La NASA va envoyer un hélicoptère sur Mars

Le nouvel administrateur de la NASA, Jim Bridenstine, l’a décidé, la mission « Mars-2020 » de la NASA, qui quittera la Terre en juillet 2020, emportera un mini-hélicoptère avec elle. Cela ouvre des perspectives très intéressantes.

Une difficulté majeure que les missions martiennes en surface doivent affronter est le caractère souvent extrêmement agressif du sol pour les roues puisqu’il n’y a évidemment pas de route et que par ailleurs l’érosion a été faible donc que les roches sont coupantes. On le voit bien sur les photos que Curiosity prend périodiquement de son train de roues. Elles nous inquiètent car on y voit depuis longtemps des déchirures sur la bande de roulement en aluminium alors qu’elles étaient prévues pour parcourir un terrain difficile pendant aussi longtemps que durerait l’approvisionnement en énergie de l’appareil. La conséquence est que l’on doit ménager ces roues au détriment de la visite de sites qu’on voudrait examiner de plus près. Que de fois le rover est passé hors d’atteinte de reliefs dont on ne pouvait que rêver de s’approcher ou près desquels on était passé et qu’on regrettait de ne pas avoir étudiés (par exemple les supposés tapis microbiens fossiles que la paléo-biogéologue Nora Noffke a cru voir sur le site Gillespie Lake Member fin 2014) ! Par ailleurs, la visibilité est limitée. On se demande toujours ce qu’il peut y avoir « derrière » ou « plus loin ». Enfin certains endroits peuvent être dangereux et contraindre à des détours. Rappelons-nous que Spirit s’est ensablé, que sa mission s’est de ce fait terminée prématurément et que les pentes fortes sont intéressantes à explorer (examen de leurs strates) mais qu’au-delà d’un certain degré de déclivité, on ne peut s’y risquer.

Il y a donc un besoin, celui de s’élever au-dessus du sol pour voir un peu plus loin ou pour aller « quelque part » et y aller vite (car le temps est toujours compté puisqu’on souhaite faire le maximum d’observations dans le cadre d’une mission et que le rover peut subir une défaillance fatale prématurée). Pour cela deux solutions, le plus lourd ou le plus léger que l’air. Dans les deux cas, le problème est la faible densité de l’atmosphère, en ordre de grandeur environ 100 fois moins élevée que sur Terre (610 Pascal en moyenne, au « datum », 1100 Pascal maximum, au fond du bassin d’Hellas et quelque 30 Pascal, minimum, au sommet d’Olympus Mons). C’est très peu pour la portance ou la traînée (« lift and drag ») d’un observateur « volant ». Compte tenu de la composition de l’atmosphère (CO2), meilleure de ce point de vue que notre mélange oxygène et azote, ces facteurs donnent, pour les pressions de 600 à 1100 Pascal, l’équivalent des conditions que l’on a, sur Terre, vers 30 à 35 km d’altitude au-dessus du niveau de la mer. A ces altitudes, la stabilité est précaire et les phénomènes chaotiques possibles (« nombre de Reynolds » élevé). Et plus on s’élève plus cette instabilité s’aggrave. Nous ne discuterons pas ici des avantages ou des inconvénients du plus léger que l’air puisque le sujet est l’hélicoptère. Disons seulement en ce qui concerne le premier, qu’il présente l’avantage d’être peu consommateur d’énergie une fois gonflé (principalement pour la propulsion) et qu’il pourrait donc mener des missions longues. Ses inconvénients sont (1) le poids de l’enveloppe et de la structure, accessoirement du gaz – hydrogène de préférence puisque le plus léger – et (2) le volume puisque le différentiel entre pressions intérieure et extérieure est faible, et en conséquence la prise au vent.

