Le black metal, ça soulage

J’étais à midi dans un car postal, plein comme un œuf, entre Porrentruy et Cœuve, pour aller, le 13 novembre dernier, m’emplir, au Restaurant du Cerf, des neuf plats du menu de la Saint-Martin. La main refermée sur une barre de maintien, je causais avec un ami très cher qui me disait que, une semaine plus tôt, il était à Orbe pour un concert de Marduk.

Marduk, le Veau du soleil, patron du panthéon de Babylone, mais aussi et surtout l’une des formations actuellement phare du black metal. Black metal? Genre fantasmé, peuplé à peu près autant que d’autres de personnalités douteuses (c’est un euphémisme), mais qui met en scène une forme de jusqu’au-boutisme asymptotique – ce qui déjà suffirait à s’y intéresser.

De ceci, Wikipedia dit: «Le black metal est un sous-genre musical du heavy metal, ayant émergé en Europe au milieu des années 1980, et développé dans les pays scandinaves, notamment en Norvège, au début des années 1990. Comme le thrash metal, le black metal s’inspire du punk hardcore et en particulier du crust, de la nouvelle vague du heavy metal britannique, ainsi que du shock rock, et se caractérise par un son chargé d’atmosphères sombres et, parfois, par des mises en scène morbides […] Le black metal se caractérise avant tout par une musique crue et agressive aux atmosphères sombres. Ce son est produit par des tempos rapides, un chant hurlé en voix de tête souvent relativement aigüe, la guitare est omniprésente et agressive avec des tremolo picking, de fortes distorsions, des blast beat à la batterie, et des morceaux non conventionnels.» Voilà pour les prolégomènes, auxquels je souscris.

Embrayons sur les choses qui fâchent. C’est indéniable, le black metal a donné naissance à son lot d’actes et de personnes condamnables et condamnées, tant du point de vue éthique que pénal. Oui, Varg Vikernes a été condamné en 1994 à 21 ans de prison pour le meurtre d’Øystein Aarseth (avec qui il jouait dans le groupe Mayhem), a mis le feu à des églises en Norvège, et a publiquement soutenu Anders Behring Breivik après le massacre d’Utøya. Oui aussi, une frange de la scène n’a rien trouvé de plus malin que de créer un sous-genre baptisé «National Socialist Black Metal» (NSBM). Ce sont des horreurs indexées à un haut degré d’idiotie. Ces remugles sont-ils représentatifs d’une scène? Que veut dire «sulfureux»? Est-ce que le terme désigne l’odeur résiduelle de quelques braises, ou l’entière nature du feu? Il faudrait poser la question à un sociologue de la musique, ce que je ne suis pas. Intuitivement, j’ai le sentiment que non. Ce dont je suis par contre certain, c’est de l’innocuité éthique de mon rapport à ces sons.

L’autre chose qui fâche est liée au fait que le black metal, comme l’indique la définition qu’en donne Wikipedia, se résume à un nombre sommes toutes peu élevé d’éléments constitutifs, mais qui sont très dirigistes: jouez vite, hurlez, produisez sale. Conséquence: c’est un genre qui a tendance à se répéter et à se répliquer en unités interchangeables, à s’auto-caricaturer, voire à s’auto-parodier de manière plus ou moins volontaire.

C’est lorsqu’il sort du cadre dans lequel son histoire culturelle l’a contraint que le black metal devient à mon sens le plus intéressant, et peut-être le plus intègre – étant entendu qu’il faut une bonne dose de courage esthétique pour travestir un genre musical aussi typé. Prenez par exemple les Allemands de Sun Worship, qu’on a vu débarquer au début de la décennie passée avec un magnifique album, Elder Giants (1281360 Records DK). En 2015, le site Echoes and Dust demandait à Lars Ennsen, le guitariste du groupe, quelle était sa définition du genre: «C’est une question complexe. Je me contenterai de dire que vous trouverez “mon” essence du black metal sur un album de Swans, Phill Niblock ou Mt. Eerie plutôt que sur n’importe quel album de “black metal” sorti au cours des 20 dernières années.» Et de fait: chez eux, les guitares à la fois s’aèrent et s’approfondissent, les morceaux s’allongent, mutent, prennent des virages – mais toujours (ou en tout cas très souvent) à toute berzingue.

Je pourrais dire des choses similaires d’une de mes marottes du moment, Veilburner, qui nous viennent des Etats-Unis. Ou des Finlandais d’Oranssi Pazuzu (je les évoquais brièvement dans un précédent billet, ici), qui intègrent (chose plutôt rare dans le domaine) des instrumentations électroniques et développent des progressions parfaitement étonnantes.

Mais le maximum d’extensibilité stylistique se trouvera dans un projet domestique et que l’on commence à bien connaître par chez nous: Zeal & Ardor, dirigé par le Bâlois Manuel Gagneux. Là, rappelons-le, les marqueurs stylistiques du black metal s’allient à des éléments qu’on serait tentés de qualifier de parfaitement hétérogènes: le blues, le gospel, les chants des champs de coton. On nous a plusieurs fois assuré que Gagneux avait lancé Zeal & Ardor à la suite d’un pari: «Arriveras-tu à mêler ce qui ne peut pas se mélanger?» On aurait pu craindre l’effet morue à la fraise, mais rien de tout cela: les différents éléments assimilés par Gagneux et sa bande se retrouvent dans une commune alchimie de colère – un nouvel album est annoncé pour février prochain, on verra si tout cela tient toujours debout.

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

-> à Berne, au Bee-Flat, le 26 décembre, pour y écouter Erika Stucky. Là encore une histoire d’entremêlements, entre yodel et blues, alchimie improbable mais pleine de sens.

-> A Guin, au Bad Bonn, le vendredi 7 janvier, pour y écouter Murmures Barbares. On est avec eux dans le domaine large du hip hop, mais qui serait considéré comme une forme d’art brut. Une géniale fête froide.

-> A Berne, à la Dampfzentrale, le samedi 8 janvier, pour y entendre une réécriture de la «Ursonate» de Kurt Schwitters par Patricia Kopatchinskaja, Reto Bieri, Annekatrin Klein et Anthony Romaniuk. Un texte en charpie, fondateur du mouvement Dada, qui gagne à être toujours ressuscité.

-> à Berne encore, au Bee-Flat, le dimanche 9 janvier, pour une rencontre entre le guitariste Kojack Kossakamvwe, le batteur Julian Sartorius et le vocaliste Elia Rediger. Une soirée féline, aux horizons ouverts.

-> A Genève, à la Cave 12, le mardi 11 janvier, pour y écouter MoE. Ce trio norvégien conçoit un rock atypique, dont on dirait qu’il va chercher autant dans la no wave que dans les productions plus carrées que l’on trouvait à l’époque chez le label Amphetamine Reptile. C’est en tout cas explosif.

-> A Berne, au Bee-Flat, le mercredi 12 janvier, pour un étonnant dialogue entre l’accordéoniste Mario Batkovic (qui vient de publier un très remarqué nouveau disque, Introspectio) et l’électronicien germano-libanais Rabih Beaini. L’un propose des cathédrales, l’autre des paysages fiévreux.

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 16 janvier, pour y écouter Jean-Luc Guionnet et Will Guthrie en duo. Là encore un beau combat en perspective, entre les vacarmes du premier et la batterie ravageante du second.

-> A Berne, au Bee-Flat, le mercredi 19 janvier, pour y entendre Jakob Bro (guitare), Arve Henriksen (trompette) et Jorge Rossy (batterie) jouer le matériel d’Uma Elmotrès beau disque de mélancolies instrumentales.

-> A Genève, à la Cave 12, le même soir, pour y entendre Convulsif. Le quatuor emmené par Loïc Grobéty a bien tracé son chemin d’une musique en angles, écrasante et libératoire à la fois. J’en parlais dans Le Temps il y a quelques semaines de cela, ici.

 

Musiciens sous influence

Il y a 40 ans, le 7 novembre 1981 très précisément, William Burroughs atteignait son degré maximal d’exposition. Invité de Saturday Night Live, il lit des extraits du Festin nu et de Nova Express. Sept minutes de voix de nez, de traine-syllabes pour faire parvenir au plus grand nombre les opérations étranges du Dr Benway, le généraliste de l’Interzone. Effrayé par Burroughs lors des répétitions de l’émission («Je n’ai jamais vu un type aussi ennuyeux», dira-t-il), le producteur Dick Ebersol avait tenté de réduire au maximum la durée de l’intervention de l’écrivain. En vain: la voix de Burroughs a pu prendre tout son temps pour s’infiltrer dans les foyers et hypnotiser les téléspectateurs.

