ECLSS, une bulle pour la vie

ECLSS, ce sigle a priori peu « parlant », est l’abréviation de « Environment Control and Life Support System ». Il recouvre la nécessité pour l’homme de se déplacer « avec sa coquille » s’il prétend sortir de l’environnement terrestre, et aussi, implicitement, le fait que l’environnement spatial n’est pas naturellement le nôtre. C’est une clef pour comprendre les possibilités mais aussi les difficultés et les dangers de l’exploration spatiale par vols habités.

La maîtrise de l’ECLSS est donc une condition des vols spatiaux. L’homme a besoin d’une atmosphère contenant certains gaz (environ 21% d’oxygène et 78% d’azote) et pas d’autres (gaz carbonique notamment), d’une certaine pression (entre 0,7 et 1 bar), d’eau liquide au pH neutre et d’une atmosphère au contenu bactériologique contrôlé. Il a aussi besoin de se nourrir selon un régime équilibré qui permette à ses fonctions vitales de se perpétuer. Les vols dans l’espace proche aussi bien que lointain, nous forcent à chercher à répondre à ces exigences en utilisant le minimum en termes de masses et de volumes. Cette nécessité implique la réutilisation, c’est à dire le recyclage.

Le problème est complexe et des progrès, lents, sont faits « tous les jours ». On voit bien l’intérêt que cela représente pour la vie terrestre sur Terre. Parmi les recherches qui sont menées sur le sujet, celles en Suisse de l’UniL (« Oïkosmos » de Suren Erkman et Théodore Besson), au Canada de l’Université de Guelph (CESRF, Mike Dixon) et celles de l’ESA (MELiSSA, Christophe Lasseur) sont sans doute les plus remarquables. Idéalement il faudrait pouvoir recycler 100% de ce que l’on consomme. Le « réacteur biologique » Terre y parvient tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui (il semble avoir atteint ses limites, d’où ce qu’on appelle la pollution ou le réchauffement climatique). Cela est évidemment beaucoup plus difficile dans la bulle très restreinte que constitue un habitat artificiel hors de l’environnement terrestre. Aujourd’hui cependant on sait recycler à peu près complètement l’atmosphère et l’eau, moins bien les matières. On sait aussi analyser la qualité microbiologique de l’atmosphère (détecteur MiDASS de EC/ESA/bioMérieux).

Le film « Seul sur Mars » met bien évidence cette problématique mais ne la traite pas de la meilleure façon. En fait une ECLSS efficace doit absolument tirer parti de l’environnement lorsque cet environnement contient des éléments exploitables comme c’est bien le cas de Mars. L’auteur du roman à la base du film commet l’erreur de ne pas envisager l’utilisation de la réaction dite de Sabatier, bien connue et maitrisée, pour obtenir à partir du gaz carbonique martien et d’un peu d’hydrogène, de l’oxygène (pour respirer et pour bruler) et du méthane (pour bruler dans l’oxygène en dégageant de l’énergie permettant de faire fonctionner les machines et les véhicules). Il n’envisage pas non plus, curieusement, d’exploiter l’eau du sol martien que l’on peut obtenir par forage et par chauffage (pergélisol omniprésent).

Mais il ne faut pas non plus « voir trop grand ». Une ECLSS doit être réaliste et respectueuse de l’environnement. Nous avons appris assez récemment que notre planète est un système complexe, cohérent et fragile. Mars l’est aussi. Une ECLSS doit être conçue pour protéger l’homme et lui permettre de vivre, non pour détruire les endroits où il veut s’installer. On ne peut à la légère envisager d’enclencher un processus de terraformation, irrespectueux de « l’autre » et par nature démesuré et donc non contrôlable. La déclaration d’Elon Musk selon laquelle il faudrait faire exploser des bombes thermonucléaires sur les calottes polaires de la planète pour réchauffer et densifier l’atmosphère, apparait à cet égard totalement inacceptable. Ces bombes, outre qu’elles contamineraient la surface de la planète, pourraient certes faire fondre les calottes polaires mais les conditions sur Mars sont telles que, probablement, l’eau retomberait aussitôt en neige plutôt qu’en pluie sur toute la surface et que la poussière et les particules de glace emportées dans l’atmosphère empêcheraient les rayons du soleil de parvenir au sol, déclenchant un hiver très long (à l’échelle humaine). Quel serait l’avantage pour le but recherché ? Par ailleurs, un tel bombardement serait une agression scandaleuse contre un environnement original (riche de ses différences) qu’il convient au moins d’étudier avant de le détruire. Compte tenu de ce que l’on constate aujourd’hui, il y a sans doute eu sur Mars une évolution vers la vie, qui mérite d’être recherchée et comprise. L’homme n’aurait-il rien appris des catastrophes qu’il a à plusieurs reprises causées à son environnement naturel ? Ce serait plus que dommage, un véritable acte de vandalisme.

Image à la Une: le modèle terrestre de la Boucle MELiSSA (crédit ESA/ESTEC/TEC-MCT).

image ci-dessous : la boucle MELiSSA (crédit : ESA/ESTEC/TEC-MCT), les différents compartiments du système MELiSSA (« Micro Ecological Life Support System Alternative ») que l’on pourra un jour utiliser pour les vols spatiaux. Il s’agit de recréer une boucle de vie dans un volume aussi restreint que possible. Vous remarquerez que cette boucle reprend les différentes phases de fonctionnement du lac en image à la Une.

Liens:

http://ecls.esa.int/ecls/attachments/MELiSSA-Phase5/education/ecosystemes.pdf

http://www.unil.ch/idyst/en/home/menuinst/research-poles/natural-and-anthropogenic-ec/industrial-ecology/oikosmos-program-terrestrial.html

http://www.ces.uoguelph.ca/

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.