Ce premier hélicoptère de la NASA (« Mars Helicopter Scout ») est naturellement prévu comme un essai ou une démonstration de faisabilité en situation réelle plus que comme un instrument d’observation. L’étude a commencé en 2013, avec GeorgiaTech, une des meilleures écoles d’ingénieurs des Etats-Unis, et le résultat que l’on voit sur la vidéo de la NASA est impressionnant car celle-ci montre qu’il a bel et bien volé de façon satisfaisante dans une atmosphère raréfiée équivalente à l’atmosphère martienne (composition et densité). La raison du succès est sans doute (1) la giration en sens contraire des deux rotors coaxiaux (configuration éliminant le besoin d’un « rotor de queue »), et (2) le fait que la rotation se fait à très grande vitesse (3000 tours par minute donc 10 fois la vitesse de rotation des rotors d’hélicoptère traditionnel). La configuration assure la stabilité directionnelle (un hélicoptère « classique » se met à tourner sur lui-même si son rotor de queue est défaillant) car la rotation en sens contraire des deux rotors assure un « couple en lacet » nul. La grande vitesse de rotation permet de générer un flux d’air vers le bas suffisamment rapide pour créer par réaction, malgré la faible densité de l’atmosphère, la sustentation requise pour soulever la masse de l’appareil soumise à la gravité martienne.

Bien sûr la masse de l’hélicoptère est faible (1,8 kg) et l’énergie embarquée étant limitée (batterie Lithium-ion rechargée par panneaux solaires sur le corps de l’hélicoptère) l’appareil ne pourra faire que de petits vols (maximum prévu de 2 à 3 minutes, par jour) d’autant que la vitesse de rotation rapide des pales doit en être très consommatrice. Ces petits vols lui permettront cependant de parcourir jusqu’à 600 mètres en distance (aller et retour!) et de monter jusqu’à 40 mètres du sol mais l’appareil pourra aussi faire du « sur-place » et cela est très important pour l’observation. Notons la taille impressionnante de ces pales : 120* centimètres (pour un corps cubique de 14 cm de côté) !  On imagine difficilement de plus gros hélicoptères martiens avec ces proportions mais ce n’est pas nécessaire si l’appareil doit simplement reconnaître le terrain sur la trajectoire d’un rover ou s’il doit prendre des photos ou analyser la composition par spectrométrie d’une roche inaccessible au rover.

*dimension pour le « diamètre » balayé (en fait deux longueurs de pales).

Entre les vols, l’hélicoptère une fois déposé au sol (détaché du « ventre » du rover) n’aura plus de connexion fixe au rover et communiquera avec lui par ondes (envoi de l’ordre de mission, retour d’images ou de données observées et renseignements sur l’état de l’appareil).

Espérons que cette démonstration technologique soit un succès. Cela faciliterait énormément les missions robotiques. Mais attention ! Sans homme en prise directe avec l’appareil (impossible compte tenu du « time-lag » entre Mars et la Terre), tout doit être programmé. L’appareil ne pourra donc servir que pour les repérages puis ensuite les observations à distance, plus que pour les collectes d’échantillons qui supposent toutes sortes de capteurs (et d’intelligence artificielle, comme on dit) qui sont probablement encore difficile à mettre au point (identification de l’objet « intéressant », descente jusqu’au sol ou en sustentation immobile à proximité, prélèvement) et qui représentent une masse complémentaire aux instruments d’observation qu’il serait de plus en plus difficile de soulever.

Image à la Une: vue d’artiste de l’hélicoptère en opération sur Mars. Crédit NASA.