Je tiens pour acquis que la musicalité de la voix de Burroughs est en effet capable d’induire quelque chose qui trait à un état de conscience altéré: ça doit être une question de fréquence, de rythme – et bien entendu d’images aussi. Le son et le sens. Ce que l’on sait aussi, pour rester dans l’orbite de l’oreille, c’est que la figure de Burroughs (son ethos de la subversion) et ses méthodes de travail (le cut up par exemple) ont inspiré bon nombre de musiciens – Casey Rae faisait le tour de la question dans un livre, William S. Burroughs and the Cult of Rock’n’Roll, publié il y a deux ans. Si lui-même n’était pas particulièrement mélomane, bien des grands noms des musiques actuelles ont, avec plus ou moins de foi, emprunté ses outils: David Bowie, Paul McCartney, Lou Reed, Patti Smith, Kurt Cobain, etc.

Descendons quelques étages. Sous le radar des vedettes, Burroughs a irrigué bien d’autres zones – souvent d’ailleurs en prêtant sa voix. Son cameo chez Ministry (sur le titre «Just One Fix», forcément) est bref mais parlant. L’œil qu’il promène au dessus du «Rag for William S. Burroughs» de Matmos est lui aussi notable.

Mais il y a un autre compagnonnage que j’ai toujours trouvé fertile au long des années, c’est celui qui lie l’esthétique de Burroughs à celle du label Sub Rosa: publié en 1996, 10% File Under Burroughs était une magnifique célébration de son œuvre, quelque chose comme un trip tangérois dans lequel on croisait, à ses côtés, Marianne Faithfull, Bomb The Bass, les Gnaouas de Marrakech, Scanner ou Bill Laswell. Lequel sera aux commandes, trois ans plus tard, avec Iggy Pop, Genesis P-Orridge, Jaki Liebezeit, Patti Smith ou Techno Animal, d’une autre œuvre totale, Hashisheen: the End of Law, plus narrative, et centrée sur la fascination de Burroughs pour Hasan-i Sabbâh, le Vieux de la montagne à la devise définitive («Rien n’est vrai, tout est permis»), grand leader et grand dealer des l’Ordre des assassins, à savoir les «hashashyn», à savoir encore les avaleurs de kif. Disque magistral (auquel Laswell a récemment offert un compagnon, The Acid Lands, toujours chez Sub Rosa).

Et sinon, certains ont tenté de faire dialoguer Burroughs avec Britney Spears. Je vous laisse découvrir cette chose étrange:

https://dickwhyte.bandcamp.com/track/oops-i-did-it-again-william-s-burroughs

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

-> A Lausanne, à la Maison de Quartier Sous-Gare, jusqu’au 20 novembre, pour le Festival des Bouffes-du-Rond-Point. On conseillera d’aller y écouter les chansons de pénombre de Hemlock Smith ou, si vous avez des enfants, de Gaëtan (en Suisse romande, c’est un champion, on a testé).

-> A Fribourg, à la Coutellerie, le vendredi 12, pour y écouter Dedelaylay. Steven Doutaz à la batterie, Benjamin Tenko aux synthés, et le résultat sonne comme des rythmes en averse passés en sorcellerie dub.

-> A Lausanne, le même soir, à la Ferme des Tilleuls, en marge de l’exposition Happy Pills, pour y écouter Louis Jucker. Sa musique est, un passionnant attelage de poésie folk et de bricolages surréalistes. On a tout à fait le droit de réécouter Something Went Wrong, son album de 2020:

-> A Lausanne toujours, au Cinéma Bellevaux, et toujours à la même date, pour une soirée centrée sur les œuvres de Joana Bailie et Geneviève Calame. Je vous avais parlé, il y a de cela quelques semaines dans Le Temps (ici), de cette compositrice hors pairs, et bien trop tôt disparue, qu’était Geneviève Calame

-> A Bulle, le même soir, à l’ancienne chartreuse de la Part-Dieu, pour Ex tenebris lux, une performance conjointe de JOD (alias Joël Dewarrat) et Goodbye Ivan (aka Arnaud Sponar) qui mêlera le travail pictural du premier à la musique du second. Le lendemain, Goodbye Ivan sera, avec Guy Oberson, aux manettes d’une installation (entre son et vidéo cette fois-ci) baptisée Pollen. Connaissant le toucher délicat de Sponar, on peut s’attendre à de belles machineries oniriques.

-> A Genève, encore et toujours le même soir, au Rez de l’Usine, pour une soirée de soutien au Monstre Festival. On pourra entre autres y écouter Martin XVII. Le duo jurassien (Louis Riondel / Pascal Lopinat) a inventé un genre: le mielcore. Ça colle et c’est piquant, c’est du rêve solarisé – et j’en disais le plus grand bien dans une récente livraison du jukebox du Temps.

-> A Bâle, à l’Elysia, le samedi 13, pour y écouter Helena Hauff. Parfaite illustration de l’intelligence mise au service de l’electro: des machineries anciennes (on est au cœur de la gamme Roland), une avancée en bulldozer, des inscriptions rythmiques qui vous décalent. Son dernier album, Qualm, est d’une puissance effrayante:

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 14, pour y écouter Hyperculte. Simone Aubert et Vincent Bertholet, pour une dinguerie qui fait feu de tous bois: hypnoses krautrock, éruptions / irruptions de sons et de manières de faire d’ailleurs, le tout en surgissements sans pauses:

-> A Berne, à la Dampfzentrale, du 18 au 21 novembre, pour le festival Saint Ghetto, avec tout une série de signatures aventureuses (en grande partie féminines, notons-le): Aïsha Devi, Jenny Hval, Caterina Barbieri, Maria W Horn (cf. infra) et bien d’autres. Je vous en reparlerai vite dans le journal.

-> A Genève, à la Cave 12, le vendredi 19, pour y écouter Hand & Leg. Comme souvent, la Cave nous fait découvrir des choses: cette fois-ci, il s’agit d’un duo grec post-punk dont on écoute le dernier disque en écrivant ces lignes. C’est une révélation: une musique tendue, puissante, qui sort les couteaux, absolument urgente:

-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Yannick Barman et Guillaume Perret. Le premier est trompettiste, le second saxophoniste, et ils passeront ce soir-là leurs instruments dans toute une série de dispositifs électroniques.

-> A Lausanne, au Cylure Binchroom (l’un des plus chouettes centres vaudois de bièrologie), le samedi 20, pour une chouette soirée entre post punk et no wave agrémentée par Trash Mantra et Umarell & Zdaura.

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 21, pour y écouter Maria W Horn. Cette compositrice suédoise a débarqué dans le paysage il y a trois ans à peine, mais sa marque est déjà bien installée. Epistasis, le disque qu’elle a sorti en 2019 chez Hallow Ground, en donne un très bon aperçu, qui court de miniatures au piano jusqu’à des drones à cordes de très grand ampleur:

-> A Yverdon, le même soir, à l’Amalgame, pour y écouter Bohren und der Club of Gore. Une merveille de dark jazz, un spleen jouissif, quelque chose comme un film noir pris dans l’ambre, ralenti à l’extrême.

-> A Berne, au Bee-Flat, le mercredi 24, pour y écouter Faraj Suleiman. Un pianiste de feu, qui amarre à sa matrice orientale tout un aréopage de musiques, du classique au jazz et aux modes balkaniques. J’en parlais dans un récent Jukebox duTemps, ici.

-> A Renens, à l’ECAL, dès le jeudi 25, pour y découvrir une itération de la dream house de La Monte Young et Marian Zazeela – une installation à vivre comme un espace dans lequel les drones vous modèlent la conscience aussi longtemps que vous le souhaitez.

-> A Yverdon, à l’Amalgame, le jeudi 25, pour y écouter Pan·American. Le projet solo de Mark Nelson est une musique qui avance comme poussée par le vent, folk blême dans un halo ambient. Un générateur poétique qui sera précédé d’une performance plus musclée par le rock fuligineux des romands de Ventura – qu’on se réjouit de revoir sur scène.

-> A Vevey, au Rocking Chair, le vendredi 26, pour y écouter Faust. Un des dieux majeurs du panthéon du krautrock, le groupe allemand y rejouera IV, publié en 1973 pour la première fois, et inaltéré depuis.

-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Schnellertollermeier. C’est-à-dire Andi Schnellmann, Manuel Troller et David Meier (basse, guitare et batterie respectivement), trois Lucernois qui vous propulsent dans des équations souples comme des jaguars.

-> A Genève, à la Cave 12, du 26 au 28 novembre, pour le festival Akouphène. On y retrouvera énormément de belles identités des musiques d’exploration: Christine Ott (aux ondes Martenot, ce lointain cousin du theremin), le guitariste Noël Akchoté, ou encore Lea Bertucci – on reste complètement sous l’emprise de son récent A Visible Length of Light, une suite de paysages de grande ampleur faits d’instruments à vent, d’orgue et de manipulations de bandes.

