Mars ne pourra sauver qu’un petit nombre d’élus

Mars ne pourra jamais servir d’exutoire aux excès démographiques de la Terre mais elle pourrait sauver la civilisation humaine au cas où la Terre étoufferait du fait de ces excès. Il y a quatre raisons à cela: en positif, l’habitabilité relative de Mars ; en négatif, la limitation des capacités d’emport de nos fusées, l’absence d’infrastructures et la limitation naturelle des ressources martiennes.

Mais de quels chiffres parle-t-on ?

Actuellement, chaque jour, la population mondiale croît de 227.000 personnes, ce qui donne chaque année 83 millions de personnes en plus et sur l’intervalle entre deux fenêtres de lancement vers Mars (26 mois), 180 millions de personnes en plus (il parait que le taux de progression va se ralentir!). Les lanceurs d’Elon Musk, qui sont les plus audacieux que l’on puisse concevoir aujourd’hui, pourraient transporter 100 personnes (avec leur support-vie) ou une charge utile de cent tonnes. En fait au début on aura plutôt 10 personnes et 90 tonnes (un maximum de charges utiles d’infrastructure et un minimum d’hommes pour les mettre en place). On peut concevoir la construction de plusieurs lanceurs, si quelqu’un peut les payer, mais il se passera pas mal de temps avant que des flottes d’une douzaine de lanceurs soient envoyées lors de chaque fenêtre de lancement (cela suppose que les vols soient devenus rentables car l’économie martienne serait parvenue à générer les revenus nécessaires à leur financement). Dans cette hypothèse, très optimiste (tout dépend du temps que l’on considère, peut-être 40 ans ?), on arriverait à un millier de personnes par période de 26 mois. Vous voyez que la « soupape » martienne ne pourra en aucun cas résoudre le problème de l’explosion démographique terrestre. Et encore, la capacité d’emport n’est pas le seul problème qui se pose.

La deuxième contrainte, tout aussi limitante, est la nécessité de construire de quoi loger, équiper, nourrir les populations qui partiront, et ensuite de leur envoyer les pièces de rechange(1) de tous les équipements, ou tous les biens (médicaments, électronique, par exemple) qui ne pourront pas pendant longtemps être fabriqués sur place parce qu’il est trop difficile d’y installer les unités de production les plus sophistiquées (cette situation évoluera avec le temps). J’ai participé à une étude de mon ami Richard Heidmann (polytechnicien et fondateur de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society) qui met bien en évidence ces contraintes (voir lien ci-dessous(2)). De plus, quels que soit les moyens techniques dont on disposera qualitativement et compte tenu de la faiblesse quantitative de la population sur place et aussi de la rudesse de l’environnement, il faudra plusieurs mois pour construire, viabiliser et raccorder un habitat d’une dizaine de personnes à l’ensemble de la colonie (la quantité d’habitats construits par période sera donc fonction des équipements disponibles et des personnes capables de s’en servir) et chaque habitant aura besoin d’une centaine de m2 de cultures sous serre pour s’alimenter (sans compter les locaux communs pour travailler et pour simplement vivre). De même les vêtements, objets usuels, devront pour l’essentiel être produits sur place à partir des ressources locales, avec des robots dont les pièces devront, pour l’essentiel de leur masse, avoir été produites sur place mais aussi (pendant longtemps) importées. Par ailleurs toute production locale suppose l’obtention de produits semi-finis à partir de matières premières brutes qu’il faudra extraire du sol ou de l’atmosphère, affiner et transporter (sur des routes a priori inexistantes). La charge de l’accueil sera énorme tant au point de vue logistique que financier, surtout au début quand les arrivants seront en proportion importante par rapport aux personnes déjà installées. Comme tout processus supportable (« sustainable »), il devra se dérouler sur la durée permettant l’absorption et l’intégration, ce qui implique entre autre, la participation aussi rapide que possible des migrants à la production des capacités d’accueil, de bon fonctionnement et de maintenance de la colonie (on ne fera venir que les personnes qui lui seront utiles ou qui pourront payer voyage et séjour).

