On se doutait que Mars étant d’une masse très inférieure à la Terre (1/10ème), avait dû se refroidir beaucoup plus vite que cette dernière; on vient d’obtenir la preuve géochimique que tel a bien été le cas. On peut à cette occasion s’émerveiller des méthodes extraordinaires utilisées aujourd’hui pour analyser les minéraux. Quant aux conséquences pour une éventuelle vie martienne, elles restent à constater dans les analyses de plus en plus précises que nous faisons des roches en surface de Mars et dans son sous-sol immédiat. Mais la précipitation pour aborder le sujet de la vie et en tirer des conclusions définitives comme l’ont fait certains media, me semble tout à fait prématurée et inappropriée. On en est au stade des questionnements, pas des réponses.
Rappelons les faits. Des chercheurs viennent d’examiner la composition chimique de 7 petits cristaux de zircon (de 50 à 110 µm) extraits d’un fragment (5 grammes) de météorite d’origine martienne, « NWA 7034 » (pour « North West Africa 7034 ») trouvée dans le désert du Sahara en 2011. Le zircon (ZrSiO4) est un minéral du groupe des silicates très intéressant pour les datations car ses cristaux sont extrêmement résistants à l’altération et au métamorphisme et contiennent une relativement large quantité d’uranium remontant à leur formation. Depuis cette formation, l’uranium se désintègre radioactivement en Plomb (Pb). En mesurant le rapport entre les abondances isotopiques des deux éléments et connaissant la vitesse de dégradation radioactive de l’Uranium en Plomb (235U => 207Pb et 238U =>206Pb), on peut calculer l’âge du zircon. Les dates obtenues dans le cas de NWA 7034 se situe entre 4,43 et 4,476 milliards d’années, la plus vieille date jamais constatée pour une roche martienne (par rapport à un âge de formation du système solaire estimé à 4,567 milliards d’années). Pour comparaison, sur Terre la plus ancienne datation remonte à 4,37 milliards soit une centaine de millions d’années de moins, ce qui implique un processus de solidification plus lent.
Mais il existe un deuxième couple d’éléments à considérer, celui du Lutétium et de l’Hafnium. L’Hafnium est comme l’Uranium, très abondant dans les zircons. On étudie également la composition isotopique et la désintégration radioactive du premier élément, 176Lu ,vers le second, 176Hf, par rapport à d’autres isotopes, stables (non-radiogéniques), de l’Hafnium (notamment 177Hf), témoins de la roche source. L’âge obtenu cette fois-ci est d’environ 4,547 Milliards d’années, juste une vingtaine de millions d’années après la formation du système solaire et comme le couple 176Lu/177Hf est le témoin d’une roche de type andésite solidifiée (des brèches des Hautes Terres du Sud de la planète), cela indique à cette date, l’existence d’une croûte planétaire de type andésitique à partir de laquelle se sont formés les zircons. Le processus a donc dû être (1) une première solidification par baisse de température (croûte andésitique), (2) une centaine de millions d’années plus tard, une fusion des roches andésitiques à l’occasion de nouveaux impacts violents puis, à partir de ce magma, (3) une cristallisation des zircons lors du refroidissement subséquent de la surface.
Comme toutes les planètes, Mars et la Terre se sont formées par accrétion de poussières et de gaz, puis de météorites, puis d’astéroïdes de plus en plus gros, puis de planétoïdes dont l’énergie cinétique de plus en plus importante (en fonction de la gravité générée par la masse de l’embryon planétaire s’exerçant sur les masses sous son influence) se transformait en chaleur. A la fin de la période d’accrétion (environ 5 millions d’années après que le processus ait commencé) les planètes se présentaient comme d’énormes masses de magma sphériques à l’intérieur desquelles les éléments avaient pu se stratifier par gravité du fait de la fluidité de l’ensemble. Le fer et autres éléments sidérophiles au centre, silicates en surface. Le refroidissement a alors commencé, avec des effets sans doute plus rapides sur Mars que sur Terre, mais il était interrompu de temps en temps par de nouveaux impacts catastrophiques (dont éventuellement ceux du LHB, Grand Bombardement Tardif vers – 4 milliards d’années), avec d’autant plus d’effets en surface que la croûte formée était mince.
