Vivre sur Mars

Vivre sur Mars dans le sens de s’établir sur Mars est pour l’humanité un autre défi que l’explorer même si l’exploration à distance doit évidemment précéder l’établissement physique (et cela a été le cas avec les missions robotiques).

Concernant les motivations, L’esprit est différent ; il faut changer ses paradigmes. Décider de vivre sur Mars pour un scientifique, c’est, au plus proche de ce qu’on a fait jusqu’à présent, réaliser que la Science est certes affaire de réflexion sur des données recueillies par des machines plus ou moins autonomes mais que, à partir du moment où l’on peut y aller, il faut le faire, rien ne valant l’observation directe sur « le terrain ». Décider de vivre sur Mars pour le « commun des mortels » c’est aussi chercher autre chose que d’accroître ses connaissances. C’est réagir au sentiment profond que « l’homme ne peut rester sa vie entière dans son berceau », comme le disait le pionnier de l’astronautique Konstantin Tsiolkovski, puisqu’on peut le quitter. C’est encore accepter avec Baudelaire* de répondre au besoin d’aventure pour aller voir « ailleurs ». C’est enfin considérer que la Terre n’est pas nécessairement le « foyer » de l’homme mais seulement son lieu d’origine.

Concernant les modalités pratiques, envisager concrètement de vivre sur Mars, c’est réaliser que grâce aux technologies dont nous disposons, l’homme peut y trouver les ressources nécessaires à sa propre vie, y entreprendre la transformation de ces ressources avec de l’énergie, au début importée et de plus en plus obtenue sur place, y entreprendre la production de machines de toutes sortes, la construction de tous les habitats, locaux sociaux, entrepôts, ateliers, usines, nécessaires pour se protéger, lui permettre de se nourrir et de mener toutes les activités qui justifient la vie et la rendent non seulement possible mais aussi gratifiante. C’est éprouver une satisfaction intense à l’idée de maîtriser un nouvel environnement difficile, inaccessible auparavant non seulement pour son éloignement mais pour les difficultés à surmonter et les risques à affronter. C’est aussi vouloir y rester sur la longue durée, y engendrer une descendance en ayant confiance qu’elle ne soit pas exposée à des conditions de vie insupportables mais en espérant au contraire que ces conditions adoucies par la technologie, puissent être porteuses de prospérité et de bonheur au milieu d’une communauté innovante et dynamique qui soutiendra les générations futures et participera à construire et maintenir leur prospérité en même temps que leur épanouissement intellectuel et affectif.

En fait vivre sur Mars c’est éventuellement envisager qu’on puisse se passer de la Terre, non que la Terre puisse être jamais absente de la réflexion et de l’affectif des Martiens mais qu’elle devienne davantage une référence, un confort auquel recourir, éventuellement une nostalgie plutôt qu’une nécessité.

Illustration de titre: arrivée d’un Starship de SpaceX sur Mars…dans quelques années. Crédit SpaceX. Traduction de la citation d’Elon Musk:

On veut se réveiller le matin et penser que l’avenir va être formidable. C’est cela que signifie appartenir à une civilisation de voyageurs spatiaux. C’est croire au futur et penser que le futur sera meilleur que le passé. Je ne vois rien de plus excitant que d’aller là-bas et se trouver parmi les étoiles“.

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Index L’appel de Mars 20 06 24