Le troisième frein au peuplement de Mars sera les ressources propres de la planète. Elle est certes plus hospitalière que les autres corps de notre système stellaire mais elle reste beaucoup moins riche que la Terre en eau et en oxygène atmosphérique (partie de son gaz carbonique). On parviendra sans doute à recycler beaucoup plus que sur Terre (ce sera une nécessité, un laboratoire et un modèle) mais il ne faut pas rêver d’une population supérieure à quelques petits millions de personnes (2 ou 3?). Davantage mettrait une pression trop grande sur la planète. N’oublions pas que les astres sont des êtres se perpétuant dans un certain équilibre et que trop les modifier pourrait entraîner des effets indésirables. C’est en partie pourquoi je pense que la terraformation est illusoire (pour ne pas dire dangereuse) en dehors du fait qu’elle demanderait un investissement trop grand pour des retours trop lointains. Par exemple le projet de faire fondre les calottes polaires pour épaissir l’atmosphère et distribuer plus également l’eau en surface me semble en contradiction avec un cycle de l’eau bien établi dont la disparition pourrait être plus négative que positive (tempêtes de poussière plus fréquentes et plus graves, moindre accessibilité de l’eau, nouvelles pertes atmosphériques dans l’espace). Sur Mars, pas plus que sur Terre, il ne convient de jouer aux apprentis sorciers. Enfin la rareté de l’atmosphère et l’absence de couche d’ozone imposeront de rechercher toujours le maximum de protection contre les radiations. On l’obtiendra sans trop de difficultés dans les bulles de vie (qui, espérons-le, seront de plus en plus vastes) mais dans la perspective de sorties à l’extérieur on recherchera toujours pour s’établir, les régions aux altitudes les plus basses et qui de ce fait offrent la meilleure protection puisque jouissant d’une atmosphère plus épaisse (1135 pascals au fond du Bassin d’Hellas contre 70 pascals au sommet d’Olympus Mons). Cette contrainte limite la surface utile pour les implantations aux régions les plus basses, en fait surtout les basses terres du Nord dans les zones équatoriales et d’altitudes moyennes (températures!) ainsi que le bassin d’Hellas et le fond des grands cratères.

Le problème reste de savoir si Mars pourrait accéder en cas de besoin (destruction de la civilisation humaine) à une autonomie suffisante pour reprendre le flambeau et prospérer. Je le pense. Non que le petit nombre d’habitants permette l’expression d’une diversité et d’une richesse égales à celles de la Terre mais enfin il devrait être suffisant pour préserver une diversité génétique et culturelle permettant de continuer cette civilisation.

Aussi longtemps que la vie humaine sur Terre coexistera avec la vie humaine sur Mars, il y aura bien sûr enrichissement réciproque par des échanges continus mais Mars devra toujours être considérée comme un sanctuaire ou un vaisseau spatial prêt à continuer seul sa route. Cet objectif d’autonomie sera conforté naturellement par trois facteurs : la distance entre les deux planètes qui constituera une barrière haute (ou une contrainte forte) compte tenu du coût des transports, l’inconvénient de l’exposition aux radiations pendant le voyage et enfin la gravité martienne qui limitera les possibilités de séjour des Martiens sur Terre en raison de l’accoutumance de leur organisme (et surtout de leur pompe cardiaque) à des sollicitations physiques moins fortes que sur leur planète d’origine.

(1) Référence: IAC-14-A5.2.7 “An independent assessment of the technical feasibility of the Mars-One mission plan” par Sydney Do et al. (y compris Olivier de Weck, diplomé de l’ETHZ et professeur au MIT).

(2) Voir sur le site de l’APM le «Modèle économique pour une colonie martienne de mille résidents » :

http://planete-mars.com/un-modele-economique-pour-une-colonie-martienne-de-mille-residents/

Image à la Une : structure d’une base martienne de seconde génération (1000 résidents) telle que vue par Richard Heidmann. Les habitats résidentiels sont des segments des barres (en bleu les logements, en vert les serres); les bâtiments communs sont au centre. Mon article décrit un futur plus lointain mais cette première base pourrait constituer de module pour une installation plus vaste.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

6 réponses à “Mars ne pourra sauver qu’un petit nombre d’élus

  1. mais arrêter de fantasmer, la planète Mars n’est pas une destination à titre permanent !
    Et puis, si les hommes ne trouvent pas de solutions pour vivre sur Terre, pourquoi en trouveraient-ils sur Mars ?
    J’ajoute que je ne vois que des hommes dans cette société de rêveurs, difficile donc d’imaginer une nouvelle génération !!! Peut-être que les femmes sont plus réalistes sur certains sujets .

    1. Il est souvent plus facile de recommencer que de continuer mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’efforcer d’améliorer la situation sur Terre (on peut faire les deux). Par ailleurs ce n’est pas parce-que nous aurons une Terre plus policée que nous eviterons une chute d’astéroïdes ou autre catastrophe “locale”. Enfin si vous ne voulez pas venir, ce n’est pas grave, comme dit ci-dessus il n’y aura pas de place pour tout le monde.
      PS:Il est vrai que nous avons moins de femmes que d’hommes dans notre association (nous en avons quand même); puisque vous me donnez l’occasion, je leur lance un appel à nous rejoindre!