-> A Berne, à la Dampfzentrale, le samedi 27, pour y découvrir Taking Care of God, la nouvelle performance de Soraya Lutangu Bonaventure. Une tentative d’hybridation du profane et du sacré – et incidemment, musicalement parlant, un entremêlement de gospel et d’instrumentation électronique.

-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Somnolent Priests vernir leur dernière production. Une très belle expérience drone metal (Sunn O))) n’est pas forcément loin), mais avec un propos peut-être plus narratif.

-> A Düdingen, au Bad Bonn, le dimanche 28, pour y écouter Pink Siifu. Hip hop excité et excitant, minimaliste, sombre et décalé. On a beaucoup aimé son featuring sur le dernier album de Moor Mother, Black Encyclopedia of the air.

A Genève, le même soir, à la Bibliothèque municipale, pour y écouter une conférence de Yann Courtiau, JOY DIVISION : FENÊTRE SUR RUE (Jeux d’Ombres), qui propose un parcours dans le chronotope mancunien de la bande à Ian Curtis.

-> A Genève toujours, à l’Usine, le mercredi 1er décembre, pour y écouter Igorrr et Horskh. Ceux-ci perpétuent avec un certain brio la flamme ancienne d’un metal industriel tout en angles. Quant à Igorrr, c’est une proposition totalement iconoclaste, voire surréaliste (et pas dénuée d’humour), une collision d’éléments divers (du metal au baroque) sur un fond drill’n’bass (c’est rapide et saccadé).

-> A Berne, à l’ISC, le jeudi 2, pour y écouter Abstral Compost et Baby Volcano. Du premier, on aime énormément sa manière d’imaginer le rap (c’est-à-dire son vocabulaire au sens premier du terme) comme quelque chose qui a trait à la fois à la musique concrète et au dadaïsme, et de la seconde une capacité à nourrir son électronisme d’une bonne dose de danger. On notera que Baby Volcano se reproduira le samedi 4 au SAS de Delémont, dans une soirée où l’on entendra aussi le rap rentre dedans de Murmures Barbares.

-> A Lausanne, à l’Eglise Saint-François, le vendredi 3, pour y écouter Anna von Hausswolff. La Suédoise, tout à la fois chanteuse, compositrice et organiste, s’emparera ce soir-là des registres. On sait, pour la suivre, que là se prépare une célébration absolument tellurique. Cette femme est d’une rare puissance. Vous pourrez également l’entendre l’avant-veille, 1er décembre, à la Heiliggeistkirche de Berne.

-> A Lausanne, le même soir, au Cinéma Bellevaux, pour y écouter Francisco Meirino. Il y vernira une pièce inédite, You’re here, there’s no cure for that. C’est un maître de la mise au jour de ce que l’on n’entend pas, et j’avoue beaucoup apprécier la manière dont il est présenté: «Francisco Meirino explore la tension entre le matériel programmable et le potentiel de son échec.»

-> A Lausanne toujours, dans toute une série d’endroits, du 3 au 5 décembre, pour les Urbaines. Festival pluridisciplinaire dans lequel on trouve toujours quelques mirabilia musicales. Entre mille choses, on peut conseiller les dystopies de Firas Shehadeh (drone et rythmes en étouffoir), celles de Thoom, qui cabote entre bruit et chanson, ou encore l’étonnante pop ectoplasmique de Yikii.

-> A Martigny, aux Caves du Manoir, le samedi 4, pour le Road Sweet Road Festival. Une programmation articulée entre blues et rockabilly, avec la possibilité de goûter au grotesque (c’est une définition, et un compliment) de l’énergétique Bernois Reverend Beat-Man.

-> A Düdingen, le même soir, au Bad Bonn, pour y écouter une collaboration entre Julian Sartorius et Feldermelder. Une soirée de rythmes, sur les peaux ou dans les puces.

-> A Bienne, au Singe, le dimanche 5, pour y écouter le projet Ceramic Dog de Marc Ribot. Figure phare du jazz exploratoire d’outre-Atlantique, le guitariste propose avec ce projet-ci des évolutions plutôt anguleuses (rock, disons-le) qui s’enflamment à la première étincelle.

-> A Düdingen, au Bad Bonn, le mardi 7, pour y écouter Etran de l’Aïr. Du blues d’Agadez, extrême nord du Niger, rugueux et sautillant comme on le souhaite.

-> A Lausanne, à l’Oblo, le jeudi 9 décembre, pour y écouter Sourdure et Sarah Terral. Le premier est le projet solo d’Ernest Bergez, un trickster magnifique qui travestit les répertoires anciens du Massif central en machines à transe. Derrière Sarah Terral se cache Clément Vercelletto, un exhausteur de la beauté des bruits – son dernier disque, Le Ménisque original, publié par Three:Four, est un étonnant voyage.

 

«C’est un cri, c’est un chant, c’est aussi la douleur et le sang»

Dans le monde animal, le cri a plusieurs fonctions, qui pour la plupart ont vocation de sauvegarde: signaler la présence d’un prédateur (la marmotte quand elle détecte un rapace), tenter d’effrayer ledit prédateur (c’est le cas des grenouilles du genre Lepidobatrachus, qu’on rencontre au Paraguay, en Bolivie, en Argentine), recruter des alliés dans le cas d’une lutte entre membres d’un même groupe (chez les chimpanzés, par exemple).

Chez Homo sapiens, crier revêt tous ces rôles, et d’autres encore: il sert à engueuler (c’est donc une pratique sociale), à exprimer la douleur (voire à l’atténuer – j’en parlais dans le journal il y a quelque temps, ici). Harold Gouzoules, chercheur en psychologie à la Emory University d’Atlanta, dit encore autre chose du cri: «It’s important to keep in mind that screams attract attention. Is it competitive — competitive screaming? I’m not suggesting that they’re consciously competing with one another for attracting attention — I don’t think it’s a conscious thing at all. But I think it might be how these screams, in this kind of context, are functioning» (on peut lire son interview ici). Histrionisme, compétition? Les notions auront leur importance dans le domaine bien particulier de la musique.

Et d’ailleurs: qu’en est-il du cri dans la musique? Il couvre un champ voisin de celui du bruit (dont je parlais, sous l’angle de la militarisation, dans un précédent billet, ici). Dans la tradition dite occidentale (ce qu’on appelle pompeusement la «musique savante»), il apparaît grosso modo sous deux formes (je me réfère en l’espèce à un très bon article du musicologue Sylvain Paul Labartette, que vous trouverez ici): le cri transcrit – les «Ah!» et les «Oh!» de La Grande-Duchesse de Gérolstein chez Offenbach, par exemple; et le cri musicalisé – comme le «Joho Hoe» de la «Ballade» de Senta dans le Vaisseau fantôme de Wagner, qui fait office de support phonétique à la mélodie.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de civiliser le cri; de le transcrire, de l’harmoniser, bref: de le réduire – certainement un lointain héritage d’Aristote qui, s’il admettait que le rire puisse être le propre de l’Homme, refusait au penseur la liberté de crier. Dans les musiques populaires par contre, gueuler s’est imposé. On dit généralement que le Urschrei des musiques actuelles a été poussé en 1946 par Archie Brownlee, l’un des Five Blind Boys of Mississippi, dans une prière au Très-Haut qui cogne très fort sur les tympans (certaines légendes médiévales faisant naître Jésus par l’oreille de Marie, il doit y avoir là comme un lien):

Le cri est ici à comprendre comme une évolution de la technique du shout utilisée dans le gospel. Il va rapidement devenir un marqueur de ce ramdam appelé rock que l’Amérique nous enverra. Et il va alors être utilisé en tant que tel, entièrement délimité par l’émotion dans laquelle il naît: dans le punk, dans le rock, on chante en criant parce qu’on est énervé ou parce qu’on est euphorique. A ce titre-là, j’avoue avoir gardé beaucoup de sympathie pour l’organe de Black Francis, des Pixies, parce qu’on ne sait jamais s’il est très fâché ou vraiment très très content:

Sinon, crier peut aussi servir à faire peur – ou à faire croire qu’on cherche à effrayer, ce qui est une technique de grand-guignol. Là, l’ouverture par Tom Araya du «Angel of Death» de Slayer reste un monument indépassable:

Evidemment, la famille du metal est une grande pourvoyeuse de cris en tous genres – le «grunt», le «death growl», etc. Et c’est peut-être là qu’on retrouve cette notion de compétition du cri imaginée par Harold Gouzoules: c’est à celui qui ira le plus loin dans une direction dangereuse pour la zone laryngo-pharyngée. Je me souviens encore de l’excellente métaphore de Phil Freeman, dans The Wire en octobre 2019, au sujet de Matti Way, le chanteur d’Abominable Putridity, un groupe de death metal moscovite: «gurgling vocals that sound more like a plumbing problem than a human voice». C’était assez juste.

