On to Mars !…avec Elon Musk, Robert Zubrin et compagnie

Ce 21 octobre, dans un article publié par The New Atlantis, Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society aux Etats-Unis, a fait une revue critique du projet ITS qu’Elon Musk a présenté le 27 septembre à l’IAC. Ces critiques doivent être vues comme des corrections et des améliorations plutôt que des rejets. La réflexion astronautique qu’on pourrait dire « off » (par rapport aux agences spatiales) n’a jamais paru aussi sérieuse et porteuse d’avenir.

Rappelons d’abord que le projet d’Elon Musk consiste à construire des vaisseaux spatiaux tout à fait révolutionnaires par leur puissance (capacité d’emporter jusqu’à 550 tonnes en orbite basse terrestre -« LEO »- alors que nous n’en sommes qu’à une cinquantaine avec les autres lanceurs lourds). Ces vaisseaux doivent permettre de déposer 100 personnes ou 100 tonnes à la surface de Mars à l’issue d’un voyage particulièrement court par rapport à ce que l’on imaginait pouvoir faire jusqu’à aujourd’hui (une centaine de jours au lieu de 180 jours). Le vaisseau, nommé ITS (pour Interplanetary Transport System), comporte deux parties, un énorme lanceur de plus de 71,5 mètres de haut, équipé de 42 moteurs surpuissants, délivrant une poussée de 13.000 tonnes, pour arracher une masse  de 10.500 tonnes à la gravité terrestre jusqu’à l’orbite terrestre et un vaisseau comprenant, outre l’habitat des passagers, un deuxième étage de propulsion intégré, permettant d’injecter le vaisseau dans une orbite interplanétaire jusqu’à Mars. L’ensemble, de 240 tonnes à sec (sans carburant, dont 150 tonnes pour le vaisseau-habitat), doit être descendu en surface de Mars par rétropropulsion.

La critique principale de Robert Zubrin à ce projet est qu’il faut éviter de déposer sur Mars une masse importante qu’on n’a pas l’intention de laisser. Il est vrai que l’astronautique consiste à utiliser le minimum d’énergie pour transporter le maximum de masse (y compris la réserve d’énergie et le moteur) le plus loin possible compte tenu de la contrainte très forte que constituent les puits de gravité planétaires. Robert Zubrin propose donc de séparer le compartiment habité du deuxième étage de l’ITS et le segment propulseur de ce deuxième étage, juste après que ce dernier ait donné l’impulsion pour aller de l’orbite de parking terrestre jusqu’à Mars (en conservant tout de même un système de rétropropulsion « modeste » permettant au vaisseau habité de se poser sur Mars). Cela permettrait d’alléger la masse à déposer sur Mars (70 tonnes ?) tout en libérant le segment propulseur, réutilisable (selon l’apport majeur fait par Elon Musk à l’astronautique). Ce segment pourrait, au cours de la même fenêtre de tir, être utilisé plusieurs fois (une dizaine ?) pour injecter d’autres vaisseaux habités vers Mars.

NB: compte tenu de la mécanique céleste, un départ vers Mars n’est possible que tous les 26 mois et le retour vers la Terre ne peut intervenir que 30 mois après le départ (voyage aller de 6 mois, séjour de 18 mois en surface, voyage retour de 6 mois). Tout objet parti sur Mars ne pourra donc revenir sur Terre que 30 mois après.

Cette idée très novatrice mais tout à fait logique car déduite de la réutilisabilité, présente tout de même une difficulté, c’est que le vaisseau serait capable d’atterrir sur Mars mais probablement pas d’en repartir. Robert Zubrin n’y voit pas de désavantage, car il pense judicieux de l’utiliser comme un habitat sur Mars où l’alternative coûteuse et difficile au début, serait de créer de tels habitats et de les viabiliser. Il ajoute que l’étage « rétropropulsif modeste » pourrait être récupéré et adapté à une petite cabine emportant les candidats au retour sur Terre. Cela suppose quand même que les candidats au retour soient beaucoup moins nombreux que ceux qui arrivent sur Mars et je pense qu’au début de la « colonisation » ce ne sera pas du tout évident. Il faudrait voir quel nombre de passagers sans autres équipements et vivres que celles nécessaires à survivre pendant le vol retour, serait compatible avec la poussée du système « rétropropulsif modeste ».* voir PS ci-dessous.