Source :

NASA : note de presse 18-035 du 11 mai 2018:

https://www.nasa.gov/press-release/mars-helicopter-to-fly-on-nasa-s-next-red-planet-rover-mission

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

6 réponses à “La NASA va envoyer un hélicoptère sur Mars

  1. Autant dire que cette mission est vouée à l’échec d’avance. Tout ce qu’on peut espérer est de voir décoller cet hélicoptère et avoir une mince chance de le faire redescendre sans dommage. En considérant les conditions désertiques et sablonneuses du sol martien, on ne peut qu’imaginer que cet engin va créer une tornade de poussières qui va ruiner les avantages qu’on peut en retirer. Il risque ainsi d’endommager ou de brouiller sa caméra de repérage autant que les instruments du rover qui le suivra.
    Ces missions martiennes souffrent toutes du même mal, celui de la faible masse embarquée par des fusées trop faiblardes.
    Les futures missions humaines devraient compter sur une nouvelle génération de lanceurs, mais compte tenu de la politique américaine actuelle, il faudra encore attendre.
    Les Américains sont pour l’heure privés de toute possibilité de mettre un homme en orbite jusqu’en 2020. La privatisation de l’espace disperse leurs forces où chacun y va de son projet minable de course à l’espace contrairement à l’esprit des années 50-60 quand Eisenhower avait décidé de créer la NASA.
    Ce sera un frein à tout progrès pour les prochaines missions lointaines qui nécessiteront une coopération internationale.

    1. Cher Monsieur Giot, je reconnais bien là votre optimisme!
      Il est vrai que l’hélicoptère risque de soulever de la poussière mais comme le dit fort bien la NASA, c’est un essai. Il s’agit d’abord de savoir si le principe même fonctionne dans l’atmosphère raréfiée de Mars. Pour ce qui est de la poussière je préciserais que (1) le rover peut (et donc va) choisir de déposer l’hélicoptère sur un sol où il y en a relativement peu; (2) si l’hélicoptère s’élève à une vingtaine de mètres (ce qui est dans ses capacités puisqu’il pourrait monter à 40 mètres) et se déplace ensuite horizontalement par rapport au sol, je doute qu’il soulève des tornades de poussière (n’oubliez pas que si la poussière est très fine, l’atmosphère est très ténue); l’hélicoptère peut rendre des services très importants en allant photographier des pentes très fortes ou des falaises (qui se trouveront non pas sous les pales mais à côté); enfin ne craignez rien pour le rover porteur, il est bien dit que l’hélicoptère sera déposé puis que le rover s’éloignera et le commandera à distance. Il se rechargera ensuite tout seul en énergie grâce aux panneaux solaires qui recouvriront sa surface.
      Ce que vous dites des limitations de volume et de masse pour les charges utiles est aussi vrai mais cela force à l’ingéniosité: faire le maximum avec le minimum et on ne peut pas dire que les résultats ne soient pas remarquables.Nous avons actuellement un rover “Curiosity” qui a une masse d’une tonne et qui est un “laboratoire mobile” dont on ne peut que louer les performances.
      Pour ce qui est de vos considération sur la coopération internationale, je pense exactement le contraire. Ce qui fait “avancer le monde” ce n’est pas la coopération internationale mais le leadership et la concurrence. On le voit bien dans toutes les missions robotiques. Un chef de projet lance un concept et rassemble pour le réaliser les meilleures entreprises au monde (et elles ne sont pas imposées comme de telle ou telle nationalité). Que le chef de projet soit public ou privé a peu d’importance, il suffit qu’il ait les moyens de ses ambitions mais on peut quand même constater qu’Elon Musk a été extrêmement performant et ce qu’il a réussi à faire, notamment la ré-utilisabilité du premier étage de ses lanceurs, est absolument génial et porteur de beaucoup d’autres progrès. Si le secteur public américain (la NASA) a perdu la main pour les vols habités, ce n’est certes pas la faute du secteur privé mais plutôt de choix politiques malheureux (la Navette puis l’ISS), d’où l’intérêt d’ailleurs d’avoir d’autres entités actives qui n’attendent pas les instructions que les politiques leur donnent.

