S’intéresser à Jupiter c’est non seulement s’intéresser à la reine des planètes de notre système, c’est aussi s’intéresser à la structure des autres systèmes, tant les géantes gazeuses sont importantes pour et dans la vie des autres planètes quel que soit le système considéré.
Nous connaissons de mieux en mieux « notre » Jupiter, depuis les sondes qui ont été envoyées dans son environnement et surtout celles des missions Galileo (1995 à 2003) et Juno de la NASA qui l’explore depuis juin 2016 (27èmeorbite en cours sur 31 prévues, chacune passant, à son périastre, à 5000 km seulement de la « surface » ) et doit continuer jusqu’en juillet 2021. Même si on l’avait observée auparavant, ce qui était relativement facile vue sa taille (premier objet pointé par Galilée avec sa lunette en 1610), on a appris énormément sur elle ces dernières années…et évidemment elle n’est pas tout à fait celle que l’on croyait.
Pour nous situer, parlons de distance, de matière et de masse. Jupiter évolue entre 740 et 817 millions de km du Soleil et donc entre 590 et 967 millions de la Terre, soit au maximum à 44 minutes-lumière. Elle est « à côté de nous » en termes cosmiques mais l’orbiteur Juno a mis quand même 5 ans pour parvenir sur place, emporté par une fusée très puissante (Atlas V-551). C’est une planète gazeuse. Qu’elle soit gazeuse on s’en est aperçu très vite car non seulement on ne voit d’elle que son atmosphère avec très visiblement des nuages qui évoluent, mais surtout son rapport masse / volume est tel que les éléments très légers ne peuvent être que dominants (diamètre 143.000 km, densité 1,326 g/cm3 à comparer aux 5,51 g/cm3 de celle de la Terre). Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est largement composée d’hydrogène et d’hélium comme le reste de l’Univers mais avec nettement plus d’éléments lourds (au-dessus de l’hélium) que le Soleil. Il faut bien distinguer l’atmosphère que l’on peut observer visuellement et l’intérieur de la planète. Plus on s’enfonce dans la planète, plus le pourcentage des éléments autres que l’hydrogène s’élève. La haute atmosphère est composée à 90% / 10% d’hydrogène et d’hélium. Dans le spectre de surface on observe un peu (jusqu’à 1%) d’éléments autres et en profondeur on doit avoir une répartition 71 ; 24 ; 5. Les « autres » éléments sont très variés : eau, méthane, hydrogène sulfuré, néon, oxygène, phosphine, carbone, éthane, soufre, cristaux d’ammoniac, composés silicatés, en fait les éléments lourds ou leur dérivés qui étaient présents dans la nébuleuse primitive car Jupiter n’a pas la masse nécessaire pour faire démarrer puis entretenir un processus de fusion nucléaire et en créer de nouveaux (ce qui n’exclut cependant pas les réactions physico-chimiques permises par le milieu). Elle a une masse de 318 fois la Terre (Saturne de 95 fois et le Soleil de 333.000 fois !). Une naine brune, la moins massive et la plus faible des étoiles, doit atteindre un minimum légèrement supérieur à 4.000 masses terrestres (et se situer entre 13 et 75 masses joviennes) pour pouvoir « s’allumer » (très faiblement !) c’est-à-dire pour que le premier stade de la nucléosynthèse, fusion d’hydrogène en deutérium, puisse débuter en son sein du fait de la pression (et donc de la température) générée par la force de gravité. On voit donc bien que Jupiter n’est pas une étoile. Cependant Jupiter n’est pas non plus une planète comme les autres.
La masse et la pression qu’elle génère du fait de la force gravitationnelle, font passer sa matière par des états très différents sur une pente de température extrêmement longue. On part de l’hydrogène gazeux, en « surface », choisie arbitrairement comme l’altitude où la pression est de 1 bar (mais l’attraction gravitationnelle 2,5 fois celle de la Terre au niveau de la mer), pour aller à l’hydrogène moléculaire-liquide vers 1.000 km de profondeur, pour aboutir à l’hydrogène métallique-liquide (aspect du mercure sur la Terre) vers 15.000 km de profondeur. La température s’échauffe beaucoup, de 200 K à 900 K, dans la thermosphère, entre 320 km et 1000 km d’altitude (radiations) mais elle est relativement froide dans la stratosphère et en surface, 103 K (-160°C), jusqu’à la tropopause à -50 km. Ensuite elle remonte très vite (400 K à la profondeur de -132 km atteints par la sonde Galileo en 2003). Au passage en phase métallique, elle atteint 10.000 K. Au centre de la planète la pression doit être de 70 Mbar et la température de plus de 35.000 K.