Cela dit, il faut se souvenir que le metal est souvent fait, contrairement à son image d’Epinal, de têtes chercheuses. Et c’est bien dans cette communauté que j’ai découvert, il y a bien des années de ça, une autre manière encore d’utiliser le cri: comme pur matériau sonore – ou comme sample, pour le dire autrement. Cette trouvaille, je l’avais faite en écoutant Morbid Tales, le premier album de Celtic Frost – dont le patron, Tom Fischer, vient d’ailleurs d’être distingué aux récents Prix suisses de Musique décernés par l’Office fédéral de la culture. Ecoutez le premier morceau, «Into the Crypts of Rays», de ce disque:

Cette manière d’instrumentaliser le son a fait école depuis. On en a par exemple eu une très belle réactualisation noise dans «Milkweed / It Hangs Heavy», le morceau qui ouvre Abandon, le premier album, sorti en 2013, de Pharmakon (alias Margaret Chardiet):

Bref, comme le disait Bernard Lavilliers, «la musique est un cri qui vient de l’intérieur».

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

> A Genève, à l’Usine, le mercredi 27, pour y écouter Darius. Les Bullois font dans le post-rock généreux, à la fois agile (leurs harmonies en surimpression, leurs circonlocutions rythmiques) et imposant (il y a chez eux le son d’un barrage-poids). Ecoutez Voir, leur dernier album:

-> A Montreux, au Ned, le jeudi 28, pour y écouter Maria Violenza. Synth pop démantibulée, acide, chansons noires polyglottes (du français au sicilien) qui toutes racontent des histoires d’esprits tordus. On pourra la réécouter le lendemain au Rez, à Genève.

-> A Delémont, au SAS, le vendredi 29, pour y écouter L’Eclair. Encore une belle signature de chez Bongo Joe Records, on parlera ici de jazz cosmique qui prend toujours le risque de céder aux cavalcades.

-> A Bulle, à Ebullition, du 29 au 31 octobre, pour le festival Poutre & Terroir. Au programme, tout un aréopage de ce que ce coin de pays produit de mieux en termes de musiques à guitares dures: Coilguns, Impure Wilhelmina, Rorcal, The Burden Remains, et bien d’autres.

-> A Delémont, au SAS, le samedi 30, pour y écouter Canichnikov. Il se laisse définir comme faisant du rap de cave, on pourrait dire qu’on a avec lui une forme de décantation mélancolique prise dans un faux kitsch.

-> A Lausanne, au Cazard, le même soir, pour y écouter Julie Semoroz et Emma Souharce. Ici pour leur projet Effraction Vacances, une déconstruction (très percutante) des éléments majoritaires de la pop des années 90 et 00. On notera que Belia Winnewisser (cf. supra) sera aussi de la partie.

-> A Genève, à la Cave 12, le mercredi 3 novembre, pour y écouter FUJI|||||||||||TA et Kassel Jaeger, dans le cadre d’une soirée en hommage au défunt Peter Rehberg (alias Pita). Le premier fait de très étonnants cocktails à base d’orgue, de voix et de sonorités aquatiques. Le second (François J. Bonnet de son vrai nom), directeur de l’INA GRM (le temple français de la recherche musicale), est un sculpteur de sons comme on en fait peu.

-> A Berne, au Buffet Nord, le jeudi 4, pour y écouter Simon Grab et Larkian. Cela dans le cadre d’une série de soirées (TONNOT) extrêmement intéressantes dans le sens où elles invitent des musiciens d’horizons différents à improviser l’un avec l’autre sans aucune consultation préalable. Ici, la collaboration amènera dans un même chaudron l’électronisme brut de Grab et l’ambient à guitare de Cyril Monnard (alias Larkian). Je participerai d’ailleurs à un épisode ultérieur de ce crash test, en janvier, avec l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Je vous en reparle à l’occasion.

-> A La Tour-de-Peilz, au Temple Saint-Thédodule, le même soir, pour y écouter Félicia Atkinson. La polymathe française entretient un lien particulier avec ce coin de la Riviera vaudoise: c’est à la Becque, toujours à La Tour-de-Peilz, qu’elle fit résidence il y a deux ans pour en sortir Echo, très beau disque calme de claviers, de sons environnants, de voix et de bruits:

-> A Pully, au Cinéma CityClub, le vendredi 5, pour y écouter Ichiko Aoba. Une merveille de folk d’éther dérivant jazz ou bossa par endroits, servie par une voix comme on en fait peu – elle ne casse pas le cristal, elle le fond(e):

-> A Lausanne, aux Docks, le samedi 6 novembre, pour y écouter Lebanon Hanover. Une des bonnes signatures de la renaissance dark wave, à la fois maniérisme tendu et dolorisme de synthèse. Une fête très froide, mais une fête tout de même.

-> à Genève, au Rez, le même soir pour participer à la grande fête des cinq ans du label genevois Bongo Joe, magnifique maison pleine de têtes chercheuses dans les exotismes sonores d’ici et d’ailleurs. Au programme: Amami, Citron Citron, Cyril Cyril, Leoni Leoni, Ethyos 440 et Pekodjinn.

-> A Bâle, au Wurm, le même soir, pour y écouter Tizia Zimmermann & Pablo Lienhard. La première à l’accordéon, le second à la no input mixing desk, ils improvisent des paysages qui percutent et se mettent à vivre des vies d’insectes inconnus. On peut écouter Kaputt, leur premier album, dont voici un extrait:

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 7, pour y écouter Jerusalem In My Heart. Le projet audiovisuel de Radwan Ghazi Moumneh et Erin Weisgerber est une très intense machine mémorielle, des images flétries plongées dans un bain qui mêle électronisme fracturé et modes arabes.

-> A Genève, à la Cave 12 toujours, le mardi 9, pour y écouter Infinite Livez. Entre rap et dub, du fort tonnage sur des rythmes froids et des basses qui tronçonnent. Extrêmement énergétique.

-> A Berne, à la Dampfzentrale, le jeudi 11, pour y écouter l’Ensemble Contrechamps empoigner des pièces de Joanna Bailie (A Giant creeps out of a Keyhole, en création) et Erika Stucky (ICE für Stimme und Ensemble).

-> A Lausanne, à la Maison de Quartier Sous-Gare, du 11  au 20 novembre, pour le Festival des Bouffes-du-Rond-Point. On conseillera d’aller y écouter les chansons de pénombre de Hemlock Smith ou, si vous avez des enfants, de Gaëtan (en Suisse romande, c’est un champion, on a testé).

-> A Fribourg, à la Coutellerie, le vendredi 12, pour y écouter Dedelaylay. Steven Doutaz à la batterie, Benjamin Tenko aux synthés, et le résultat sonne comme des rythmes en averse passés en sorcellerie dub.

-> A Bâle, à l’Elysia, le samedi 13, pour y écouter Helena Hauff. Parfaite illustration de l’intelligence mise au service de l’electro: des machineries anciennes (on est au cœur de la gamme Roland), une avancée en bulldozer, des inscriptions rythmiques qui vous décalent. Son dernier album, Qualm, est d’une puissance effrayante:

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 14, pour y écouter Hyperculte. Simone Aubert et Vincent Bertholet, pour une dinguerie qui fait feu de tous bois: hypnoses krautrock, éruptions / irruptions de sons et de manières de faire d’ailleurs, le tout en surgissements sans pauses:

-> A Berne, à la Dampfzentrale, du 18 au 21 novembre, pour le festival Saint Ghetto, avec tout une série de signatures aventureuses (en grande partie féminines, notons-le): Aïsha Devi, Jenny Hval, Caterina Barbieri, Maria W Horn (cf. infra) et bien d’autres. Je vous en reparlerai vite dans le journal.

