L’envie de Mars

Immanquablement, la question qui se pose quand on envisage l’établissement de l’homme sur Mars, est celle de son financement. Il semble, a priori déjà, coûteux d’entreprendre les premières missions (probablement quelques dizaines de milliards d’euros pour la première) alors quid des suivantes ? Comment faire pour qu’elles se perpétuent ? La réponse me semble être : « susciter une offre accessible en face d’une demande auto-solvable ». Pour développer, cela veut dire que l’entité gérant la colonie martienne devra offrir aux candidats à l’expatriation sur Mars, ou aux investisseurs souhaitant miser sur son développement, un voyage et un séjour qui leur seront financièrement accessibles, ou rentables, parce que leur présence, ou leur action, sur Mars leur permettront de générer des revenus suffisants à leur maintien sur place et à leur prospérité ainsi qu’à celle de l’entité hôte elle-même.

En écrivant cela, j’exclue que ce soit les Etats, ou de « généreux mécènes », qui financent à fonds perdus, indéfiniment, les infrastructures, les voyages et les séjours. Si tel était le cas, l’effort ne durerait qu’un temps car les contribuables de tous les pays impliqués pourraient décider, un jour (indéterminé bien sûr) qu’ils n’ont pas, ou plus, de retour satisfaisant (pour quelque raison que ce soit) sur leur investissement collectif ou bien les mécènes finiraient par mourir après avoir épuisé leur fortune, versée sans fruit dans le sable stérile des déserts martiens.

Il faut donc, le plus rapidement possible, avant que les généreux donateurs publics ou privés d’origine ne se lassent, que l’établissement martien devienne autonome et qu’il devienne « intéressant » non seulement scientifiquement mais aussi économiquement pour tous les participants. Voyons comment cela pourrait être possible.

Pour les fournisseurs de véhicules, d’équipements, d’énergie et de transports, il n’y aura pas de problème tant qu’il y aura des acheteurs en face. C’est du côté de la demande « auto-solvable » que la question se pose. Par « auto-solvable » j’entends une demande qui n’est pas alimentée par des subventions (provenant de prélèvements publics) mais générée par l’activité propre de la personne qui l’exprime. Il faudra que les consommateurs ou investisseurs génèrent par leurs activités propres les ressources nécessaires à payer des véhicules, des équipements, de l’énergie et des transports en quantité suffisante. Il faudra qu’un nombre suffisant de personnes aient une « envie » économique de Mars suffisamment forte pour que la colonie martienne puisse vivre indépendamment de toute aide des institutions terrestres.

Ce seront surtout les débuts qui seront difficiles car la création d’infrastructures nécessaires sera très lourde financièrement puisqu’il n’y a aucune capacité de production sur Mars et que les conditions environnementales imposeront un surcroit de besoins dans ce domaine. Il faudra donc que les promoteurs de l’installation de l’homme sur Mars, s’occupent d’abord de cette création en minimisant au maximum les dépenses inutiles. Par exemple il ne faudra construire qu’une seule et non plusieurs bases martiennes contrairement à ce que certains prévoient aujourd’hui. En effet il suffira d’être n’importe où sur Mars pour pouvoir agir en temps réel par robots interposés où que ce soit à la surface de la planète (ce qui est impossible depuis la Terre). La centralisation en un seul lieu des équipements expédiés de la Terre permettra d’en maximiser la rentabilité. Il faudra aussi choisir des équipements robustes, modulaires, faciles à entretenir, réparer ou remplacer. Il faudra encore favoriser l’importation d’équipements pouvant en créer d’autres (les imprimantes 3D). Surtout, il faudra rechercher toutes possibilités d’utilisation des ressources locales, évitant au maximum les importations de tout objet, ou matière, massifs, depuis la Terre. Cela devra s’appliquer en priorité à la production d’énergie. Dans cet esprit, en alternative à l’énergie solaire ou nucléaire, la découverte d’un point chaud permettant la géothermie serait une opportunité à privilégier pour l’implantation de la base pourvu que l’altitude où il se trouve soit basse (pour bénéficier d’un maximum de protection contre les radiations).

Il en résultera probablement une période d’investissements avec très peu de « retours ». Les investissements devront être conçus pour que ces retours augmentent aussi vite que possible car les « périodes de grâce » ne peuvent être supportées que si elles sont à l’échelle humaine. Pour un investisseur « normal » quel qu’il soit, un horizon de 15 ans est un maximum ; pour des institutions on peut aller plus loin (40 ans ?) mais à défaut de retour financier immédiat, il faudra d’autres « satisfactions ». L’exploration de Mars, l’installation de l’homme ailleurs que sur Terre, l’aventure, pourront sans aucun doute les procurer.

Considérations économiques (2/5); suite la semaine prochaine! 