  2. Je pense qu’il est évident que Mars n’est pas le lieu ou l’humanité prospéra après la Terre.
    Ce sera plutôt le parfait laboratoire en attendant que les technologies de propulsion évoluent pour atteindre une exoplanète plus accueillante: avec une atmosphère.
    Comme dit dans l’article essayer de terraformer Mars et un peu illusoire.
    En revanche il est possible d’y tester du matériel, d’expérimenter la vie en communauté ou d’y observer la santé du corps humain ailleurs que sur terre sur le long terme.
    Il y a pleins de chose a expérimenter qui seront précieuses dans l’optique d’une colonie permanente a grande échelle.
    Des questions comme le cadre juridique, la relation avec la Terre, le commerce, etc.. sont des questions moins primordiales que les premiers soucis liés a la survies mais qui devront être posées et réglées si nous voulons un jour vire ailleurs en harmonie.

    1. Mars ne sera pas la remplaçante de la Terre sauf si une catastrophe survenait qui détruise la Terre mais elle pourrait quand même permettre à une colonie importante de Terriens de vivre dans des conditions acceptables.
      L’idéal serait de trouver une planète plus accueillante que Mars mais la difficulté est la distance et le temps. Rappelons que l’étoile la plus proche, Proxima Centauri se trouve à environ 4 années-lumière de chez nous, c’est à dire à 40 mille milliards de km et qu’il nous faudrait 20 ans à 20% de la vitesse de la lumière pour l’atteindre.
      Donc avec les technologies actuelles, Mars est la seule alternative possible, la seule “planète B”… à laquelle nous pouvons sérieusement penser. Ce n’est déjà pas si mal.

  3. Si l’homme veut vraiment un jour coloniser Mars pour une raison de survie, qu’en est il de toute la diversité que nous connaissons sur Terre et qui nous entouré, je parle de la faune et de la flore. Pensez vous que l’homme pourrait aller vivre sur Mars et faire un trait sur toute cette richesse qui nous entoure ici sur Terre ? Ne faudrait il pas aussi penser à sauver les espèces animales et végètales pour qu’on se sente moins seul sur Mars. Que des hommes et rien que des hommes, entourés de poussières et de rien d’autres, je crois que ça ne marchera pas. Si l’homme va sur Mars, il devra se sentir comme sur Terre et être entouré de tout ce qu’il connaît . De plus, de quoi va t il se nourrir ?que fait on de l’élevage et de la diversité alimentaire. L’homme sur Mars devra t il être Vegan? Et puis même, pour faire pousser quelque chose sur Mars, devra t on importer de la terre fertile de la Terre en suffisance pour pouvoir assurer une production alimentaire de type végétale ?Et l’eau, il en faut bcp pour faire pousser des plantes, va ton aussi l’amener de la Terre ? On ne peut pas sauver que l’homme, il faut sauver tout un écosystème, les plantes, les arbres, les insectes, les animaux, etc… Rien que l’abeille a déjà son importance dans la pollinisation…. Imaginez le reste.

    1. Cher Monsieur,
      Il n’est pas question pour moi de « faire un trait sur toute la richesse qui nous entoure ici sur Terre ». Aller sur Mars n’implique pas du tout que l’on se désintéresse de la Terre, qu’on la sacrifie, qu’on l’abandonne. Ce n’est pas du tout mon propos.
      J’envisage d’aller sur Mars pour plusieurs raisons : la curiosité, la science, le plaisir de l’ingénierie, l’implantation d’une bouture de l’humanité ailleurs que sur Terre. Dans cette dernière hypothèse l’implantation sur Mars aurait pour objectif de prolonger, diversifier l’aventure humaine et/ou de tenter de survivre en temps qu’espèce ailleurs que sur Terre si par malheur la Terre était détruite. NB : l’homme ne quittera jamais la Terre par millions d’individus mais seulement par quelques milliers, le voyage restera difficile, long, cher et couteux.
      Bien entendu une telle implantation n’est possible que si on est capable de recréer une bulle de vie sur Mars qui reproduit à petite échelle l’environnement écologique qui nous est nécessaire. Nous sommes les produits de la Terre (matière) et du Soleil (énergie) et de toute une évolution, sur des milliards d’années, dans ce milieu et nous avons besoin de toutes sortes d’êtres vivants appartenant à notre environnement terrestre pour survivre. Quant aux éléments minéraux, gazeux et l’eau, on les trouvera sur Mars. Tout cela est étudié depuis des années par la NASA ou l’ESA, notamment dans le cadre de MELiSSA (Micro Ecological Life Support System Alternative). MELiSSA s’efforce de savoir quels sont les éléments absolument indispensables et productibles ou reproductibles sur place (Mars) et on a déjà obtenu des résultats remarquables. Pour vous renseigner davantage, lisez mon blog ; j’ai traité le sujet à plusieurs reprises.
      Pour terminer ma réponse, je ne pense pas que vivre dans ces bulles de vie « viabilisées » au milieu du désert martien soit désagréable. Je m’imagine très bien dans ce cadre et je pense que beaucoup d’autres Terriens également. Mais bien entendu le confort ne sera atteint qu’après un certain nombre d’années « pionnières », un peu spartiates.

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