On peut déduire de la solidification de la surface de Mars et des mouvements de convection qui brassaient le manteau en fusion par nécessité thermique, qu’il a dû y avoir sur Mars comme sur Terre, une tectonique des plaques, les éléments solidifiés de surface étant périodiquement déchirés par les mouvements sous-jacents de convection et engloutis par le manteau avec formation de nouvelles croûtes en surface. Cela devait produire des dégazages considérables donc un renouvellement constant de l’atmosphère en dépit des pertes importantes résultant d’une gravité faible. On peut en déduire aussi la création, par différentiel de rotation entre les éléments légers et lourds des différentes couches constitutives de la planète, d’un champ magnétique global résultant d’un effet dynamo.
Finalement c’est la faiblesse de la masse de la planète qui a eu raison de cette activité géologique primitive. Comme nous le savons, tout s’est figé assez vite (ou du moins ralenti considérablement) vers -3,5 milliards d’années, d’autant que la masse n’a pas permis aux éléments radioactifs contenus dans la sphère planétaire, la génération de suffisamment d’énergie thermique pour compenser la dissipation progressive dans l’espace de la chaleur résultant de l’énergie cinétique primordiale (NB : l’absence de gros satellite n’a pas permis non plus, par force de marée, de jouer un rôle quelconque d’échauffement).
Sur le plan exobiologique puisqu’il faut toujours parler de la vie quand on parle de Mars, toute une série de questions se posent les unes après les autres, comme des poupées russes que l’on ouvre. Pour commencer il serait important de savoir, la solidification de la surface s’étant produit quelques 100 millions d’années plus tôt que sur Terre, à partir de quel niveau de température (probablement en dessous du point d’ébullition de l’eau, mais sous quelle pression ?), la complexification et la polymérisation des molécules carbonées a pu commencer. Ensuite, deuxième poupée, il faudrait savoir si l’évolution des matières organiques prébiotiques a disposé d’autant de temps sur Mars que sur Terre avant le seuil fatidique des -3.5 milliards d’années (environ !) où la planète s’est endormie alors que la Terre donnait naissance à la vie. Encore ensuite, troisième poupée, il faudrait savoir, les conditions initiales étant plus précoces sur Mars et aussi plus favorables (la planète Terre était probablement une planète océan alors que Mars était plus sèche), si certaines molécules prébiotiques qui supposent des alternances humides et sèches pour parvenir à exister, ne se sont pas formées sur Mars avant d’être transportées sur Terre à la suite d’impacts ayant éjecté des météorites jusqu’à la Terre, où elles auraient trouvé un environnement aqueux favorable « pour la suite »*. Ensuite, quatrième poupée, il faudrait alors savoir comment ces éléments organiques martiens prébiotiques se seraient reproduits sur Terre, la capacité de reproduction étant un attribut fondamental de la vie. Cela entraînerait l’ouverture d’une cinquième poupée, celle de la probabilité de l’émergence de la vie sur Mars (au-delà du stade prébiotique) plutôt que sur Terre ou sur les deux planètes à la fois, en parallèle. C’est en ces termes que l’on peut se poser la question de la vie sur Mars mais pour le moment, certainement pas davantage.
*paradoxe de l’eau soulevé par Steven Benner à la conférence Goldschmidt de la Geochemical Society en 2013. A certaines étapes initiales du processus de vie il a fallu un milieu sec pour permettre l’action des borates sur les hydrates de carbone pour empêcher la décomposition des molécules organiques en goudron, et l’action des molybdates sur les glucides pour favoriser la création de ribose.
Référence : “Evidence for extremely rapid magma ocean crystallization and crust formation on Mars” par Laura C. Bouvier, Maria M. Costa et al. (dont Martin Bizzaro, directeur du Centre pour la formation des Etoiles et des Planètes du Musée National d’Histoire Naturelle du Danemark et Frédéric Moynier, Professeur à l’Uni. de Paris Diderot, Institut de Physique du Globe de Paris, chaire de Cosmochimie),
lettre de recherche publiée le 27 juin dans Nature (https://doi.org/10.1038/s41586-018-0222-z)
NB : le texte de l’article a été revu par le Professeur Moynier.
Image à la Une : NWA 7034 appelée aussi « Black Beauty ». Ne trouvez-vous pas remarquable que l’on puisse extraire autant d’informations d’un tel « caillou » ?!
Image ci-dessous, le grain de zircon le plus gros et le plus ancien des sept étudiés: