“Post-COVID”: avez-vous de l’espoir ou de la confiance pour l’avenir?

Nous sommes bombardé.es, par les médias, les politiques, les dirigeant.e.s, les meneur.euses d’opinion de “il faut soutenir l’économie”, “il faut relancer la consommation”, “il faut faire ses vacances en Suisse”. Je ne sais pas vous, mais moi me vient la question “et pourquoi donc?”, ou “sinon quoi?”

Le constat: nous avons perdu nos repères et certitudes

Nous courrons comme des poules sans tête dans notre basse-cour tant connue – le monde “d’avant”, le seul que nous connaissions. Avec un mot magique à la bouche: “vaccin”. Taper ce mot-clé dans le moteur de recherche du Temps, et vous aurez un indice de l’attention accordée à ce nouvel eldorado. LA solution qui nous garantirait que tout sera comme avant. Ouf.

Pourtant, il n’est de loin pas certain que nous trouvions un vaccin, ni demain ni jamais d’ailleurs. Alors, psalmodions-nous des incantations pour que le vaccin se concrétise, avec toujours plus de force, avec des phrases qui commencent ou se ponctuent sans cesse par “en attendant le vaccin…”, en espérant que cette pensée magique suffira? Ou bien choisissons-nous une autre voie?

Vous êtes naufragé.e sur une île déserte…

îleC’est une de mes histoires favorites. Donc vous êtes naufragé.e sur une île déserte. Après une période de confinement et de solitude forcée que, ma foi, vous avez trouvée finalement assez agréable, l’ennui vous gagne et vous souhaitez quitter cette île.

Vous scrutez alors l’horizon, du matin au soir et du soir au matin, dans l’espoir qu’un bateau passera pour vous sauver, vous permettre de retrouver le “monde civilisé”. Votre regard aiguisé ne quitte pas cette ligne horizontale au loin, et cherche à identifier toute petite inflexion sur cet horizon qui vous indiquerait que votre espoir se concrétise. Vous avez espoir, car il n’y a pas d’autre issue à votre expérience de Robinson Crusoé.

Ou alors, après, ou au lieu de scruter l’horizon, vous vous retournez et vous constatez que des arbres poussent sur votre île. Vous avez alors confiance qu’un bateau passera. Confiance, car si aucun bateau ne passe, vous avez les ressources pour un plan B: vous construire un radeau.

Espérer, selon le Larousse, signifie “Considérer comme capable de se réaliser un événement, un acte, etc., qui est désiré, attendu”. Et aussi “Aimer à croire, à penser quelque chose”. C’est donc une attente d’un événement extérieur.

Tandis que la confiance signifie “Assurance, hardiesse, courage qui vient de la conscience qu’on a de sa valeur, de sa chance”. Et donc un état d’esprit intérieur, qui ne dépend pas de l’extérieur.

Nos (dés)espoirs…

Observez combien nous avons d’espoirs, et combien nous renonçons à la confiance. Espoir du vaccin, espoir que l’économie redémarre, espoir que les touristes reviennent, espoir que les consommateurs consomment, espoir que l’Etat sauve aussi telle ou telle autre activité économique et n’oublie personne, espoir que les billets d’avion, de concerts seront remboursés, espoir qu’il sera de nouveau possible de faire ceci ou cela, espoir que Trump se soit trompé en prenant de la Chloroquine, espoir de retrouver nos libertés… Espérer de telle manière, c’est faire le lit de son propre malheur.

La résilience commence par regarder la réalité en face

Et bien peu de monde daigne quitter l’horizon des yeux, se retourner et observer ce qu’il y a sur cette île. Or la résilience commence par accepter la réalité de manière résolue. Il n’est pas du tout sûr que nous disposions un jour d’un vaccin. Il n’est pas du tout sûr que les touristes reviennent, que l’économie redémarre, qu’il n’y aura pas de deuxième vague pandémique, ni que la chloroquine soit inefficace et dangereuse. Il se pourrait fort bien qu’aucun de ces scénarii ne se réalise.

Il est de bon ton de s’enivrer de ces litanies d’espoir, cela fait les titres des journaux, les slogans politiques et cela semble en rassurer d’aucuns. Et gare à celui.celle qui oserait, comme je le fais ici, poser la question critique: il.elle se verrait taxé.e de “pessimiste”, et éjecté.e de la discussion comme un chien d’un jeu de quilles.

Être victime ou acteur: un choix, pas une fatalité

On peut choisir de garder un regard obnubilé sur l’horizon en appliquant la méthode Coué. On peut aussi agir, changer notre regard et ainsi devenir responsable (jeu de mot en anglais: “response able”, “en capacité de répondre”). Et qu’est-ce qui nous libère de la posture de victime? La capacité à abandonner ce qui n’existe déjà plus, se défaire de ce qui est déjà mort, et faire face au pire et à nos peurs.

Nos vieilles vaches sacrées…

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Image by DEZALB from Pixabay

…sont comme nos vieux pyjamas: ce n’est plus très élégant ni adéquat, mais c’est tellement mignon… C’est ce qu’on aime, et c’est notre principal obstacle à l’innovation et à la résilience.

Nous devrions être incité.es et soutenu.es, non pas à imaginer des solutions pour rétablir la société d’avant: qu’on puisse quand même faire voler des avions, quand même sauver le tourisme, quand même changer de voiture, des activités qui de toute manière sont à reconsidérer en lien avec les questions climatiques et énergétiques.

Non, nous devrions être invité.es, incité.es et soutenu.es à imaginer, individuellement, en famille, dans nos quartiers, nos communes, nos entreprises et organisations, un monde où l’espoir laisse la place à la confiance, où les inepties de nos sociétés modernes d’avant ne sont pas reprises telles quelles sans réflexion.

C’est le moment de s’imaginer le “pire”, de se dire que peut-être aucun bateau ne passera jamais. Les touristes ne reviendront pas, les vols ne reprendront pas, le vaccin ne viendra pas, l’économie ne s’en remettra pas. Et à partir de ce nouveau regard, prendre, en version moderne, un nouveau pari de Pascal. D’autant plus que, de ce que j’entends autour de moi, nous sommes nombreux.ses à ne pas vraiment désirer que cela soit “comme avant”.

Terminons avec cette citation du Général Mark A. Milley, chef d’Etat-Major de l’US Army :

“Il vaut mieux abattre nos vaches sacrées par nous-mêmes, plutôt que de perdre une guerre parce que nous étions trop bornés pour penser l’impensable.”

(« It is better for us to slaughter our sacred cows ourselves, rather than lose a war because we are too hidebound to think the unthinkable. »)

 

Pour aller plus loin :

  • Harvard Business Review (France). Résilience, 2019.

  • Lerch, Daniel, éd. The community resilience reader: essential resources for an era of upheaval. Washington: Island Press, 2017.

  • Curation sur la gestion de crise et la résilience: https://www.scoop.it/topic/black-swan

Philippe Vallat

Philippe Vallat est coach, formateur, accompagnateur indépendant (www.comitans.ch). Biochimiste, Dr ès sc. et ingénieur en environnement, il anime aujourd'hui divers séminaires pour cadres et est chargé de cours à l'UNIL et dans diverses Hautes Ecoles. Il accompagne dirigeant.es et équipes dans des situations et projets complexes. Ses domaines de prédilection sont la complexité, l'incertitude (VUCA), la systémique, l'intelligence collective, la résilience, les politiques publiques.

6 réponses à ““Post-COVID”: avez-vous de l’espoir ou de la confiance pour l’avenir?

  1. Meilleur papier que le premier, cher Phillipe, mais citer l’US Army, me parait un peu ring, surtout ces temps 🙂

  2. Très bonne réflexion. Avoir un plan B, un plan C, D, E, …. c’est mieux que d’attendre un hypothétique miracle.

  3. Sur une de vos pages dont le lien apparaît dans votre texte, vous mettez comme une condition à la résilience «la profonde conviction, souvent étayée par des valeurs solides, que la vie a un sens»

    J’aime bien cette phrase de Marc Bonnant : «les convictions c’est l’intelligence à l’arrêt».
    Vu sous cet angle, il me semble que ce point entre en contradiction avec «l’acceptation résolue de la réalité» et «de remarquables capacités d’improvisation».

    Quant au pari de Pascal («si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien»), je pense qu’il n’est pas applicable à notre situation : si nous gagnons ici en Suisse ou en Europe, nous perdons quand même tout si les classes moyennes des pays émergents ne font pas le même pari que nous. Il y a un fossé entre un choix philosophique et spirituel abstrait et des réalité bassement contingentes qui pourraient avoir un impact déterminent sur nos vies.

    Comme il n’est pas possible de dire «arrêtez le monde, je veux descendre !», il est peut-être en effet le moment de s’imaginer le pire : que nous n’ayons pas le choix.

    1. Merci Olivier, intéressantes réflexions. A mes yeux, les convictions ne sont pas a priori bonnes ou mauvaises, soit elles sont fonctionnelles (aidantes), soit dysfonctionnelles (limitantes). C’est en cela que je rejoins M. Bonnant: disposer de la capacité à réactualiser nos convictions. Personnellement, une conviction que la vie n’aurait pas de sens ne me paraît pas aidant pour la résilience…
      Quant aux choix: c’est un thème que j’ai envie d’aborder (la question des fameuses “libertés retrouvées”), une forme d’auto-tromperie dans un monde où les choix, par contraintes physiques notamment, se réduisent toujours plus: quand je ne peux même plus boire l’eau de ma source sans la faire analyser auparavant, tellement la pollution est présente, il n’y a guère de liberté… Discussion à suivre

      1. «Personnellement, une conviction que la vie n’aurait pas de sens ne me paraît pas aidant pour la résilience»

        Je pense au contraire que penser (remarquez que je parle pas de conviction) que la vie n’a pas de sens peut contribuer à retrouver certaines libertés. Au moins intellectuelles.

        «Discussion à suivre»

        Je me réjouis de vous lire à ce sujet.

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