Jupiter émet plus de radiations qu’elle n’en reçoit du Soleil. Cela est dû à son refroidissement constant, résultant de sa situation dans un environnement plus froid qu’elle. La perte de chaleur entraine une baisse de pression donc une contraction donc à la fois un rayonnement vers l’extérieur et un réchauffement du cœur (réaction de Kelvin-Helmholtz). Mais ce qui est le plus remarquable c’est la magnétosphère. Comme la Terre, la planète génère un champ magnétique par effet dynamo. Le résultat est très spectaculaire avec une magnétosphère gigantesque due à un champ magnétique extrêmement puissant, deux fois plus que prévu (voir illustration de titre). Dans la direction du Soleil, l’onde de choc est située à une centaine de diamètre de la planète, à l’opposé la « magnétoqueue » va jusqu’au-delà de l’orbite de Saturne. La cause du champ magnétique est très certainement due à l’hydrogène métallique ou plutôt au frottement de la surface de ce volume avec l’énorme enveloppe supérieure d’hydrogène liquide, frottement favorisé par la vitesse de rotation très élevée (09h55 en surface, soit une vitesse considérable de 42.000 km/h à l’équateur, contre 1.600 km/h pour la Terre). La magnétosphère qui en résulte a une incidence sur les satellites qui baignent dans ce champ qui est parcouru de radiations intenses ; l’apoastre d’Europa ne se trouve qu’à 677.000 km de Jupiter (rayon 74.000 km). C’est incontestablement une difficulté pour les explorer !
Jupiter est typique des planètes qui se sont formées au-delà de la ligne de glace de leur étoile. C’est-à-dire qu’étant au-delà d’une certaine distance, l’irradiance du jeune Soleil n’a pu chasser les éléments les plus légers qui se trouvaient dans sa zone d’accrétion et que Jupiter, comme les autres géantes gazeuses situées encore plus loin qu’elle du Soleil, a concentré par force de gravité la matière qui se trouvait après cette ligne de glace et qui orbitait à une certaine vitesse facilitant les tourbillons (fonction aussi de la distance à l’étoile selon la troisième loi de Kepler). Etant donné que les éléments volatils se trouvant dans la proximité du Soleil et rejetés par le vent solaire avaient dû s’accumuler davantage dans la zone circulaire la moins éloignée de cette ligne, comme une sorte de bourrelet ou de tore, c’est là que devait se trouver la zone la plus dense de la nébuleuse planétaire perturbée par le jeune Soleil et donc là ou devait se former la plus grosse planète. Et c’est bien là que s’est formée Jupiter.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le même phénomène s’est produit dans les autres systèmes planétaires. Mais la similitude s’arrête là car ensuite interviennent les particularités propres à chaque système. Dans la généralité des cas, les « jupiters » (planètes semblables formées dans les mêmes conditions) sont descendues en spiralant vers leur étoile tant qu’elles ont trouvé de la matière a accréter (chaque absorption freinant la planète et déplaçant son centre de gravité dans la direction de sa trajectoire) pour devenir des « jupiters-chauds », énormes boules de gaz (nonobstant ce qui peut constituer leur noyau) orbitant plus ou moins à la distance de Mercure de leur étoile après avoir absorbé toute matière sur leur passage, y compris les solides qui dans notre système constituent les planètes telluriques. Dans une région beaucoup plus chaude que notre Jupiter, ces planètes sont pour la même masse beaucoup moins denses donc beaucoup plus volumineuses. Chez nous, le processus a commencé comme ailleurs. Et c’est ainsi que Jupiter a absorbé une bonne partie de la matière se trouvant en dessous d’elle dans ce qui allait devenir la Ceinture d’Astéroïdes, et dispersé le reste, créant un joyeux mélange entre les astéroïdes riches en