-> A Genève, à la Cave 12, le vendredi 19, pour y écouter Hand & Leg. Comme souvent, la Cave nous fait découvrir des choses: cette fois-ci, il s’agit d’un duo grec post-punk dont on écoute le dernier disque en écrivant ces lignes. C’est une révélation: une musique tendue, puissante, qui sort les couteaux, absolument urgente:

-> A Genève, à la Cave 12 encore, le dimanche 21, pour y écouter Maria W Horn. Cette compositrice suédoise a débarqué dans le paysage il y a trois ans à peine, mais sa marque est déjà bien installée. Epistasis, le disque qu’elle a sorti en 2019 chez Hallow Ground, en donne un très bon aperçu, qui court de miniatures au piano jusqu’à des drones à cordes de très grand ampleur:

Amazon de non-droit

Je ne sais pas si vous connaissez William Basinski. C’est un pilier de l’avant-garde américaine, un musicien qui a pensé une bonne partie de son travail comme une métaphorisation de l’effritement de toutes choses. Un de ses projets les plus célèbres, The Disintegration Loops, consiste à transférer sur support numérique de vieilles bandes magnétiques attaquées par le temps, et à composer des paysages sonores avec ces sons désagrégés. La musique de Basinski est une forme d’ambient corrodée, entourée par un discret halo saturé. L’atmosphère y est mélancolique. Mais cet été, sur Twitter, Basinski s’est fâché tout rouge contre un clampin qui lui avait volé son nom et uploadé sur Spotify (et sur Amazon Music) un morceau affreusement nul:

Dans le domaine artistique (et dans le domaine musical en particulier), l’usurpation d’identité est une blague récurrente. On ne parle pas ici des sosies d’Elvis (qui justement se singularisent comme tels, c’est-à-dire comme reflets fidèles, et donc comme représentations dissociées de leur objet). On parle ici d’actes de tromperie, comme celui produit par William Henry Ireland qui, à la fin du XVIIIe siècle, tenta de berner son monde en publiant des pièces censément inédites de Shakespeare – et en en faisant même jouer certaines, comme ce Vortigern and Rowena, qui eut droit à sa première le 2 avril 1796 au théâtre de Drury Lane, à Londres. La supercherie fut vit éventée, et la pièce bannie des programmes depuis. L’histoire du «faux Beethoven japonais» est restée célèbre aussi: pendant vingt ans, Mamoru Samuragochi s’est fait passer pour un compositeur (sourd), et sa Symphonie n°1 “Hiroshima” a connu un réel succès comme hymne réconciliateur après le tsunami de 2011. Problème, si Samuragochi est effectivement sourd, il n’avait jamais griffonné les partitions qu’il s’était attribuées: il a reconnu ses cachotteries en 2014, et avoué que ses pièces étaient dues à un professeur de musique, Takashi Niigaki.

Mamoru Samuragochi aurait peut-être pu sauver la face (mais il ne l’a pas fait) en se réfugiant derrière cette forme particulière de tromperie qu’est le canular. Il en est un qui est resté célèbre: le Mobile for Tape and Percussion de Piotr Zak. Lequel Zak n’a jamais existé, et cette pièce s’est révélée être un pur witz imaginé par la BBC pour tester la crédulité des critiques musicaux. Je reproduis ci-dessous l’excellente chronique que Pierre-Dominique Bourgknecht avait consacrée à l’affaire (c’était le 1er avril dernier, forcément, dans l’émission Vertigo de RTS-La Première):

Il y a une apostille intéressante à l’histoire de Piotr Zak – et elle rejoint les fulminations de William Basinski contre les grandes machines du streaming et de la vente online. Le 9 avril dernier, Amazon a publié une compilation qui, comme son titre (Endless Waves: The Dawn of Electronic Noise & Ambient Music, Vol. 1) l’indique, se présente comme un baedeker à destination de celles et ceux qui souhaitent se documenter sur les prémices de la musique électronique. On y retrouve des gens comme OIivier Messiaen, Leon Theremin, Daphne Oram, ou encore Tod Dockstader (jusque-là tout est normal)… Jusqu’à un certain Piotr Zak, auteur d’un fameux Mobile for Tape and Percussion. Tranquille comme fossile, aucune mention du caractère fictif et canularesque de Zak qui, par la sanction démiurgique d’Amazon, accède au rang de créateur majeur de l’histoire musicale de la deuxième moitié du XXe siècle. «wtf is this shit? This is bogus», aurait pu dire Basinski.

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

-> A Genève, à la Cave 12, le mercredi 13 octobre, pour y écouter Jérôme Noetinger et Lionel Fernandez. Le vocabulaire du premier consiste à détourner des Revox (des magnétophones à bande) de leur usage traditionnel. Le second est un guitariste de l’extrême, pilier de Sister Iodine, formation légendaire de la no wave bruitiste française. Ils viennent de sortir un très beau disque, Outer Blanc, qui sonne comme de la guitare trouée par les vents solaires.

-> à Yverdon, à l’Amalgame, le jeudi 14 octobre, pour y écouter Louis Jucker. Si l’on reste abasourdi (dans le bon sens du terme) par son récent discours lors de la remise des Prix suisses de musique – dont il était l’un des lauréats –, on n’oubliera pas sa musique en elle-même, un passionnant attelage de poésie folk et de bricolages surréalistes. On le retrouvera le vendredi 22 octobre au Point 11, à Sion, et on a tout à fait le droit de réécouter Something Went Wrong, son album de 2020:

-> à Genève, chez Bongo Joe Records, le même soir, pour y écouter Aya Metwalli et Tenko. La première coud drone et modes vocaux arabes, le second a tendance à faire rugir ses synthétiseurs comme des fauves de fin de nuit.

-> à Nyon, à l’Usine à gaz, le vendredi 15 octobre, pour y écouter M-A-L-O. Un magnifique projet du percussioniste Alberto Malo, trip hop sombre et anguleux. Mon collègue Stéphane Gobbo en parlait très bien dans Le Temps l’année passée.

-> à La Chaux-de-Fonds, au Bikini Test, le même soir pour participer à la grande fête des cinq ans du label genevois Bongo Joe, magnifique maison pleine de têtes chercheuses dans les exotismes sonores d’ici et d’ailleurs. Au programme: Meril Wubslin, Cyril Cyril et Luterne. La fête reprendra le samedi 6 novembre au Rez, à Genève, avec un line up différent: Amami (cf. infra), Citron Citron, Cyril Cyril, Leoni Leoni, Ethyos 440 et Pekodjinn.

-> à Berne, au Bee-Flat, toujours le vendredi 15 octobre, pour y écouter Amami. Un décapant mélange de basses gigantesques, de rythmes afro et de dub déglingué. Je vous reparle bientôt de leur dernier album (Soleil) dans le journal, mais jetez-y déjà une oreille:

-> à Fribourg, à la Bluefactory, le samedi 16 octobre, pour y écouter Sarah Davachi. Une magicienne qui a appris à se plonger dans les mo(n)des anciens pour en synthétiser des vues nouvelles. A témoin son dernier disque, Antiphonals, une suite d’effilochées acoustiques qu’on traverse comme en rêve. La veille, Sarah Davachi donnera une conférence sur son travail (toujours à la Bluefactory).

-> à Berne, au Bee-Flat, le samedi 16 octobre toujours, pour y écouter les Young Gods. On ne fera pas l’affront de vous les présenter, mais on précisera que leur concert du soir consiste en une performance du In C de Terry Riley, pièce séminale de l’école minimaliste américaine. J’en avais parlé dans le journal, ici, au moment du lancement de ce projet avec la Landwehr de Fribourg.

-> A Fribourg, au Fri-Son, le même soir, pour une carte blanche collective donnée à Bit-Tuner, Pyrit et Belia Winnewisser. A en croire l’argument de la soirée, ladite carte devrait capitaliser sur la résidence effectuée par les trois musiciens en 2019 au festival Sailing Stones, en Tunisie. Qu’en sortira-t-il? Mystère. Mais au vu du pedigree des intervenants, il y aura quelque chose d’un électronisme cristallin et percuté.

-> A Delémont, au SAS, au même moment, pour la cinquième édition de la soirée Triumph of Chords. On y trouvera toute une collection de ferrailleurs de la guitare: Darius (cf. infra), Closet Disco Queen & The Flying Raclettes (supergroupe dans tous les sens du terme, et dont je disais le plus grand bien – ici – dans une récente livraison du jukebox du Temps) ou encore Louis Jucker.

-> A Berne, au Dachstock, le dimanche 17, pour y écouter Mulatu Astatke. Le pape de l’école éthiopienne du jazz, tout en rythmes qui perdurent, en syncopes inconnues, en acidités légères – un grand humaniste du son.

-> A Lausanne, au Casino de Monbenon et dans une série d’autres sites, du mercredi 20 au samedi 24, pour le LUFF. La vingtième (heiligebimbam!) édition du Lausanne Underground Film & Music Festival promet toute une palette de chouettes irritatifs pour l’œil et l’oreille: Moor Mother, Lydia Lunch, Duma, des retrouvailles avec George Romero, etc… Je vous en reparle illico dans le journal.

