup de mouvements (plus de 1000 enregistrés sur deux ans), mais ils sont très faibles, tous moins de 4 sur l’échelle de Richter (d’où les possibles interférences de bruit) ; sur Terre on a assez souvent des séismes de 6 ou 7. Ils sont aussi surtout de haute fréquence (> 1 Hz) comme ceux d’un corps rigide. On pouvait le prévoir sur Mars mais pas à ce point car on ne se doutait pas d’autres particularités de la structure interne (voir plus loin) qui accentuent la faiblesse de l’élasticité. Ensuite ces séismes proviennent presque tous de craquements de l’écorce de la planète ; seuls une dizaine sont originaires du manteau avec des caractéristiques comparables à nos événements tectoniques, ce qui semble indiquer une faiblesse de la vie interne que l’on pouvait aussi prévoir. Ensuite la multiplicité des failles parcourant l’écorce crée des phénomènes de résonnances complexes qui brouillent les messages. Enfin le fait que nous ne disposions que d’un seul capteur, empêche de bien percevoir les ondes « S » occultées naturellement par le noyau qui, de plus, est plus volumineux que prévu.
Sur la structure de la planète ensuite. L’écorce n’est pas aussi épaisse qu’on le pensait (entre 20 et 39 km, en deux ou trois couches) mais elle est beaucoup (13 à 21 fois) plus riche en éléments radioactifs (thorium 232, potassium 40, Uranium 238) donc calorifères, que le manteau sous-jacent. Cela est déduit de l’épaisseur mais peut être aussi porteur d’informations sur la période du bombardement météoritique ayant suivi l’accrétion. Entre la croûte et le manteau, une très importante lithosphère, rigide du fait de l’absence de plaques tectoniques, s’étend sur quelques 400 km d’épaisseur, contribuant à bloquer les mouvements de la croûte au-dessus et à écraser l’asthénosphère en-dessous (région ductile sous la lithosphère, permettant son déplacement sur le manteau). Sous la lithosphère, le manteau est relativement peu épais et ses mouvements de convection, sont lents. L’épaisseur de la lithosphère, sa rigidité et la faiblesse des mouvements convectifs du manteau expliquent que le volcanisme a beaucoup de mal à s’exprimer et que lorsqu’il le fait, les laves soient très liquides. Par ailleurs l’absence de tectonique des plaques favorise la réutilisation des mêmes cheminements et donc la formation d’énormes volcans que d’ailleurs nous constatons. Le manteau enveloppe un noyau très gros et peu dense, sans doute parce que le fer et les sidérophiles qui le constituent, manquent de pureté, intégrant dans leur partie la plus haute une proportion notable de souffre. On l’atteint après seulement 1560 km de profondeur (noyau de 1869 km de diamètre), ce qui est dans les prévisions hautes faites avant, d’après la précession de la rotation de la planète sur son orbite. On l’estimait à une distance d’au moins 1700 km. Le rayon de la planète est de 3389 km; sur ce rayon, les 1869 km de rayon du noyau sont donc dans un rapport de 55%. Pour la Terre, ses 3485 km de rayon de noyau le sont dans un rapport de 45%. La faible densité du noyau et la faible épaisseur du manteau résultent en ce que la compression des roches n’a pu permettre la constitution d’une couche de bridgmanite comme sur Terre. La bridgmanite est une pérovskite silicatée qui « chez nous » est le principal minéral du manteau inférieur et constitue 38% de nos roches. La pression nécessaire pour l’obtenir s’élève à 20 gigapascals, niveau qui à l’évidence n’a pu être atteint à l’intérieur de Mars (dont la masse, rappelons le, ne fait que le 1/10ème de la masse de la Terre). La bridgmanite aurait permis une limite plus nette avec le noyau et facilité les mouvements de convection, donc le volcanisme ; son absence est donc un facteur négatif pour la vie de la planète. Comme évoqué ci-dessus, l’importance du volume du noyau constitue un écran plus important que prévu aux ondes sismiques S. De ce fait SEIS, malheureusement, obtient des informations moins précises sur les phénomènes qui se produisent dans la région du socle de Tharsis (là où le volcanisme a été le plus actif) qui est située dans la zone d’ombre du noyau.