    2. L’histoire de l’humanité montre qu’il y a toujours eu des hommes pour lesquels “rien n’est jamais possible”, … et d’autres qui réussissent parce qu’ils ne savaient pas que c’était “impossible” ( 🙂 ). Je me rappelle en particulier un “éminent” spécialiste astronautique français qui démontrait par a + b dans une revue spécialisée en 1968 que le programme Apollo était une aberration qui ne permettrait jamais d’aller marcher sur la Lune. J’aurais aimé voir sa tête une année après!
      Cela dit, il ne faut pas non plus admirer de manière béate toute proposition qui répond à nos attentes et espoirs, sans faire preuve d’un minimum d’esprit critique. La bonne attitude il me semble est de savoir prendre du recul, mettre en évidence des faiblesses ou des défauts éventuels et proposer des solutions alternatives, en gardant un esprit positif et ouvert à la discussion. C’est ainsi que l’on fait le mieux progresser les choses.
      De ce point de vue, je trouve intéressant le projet de la NASA (entre parenthèses, la vue d’artiste ne respecte absolument pas les proportions entre le corps de l’engin et l’envergure des pales!), mais je trouve que c’est un peu se compliquer la vie alors qu’on pourrait faire mieux et plus efficace avec un dirigeable. Cette solution me semble préférable dans les conditions de l’environnement martien. Pourquoi “gaspiller” inutilement de l’énergie, et donc réduire l’autonomie et les temps de vol, pour assurer une sustentation que l’atmosphère martienne peut nous fournir “gratuitement”? En outre, des ballons ont volé sur Terre aux altitudes correspondant aux conditions de l’atmosphère martienne près du sol, alors qu’avec les hélicoptères ont en est TRES loin.

      1. Je préférerais moi aussi que l’on travaille sérieusement le concept de dirigeable. En effet il présente l’intérêt énorme de consommer beaucoup moins d’énergie (il n’en faut que pour la propulsion à l’horizontale et le fonctionnement des appareils embarqués). Ce qu’il faudrait savoir c’est quelle masse utile (“payload”) un dirigeable pourrait emporter au dessus de la surface de Mars (quand même là où elle est relativement dense) sous la contrainte de la masse de l’enveloppe, de la structure (forme aérodynamique, ailerons et gouvernail), du petit moteur nécessaire à la propulsion, des télécommandes et du système de communication, de l’énergie embarquée – probablement panneaux solaires – et du gaz gonflant la structure. Cette masse sauf celle du gaz, doit venir de la Terre. J’ai proposé à une grande école d’ingénieurs d’étudier ce problème…mais jusqu’à présent, cela n’a intéressé personne!

  2. Bonjour à tous,
    Selon moi, c’est une excellente nouvelle que cette décision d’emporter un petit drone hélicoptère sur Mars 2020.
    Je me pose la question de comment seront utilisées les prises de vue obtenue par cet aéronef ? En effet, le rover de Mars 2020 devrait être capable d’une plus grande autonomie dans ses déplacements. Il serait intéressant d’intégrer automatiquement les images prises du ciel au processus de définition de la trajectoire.
    Enfin, Est-ce qu’un aéronef captif n’aurait pas été plus judicieux ? En effet, le rover est capable d’alimenter le drone pendant plusieurs dizaines de minutes. Reste la difficulté de l’atterrissage sur le rover qui n’en n’est peut-être pas une. Il faudrait faire quelques essais sur Terre. Dans tous les cas, cela résoudrait le problème de la poussière du sol martien évoquée plus haut.

    1. Ne vous inquiétez pas Xavier! Une fois déposé au sol, le mini-hélicoptère sera autonome. En effet le rover s’éloignera d’une vingtaine de mètres et l’hélicoptère chargera ses batteries à l’aide de ses propres panneaux solaires (recouvrant sa surface haute). Lorsque le plein d’énergie sera fait, il pourra voler 3 minutes puis reviendra se poser à proximité du rover. Il lui enverra les données collectées par les ondes et recommencera à charger ses batteries à l’aide de ses panneaux solaires…donc il y a peu de risques qu’il envoie la poussière du sol de Mars sur le rover.

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