-> A Genève, au Rez, le jeudi 21, pour y écouter Impure Wilhelmina. Le quartet y vernira (retard Covid oblige) un très bel Antidote sorti il y a quelques mois. Un post-rock tendu, lancinant, généreux en harmonies qui vous saisissent comme un sac de glace posé sur les côtes. On pourra les réécouter le 29 à Bulle dans le cadre du festival Poutre et terroir (cf. infra).

-> A Yverdon, à l’Amalgame, le vendredi 22, pour y écouter Mondkopf. On est là dans le domaine d’une hypnose wagnérienne – un voyage toujours impressionnant dans des canyons qui se remplissent d’électricité.

-> A Bâle, au Nordstern, le même soir, pour y écouter Adam Beyer. Le bon côté de la techno de stade, parfaite pour ne penser à rien d’autre quand le soleil se lève après une nuit blanche.

-> A Delémont, au SAS, le même soir, pour y écouter Ki-Yota. Pour avoir assisté, accroché à ses platines, à nombre de raves sauvages dans le forêts du Jura, je peux témoigner que le bonhomme est un as de l’électronisme hérissé de barbelés.

-> A La Chaux-de-Fonds, au Bikini Test, le samedi 23, pour y écouter Martin XVII. Le duo jurassien (Louis Riondel / Pascal Lopinat) a inventé un genre: le mielcore. Ça colle et c’est piquant, c’est du rêve solarisé – et j’en disais le plus grand bien dans une récente livraison du jukebox du Temps.

-> A Genève, à l’Usine, le mercredi 27, pour y écouter Darius. Les Bullois font dans le post-rock généreux, à la fois agile (leurs harmonies en surimpression, leurs circonlocutions rythmiques) et imposant (il y a chez eux le son d’un barrage-poids). Ecoutez Voir, leur dernier album:

-> A Montreux, au Ned, le jeudi 28, pour y écouter Maria Violenza. Synth pop démantibulée, acide, chansons noires polyglottes (du français au sicilien) qui toutes racontent des histoires d’esprits tordus. On pourra la réécouter le lendemain au Rez, à Genève.

-> A Delémont, au SAS, le vendredi 29, pour y écouter L’Eclair. Encore une belle signature de chez Bongo Joe Records, on parlera ici de jazz cosmique qui prend toujours le risque de céder aux cavalcades.

-> A Bulle, à Ebullition, du 29 au 31 octobre, pour le festival Poutre & Terroir. Au programme, tout un aréopage de ce que ce coin de pays produit de mieux en termes de musiques à guitares dures: Coilguns, Impure Wilhelmina (cf. supra), Rorcal, The Burden Remains, et bien d’autres.

-> A Delémont, au SAS, le samedi 30, pour y écouter Canichnikov. Il se laisse définir comme faisant du rap de cave, on pourrait dire qu’on a avec lui une forme de décantation mélancolique prise dans un faux kitsch.

-> A Lausanne, au Cazard, le même soir, pour y écouter Julie Semoroz et Emma Souharce. Ici pour leur projet Effraction Vacances, une déconstruction (très percutante) des éléments majoritaires de la pop des années 90 et 00. On notera que Belia Winnewisser (cf. supra) sera aussi de la partie.

-> A Genève, à la Cave 12, le mercredi 3 novembre, pour y écouter FUJI|||||||||||TA et Kassel Jaeger, dans le cadre d’une soirée en hommage au défunt Peter Rehberg (alias Pita). Le premier fait de très étonnants cocktails à base d’orgue, de voix et de sonorités aquatiques. Le second (François J. Bonnet de son vrai nom), directeur de l’INA GRM (le temple français de la recherche musicale), est un sculpteur de sons comme on en fait peu.

-> A Berne, au Buffet Nord, le jeudi 4, pour y écouter Simon Grab et Larkian. Cela dans le cadre d’une série de soirées (TONNOT) extrêmement intéressantes dans le sens où elles invitent des musiciens d’horizons différents à improviser l’un avec l’autre sans aucune consultation préalable. Ici, la collaboration amènera dans un même chaudron l’électronisme brut de Grab et l’ambient à guitare de Cyril Monnard (alias Larkian). Je participerai d’ailleurs à un épisode ultérieur de ce crash test, en janvier, avec l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Je vous en reparle à l’occasion.

-> A Lausanne, aux Docks, le samedi 6 novembre, pour y écouter Lebanon Hanover. Une des bonnes signatures de la renaissance dark wave, à la fois maniérisme tendu et dolorisme de synthèse. Une fête très froide, mais une fête tout de même.

-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 7, pour y écouter Jerusalem In My Heart. Le projet audiovisuel de Radwan Ghazi Moumneh et Erin Weisgerber est une très intense machine mémorielle, des images flétries plongées dans un bain qui mêle électronisme fracturé et modes arabes.

Justin brille en tout

Ça se construit comment, l’attachement à un artiste? Pourquoi ça nait? Et ça se développe comment, dans le temps? Je réponds en me prenant comme exemple.

Pour celles et ceux qui me connaissent, c’est devenu une blague, mais il m’arrive néanmoins souvent de me définir ainsi: «Je suis amateur d’énormément de musiques, je suis fan de beaucoup de musiciennes et de musiciens, mais je suis le groupie d’un seul: Justin Broadrick.» Encore une fois, c’est une manière détournée de dire les choses: je ne lui envoie pas de lettres parfumées (je ne connais d’ailleurs pas son adresse), ni ne l’attendrai à la sortie d’un concert avec un long couteau pour le lier éternellement à moi.

Mais tout de même: ça fait maintenant 35 ans que j’écoute religieusement tout ce qu’il produit. Vous me demanderez, «mais fichtre, qui est ce génie?» Faisons-la courte: Justin Broadrick est un musicien britannique né en 1969, grandi dans la grisaille paradoxalement inspirante de Birmingham, et qui depuis bientôt 40 ans nous envoie des sons d’une égale intensité dans toute une série de genres différents* que les obsessionnels de l’étiquetage pourraient prendre des heures à punaiser («metal, musique industrielle, ambient, noise, electronica, techno, improvisation, shoegaze, drum’n’bass, hip hop, neurofunk», etc.). Bref: tout un bestiaire fait d’espèces qu’on ne s’attend pas forcément à voir réunies dans un seul et même biotope.

Qu’est-ce qui lie tout ça? Deux colonnes vertébrales: il y a d’abord une forme d’effet de souffle – Broadrick, c’est fort (aussi en termes de décibels), c’est une musique qui vous empoigne et vous aplatit. L’autre aspect, c’est cette notion qu’on dirait inventée pour les Midlands: le bleak, un adjectif qu’il faudrait rendre par une série de correspondances francophones – bleak, c’est à la fois sombre et blême, morne et toxique.

Vous me direz qu’il faut un certain goût pour le masochisme pour apprécier une musique ainsi décrite. C’est peut-être vrai, mais c’est une analyse en cache-sexe. Ce qui est en jeu ici, c’est bien plutôt une fringale d’énergie, qu’on accompagne, dont on se nourrit. Et c’est une puissance contre laquelle on joue à résister, grâce à laquelle (c’est peut-être là qu’est le résidu masochiste) on prend plaisir à être sonné. Pour avoir assisté à quelques dizaines de concerts des projets les plus connus de Broadrick (Godflesh, Techno Animal, Jesu, Final, JK Flesh), je peux le confirmer: on en ressort avec le cerveau qui bourdonne.

C’est certes une expérience physique – Broadrick est un très bon connaisseur des fréquences graves, celles qui vous font vibrer l’aile du nez et la cage des côtes. Mais ça ne s’y résume heureusement pas: cette musique cherche surtout à éclairer (et elle y parvient chez moi) des pans souvent peu arpentés de nos mondes intérieurs: la paranoïa comme épiphanie, le psychédélisme lent, la rédemption au marteau, le mur de son comme refuge, bref tout un spectre de sous-courants émotionnels qu’on croise assez peu souvent au sommet des charts. Il y a là une vraie sensibilité, d’autant plus appréciable que si la musique de Broadrick peut être violente, l’homme est aux antipodes – je me souviens l’avoir interviewé, au millénaire passé pour feu le magazine Reactor, avant un gigantesque concert de Techno Animal (le duo d’electro-dub wagnérien qu’il menait avec le non moins excellent Kevin Martin) à la Kaserne de Bâle: c’est juste un très bon type avec qui on boit une bière.

