Seeing the un-seeable

« Voir l’impossible à voir » ; c’est ainsi qu’a été synthétisée par la National Science Fondation américaine (« NSF »)1, la prouesse réalisée par l’Event Horizon Telescope (« EHT ») ce 10 avril, l’obtention de la première image d’un trou-noir.

1La NSF a été coordinatrice de cette “collaboration”.

Pour la première fois en effet les hommes, grâce à leurs « merveilleuses machines » et beaucoup d’informatique, ont obtenu une image d’un de ces monstres autour desquels les étoiles de nos galaxies tournent dans une ronde infernale jusqu’à ce qu’elles se fassent anéantir en leur sein.

Les « merveilleuses machines » ce sont les huit télescopes du réseau EHT (Event Horizon Telescope array)2 qui, « couvrant » la quasi-totalité de la surface de la Terre pour former un télescope virtuel géant, ont collecté les émissions radio millimétriques (1,3 mm) reçues de ce monstre en avril 2017, puis les ont combinées ensemble par interférométrie à très longue base (« VLBI »). La prouesse a consisté non seulement à collecter les données (5 pétaoctets !) mais à les assembler ensuite dans des corrélateurs pour en mettre en évidence les caractères significatifs et en extraire une synthèse visible. Il a fallu dix ans pour constituer le réseau EHT, en adaptant divers télescopes3 du Groenland à l’Antarctique en passant par Hawaï, Mexico, l’Arizona, l’Espagne, le Chili, pour leur permettre de travailler ensemble. Il a fallu une conjonction climatique assez extraordinaire sur Terre (la vapeur d’eau pose problème pour les émissions dans la longueur d’onde millimétrique choisie!) pour que tous les instruments puissent tous ensemble, sur seulement quatre jours, collecter l’information (le déplacement du télescope au cours de l’observation du fait de la rotation de la Terre, a permis de remplir un peu plus la surface du télescope virtuel). Il a fallu ensuite deux ans pour concentrer les données dans des centres de traitement en les transportant physiquement depuis les observatoires (le nombre de données rendait impossible la transmission par Internet !) puis les traiter. Le résultat final, obtenu après de multiples contrôles et vérifications, est une image de définition jamais égalée, de 20 μas – 20 microsecondes d’arc (on pourrait lire un journal à New-York en étant à Paris). C’est pour cela qu’on peut dire que le travail de synthèse est au moins aussi remarquable que le travail de collecte.

L’image que vous voyez en titre d’article surprend par son caractère attendu. Un trou noir ressemble à…un trou noir tel qu’on l’imaginait par la théorie, un disque obscur entourée d’un halo de lumière. On peut dire cependant qu’il fallait qu’on en obtienne la vérification. Les théories ont besoin d’être confirmées et l’image est une base qui peut conduire à de nouvelles réflexions.

L’explication du trou-noir est que la compression de matière en un seul lieu peut devenir telle (par exemple par suite de l’effondrement d’une étoile massive en fin de vie ou bien par suite d’accumulation de quantités énormes de matière) que la force d’attraction gravitationnelle qu’elle génère, empêche même la lumière de s’échapper ; elle « courbe l’espace-temps ». On ne voit pas le trou noir mais les conséquences qu’il a sur son environnement. Le halo est constitué des photons qui, avec gaz et matière déchirée et broyée des astres voisins, accélérés dans leur chute à des vitesses proches de celle de la lumière, sont entraînés comme dans le trou d’un évier par force giratoire jusqu’à disparaître lorsqu’ils atteignent l’Horizon-des-Evénements. Cet Horizon définit la distance fatidique du centre de gravité, jusqu’à laquelle cette force d’attraction gravitationnelle gigantesque s’exerce (rayon de Schwarzschild), en empêchant toute émission (avec quelques nuances possibles, théorisées par le célèbre Stephen Hawking).

Le trou-noir, par la force immense qu’il exerce sur toute matière, est un élément essentiel de la structure de notre univers, peut-être le moteur de nos galaxies. C’est peut-être lui qui par sa rotation et par son attraction entraîne les myriades d’étoiles qui tournent autour de lui (quand bien sûr il n’a pas «consommé» toute matière alentour). Autrement dit, c’est peut-être grâce aux trous-noirs que se maintient la cohésion des galaxies, ce qui permet les échanges de matières, notamment la diffusion de la métallicité à l’occasion des supernovas.

La cible d’observation que l’on voit aujourd’hui est le trou noir du cœur de la galaxie Messier 87 (« M87 ») distante de 53,5 millions d’années-lumière. Il a été choisi parce qu’il est particulièrement gros, une masse de 6,6 × 109 M (6,6 milliards de masses solaires) et un diamètre de 38 milliards de km qui, dans notre système solaire, s’étendrait jusqu’à plus de deux fois au-delà de Pluton (aphélie 7,4 milliards de km) alors que le trou-noir de notre Voie Lactée, « SgrA* » (Sagitarius A*) ne devrait avoir que quelques 22 millions de km de diamètre4 (et seulement 4,3 millions de masses solaires), et aussi car cette galaxie contient très peu de poussière. SgrA* est donc plus difficile à observer Mais l’EHT y travaille également et on devrait pouvoir contempler son image prochainement.

4Le diamètre du soleil est de 1,5 millions de km mais le trou noir SgrA* est situé à 25.000 années-lumière (notre galaxie a un diamètre de 100.000 années-lumière). Vu de la Terre, le diamètre de SgrA* mesure 53 microsecondes d’arc donc plus du double de celui de M87 (22 microsecondes d’arc) mais son environnement est très encombré et très actif (actuellement).

L’observation confirme les prédictions d’Albert Einstein sur la gravité et l’espace-temps (la « relativité générale ») et l’on doit à cette occasion s’émerveiller encore une fois de la force conceptuelle extraordinaire de cet homme qui, sans instrument, avec son seul cerveau, a pu théoriser l’inimaginable il y a plus de 100 ans.

Les astrophysiciens du monde entier vont maintenant travailler sur cette image, l’affiner en utilisant des longueurs d’ondes submillimétriques (plus précises) et des méthodes multimessagers (autres émissions que les ondes électromagnétiques), pour progresser dans la compréhension du trou-noir avec son environnement immédiat. On pourra sans doute bientôt expliquer comment se forment les jets de plasma qui s’en échappent à une vitesse relativiste ou comment se forment les halos de neutrinos et de rayons X complétant ceux de lumière et de matière.

Pour aller plus loin, on envisage aussi d’utiliser les télescopes spatiaux. Dans cet esprit (mais évidemment plus tard !), des capteurs installés sur Mars de façon à y former comme sur Terre un télescope virtuel planétaire, nous donneraient des capacités encore plus extraordinaires. Puisque la collecte de données est déconnectée de leurs traitements, on pourrait synchroniser la collecte du réseau martien avec celle du réseau terrestre puis transmettre les données sur Terre pour compléter celles qu’on y aurait collectées et en faire la synthèse.

C’est pour demain et nous vivons une époque formidable !

 

Lien :

https://eventhorizontelescope.org/

https://www.nsf.gov/news/news_summ.jsp?cntn_id=298276

https://physicsworld.com/a/the-story-behind-the-first-ever-image-of-a-black-hole/

https://www.space.com/first-black-hole-photo-by-event-horizon-telescope.html?utm_source=notification

https://www.nsf.gov/news/special_reports/blackholes/

2membres de la Collaboration EHT : ALMAAPEXIRAM 30-meter telescopeJames Clerk Maxwell TelescopeLarge Millimeter Telescope Alfonso SerranoSubmillimeter ArraySubmillimeter TelescopeSouth Pole Telescope.

3ordinateurs, et informaticiens du Max Planck Institute for Radio Astronomy et du MIT Haystack Observatory.

Image à la Une : Trou-noir de la galaxie M87 ; Crédit : Event Horizon Telescope collaboration et al.