glace d’eau et les astéroïdes secs (selon qu’ils se trouvaient au-delà ou en-deçà de la ligne de glace). Elle a même continué à descendre et à absorber de la matière dans la zone qui serait ultérieurement agrégée pour constituer la planète Mars (qui ne fait que 1/10ème de la masse terrestre alors qu’elle aurait dû être beaucoup plus grosse). Mais la particularité de notre système, exposée brillamment par Alessandro Morbidelli de l’Observatoire de Nice-Côte-d’Azur en 2005, c’est que Jupiter n’a pas continué longtemps sa course dévastatrice car elle a été « rattrapée par les cheveux » par sa compagne Saturne qui la suivait dans son sillage, répondant à la même logique gravitationnelle. C’est en effet alors que Jupiter grignotait la matière orbitant le Soleil dans la zone de la future Mars, que Saturne entra dans une certaine configuration orbitale avec elle, une « résonnance » particulière de 2 : 3 (2 parcours d’orbite de Saturne pour 2 de Jupiter), qui permit au couple de former un ensemble gravitationnel évoluant ensemble dans le système et pratiquement de les faire revenir « en arrière » (le « Grand-Tack » ou le « Grand-rebroussement » comme l’appelle Alessandro Morbidelli). Le phénomène se déroule ensuite en repoussant Uranus et Neptune vers l’extérieur du système donc à l’intérieur de la région des corps glacés de la Ceinture de Kuiper, ce qui déclenche une averse d’astéroïdes sur les planètes internes, le Grand-bombardement-tardif vers -4 milliards d’années qui nous apporte une partie de notre eau. Jupiter est ainsi retournée vers l’extérieur du système, plus loin que son site de formation et enrichie de beaucoup de matière collectée pendant le voyage. Une autre conséquence de cette jeunesse tumultueuse, remarquée à l’occasion des observations de Juno (en longeant le flanc de Jupiter, la sonde peut en percevoir les différences de gravité), c’est que son noyau que l’on pensait compact (et de l’ordre de 12 à 45 fois la masse terrestre) est en fait diffus dans la région centrale (une région beaucoup plus étendue que ce que l’on pensait être le noyau, estimée s’étendre presque jusqu’à la moitié du rayon de la planète). On ne comprend pas très bien pourquoi mais on pense que c’est le résultat de l’impact tardif d’un gros planétoïde – de l’ordre de 10 fois la masse terrestre – qui n’aurait pas été résorbé du fait de la trop forte densité de la zone centrale (figeant la destruction du noyau dans cet état « épars »).
Quoi qu’il en soit, Jupiter non seulement avait épargné la Terre, Vénus, Mercure et, un peu, Mars, mais revenue à sa place, elle joua un rôle protecteur important pour tout ce qui se trouvait en-dessous d’elle vers le Soleil. En effet les astéroïdes décrochant, pour une raison ou une autre, de la Ceinture de Kuiper ou même des nuages de Oort, avaient plus d’opportunité d’être capturés gravitationnellement par Jupiter, après avoir passé les filets de Neptune, Uranus et Saturne (les planètes massives sont des puits de gravité d’autant plus attractifs que les corps qui l’approchent sont petits). Ainsi après l’épisode dramatique du LHB, l’évolution des planètes telluriques fut moins perturbée qu’elle aurait pu l’être, ce qui créa de meilleures conditions pour l’épanouissement de la vie sur Terre.
Illustration de titre : magnétosphère jovienne, vue d’artiste : crédit NASA/JPL
Liens :
https://www.nasa.gov/feature/jpl/nasas-juno-spacecraft-updates-quarter-century-jupiter-mystery
https://en.wikipedia.org/wiki/Jupiter
https://www.missionjuno.swri.edu/science-findings/
https://www.missionjuno.swri.edu/origin?show=hs_origin_story_whats-in-jupiter-core
Nature, volume 572, pages 355–357(2019) The formation of Jupiter’s diluted core by a giant impact Published: 14 August 2019 par Shang-Fei Liu, et al.