Rien de ce que je vous ai avoué jusqu’ici ne casserait trois pattes à un canard: comme tous les mélomanes, j’apprécie plus ou moins tel ou tel musicien en fonction de la corde qu’il ou elle fait vibrer chez moi, et en fonction de la manière dont elle ou il la fait vibrer. Mais il y a autre chose, qui tient d’une forme peut-être fantasmée de précognition. J’oriente: en quelques décennies d’écoute, j’ai vu mon goût musical, non pas changer, mais se développer, s’ouvrir perpétuellement à de nouveaux modes, à de nouvelles ambiances, à de nouvelles instrumentations (j’en parlais ici, dans un précédent billet). Chez moi, l’histoire de ce panachage peut être ramenée, si on la réduit à une forme d’abstraction, à quelques mouvements successifs: au milieu des années 80, j’écoute principalement du metal, du punk, du hard core (bref: des musiques à guitares lourdes); au tournant des années 80 et 90, je découvre quasiment coup sur coup la noise et la musique industrielle; première moitié des années 90, les musiques électroniques me tombent dessus – et ainsi de suite. Or il se trouve qu’à chacune de ces mues, je découvrais, en ma qualité de mangeur de disques, que Broadrick m’avait devancé en tant que créateur: quand je passe du metal académique à des sous-genres plus déviants, je découvre Napalm Death – avec un certain Justin Broadrick à la guitare; j’entame la noise, et voici Head of David avec, à la batterie, un nommé Broadrick, Justin. Musique industrielle? C’est le tour de Godflesh, indépassable variante métallisée de ce très large écosystème (Broadrick à la guitare, à nouveau). Musiques électroniques? Bam: Techno Animal, avec qui-vous-savez derrière les machines. Et ainsi de suite.

On peut interpréter cette omniprésence de deux manières, qui par ailleurs ne s’excluent pas: la plus goethéenne serait de voir en Broadrick un presque jumeau légèrement en avance sur ma propre temporalité – ce qu’il fait, quoi qu’il fasse, résonnera bientôt en moi. L’autre interprétation appellera la figure du passeur, ou celle du guide (davantage touristique que spirituel, c’est-à-dire à la manière de Virgile évitant à Dante de trébucher sur les damnés): si, en passant d’un genre A (connu) à un genre B (encore inconnu), je croise le nom de Broadrick, ça vaut pour sanction positive. Autrement dit: s’il s’essaye à tel ou tel type de musique, ça m’incitera à estimer que ce genre en question est valable. Justin Broadrick, douanier à la frontière des musiques.

Bref, je serai bien embêté le jour où il fera de la variétoche. C’est une blague, mais elle pointe malgré tout une réalité de la relation esthétique avec un créateur vivant, et qu’on peut considérer comme ce mélange de crainte et de désir qui nimbe l’attente de ce qui vient: face à la production fatalement close d’un artiste mort, l’angoisse est rétrospective («qu’a-t-il fait que je n’ai pas encore découvert?»); mais face à un artiste vivant, elle est prospective («quand va-t-il me décevoir?»).

Cela dit, je reste confiant.

* Et dans toute une série de projets: un site de fans en répertorie 36 (!) – et encore, il en manque un ou deux à ma connaissance.

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

-> à Vevey, au Café littéraire, le samedi 19 à 20h30 pour y écouter Hemlock Smith. Le projet de Michael Frei (dont on rappellera qu’il vient de sortir un très beau disque en collaboration avec Les Poissons Autistes, un duo qui m’est cher) reprend la scène avec un line up augmenté mais toujours le même savoir-faire en matière de chansons grises.

-> A Yverdon, le même jour, dès 11h, pour une déambulation pluridisciplinaire, intitulée «Panorama», entre le château et l’Amalgame. Au programme: théâtre et musique, avec en particulier un concert de Tobias Preisig et Isolated Lines au sortir d’une résidence commune.

-> A Genève, à la Maison Baron, le jeudi 24 à 16h pour, dans le cadre d’une journée baptisée du nom de «Shimmering», y écouter ATMO. Le duo d’Arnaud Sponar (alias Goodbye Ivan) et Sonia P. manipule du field recording, de la basse et des dispositifs électroniques pour des expériences planantes de haut vol. Le reste de la programmation est à l’avenant, avec des performances de Ban Lei, Christian Muller, Daniel Maszkowicz, et bien d’autres…

-> A Genève toujours, au Théâtre de l’Usine, les jeudi 24 et vendredi 25 à 20h, pour y découvrir HUBBUB, création musicale (POL) et dansée (Anne-Charlotte Hubert et Salomé Genès) dédiée «à la notion de violence, non comme démonstration visible de la force, mais dans ses manifestations les plus insidieuses, voire les plus douces».

-> à Romainmôtier, à la Maison des Moines, le samedi 26 à 20h30 pour y écouter l’Insub Meta Orchestra, formation genevoise de pointe quand on parle de musique contemporaine aventureuse. Ou tout du moins une partie de l’orchestre: jauges obligent, la formation a décidé de fragmenter ses forces et de jouer par petites escadrilles (une dizaine d’instrumentistes) qui se succéderont le long d’un «social reboot tour» dont la deuxième étape aura lieu à Martigny, aux Caves du Manoir, le jeudi 1er juillet.

«Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde»

Il y a deux ou trois semaines, j’ai reçu l’e-mail suivant, de la part de la maman d’un enfant autiste:

«J’ai lu dans le journal “24 Heures” que, en 2001, vous avez collaboré à la formation des Poissons Autistes.  Pourriez-vous me donner des renseignements concernant cette formation et surtout d’où provient le nom “Poissons autistes”?

Faisant partie de l’association Autisme Suisse Romande – ASR –, je suis intriguée par le fait que vous utilisiez le mot “autiste” en étant dans une musique spéciale sans être dans le handicap […]»

Evidemment, ça fait réfléchir. A plusieurs titres (j’y reviendrai), mais tout d’abord, bien entendu, parce que sous la lettre de ce message en forme de demande d’information, c’est de la peine qui résonne et, peut-être aussi, une forme de reproche, fût-il implicite.

Si Les Poissons Autistes s’appellent ainsi, c’est pour la raison suivante: en 2001, Stéphane Babey et moi-même avons fixé nos premiers morceaux sur une cassette audio usagée, dont la face A était occupée par un enregistrement des dialogues du Continent des hommes-poissons (L’Isola degli uomini pesce), un film réalisé en 1979 par Sergio Martino, et la face B par un reportage télévisé – Les Confessions d’un autiste. D’où: Les Poissons Autistes. C’est aussi simple que cela – aurait-on utilisé une autre cassette, notre nom eût été différent.

Voilà pour l’histoire. Vient maintenant la question de la responsabilité, celle du choix d’adopter et de conserver un nom. C’est une autre paire de manches. Pourquoi ce pseudonyme? J’ai le souvenir d’un grand éclat de rire nocturne, de quelque chose qui voulait dire: «Mais qu’est-ce qu’on est bêtes, quand même…» De la moquerie («se moquer de: tourner en dérision, en ridicule […] traiter quelqu’un de manière désinvolte, méprisante, avec impudence»)? Pas une seule seconde. J’imagine d’ailleurs que tel est bien entendu le cas aussi de celles et ceux qui ont choisi le même champ lexical pour nom de baptême – AUTISTI (le trio de Louis Jucker, Emilie Zoé et Steven Doutaz), Autistici (pseudonyme de l’électronicien britannique David Newman), ou encore Autistic Daughters (trio austro-néo-zélandais qui, pour celles et ceux à qui cela parle, gravite dans l’orbe des Viennois de Radian).

Bien entendu, l’absence de moquerie n’invaliderait en rien la peine qui prélude au reproche que je sens (à tort peut-être) courir sous les phrases de ma correspondante. La colère – et plus encore la tristesse – ne se jugent pas. Faut-il changer de nom? Présenter des excuses? Intimement, je suis tiraillé entre la nocuité de l’acte et son absence d’intention; je m’abstiens donc, pour l’heure en tout cas. Par contre, je peux exprimer ma plus profonde compassion – je viens d’ailleurs de le faire.

Question suivante: pourquoi garder ce pseudonyme? Réponse: en vertu d’une altération progressive de son sens. Je m’explique. A force de vivre avec un nom (ici: Les Poissons Autistes), on en vient à oublier peu à peu ce que les linguistes appellent sa dénotation, c’est-à-dire son sens littéral ou encore, pour parler en saussurien, son référent. Pour nous, Les Poissons Autistes ne désigne ni une classe d’animaux dans la taxinomie linnéenne, ni un type de trouble du développement, ni l’entremêlement des deux. Il fait référence à nous, et témoigne, comme une sorte de totem, de l’énorme part d’aléatoire qui a préludé à notre naissance en tant que duo. C’est la marque d’un souvenir, absolument dénuée de toute visée proclamatoire.