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

13 réponses à “Vivre sur Mars

  1. Je pense que certains n’arrivent pas à imaginer que des établissements humains permanents puissent être implantés sur Mars, parce que, pour eux, les conditions de vie sur cette planète sont totalement “non naturelles” pour un être humain. Evidemment, c’est en bonne partie vrai, aucun être humain ne peut survivre sur la planète rouge sans protections et équipements spéciaux. Mais, même si c’est dans une moindre mesure et à une autre échelle, est-ce néanmoins si fondamentalement différent sur Terre? L’Homme moderne ne peut guère supporter longtemps sans protection même le simple rayonnement de notre propre étoile, surtout dans les régions méridionales; et dans les régions plus septentrionales, il mourrait rapidement de froid sans vêtements parfois lourds et encombrants. Et ne passons-nous pas le plus clair de notre temps dans des structures fermées (habitations, bureaux, magasins, etc.) en raison de la nécessité de les chauffer ou de les climatiser selon le cas (et de se protéger des intempéries)? De nouveau, les contraintes seraient, on ne peut le nier, nettement plus “lourdes” et astreignantes sur Mars, mais le principe d’une protection nécessaire n’est pas fondamentalement différent. Il est parfaitement possible d’imaginer des espaces de vie tout-à-fait agréables (probablement plus même que bien des endroits sur note planète !) et suffisamment vastes pour éviter tout sentiment de claustrophobie, et des sorties essentiellement dans des véhicules pressurisés qui permettront de “voir du paysage” tout en restant en manches de chemise; pour le reste, il faudra évidemment revêtir un scaphandre (pas trop lourd d’ailleurs en raison de la plus faible gravité martienne), mais pour une durée forcément limitée.
    A noter d’ailleurs à ce propos, que si on veut aller plus loin dans la réflexion sur l’adéquation de l’être humain aux conditions environnementales de sa planète d’origine, une part importante de celle-ci, la profondeur des océans, nous est également totalement inaccessible sans équipements spéciaux ou alors véhicules adaptés! Une si grande différence avec les conditions de vie sur Mars?

  2. vivre sur Mars, cet objectif n’est-il pas aussi un objectif crucial pour la vie sur terre. La vie sur Mars forte de ses contraintes énormes imposerait de développer un écosystème portable et durable sans pétrole ni gaz de schiste, sans injustice pour les habitants car cela entraînerait la perte de tous! La gestion de l’environnement profiterait aux terriens en appliquant les mêmes approches, utiliser la vie sur Mars pour “tirer” la terre et lui donner un nouveau futur.
    La vie sur Mars pour innover et optimiser la gestion des ressources en particulier, le retour du respect de l’humain et la fin des hydrocarbures! Oui un beau chantier auquel sont attelés les Européens avec différents programmes qui ont du mal à avancer, mais la vie sur Mars pour aider la planète Terre et non pour développer des voyages spatiaux pour une frange de population réduite, ne pas se faire confisquer ce projet par des ambitions politico-économiques de certains états. Ensuite ce que présente Mr Brisson est un rêve un peu lointain mais nécessaire pour avancer à petits pas tout de suite!

    1. Merci Monsieur Tailhades de votre commentaire. Vous avez bien compris l’intérêt pour la Terre de l’effort nécessaire à mener pour vivre sur Mars. Les défis auxquels l’humanité s’est trouvée confrontée dans le passé, ont toujours été source de progrès et il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec le projet Mars.
      Sur votre second point je ne suis pas vraiment d’accord. Au début, le voyage et le séjour sur Mars seront réservés à des personnes indispensables au fonctionnement des équipements de survie et de vie, ou encore à des scientifiques qui voudront aller sur place, ou encore à des personnes qui pourront se payer le voyage. Pour moi il n’y a aucune raison de refuser à ces derniers le droit de s’offrir une telle satisfaction et l’argent qu’ils dépenseront pour se faire aidera la collectivité à réduire le coût pour tous (plus de voyages permettra d’atteindre plus rapidemment un “point mort” couvrant les frais fixes en abaissant le coût unitaire). On peut réver mais il faut être réaliste. Quelqu’un doit payer et il ne faut pas trop compter sur l’argent public.

