L’apport de Michel Mayor et Didier Queloz à la Connaissance : comme un précieux rameau de corail

Michel Mayor et Didier Queloz ont été et sont sûrement encore, à la fois des pionniers et des scientifiques rigoureux, au plus haut niveau sur l’échelle académique et disposant d’une base intellectuelle aussi solide qu’il est possible de se constituer. C’est dotés de ces deux qualités, qu’ils ont pu être si originaux et efficaces dans l’innovation, ce qui leur a permis d’être remarqués et récompensés par la Fondation Nobel. Ils font partie de ces personnes sans doute rares qui sont à la pointe des connaissances de leur domaine et qui sont capables de les faire progresser encore, en créant d’autres canaux que ceux qu’ils ont suivis pour se former. Lors de leur découverte, ils correspondaient sans doute parfaitement à leur époque et étaient en phase totale avec les capacités technologiques existantes mais ce qui les a distingués de leurs collègues c’est qu’ils ont osé la nouveauté en exploitant les nouvelles voies possibles d’exploration.

Au-delà de l’observation directe, impossible alors, toujours très difficile aujourd’hui et potentiellement limitée aux systèmes stellaires les plus proches (« leur » étoile, « 51 Pegasi », n’est qu’à 51 années-lumière du Soleil) et aux planètes les plus grosses de ces systèmes, la « méthode des vitesses radiales » était en effet une possibilité latente pour la détection des exoplanètes (la théorie avait été développée dès 1952 par l’astronome Russo-Américain Otto Struve). On connaissait parfaitement l’effet Doppler-Fizeau indiquant le déplacement d’un astre par rapport à l’observateur terrestre et il était logique de penser que les planètes devaient avoir une influence sur leur étoile de ce point de vue en raison de leur masse. Il fallait évidemment disposer des instruments d’observation capables de discerner les effets infimes de ce jeu de masses génératrices chacune d’une signature identifiante et en 1952 on ne les avait pas! Les progrès technologiques des années 1980 permettaient de sortir de la théorie et Michel Mayor et Didier Queloz surent saisir l’opportunité. En l’occurrence ce fut un spectrographe à haute résolution (« spectrographe échelle* » ELODIE installé en 1993 au foyer du télescope de 1,93 m de diamètre de l’observatoire de Haute-Provence). Ils choisirent d’examiner les données recueillies par ce spectrographe et trouvèrent ce qu’ils recherchaient: les données reçues entre septembre 1994 et septembre 1995 de 51 Pegasi montraient que les raies de la lumière de l’étoile se déplaçaient vers le rouge puis se déplaçaient vers le bleu avec une amplitude égale et à des intervalles de temps égaux. Il fallait évidemment savoir regarder le spectrogramme et en déduire que la masse dont la gravité agissait sur celle de l’étoile ne pouvait être que celle d’une planète (en l’occurrence une « grosse » planète que l’on appelle maintenant un « Jupiter chaud » car elle est gazeuse et orbite très près de son étoile) mais nos chercheurs étaient « mûrs » pour le faire.

NB : Comme vous pouvez le lire dans Wikipedia, « un spectrographe-échelle utilise un réseau de diffraction complété par un autre réseau, ou un prisme, ou un grisme. L’axe de dispersion du second élément est placé à 90° du premier. Par conséquent, la lumière est captée par un point d’entrée, et non par une fente. Le premier réseau disperse à de très hauts ordres ; l’image obtenue après cette première dispersion est donc une superposition des ordres de dispersion ».

Donc le saut vers l’identification d’exoplanètes par la méthode des vitesses radiales n’aurait pas été possible avant la fin des années 1980 mais, devenu possible, il fallait que « quelqu’un » comprenne le potentiel des nouveaux instruments d’observation et choisissent de les appliquer à la recherche de cet objet. Là est le génie de ces deux hommes, aujourd’hui récompensés.

Pour généraliser, on peut dire que le principe de l’astronomie ou de l’astrophysique (pour être plus conforme à ce que la première est devenue) c’est d’être constamment aux limites extrêmes. Il s’agit d’observer, de raisonner et de déduire en parvenant aux marges des possibilités observationnelles. Ainsi on refroidit les instruments près du zéro absolu pour pouvoir distinguer les ondes significatives, porteuses de signatures thermiques extrêmement faibles. Ou, comme James Peebles, l’autre prix Nobel de Physique 2019, on observe le fonds diffus cosmologique et l’espace lointain distordu par le temps et on en déduit les grandes structures de l’Univers et les forces qui possiblement l’animent. Ou encore, avec nos lauréats suisses, on observe les déplacements des étoiles par rapport au centre de masse (barycentre) de leur système, provoqués par leurs compagnons planétaires trop petits pour être visibles directement, pour déduire leur existence avec leurs caractéristiques de masse et d’orbite. On va ensuite, munis de ces observations, tenter de les observer, toujours indirectement, par la baisse de luminosité qu’ils vont causer à l’étoile devant laquelle ils passent. Cette « approche » complémentaire, dite « méthode des transits » (partiellement occultants), nous permet de connaître la taille de la planète et d’en déduire évidemment sa densité et sa nature, gazeuse (« Jupiter chaud ») ou rocheuse (« super-Terre »).

NB : la planète 51 Pegasi-b a finalement été observée directement et sa lumière réfléchie analysée en avril 2015, grâce au spectrographe HARPS installé sur le télescope de 3,6 m de diamètre de l’ESO à La Silla (Chili).

La Connaissance est comme un rameau ou une fleur de corail. Elle se construit sur une accumulation (comme la « colonie de coraux »), elle émerveille par ses couleurs et son éclat et elle contribue aussi au renforcement de la structure dont elle est sortie pour servir ensuite de support à d’autres fleurs…mais elle peut mourir si les conditions environnementales se détériorent. Des hommes formés aux plus hautes spéculations intellectuelles, membres d’une communauté scientifique à l’esprit critique aiguisé, toujours doivent la porter, la développer et la transmettre. Didier Queloz et Michel Mayor ont fait leur part, sans s’arrêter à leur premier succès. Des chercheurs plus jeunes ont continué, continuent, continueront et amplifieront leurs travaux. Le rôle de leur environnement humain, universitaire* ou non, est de permettre que le processus se poursuive et que la Connaissance se renforce et se diffuse, partout où cela est possible. Heureusement les institutions scientifiques suisses sont bien vivantes et « à la pointe » de l’enseignement et de la recherche (rappelons que l’EPFL est au 18ème rang du classement international “QS”, le plus médiatisé). Il semble par ailleurs que la Suisse soit très fière de ses scientifiques et de ses institutions de recherche et qu’il y ait dans le pays tout entier un solide consensus populaire pour les soutenir.

*Didier Queloz et Michel Mayor ont des liens étroits avec les institutions universitaires de Suisse romande, Université de Genève, Université de Lausanne, EPFL. Pour donner un peu plus de substance à ce court article, je vous donne ci-dessous des liens qui vous en diront plus sur les recherches de l’un et de l’autre et sur leurs relations avec l’EPFL et l’Unige (à noter que le directeur d’eSpace à l’EPFL, Jean-Paul Kneib, est aussi astrophysicien et en charge de son laboratoire d’astrophysique, le LASTRO) :

https://actu.epfl.ch/news/this-nobel-prize-makes-epfl-s-astrophysicists-prou/

https://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/rendez-vous-de-la-presse-mayor-et-queloz-couronnes-du-prix-nobel-de-physique?id=10777321

Image de titre : principe de la méthode des vitesses radiales, crédit ESO.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.