https://www.zmescience.com/other/feature-post/what-is-jupiter-made-of-0534543/
https://eos.org/articles/massive-collision-cracked-young-jupiters-core
Illustration ci-dessous, Les températures sur Jupiter, https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Structure_of_Jovian_atmosphere.png
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
Concernant la résonnance entre Jupiter et Saturne, quelque chose ne me paraît pas correct. On sait que la résonnance actuelle est de 5 à 2, c-à-d. que 5 périodes orbitales de Jupiter (59,31 ans) font quasiment 2 périodes orbitales de Saturne (58,9142 ans), cela à 144 jours, ou 5 mois près ( N.B. : ces périodes orbitales n’ont rien à voir avec les périodes synodiques (398,88 jours et 378,9 jours) qui ramènent les deux planètes en conjonction, vues de la Terre, tous les 20 ans environ, comme on l’a vue le 20 décembre passé ). Si la situation de leurs orbites a pu être autre il y a des milliards d’années, avec une résonnance de 3 à 2, ce n’est en tout cas pas de 2 à 3, comme vous l’écrivez, car Saturne a toujors été plus loin du Soleil que Jupiter et donc a toujours eu une période plus longue que celle de Jupiter. Encore actuellement les deux planètes s’influencent et se causent mutuellement des accélérations et des déclérations périodiques en 900 ans environ, une situation qu’a déjà bien mise en évidence Pierre-Simon de Laplace qui a étudié, et mis en cause, la stabilité du Systèe solaire en son entier, ce qui est une autre question… pour un autre article !
Cher Monsieur,
Vous avez tout à fait raison sur la résonance. Je me suis trompé et vous prie de m’en excuser. Il est évident que Saturne tourne plus lentement autour du Soleil que Jupiter. Si vous permettez, j’aimerais corriger dans le texte l’erreur pour les lecteurs qui vont suivre puisque nous n’en sommes qu’au début de la publication.
Merci pour cet article intéressant mais qui m’amène à vous poser une question :
Votre article considère notre Jupiter comme une planète autour d’une étoile et, c’est effectivement ce qu’elle est. Mais elle n’est pas que cela. Comme les trois autres géantes gazeuses Jupiter est un système solaire en miniature et, vue sous cet angle, elle est une étoile. Trop petite pour s’être allumée mais néanmoins une étoile. Ce qui n’est pas en contradiction avec votre article, l’univers comporte de nombreuses étoiles multiples dont plusieurs ne sont parfois pas assez massives pour s’être allumées.
Dans ce cas, qu’est ce qui nous interdit de penser qu’il y ait dans l’univers de nombreux petits systèmes solaires qui nous sont invisibles à cause de la trop petite taille de leur(s) étoile(s). Un système jovien à quelques années lumière de la Terre nous serait totalement indétectable avec les moyens actuels si son étoile ne s’est pas allumée parce qu’elle serait une naine brune plus noire que brune, comme nos géantes gazeuses.
Ça pourrait ainsi expliquer pourquoi nos planètes telluriques se trouvent à l’intérieur des géantes gazeuses. Au lieu d’avoir pour origine l’accrétion de la matière circumsolaire, les géantes gazeuses se seraient fait capturer par notre Soleil après la formation des planètes tellurique et resteraient là où elles sont grâce à la stabilité de leurs orbites dont vous rappelez la résonance.
Merci Monsieur Louis de votre commentaire.
Désolé de vous contredire mais une planète comme Jupiter n’est pas une étoile. Pour qu’il y ait étoile, il faut qu’il y ait amorce d’un processus de fusion nucléaire au sein de l’astre (donc de l’hydrogène au deutérium puisqu’on envisage le minimum).
Une planète trop peu massive pour avoir pu entrer dans ce processus, serait tout simplement une « planète noire » et non une « naine noire », expression réservée aux étoiles mortes après avoir épuisé toute leur énergie.
Mais ces planètes existent. On le sait car on a pu en observer quelques-unes dans notre environnement proche. On leur a donné toutes sortes de nom, notamment « objet libre de masse planétaire » ou « planète orpheline ».
De telles planètes pourraient résulter de la contraction d’une partie de nuage moléculaire (plutôt que d’un nuage parce qu’il faut sans doute une densité minimum pour qu’il y ait contraction) qui aurait échappé à la force de gravité centrale du nuage, ou bien de l’éjection d’une planète formée dans un système. On peut évoquer le cas (hypothétique) de la planète qui se serait trouvée après Saturne dans le système solaire lorsque Saturne et Jupiter sont reparties vers l’extérieur du système (dans le cadre du « grand tack »). A une certaine époque, Saturne aurait éjecté cette planète « au loin », peut-être à l’extérieur du système, et aurait expulsé Neptune qui se trouvait après elle, jusqu’au-delà d’Uranus (ce qui expliquerait aussi la rotation particulière d’Uranus).
