Strathdon, une roche martienne qui raconte une histoire et séduit par sa beauté

Regardez! Vous êtes, face à cette roche brune et ocre-beige entourée de sable noir, devant un des éléments de notre « jardin-sec* » martien. Pensez et imaginez !

* « karesansui » des temples zen comme celui du Ryoan-ji de Kyoto. Ce type de jardin  presque entièrement minéral avec quelques petits inserts de mousse incite à la méditation (…quoi que du fait de sa célébrité et donc de sa fréquentation, celui du Ryoan-ji est sûrement devenu impropre à la pratique de cet exercice mental !).

Vous avez devant les yeux trois milliards d’années d’histoire et comme les géologues nous le disent, énormément d’informations. Cette roche exceptionnelle nous raconte en effet l’histoire de l’eau sur Mars puisqu’elle a figé cette histoire dans sa matière. Elle évoque un grand lac au fond du cratère Gale dans lequel s’écoulaient des rivières et des torrents venus du haut de ses remparts. Elle nous dit les nuages gorgés d’eau, les pluies et le tonnerre, la terre transformée en boue emportée et lentement déposée au fond du lac, années après années, milliers d’années après milliers d’années. Elle nous dit l’hiver et les très longues périodes de sécheresse sous ciel clair et léger, intercalées avec celles d’une atmosphère épaisse résultant de puissantes éruptions volcaniques. Elle nous dit les périodes de comblement du lac par les alluvions alternant avec celles de dégagement de ces mêmes alluvions par la lente action des vents devenue finalement dominante. Elle nous dit ces périodes d’aridité de plus en plus longues et d’allègements cycliques mais continus de la couverture atmosphérique.

Pensez à tout ce qui s’est passé sur Terre pendant les quelques deux milliards d’années allant de – 3 à – 1 Gy environ, de moins en moins humides sur Mars, au grouillement des archées et des bactéries précurseures de la vie vers l’oxygénation de l’atmosphère avant de pouvoir parvenir aux organismes métazoaires ; au flux et reflux incessant des marées sous une énorme Lune bien plus proche de notre planète qu’aujourd’hui, à l’agglomération des terres en continents et à leur séparations dans une suite de recompositions jamais stabilisées. Pensez à toutes ces alternances de jours et de nuits, sur Mars comme sur Terre, aux odeurs de la terre mouillée ou de vase qui sèche (avec peut-être pas mal d’« œuf pourri » dans l’air car il y avait aussi des composés soufrés !) comme nulle part ailleurs sauf sur Mars et la Terre, au bruit du vent qui souffle en caressant la surface du sol ou qui hurle en l’arrachant, comme seulement sur Mars, sur Terre et sur Titan.

Strathdon a connu tout cela, a enregistré tout cela et nous pouvons l’interroger en l’examinant attentivement comme nous savons le faire. Valerie Fow, la jeune planétologue en charge au CalTech nous dit : “It wasn’t just a static lake. It’s helping us move from a simplistic view of Mars going from wet to dry. Instead of a linear process, the history of water was more complicated.” Bon, je l’admets, c’est un peu court mais on en saura bientôt plus puisque nul doute que de jeunes chercheurs en préparation de thèse, ou d’autres plus expérimentés, vont se saisir du sujet, d’autant que la photo sera complétée par l’analyse de prélèvements effectués dans la roche, par et à l’intérieur du laboratoire SAM (« Sample At Mars ») embarqué par le rover Curiosity. Evidemment nous aurions un homme à côté de Curiosity, il serait allé fouiller le sol en dessous de la roche pour prélever des échantillons mieux préservés des radiations ; il en aurait prélevé des tranches ultra-fines qu’il aurait examinées dans son habitat avec son microscope à balayage électronique. Il s’agit en effet de descendre à des dimensions bien inférieures aux 12 microns des caméras de Curiosity, au moins jusqu’au micron (taille moyenne des bactéries terrestres) et si possible au dixième de micron. Car outre l’histoire géologique de la planète que l’on peut lire grâce à des roches comme celle-ci, suffisamment épaisse pour nous donner une longue séquence historique, ce qu’on peut espérer trouver c’est quelques indices d’une progression prébiotique de matériaux organiques complexes qui peuvent s’observer à des échelles d’environ une centaine à plusieurs centaines de nanomètres. Strathdon est un bloc d’argile (probablement smectite car c’est apparemment le type d’argile le mieux représenté sur Mars) très lentement sédimenté, diagénéisé et métamorphisé, et l’argile, outre qu’il est un témoin de la lente imprégnation de l’eau liquide, est aussi un excellent milieu pour conserver ce type de molécules et éventuellement d’organismes.

Et si on ne trouve « rien » ? Ce ne sera pas si grave car cela nous en dira autant sur le caractère exceptionnel de la Terre et nous fera réfléchir à nouveau sur ses spécificités.

De toute façon, à ce moment de votre lecture, revenez vers la photo de Strathdon et contemplez son feuilleté exceptionnel et la magnifique composition de ses couleurs : le brun foncé des strates argileuses profondes qui fait penser à du très vieux bois, l’ocre de la couche superficielle exposé à l’aridité, aux radiations et aux vents, le noir brillant du sable basaltique, vierge, comme toute la surface qui l’entoure comme un écrin, et quelques touches de blanc, du gypse peut-être ou du sel ? C’est Mars, la beauté de Mars, une excellente raison d’y aller « whatever it takes » !

Lien : https://www.nasa.gov/feature/jpl/new-finds-for-mars-rover-seven-years-after-landing

Illustration de titre (et ci-dessous):

La roche Strathdon, crédit NASA/JPL-CalTech/MSSS, mosaïque de photos « 23986-PIA23348 » du 5 Août 2019 prises par la caméra Mastcam. La roche, d’une centaine de cm de longueur, est située dans la « Clay-Bearing Unit », sur les flancs du Mont Sharp au cœur du cratère Gale. Strathdon est une localité du Nord de l’Ecosse, près d’Aberdeen, la « large vallée du fleuve Don ».

Cliquez dessus pour mieux la voir. Elle en vaut la peine! En en savourant l’image, au delà de l’esthétique, pensez aussi aux moyens techniques mis en œuvre pour collecter les pixels dans toutes leurs nuances de couleurs et nous la transmettre depuis environ 400 millions de km (au moment de la prise des photos, Mars et la Terre étaient alors à peu près en « conjonction », c’est à dire de part et d’autre du Soleil).

Image ci-dessous, détails de la même roche; crédit NASA/JPL-CalTech/MSSS. Mosaïque de photos prises à 10 cm de distance par la caméra MAHLI (Mars Hand Lens Imager); la barre jaune en bas à gauche, donne l’échelle: 3 cm. Cliquez dessus pour mieux la voir.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.