Image à la Une: La première base martienne. Crédit Manchu /Association Planète Mars. Cette base devra abriter toutes les commodités de la vie. Les premiers “martiens” devront faire face à tous leurs besoins sans approvisionnement possible de la Terre pendant des cycles de 26 mois (sauf télécommunications, donc logiciels envoyés par les ondes et impressions 3D).

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

4 réponses à “L’envie de Mars

  1. Quatre scénarios possibles pour le développement économique de Mars permettant un développement sur le long terme:
    1) Pas de développement suffisant, la conquête de Mars en reste à des missions scientifiques qui explorent la planète sans réelle implantation durable.
    2) Le fameux commerce triangulaire développé par R. Zubrin, si je ne m’abuse, avec la Terre qui fournit Mars en produits technologiques, Mars fournit nourriture et eau aux exploitations minières sur la ceinture d’astéroïdes et la ceinture d’astéroïdes rapatrie des métaux précieux (notamment le platine) sur Terre.
    3) L’exploitation sur Mars d’une ressource ayant un intérêt pour l’économie terrienne (ressource qui reste à découvrir).
    4) Une économie autarcique qui est capable de produire tout ce dont elle a besoin et peut se passer de la Terre.

    A première vue, l’option 1 est la plus réaliste, l’histoire de la conquête de la Lune l’a montrée. L’option 2 est une vue du futur, car les ressources minérales terrestres n’ont pas encore atteint un niveau critique. On peut espérer que d’ici 50 ans, une économie minière spatiale voit le jour, mais d’ici là, il faudra s’en passer. Pour l’option 3, il reste à trouver la ressource qui transformera Mars en Eldorado. Reste l’option 4. Que signifie-t-elle ? Que la Terre ne soutiendra pas le développement de Mars très longtemps. L’aventure martienne va durer 10-30 ans et puis on passera à autre chose. Cela signifie que ceux qui voudront tenter l’aventure martienne devront emporter avec eux tout le nécessaire pour survivre sur Mars.
    Et survivre cela ne veut pas dire produire de la nourriture, extraire de l’eau et se procurer de l’énergie, mais produire des biens industriels après avoir extrait les matériaux sur place.

    On a beaucoup parlé et on parle encore de la production in-situ du carburant pour le retour des missions sur Mars. Mais peu d’études ont été faites sur l’extraction de minerais, la production de métaux et celle de biens manufacturés, la production de substances chimiques de base nécessaires à la fabrication de plastiques et pour finir des biens de haute technologie comme des composants informatiques ou des médicaments et ceci dans un environnement martien.

    Sans monnaie d’échange avec la Terre, il faut que Mars soit capable de produire ce dont elle a besoin et il faut dès maintenant commencer à établir les bases industrielles de la future colonie et définissant les étapes à atteindre et les ressources à emporter avec soi. Cela ressemble un peu aux jeux de stratégie qui fonctionnent sur le développement de technologie en cascade et demandant à chaque fois davantage de ressources et des prérequis de développement.

    1. Vous abordez là un sujet que je développe dans d’autres billets sur les considérations économiques (dont la publication est à venir). Je travaille aussi avec un collègue, sur le développement économique de Mars conduisant à la viabilité d’une base permanente.
      En gros, je ne pense pas que Mars puisse approvisionner la Terre en produits pondéreux, le transport coûterait trop cher. Les ressources martiennes qui pourraient permettre à une communauté martienne de vivre sur des revenus qu’elle générerait, ne peuvent provenir que d’une production immatérielle (sauf exceptions bien sûr, cf plus bas).
      Les motifs d’aller sur Mars pour 30 mois (un cycle synodale) ou plus, ne manquent pas. Une base martienne peut servir d’accueil à des scientifiques désireux de faire des études in situ avec plus de précision et d’efficacité que des robots (pas de time-lag, réactions intelligentes immédiates, adaptabilité aux situations et aux opportunités). Elle peut accueillir des représentants de sociétés industrielles désireuses de tester divers équipements ou processus permettant de vivre en milieux extrêmes et qui auraient des applications sur Terre. Elle peut accueillir des industries trop polluantes dans un environnement terrestre (on retombe sur un problème de pondéreux mais les exportations de produits finis sur Terre d’une industrie polluante, pourraient être limitées en masse, après le processus de fabrication et pour des besoins jugés irremplaçables). Elle peut stocker des données informatiques dans des serveurs informatiques gros producteur de chaleur (on n’a pas besoin d’avoir accès sur Terre à toutes nos données dans un délai inférieur à 45 minutes). Elle peut stocker et gérer une réserve de graines vivrières et autres semences terrestres (équivalant au Svalbard Global Seed Vault). Elle peut accueillir toutes sortes d’artistes. Elle peut accueillir toutes sortes de touristes ou de personnes (évidemment riches) désireuses faire un break à une période ou l’autre de leur vie.
      Si on y réfléchit, les motifs pour aller sur Mars sont nombreux et autour de ces personnes, toute une infrastructure humaine (hôtelière mais aussi artisans, coiffeurs, plombiers, maçons, vitriers, techniciens divers, ingénieurs, architectes, médecins, opérateurs d’imprimantes 3D, éducateurs, professeurs pour les enfants, etc…même policiers et juges) serait nécessaire pour faire vivre les personnes effectuant un séjour sur la planète. Et toutes ces personnes échangeront entre elles, initiant ainsi une économie locale.
      Ce qui est difficile c’est de commencer (“amorcer la pompe”) mais on peut commencer « petit », en reportant la rentabilité à une date ultérieure (période de grâce pour le remboursement des emprunts). La quasi totalité des entreprises commencent comme cela. Ainsi le géant Amazon commence juste à être rentable. Les « Martiens » (population d’accueil) se feront payer leurs services et fabriqueront de plus en plus sur place les produits et les équipements dont ils auront besoin. Ils acquerront ainsi progressivement leur autonomie. Ce sera le gage de la pérennité de leur établissement.
      Il faudra bien sûr produire des machines sur Mars et il faudra un certain temps pour que la planète dispose de tout l’éventail des industries opérationnelles sur Terre mais cela viendra avec le temps et il ne faut pas oublier ni sous-estimer le potentiel des imprimantes 3D.
      Ne vous inquiétez pas non plus pour les ressources minéralogiques. Mars dispose des mêmes minerais que la Terre, et de l’eau. On n’a pas encore constaté l’existence de gisements métalliques mais, compte tenu de l’action de l’eau dans le passé et de l’activité volcanique, il doit y avoir eu concentration et on en trouvera sûrement avec le temps. Un autre problème est l’énergie mais on peut utiliser les panneaux solaires, la géothermie (il faut trouver des points chauds), le méthane brûlant dans l’oxygène (tous deux obtenus par la réaction de Sabatier moyennant un apport d’hydrogène qu’on trouvera dans l’eau martienne) et aussi, pour commencer, l’énergie nucléaire (importée de la Terre bien sûr).