Evidement ces planètes orphelines sont très difficiles à observer puisqu’elles sont froides et qu’elles ont une force d’attraction très faible du fait de leur masse.
Vous mentionnez le mécanisme de Kelvin-Helmholtz qui est la cause du rayonnement propre de Jupiter, trop peu massif pour permettre de mettre en route des réactions nucléaires. Ce mécanisme a été imaginé à la fin du XIXe s. pour, en premier lieu, essayer d’expliquer le rayonnement du Soleil, car la source nucléaire de ce dernier n’était évidemment pas encore connue. L’énergie gravitationnelle totale d’un système massique est donnée par une formule très simple : (3/10) G M² / R qui donne 1,15 10^41 J pour le Soleil. À partir de la « constante solaire », mesurée hors atmosphère terrestre, de 1’361 W/m² (de fait une valeur oscillante qui varie de ±45 W/m², soit tout de même de ±3,3%, selon que la Terre est au périhélie ou à l’aphélie de son orbite autour du Soleil), on peut calculer la puissance lumineuse émise par le Soleil à une unité astronomique, soit ~150 millions de km, de la Terre, c-à-d. la « luminosité solaire » standard de 3,828 10^26 W, soit autant de joules par seconde émis en photons (de fait 97,75% de 3,916 10^26 W comme puissance totale émise par le Soleil, car il y a aussi l’énergie emportée par les neutrinos solaires, 2,25%, soit encore 0,088 10^26 W, souvent oubliée). En divisant l’énergie gravitationnelle totale (1,15 10^41 J) par la puissance totale (3,916 10^26 W), on obtient une durée, soit ~3 10^14 secondes, soit aussi 9,3 millions d’années, une durée de rayonnement évidemment bien trop courte. On calcule aussi que le Soleil devrait se contracter ainsi de 73 mètres par an pour perdre cette énergie par rayonnement. Or on sait que le Soleil a déjà une durée de vie près de 500 fois plus longue (4,6 milliards d’années) et durera encore une fois autant. Cette source d’énergie envisagée est manifestement minuscule à côté de la fusion nucléaire effectivement à l’œuvre qui est 1000 fois plus forte. Durant sa vie de 10 milliards d’années, le Soleil aura en effet rayonné 10^44 J. Pour ce faire, chaque seconde il transforme (annihile) 4 millions de tonnes de matière en énergie, selon l’équation E = m c². Comme sa masse totale est de 2 10^27 tonnes, durant toute sa vie il n’en aura « consommé » qu’un petit millième, soit 1,4 10^24 tonnes.
Mais ce mécanisme de Kelvin-Helmholtz peut s’appliquer aux grosses planètes gazeuses. Dans le cas de Jupiter, la sonde Cassini, en voyage vers Saturne, est passée dans ses parages le 30 décembre 2000 et a pu mesurer précisément son albédo (pouvoir réfléchissant) et son rayonnement thermique propre. Il en est résulté deux connaissances nouvelles : son albédo est plus élevé que précédemment admis, 0,503 (au lieu de 0,343), et son rayonnement propre est de 7,485 W/m² (au lieu de 5,444 W/m²). Grâce à l’équation ci-dessus appliquée à Jupiter, on calcule que son énergie gravitationnelle totale est de 10^36 J, et qu’elle la dissipe avec une puissance de 4,6 10^17 W. Avec une aire de 6,1 10^16 m² pour la surface de référence de la planète, on retrouve bien ces 7,5 W/m². Mais le fait remarquable qui découle de ce mécanisme est qu’il provoque un rétrécissement minuscule de seulement 1 mm par an du rayon de la planète, et non pas de 2 à 3 cm, comme on le lit ici ou là. Un tel rétrécissement exagéré aurait été la cause d’un flux d’énergie 20 à 30 fois supérieur (150 à 225 W/m²), contrairement à l’expérience qui a le dernier mot dans l’affaire.