Réponses à quelques objections sur les missions habitées pour Mars

Je réponds ci-après à des objections exprimées par Denis Delbecq sur l’utilité de la présence de l’homme sur Mars dans son article du Temps, page « Débat » du 24 Octobre. Je tiens à préciser que ces réponses ne sont porteuses d’aucune animosité personnelle ; elles ne font que saisir les opportunités de mieux exprimer la position des partisans des missions habitées.

Objection : « …la distance impose des délais de communication d’une vingtaine de minutes qui empêchent toute assistance instantanée en cas de problème, les technologies martiennes devront donc offrir une fiabilité encore jamais réalisée. »

Réponse : c’est précisément parce qu’il y a un « time gap » de 3 à 23 minutes lumière (la distance de Mars à la Terre variant de 56 à 400 millions de km) et que donc les commandes en temps réel des équipements envoyés sur Mars sont impossibles, que la présence de l’homme sur Mars constituerait un progrès considérable en permettant cette commande en temps réel. Cela induirait une efficacité grandement améliorée de nos machines. L’homme sur place serait capable d’estimer les dangers du terrain et l’intérêt de telle ou telle action beaucoup mieux et plus vite que n’importe quel robot aussi bien programmé soit-il.

Objections : la médecine spatiale a énormément progressé depuis les premiers longs séjours sur la station soviétique MIR, mais de nombreuses questions restent encore sans réponse sur l’effet sanitaire et psychologique des rudes conditions imposées aux futurs candidats à l’exploration martienne. C’est bien pour cela que la Nasa a rappelé – et c’est sans doute là le premier objectif de la publication de sa feuille de route – qu’elle a un besoin crucial de prolonger la durée d’utilisation de la Station spatiale internationale, au moins jusqu’en 2024.

Réponse : la Station Spatiale prépare essentiellement aux vols en apesanteur alors qu’il faudrait absolument préparer les vols avec pesanteur artificielle résultant d’une gravité artificielle générée par force centrifuge. En effet les astronautes qui arriveraient sur Mars après 6 mois de voyage en apesanteur ne seraient pas prêts physiquement à explorer un monde où la pesanteur exprimerait à nouveau ses lois. La Mars Society prône depuis sa création en 1996 la mise en rotation du dernier étage du lanceur (après combustion !) avec l’habitat (le couple étant relié par un filin) lors de l’injection de transfert interplanétaire. Cette solution devrait être sérieusement travaillée par les grandes agences (une petite étude a été faite par l’Ecole Centrale de Lille sous la direction de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society). Par ailleurs à l’altitude où elle est située et bénéficiant de la protection de notre magnétosphère, la Station Spatiale ne recrée pas l’environnement radiatif d’un vol dans l’espace profond alors que c’est cet environnement qui pose le problème le plus préoccupant des vols dans l’espace profond.

Du point de vue des vols habités, le maintien de la Station Spatiale est vraiment inutile et coûteux car elle apporte très peu à la préparation de ces vols à l’exception de tests sur le recyclage de l’atmosphère et de l’eau et de la lutte contre les proliférations bactériennes, que l’on aurait pu aussi effectuer dans le cadre de missions plus lointaines (et qui auraient été également utiles de ce fait).

Objection : qui peut croire aujourd’hui qu’un Président américain ira devant le Congrès mimer le discours de John F. Kennedy et annoncer solennellement un nouvel effort national pour poser le pied sur Mars?

Réponse : le second président Bush a bel et bien lancé une telle initiative. Le fait qu’elle ait été avortée par le président Obama, n’empêche pas qu’elle pourrait être relancée, d’autant qu’un lanceur lourd (le « SLS ») est en cours de construction (premier vol prévu en 2018). Ce lanceur ne peut avoir pour objet que l’exploration de l’espace profond par vols habités (surtout dans sa version 130 tonnes en orbite basse terrestre). Une large partie du Congrès (qui peut être majoritaire) en est très demandeuse, l’opinion publique également (comme le montre l’intérêt suscitée par le film « Seul sur Mars »). Par ailleurs plusieurs grands entrepreneurs américains sont très déterminés à la mener à bien et les moyens financiers nécessaires sont presque à leur portée (entre 100 et 150 milliards de dollars sur une période de 10 à 15 ans, soit pas plus de 10 milliards par an).

Objection : …nos savants ont compris que la conquête martienne se poursuivra d’abord, et pour longtemps, avec des machines. La bonne nouvelle, c’est que cela n’empêchera pas la science et la connaissance d’avancer, bien au contraire!

Réponse : la communauté scientifique (dans son ensemble) a certes peur de voir ses budgets de recherche amputés par les sommes qui seraient consacrées aux vols habités. Ce qu’elle ne voit pas c’est que la popularité d’une exploration humaine leur ouvrirait des possibilités de financement bien supérieures à ce dont elle dispose aujourd’hui. D’ailleurs, comme dit plus haut, la présence humaine sur place donnerait à la recherche une efficacité également bien supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Que fait un homme s’il veut déplacer une pierre ? Il utilise ses bras ou un levier. Que fait une machine si elle ne dispose pas des équipements prévus pour une tache simple de ce type ?

Objection : l’ennemi des démocraties du XXIe siècle a bien changé. Il ne s’agit plus d’un Etat sensible à une quelconque fierté nationale. Cet ennemi s’appelle, et pour longtemps, Al Qaeda, Daesh et autres avatars d’un terrorisme aveugle et meurtrier. Que changerait à cet affrontement la vision d’une empreinte humaine dans la poussière rouge de Mars? Rien.

Réponse : effectivement cela ne changerait rien mais va-t-on s’arrêter de vivre et de se projeter dans l’avenir sous prétexte qu’une bande de fous empoisonne l’humanité ? Va-t-on s’arrêter de peindre, d’écrire, de voyager, d’investir dans les loisirs ou dans une recherche qui n’aurait pas pour but direct d’anéantir ces individus nuisibles ? Je ne le pense pas. Une des réponses aux fondamentalistes religieux musulmans c’est de continuer à vivre, à penser, à évoluer, guidés par notre raison, et à montrer que la vie mérite d’être vécue pour autre chose que des « actions de grâce » à une divinité qu’ils pensent assoiffée de sang.

Image de titre: station installée sur Mars dans un futur proche. Crédit illustration: dessinateur “Manchu”/Pierre Brisson/Association Planète Mars. L’habitat est creusé sous le régolite à partir d’une tranchée circulaire utilisée ensuite comme jardin. Le toit de régolite a pour objet de protéger des radiations. L’énergie principale est fournie par un réacteur nucléaire de type “Megapower” (Dept of Energy des Etats-Unis) ; l’énergie d’appoint est donnée par un jeu de panneaux solaires. NB: si le dessin était effectué aujourd’hui (il a été conçu en 2006) , je ferais ajouter un auvent protecteur contre les radiations au-dessus du jardin.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.