      1. En effet, la vie sur Mars sera réservée à des scientifiques et des techniciens pour assurer le fonctionnement de l’environnement requis. Le tourisme spatial, j’en comprends le fondement ayant eu l ‘occasion d’approcher des études sur le sujet mais il me semble qu’il est aujourd’hui conçu comme une offre indépendante des programmes scientifiques puisque les opérateurs diffèrent d’un côté du partenariat public/privé ou du public de l’autre du privé donc je crains qu’il n’y ait pas nécessairement de réinvestissement dans la recherche mais on peut rêver que l’humain change de paradigme pour, en lien avec la nécessaire prise de conscience écologique, ne plus mettre en avant le profit seulement et donc cela deviendrait effectivement un complément “utile”. Par contre je pense qu’il faut au contraire promouvoir la science et le public pour donner un sens aux sociétés humaines et ne pas les réduire à la gestion des sécurités médicale et sociale uniquement en offrant une vraie direction à l’application des technologies. Mais dans le fond nous sommes d’accord il est fondamental que l’on investisse pour la conquête spatiale et martienne en particulier et il est fondamental de ne pas opposer la présence de l’humain et du robot car les deux sont nécessaires. Il est de bon ton de dénigrer les résultats de l’ISS par exemple mais je suis attaché à cette présence de l’humain dans l’espace car il a seul la capacité de comprendre et d’apprendre.

  3. « Fin des hydrocarbures » Quelle sottise ! La Terre et toute civilisation aura besoin des hydrocarbures. Bien sûr, non pas pour les brûler stupidement dans une chaudière et en disperser le carbone sous forme de CO2, mais comme matière première indispensable, comme hydrocarbures, c’est-à-dire comme source de carbone, d’hydrogène et de dérivés hydrocarbonés déjà assez élaborés, pour fabriquer tous les polymères et les diverses substances chimiques de base de la pharmacopée dont nous avons amplement besoin. Ce n’est pas avec l’air et l’eau qu’on peut les synthétiser. Cessons cet abus de langage ! Oui, nous continuerons d’exploiter les hydrocarbures, mais dans un but de synthèse.

    1. Si l’énergie est disponible et abordable, alors on peut se passer des hydrocarbures et synthétiser directement depuis le CO2. Une preuve ? Le principe de fabrication du méthane à partir de l’atmosphère riche en CO2 de Mars en utilisant le procédé de Sabatier et l’électrolyse de l’eau.

      1. Tout à fait d’accord avec vous et ce sera l’énergie nucléaire qui devra être utilisée comme source d’énergie primaire pour obtenir des quantités suffisantes de méthane.

  4. Très bon article, comme d’habitude, merci beaucoup.

    L’Histoire est un éternel recommencement. La conquête de l’Espace peut nous offrir une seconde Renaissance et Elon Musk nous donne les outils pour y parvenir en se substituant, du moins partiellement, à la trop bureaucratique NASA, comme l’a fait il y a cinq cents ans la Compagnie des Indes quand les États n’ont plus eu l’énergie suffisante pour conquérir les terres inconnues.

    Les futurs Martiens joueront le même rôle que celui réalisé par les premiers colons européens qui partaient s’installer dans des contrées où ils devaient tout inventer ne serait-ce que pour y survivre. Et ils y arriveront avec un grand avantage sur leurs prédécesseurs terriens : ils ne devront plus y massacrer personne en arrivant puisqu’il semble établi que la planète Mars est bien inhabitée.

    Vous mettez un astérisque après le nom de Baudelaire mais je n’ai pas trouvé à quoi il se rapportait. Peut-être voyiez-vous en lui un précurseur et un scientifique? Peu de gens savent qu’il est l’inventeur de l’oscilloscope cathodique. C’est, du moins, mon hypothèse.

    Prenez Bénédictions, les dernières strophes des Fleurs du Mal :
    … Mais les bijoux perdus de l’antique Palmyre,
    Les métaux inconnus, les perles de la mer,
    Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
    À ce beau diadème éblouissant et clair;
    Car il ne sera fait que de pure lumière,
    Puisée au foyer saint des rayons primitifs, …
    Tous ceux qui ont admiré des figures de Lissajous sur les anciens oscilloscopes à écran cathodique ont fait le rapprochement entre ce qu’ils voyaient et ces strophes de Baudelaire. Le filament chauffant est-il autre chose que ce foyer saint des rayons primitifs qui, jetés sur l’écran, y dessinent ce beau diadème éblouissant et clair ?