On pourrait aussi concevoir un système mixte, d’une part des vaisseaux envoyés sur Mars pour y rester (donc vaisseaux sans segment propulsif complémentaire complet) et celui des vaisseaux capables de faire l’aller et retour (avec segment propulsif complémentaire complet). Cela permettrait d’utiliser à plein la formule proposée par Robert Zubrin (de réutilisation du second étage du lanceur) et d’obtenir quand même des économies d’échelles importantes. Il faudrait donc concevoir une variante de l’ITS correspondant à cette proposition, ce qui n’exclurait pas qu’on utilise également des lanceurs plus petits (50 tonnes en LEO).

Les autres propositions de Robert Zubrin sont pleines de bon sens. Il s’agit notamment de ne pas opter pour les voyages rapides (115 jours ou moins). Les raisons qui font préférer un voyage de durée « normale » (de 6 mois) sont que (1) plus on dépense d’énergie moins on transporte de masse et le but est quand même d’en transporter le plus possible, (2) en allant trop vite, on décrit dans l’espace l’arc d’une ellipse dont l’apogée est beaucoup trop éloigné (très au-delà de Mars) et empêche une trajectoire de libre retour (retour sur Terre sans utilisation d’énergie complémentaire et dans un temps raisonnable, en cas d’impossibilité de se poser sur Mars).

Elon Musk a ainsi « réveillé » la discussion sur la technologie des voyages spatiaux en faisant monter une marche de plus vers la faisabilité du projet Mars. Nul doute que d’autres critiques seront formulées. Pierre-André Haldi, vice-président de la Mars society Switzerland et spécialiste de l’énergie (systèmes énergétiques, analyse et gestion des risques -industriels et naturels) y travaille dans son domaine. Mais on est entrée dans un processus itératif qui, sur la base de la réutilisabilité « muskienne », doit conduire à un système de transport relativement bon marché qui rendra très bientôt le voyage vraiment possible, tant financièrement que techniquement.

Liens vers l’article de Robert Zubrin publié dans The New Atlantis : http://www.thenewatlantis.com/publications/colonizing-mars

Image à la Une : Vaisseau spatial d’Elon Musk, partie du système ITS devant aller jusqu’à la surface de Mars. Il fait 49,5 mètres de long et son diamètre maximum est de 17 mètres ; il pourrait transporter 300 tonnes en version passagers (soit 100 personnes) et 450 tonnes en version cargo. Il serait équipé de neuf moteurs Raptor et de réservoirs pouvant contenir 1950 à 2500 (cargo) tonnes de carburant/comburant (méthane/oxygène). Robert Zubrin propose de séparer la partie habitat (22 mètres) de la partie réservoirs/système de propulsion (à remplacer par un dispositif beaucoup plus petit permettant simplement de se poser sur Mars (donc au total le vaisseau-habitat ferait une trentaine de mètres).   

PS: Selon Robert Zubrin que j’ai contacté à ce sujet, on pourrait renvoyer sur Terre une soixantaine de tonnes soit une trentaine de personnes (par segmentation du gros vaisseau prévu par Elon Musk). Cela semble suffisant puisque (1) au début de la colonisation il faudra envoyer plus d’équipements que de personnes et ensuite (2), lorsque la colonisation pourra se faire sereinement avec une base déjà bien installée, on peut concevoir que plus de gens veuillent rester sur Mars qu’en repartir. De toutes façons la solution mixte que j’évoque devrait être étudiée.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