Il apparaît que la magnétisation au niveau de la croûte de la planète a été quelques 10 fois supérieure à ce qu’on avait cru déduire des observations depuis les orbiteurs. Il est donc vraisemblable qu’au début de son existence, pendant son refroidissement et jusqu’à une évolution selon une pente beaucoup plus douce, le noyau ait créé par ses mouvements convectifs internes, un fort effet dynamo. Ce champ devait être aussi puissant que celui de la Terre aujourd’hui, et devait générer un champ magnétique global permettant d’entretenir autour de la planète l’équivalent de nos Ceintures de Van Allen. Cette configuration a bien entendu facilité le maintien d’une atmosphère relativement épaisse et donc de l’eau liquide. Mais très tôt, sans doute vers -4 milliards d’années, compte tenu de la faiblesse de la masse de la planète, de la densité du noyau et de son refroidissement rapide, l’effet dynamo s’est arrêté. A noter que l’on ne sait toujours pas si à l’intérieur du noyau externe, toujours liquide, il y a un noyau interne solide (« graine »).
Tout cela n’est pas vraiment surprenant. Mars n’est pas notre belle planète bleue et ne le sera jamais. Mais l’on voit sur Terre que la vie s’insinue comme l’eau liquide, partout où cela est possible. Mars reste ainsi, malgré ses limites, un support sur lequel grâce à nos technologies, la vie humaine doit être possible un jour, en dépit de ce que pensent et disent les sceptiques et les timorés qui reculent devant le défi. La vie, apportée par les hommes, se répandra à la surface de Mars même si la densité d’occupation restera probablement toujours faible. Ce sera notre premier pas vers les étoiles.
illustration de titre: l’intérieur de Mars, crédit SEIS (InSIGHT).
Notes:
Le sismomètre SEIS (30 kg de masse au total) a été conçu et réalisé par le CNES (Centre National de la Recherche Scientifique, l’agence spatiale française) avec des éléments d’Allemagne, de Suisse, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. C’est le CNES qui a assuré la maîtrise d’œuvre de l’expérience et Philippe Laudet, de cette institution, qui en est le chef de projet. Le responsable scientifique (PI pour Principal Investigator) en est Philippe Lognonné (Université Paris-Diderot et Institut de Physique du Globe de Paris, « IPGP »).
la participation suisse est importante : (1) c’est l’Aerospace Electronics and Instruments Laboratory (AEIL) de l’institut de Géophysique de l’EPFZ qui a développé l’électronique d’acquisition des données et de commande du sismomètre ; (2) ce sont les spécialistes du Service sismologique suisse (SED) de cette même EPFZ qui analysent les données pour élaborer un catalogue de sismicité martienne.
Liens :
SEIS : https://www.seis-insight.eu/fr/public/sismologie-planetaire/les-ondes-sismiques
Références:
Sciences Magazine du 23 juillet 2021. Vol 373, n° 6553. sciencemag.org. 4 articles dont 3 de recherche et 1 de présentation générale:
Upper Mantle structure of Mars Insight seismic data, par Amir Khan et al.
Thickness and structure of the Martian crust from InSIGHT seismic data, par Brigitte Knapmeyer-Endrun et al.
Seismic detection of the Martian core, par Simon C. Stälher et al.
The interior of Mars revealed (in “perspectives”), par Sanne Cottaar et Paula Koelemeijer.
PS: excellent article de Philippe Lognonné (concepteur du sismographe SEIS), publié par le CNRS le 25/07/2021…et découvert le 12/08/2021! Regardez en particulier les illustrations qui vous feront bien comprendre la structure de la planète telle qu’on la connait aujourd’hui, ainsi que les limitations résultant de l’étude par un seul capteur, ce sismographe SEIS (qui est, malgrè ces limitations, un instrument d’une intelligence et d’une sensibilité extraordinaires):
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Merci pour ce très intéressant aperçu des “dessous” de la planète Mars. Ainsi que je l’écrivais ici récemment à propos d’éventuelles cavernes, cet astre n’a pas fini de nous surprendre. On croyait avoir une bonne connaissance de ses caractéristiques, mais celles-ci sont régulièrement remises en question. A commencer, je m’en souviens très bien, par l’énorme (et assez décevante) surprise des photos de Mariner 4 en 1964 qui nous a dévoilé une planète beaucoup plus proche, visuellement en tout cas, de la Lune que d’une planète comme la nôtre pouvant, ou ayant pu, abriter la vie comme on l’imaginait jusqu’alors.
Fascinante chronique, y compris la contribution suisse à l’étude de la sismicité martienne.
Pour ceux de vos lecteurs qui ne l’auraient pas vu, voici aussi un très intéressant article sur le sujet par Vahé Ter Minassian dans Le Temps du 22 juillet :
https://www.letemps.ch/sciences/insight-devoile-structure-interne-mars-eclaire-origines
Quelle est l’origine de ces impulsions magnétiques périodiques enregistrées durant la nuit martienne ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/InSight#Magnétisme