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Index L’appel de Mars 19 04 08

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

7 réponses à “Seeing the un-seeable

  1. Un résultat remarquable avec des aspects paradoxaux. Permettez-moi quelques compléments et précisions !
    Un trou noir comme celui caché au coeur de M87, malgré son diamètre de 38 milliards de km, ou 35 heures-lumière (soit près du triple de l’orbite de Pluton dont l’aphélie de l’orbite est à « seulement » 7 milliards de km du Soleil), avec une masse de 6,5 milliards de soleils, soit 1,3 10^40 kg, n’a pourtant qu’une masse volumique, une densité, qui est la moitié de celle de l’air ! Donc on ne sentirait absolument rien de spécial si on franchissait son horizon. Vu d’ici, à 53 millions d’années-lumière, son diamètre angulaire est de l’ordre de 15 microsecondes d’arc (mille fois plus petit que 15 millisecondes…) ; ce qui explique pourquoi il a fallu le concours de 8 radiotélescopes répartis de façon à simuler un télescope de 10’000 km de diamètre. Un télescope optique de 10 m de diamètre n’a qu’une résolution de 15 millisecondes d’arc dans le visible, alors que l’ensemble EHT atteint 0,1 microseconde d’arc de résolution angulaire dans les ondes millimétriques (ici 1,5 mm).

    1. Merci Monsieur de Reyff, j’ai incorporé certaines de vos précisions/corrections mais après consultation du site EHT, il semble bien que le diamètre angulaire de M87 soit de 0,53 microsecondes d’arc et que celui de SgrA* soit de 22 microsecondes d’arc.
      Par ailleurs, il semble bien que la résolution angulaire de l’EHT soit de l’ordre de 20 microsecondes d’arc (le site de l’IRAM donne même une résolution de 26 microsecondes d’arcs !). Comment cela est-il possible ? Comment se fait-il qu’il y ait de telles divergences et comment peut-on obtenir une image à peu près nette d’un objet de 53 microsecondes d’arc avec des instruments donnant, ensemble, une résolution de 20 microsecondes d’arc ? Une extrapolation obtenue par le traitement informatique ?

  2. En effet, il faut que la résolution, le pouvoir séparateur, soit d’un ou deux ordres de grandeur plus petits que l’objet dont on veut voir les détails.
    Pour les diamètres angulaires, il suffit de prendre la fonction inverse de la tangente du rayon (17,6 heures-lumière) sur la distance (50 millions d’années-lumière) : on obtient pour M87* : 4 10^-11 ce qui donne 2,3 10^-9 degré d’angle, soit 8,3 μas (microsecondes d’arc), à multiplier par deux pour avoir le diamètre angulaire de 16,6 μas.
    Pour A*, qui est bien moins massif, mais, par contre, beaucoup plus proche, les chiffres sont 42,3 secondes-lumière de rayon et 26’000 années-lumière de distance, ce qui donne 1,86 10^-7, soit 1,06 10^-5 degré d’angle, soit 38,3 millisecondes d’arc (et non plus microsecondes) à multiplier par deux pour avoir le diamètre angulaire, soit 76,7 millisecondes d’arc. Fais-je une erreur de calcul ?
    Pour la résolution aux ondes millimétriques, c’est la formule de Rayleigh qui est à utiliser pour 1,5 mm de longueur d’onde et un diamètre du télescope de 10’000 km :
    θ = 1,22 λ / D = 1,22 x 0.0015 m / 10’000’000 m = 1,83 10^-10 degré d’angle, soit 0,66 μas,
    une valeur justement intéressante pour voir un objet de 16,6 μas ! Je ne m’explique vos chiffres de l’IRAM que par une confusion entre le pouvoir séparateur et le diamètre de l’image.

  3. Je dois me corriger. Pour A*, mon calcul est erroné : le diamètre angulaire est mille fois plus petit, comme attendu : 21, 3 microsecondes d’arc.

    1. … exactement 3600 fois plus petit, car j’avais pris des heures-lumière au lieu des secondes-lumière dans le calcul (mea culpa).

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