    1. Merci cher Monsieur pour votre sympathique commentaire et pour la magnifique citation de Baudelaire. Effectivement le renvoi dans mon texte, ne renvoie…à rien! J’ai hésité car l'”ailleurs” dans l’oeuvre de Baudelaire est extrêmement présent, si je peux dire. Chacun mettra la version qui le touche le plus.
      J’ignorais que ce grand poète avait pu être également un scientifique.

  5. J’imagine volontiers que la vie sur Mars doit être possible, toutefois moyennant des aménagements nécessaires et obligatoires pour respecter notre propre biologie.
    Cela va demander la mise en place progressive d’une infrastructure importante, même si sa miniaturisation sera techniquement possible.
    L’idée d’un établissement d’une population sur une longue durée aura aussi des conséquences démographiques et l’économie de cette population sera j’imagine basée sur l’existence de ressources, de leurs exploitation, puis de la production de biens avec leur consommation locale ou exportée (vers la Terre ?) sans oublier la gestion locale des déchets. Cela ne devrait pas être différent que sur notre planète Terre.
    J’imagine aussi que les paramètres climatiques de la planète Mars pourront potentiellement être affectés sur le long terme et dépendrent aussi de l’insolation, de la composition de l’atmosphère, d’un cycle de Milankovitch ou non, et de conséquences sur la météo locale des bases d’installation.
    Intéressant sur le plan scientifique, intellectuel et humain.

    1. Merci Docteur. Comme vous pouvez le penser le sujet de la faisabilité économique du lancement et de la viabilité d’une colonie sur Mars, m’intéresse beaucoup. Je l’ai déjà traité plusieurs fois, sous plusieurs aspects. Lisez mon article du 16 février 2019. Ce qui est important je crois c’est que les échanges avec la Terre seront, venant de Mars, quasi explusivement des biens immatériels (logiciels, brevets, etc…). Bien entendu les conditions extrêmes martiennes faciliteront la recherche dans les domaines du recyclage, de l’isolation, de l’efficacité énergétique, etc…
      Pour ce qui est du climat, bien sûr la présence humaine aura des conséquences mais seulement sur le très long terme et si la population humaine devient importante.

  6. Dans un article précédent, M. Brisson laissait entendre que l’énergie allait être fournie par des centrales nucléaires (kilo power ) , mais ce genre d’équipement sophistiqué ne pourra pas être développé sur Mars . Comme beaucoup d’autres instruments , les futurs colons martiens devront recourir aux technologies terrestres toujours en avance par rapport à Mars .
    L’indépendance économique d’une colonie martienne n’est qu’une vue de l’esprit !
    Elle sera à jamais alimentée par les habitants de la Terre qui pourraient bien décider de lui couper les vivres ou tout simplement n’être plus en état de la ravitailler .
    Ce que semble oublier M. Brisson, est que sur Terre , la vie renaît naturellement (comme après les dinosaures) au contraire de Mars où il faut entretenir une infrastructure de manière permanente !

    1. Je n’ai jamais dit que les Martiens allaient construire leur réacteurs nucléaires dans les premières années de leur installation! Il est évident qu’il faudra qu’un “certain temps” s’écoule avant qu’ils soient capables de construire de tels réacteurs! Ceci dit certaines parties massives (comme les boucliers anti-radiations ou le sodium circulant dans les tubes caloporteurs) pourront rapidement être produits sur place.
      Quant à l’autonomie économique je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas atteinte un jour (évidemment pas tout de suite). L’avantage consuderable des productions martiennes par rapport aux productions terrestres sera une barrière à l’entrée très forte: le coût du transport depuis la Terre et la nécessité pour des raisons de sécurité (livraisons possibles seulement tous les 26 mois) de produire localement. C’est aussi le danger que “les vivres soient coupées” qui incitera les promoteurs de la colonisation martienne à rechercher l’autonomie aussi rapidement que possible.
      Quant à votre remarque sur les dinosaures je la considère comme “irrelevant”. Croyez vous que nous pourrions vivre en Europe sans l’entretien constant de nos infrastructures et de nos équipements de production? Vous imaginez la possibilité d’un retour à l’agriculture et à la charrue pour tous? Moi, non.

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