2 réponses à “On to Mars !…avec Elon Musk, Robert Zubrin et compagnie

  1. Vous dites : “compte tenu de la mécanique céleste, un départ ver Mars n’est possible que tous les 26 mois et le retour vers la Terre ne peut intervenir que 30 mois après le départ (voyage aller de 6 mois, séjour de 18 mois en surface, voyage retour de 6 mois). Tout objet parti sur Mars ne pourra donc revenir sur Terre que 30 mois après.” Je pense que ceci n’est pas toujours exact.
    Les trajectoires ballistiques vers Mars sont de plusieurs type, T1, T2, etc. La trajectoire de type T1 est la plus directe et la plus courte et dure 6 mois, avec des vitesses importantes au depart et à l’arrivee. La seconde possibilite est une trajectoire plus longue de type T2 qui dure environ 8 mois et qui fait un demi tour de plus autour de Mars avec des valeurs plus raisonnables en termes de Vinf sur l’hyperbole. Ensuite on peut avoir des trajectoires de type T3 ou T4 type, en fonction du nombre de demi revolutions autour de Mars. On gagne 6 mois de plus en longueur, chaque fois que le nombre augmente de 1 digit. Une trajectoire de type T4 dure deux ans, etc. Donc une trajectoire T1 (la plus courte) dure environ 6 mois, et la fenetre de tir dure environ 3 semaines. Il est donc possible d’effectuer un voyage de 6 mois, de descendre et rester sur Mars une ou deux semaines, et de revenir vers la Terre en six mois de plus. On est loin des 30 mois minimum que vous annoncez, meme avec une trajcetoire de type 2 plus raisonnable. Tout ceci doit bien sûr être affiné en fonction de la date de tir prevue et du creneau martien. Si le vehicule est motorisé et peut gagner de la vitesse sur sa trajectoire puis decelerer, les durees sont egalement modifiees (e.g. avec un moteur VASIM R testé par NASA).

    1. Merci Madame, de votre intérêt pour mon article et pour votre commentaire.
      Je n’ignore pas que plusieurs trajectoires sont possibles. Je me situais dans l’hypothèse qui je crois s’impose, où (1) l’on souhaite aller au plus vite sur Mars en y apportant un maximum de masse utile; (2) l’on veut éviter de revenir sur Terre par un voyage plus long que les 6 mois nécessaires pour l’aller (longue exposition aux radiations); (3) l’on veut éviter de ce fait, de devoir descendre très bas (en dessous de l’orbite de Vénus) dans le système solaire interne (chaleur et risque radiatif); (4) l’on veut éviter d’acquérir de ce fait une vitesse par rapport à la Terre trop élevée lors de l’approche de cette dernière (impliquant une plus grande difficulté pour le freinage et un risque pour l’EDL).
      par ailleurs il me semble que partir pour Mars pour n’y rester que quelques semaines serait aberrant sur le plan de la rentabilité de la mission (au moins pendant la phase d’exploration). Si l’on va sur Mars, ce n’est pas pour “faire une petite promenade” (ou pour dire qu’on y a été) mais pour y faire quelque chose d’utile, a priori de la recherche planétologique, géologique ou exobiologique ou encore pour commencer à y implanter les infrastructures nécessaires à l’établissement d’une base permanente (toutes choses qui pour être vraiment efficaces nécessiteraient une présence humaine et non seulement un apport d’équipements). Maintenant, lorsqu’une telle base martienne aura été établie, il ne serait pas déraisonnable de profiter de la fenêtre de retour de quelques semaines après l’arrivée, pour renvoyer sur Terre des objets ou échantillons urgents ou encore des personnes devant absolument être rapatriées (après avoir évalué dans ce dernier cas, les avantages d’un tel retour anticipé par rapport aux risques qu’il implique).
      Ceci dit, il n’en reste pas moins que les possibilités de départ réalistes de la Terre pour Mars (fenêtre de tir) ne se présentent que tous les 26 mois.
      Quant aux possibilités de VASIMR il faudrait, avant de l’envisager comme mode de propulsion sérieux, trouver une solution pour réduire la masse (1) du générateur très puissant qui doit être embarqué pour pré-ioniser le gaz qui doit être propulsé, confiner le plasma, l’ioniser totalement, générer un champs électrique et ainsi pouvoir l’expulser par la tuyère; (2) du radiateur du système car la chaleur énorme doit absolument être écartée du vaisseau spatial.

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