      1. J’ai bien pensé que mon commentaire arrivait un peu tôt dans votre démonstration, mais je vis quand même retourner votre argument: vous indiquez concernant l’exploitation de ressources martiennes pour alimenter l’économie terrienne que le coût du transport serait prohibitif. Si on applique le même raisonnement à toutes les activités que vous avez décrites, on se rend compte cela ne concerne en réalité qu’un tout petit nombre de personnes ou d’entreprises potentielles et qu’il faut encore trouver un moyen de le convaincre d’y aller.
        Je prends l’exemple de l’Antarctique ou de la Lune: combien de villes, de centres de réunion ou de vacances y trouve-t-on ? Vivre dans un environnement hostile implique des contraintes que bien des gens préfèrent éviter, et l’intérêt n’est souvent pas suffisant pour compenser tant de sacrifices, il faut souvent qqchose qui se ressemble à de la passion.
        Bref, je pense que nous irons sur Mars, nous y laisserons quelques scientifiques et quelques passionnés tel que Musk ayant les moyens et une envie qui frise l’obsession. Comme la Lune, nous allons ouvrir une fenêtre de l’histoire terrienne vers Mars, mais cette ouverture sera limitée et il faudra être prêt à utiliser cette fenêtre de toutes les manières possibles pour transférer tout ce qui sera utile au développement de Mars à ce moment-là.

        1. Effectivement, vous anticipez !
          Je pense qu’à la différence de la Lune (environnement beaucoup plus extrême que celui de Mars et retour sur Terre en quelques jours n’importe quand dans l’année) ou de l’Antarctique (retour dans les régions tempérées relativement facile), Mars est trop loin pour qu’on ne s’y installe pas. Etant donné la contrainte imposée par les fenêtres de tir synodales, les séjours sur Mars seront longs (minimum 18 mois) et les voyages coûteux (rotations peu nombreuses). Les séjours supposeront toute une logistique en équipements et aussi en personnel (après la phase pionnière des toutes premières missions habitées). Par ailleurs les voyages présenteront des dangers (radiations, effets de l’apesanteur) auxquels on cherchera à éviter de s’exposer trop rapidement. Enfin, il y aura des « choses à faire » sur Mars (cf. mon billet « Mars notre Nouvelle Frontière »). Je pense donc, pour toutes ces raisons, qu’une fois arrivés les gens seront incités à rester.
          Maintenant il nous faudra des candidats au voyage mais je pense qu’ils ne manqueront pas. On le voit bien à l’intérêt que suscite aujourd’hui le projet d’établissement humain permanent alors que les conditions sont très aventureuses. Outre ceux qui partiront pour la recherche, la curiosité, l’attrait d’un monde nouveau, il y aura aussi ceux qui partiront pour les avantages monétaires. Un bon plombier, un bon électricien ou un bon cuisinier, pourront « faire fortune » sur Mars.
          Mais ne vous inquiétez pas, mes prochains billets aborderont ces sujets !

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