Cela étant, la question de la nomination, quel que soit son domaine d’application, est quelque chose de fascinant. J’en ai parlé, dans les paragraphes qui précèdent, en tant que «créateur» au sens large. Mais on peut aussi l’envisager depuis l’autre extrémité de la relation esthétique: comme récepteur (c’est-à-dire comme public). Personnellement, quand j’écoute les Dead Kennedys, ce ne sont ni le Dallas de 1963 ni le Los Angeles de 1968 qui me viennent prioritairement à l’esprit (même si ça a dû l’être pour leurs premiers publics quand ils ont déboulé dans le paysage en 1978). Si j’écoute Bomb Disneyland (antique groupe britannique de crossover qui se renomma «Bomb Everything» suite aux pressions de la firme), ce n’est pas parce que je veux rendre hommage à Europa Park. Quand j’écoute Joy Division, ce n’est pas l’image des Freudenabteilungen (les bordels des camps nazis) que j’ai en tête – même si Ian Curtis et ses collègues ont dû se dépêtrer de plusieurs accusations (en niant en bloc). Et j’ai beau écouter Suicidal Tendencies, je suis toujours en pleine forme et pleinement émerveillé par les beautés de l’existence. Ce qui me peuple les émotions quand j’écoute ces groupes, c’est un sentiment de révolte pour les deux premiers, et deux expressions différentes du spleen pour les deux autres.

 

Autrement dit, si le nom d’un groupe (ou un pseudonyme au sens large) ne se juge pas en fonction de sa vertu dénotative, c’est qu’il faut chercher du côté de ce que les linguistes, encore eux, nomment la connotation – c’est-à-dire, en en élargissant à peine le champ d’application, l’ensemble des effets de sens qui, sans être présents dans le dictionnaire, entourent la définition littérale de tel ou tel mot. Ces usages ne s’expliquent que par le contexte dans lequel ils sont produits, et en vertu de celles et ceux qui les énoncent (les musiciens): si Justin Broadrick et Ben Green ont décidé, en 1988 à Birmingham, de baptiser leur duo de metal industriel du nom de Godflesh, ce n’était pas pour célébrer l’eucharistie, mais plutôt pour signifier le goût paradoxal qui consiste à se réfugier dans un gigantesque mur de son. Dans un entretien daté de 1992, Broadrick expliquait: «The word God conjures something immense and inconceivable. The flesh part is what effects you on a physical level. Our music is loud and destructive.»

Même réflexion pour Trisomie 21, fameux groupe français de cold wave. En 2017, pour leur retour et un entretien au magazine Trax, ils répondaient, à la question «Pourquoi ce nom?», ceci: «L’idée, c’est que le monde dans lequel on est s’effondre, c’est un chaos complet. En 1981, on a 20 ans, on se dit: “Si c’est ça la norme, on préfère être du côté des anormaux, parce que c’est là où il y a de l’humain.” C’était très difficile pour nous, on a eu des soucis. On a été refusés dans plein de télés, ce n’était surtout pas le bon truc pour devenir célèbres. On vient aussi du punk, on ne pensait pas faire carrière à l’époque. Finalement, on est devenus connus en étant underground. Tu ne peux pas faire de compromis avec un nom pareil.»

Mais ce n’est pas toujours facile. Même Nicola Sirkis (Indochine) le confessait en 2014 au Parisien: «[…] ça a été chaud. C’est comme si on s’était appelé Algérie française» (alors que le groupe, selon ses dires, voyait son nom comme un hommage à Marguerite Duras).

Alors bien sûr, on peut se faire aider. Il existe quantité de sites qui prodiguent des conseils pour se choisir un pseudonyme: «Préférez un nom court (ex. Blur, Queen, Kiss), de maximum 2-3 mots. Evitez les “The”, ça ne se fait plus trop aujourd’hui […] Il doit s’écrire, se prononcer et se retenir facilement […] N’en faites pas trop dans l’originalité [ah flûte], et surtout soyez cohérents avec votre identité. Ne laissez pas penser que vous êtes un groupe parodique, joyeux par un nom trop original et que lorsque le public arrive, il se retrouve face à un groupe de jazz très sérieux», apprend-on sur le web. Il existe même des générateurs de noms de groupe: vous entrez quelques mots-clés (votre genre de musique, le prénom du lead guitarist, une couleur, un endroit où vous aimez faire la fête, ad lib.). J’ai essayé, et le nouveau nom des Poissons Autistes pourrait être: Experimental Poisson Brigade, Sleeping for the Experimental Woman (???), Stéphane and the Electro Humans, voire Master Of Pitchisson (celui-là, les initiés le comprendront peut-être). Mais je crois qu’on va en rester là.

 

J’ai mis beaucoup de mois dans cet article

J’ai un patronyme extrêmement commun. Quand je me self-googlise (mon ego a une certaine ampleur), je suis, à part ma pomme, un auteur français de livres pour la jeunesse (365 questions-réponses pour s’amuser, en 1992, c’était moi); j’ai écrit un «Que sais-je» sur Les pêches maritimes françaises; je suis psychiatre à Nyon; je suis dentiste à Saint-Denis, et gynécologue à Bruxelles; je suis notaire à Houilles (non, il n’y a pas de contrepèterie), dans les Yvelines; j’enseigne le krav maga à la Police nationale; je suis même un cinéaste belge qui a été retenu en otage par les papous en 2001.

Bref, on est une horde. Dans la musique aussi. Vous ne le savez certainement pas, mais j’ai deux ou trois trucs dans ce domaine-là: Hundschopf (mon projet solo); Les Poissons Autistes, un duo avec Stéphane Babey, le réd-chef de Vigousse (on sort d’ailleurs le mois prochain un nouvel album en collaboration avec Hemlock Smith, alias Michael Frei); Sinn/rd, un autre duo, cette fois-ci avec Cyril Monnard (alias Larkian), et dans lequel Stéphane Babey intervient aussi ponctuellement.

Eh bien, dans le champ de la musique aussi, les Philippe Simon, c’est tout un orchestre. Un octuor, pour être précis. Je suis allé voir sur Discogs, la gargantuesque base de données des productions musicales; on est numérotés de 1 à 8 (personnellement, je suis Philippe Simon 2). A mes côtés, il y a celui (c’est certainement le plus connu) qui fait du bruit entre Nantes et Paris – il avait d’ailleurs joué au LUFF de Lausanne en 2014, où il avait mis en musique, avec Romain Perrot (alias Vomir), Poing de force, un porno gay des années 1970. On n’est jamais parvenus à se serrer la main, mais on s’envoie des messages de temps à autre. Il y a aussi le Philippe Simon qui fait de l’ambient à Bordeaux – son album Amarante, publié en 2012, est un bel exercice de synthétiseurs scintillants. Il y a encore le Philippe Simon tromboniste, qui a participé à plusieurs productions de Chute Libre, un projet situé entre jazz et funk, actif durant la deuxième moitié des années 70. Il y a enfin (je conclus, désolé pour les autres) celui qui a contribué, dans les années 80, à l’écriture de plusieurs titres du chanteur Jean-Marie Vivier.

J’en ai terminé avec mon alter-egotrip. Mais il est vrai que l’homonymie – dans le domaine de l’économie culturelle au sens large et dans celui du microcosme musical en particulier – peut avoir des effets qui oscillent entre le comique et le pénible. Quatre des vingt enfants de Jean-Sébastien Bach (Wilhelm Friedemann, Carl Philipp Emanuel, Johan Christoph Friedrich et Johann Christian) furent aussi compositeurs, ce qui plut moyen au paternel – «Mon Christian est un gamin fort sot et c’est pour cette raison qu’il aura du succès dans le monde», dira-t-il affectueusement du petit dernier. Selon certains spécialistes du baroque italien, il a existé deux Giovanni Zamboni, que plusieurs décennies auraient séparés. Auquel, dès lors, attribuer un madrigal comme «Cor mio, tu ti nascondi»? Mystère…

Ce genre de quiproquo peut également survenir dans le domaine des musiques actuelles. Je vous en donne quelques cas, en forme de banc d’essai. Par exemple, est-ce que vous préférez Death, le groupe de metal de feu Chuck Schuldiner…

… ou plutôt Death, fameux groupe de proto-punk formé à Detroit?

Personnellement, j’aime bien les deux. Autre exemple: vous préférez Nirvana (je prends grand plaisir à placer cette exécution complètement foutraque de «Smell Like Teen Spirit» faite au Reading Festival de 1992 parce que vous m’y verrez peut-être dans le public)…

… ou vous préférez Nirvana?

Quelques fois, ce genre d’imbroglio peut créer des frictions. On se souvient qu’ici, en 2014, Nicolas Julliard a dû se résoudre à abandonner son (antique) pseudonyme de Fauve pour ne plus avoir à être confondu avec les jeunes Français de Fauve≠. Julliard continue à faire de la musique sous le nom de Nicolas Nadar; ses homonymes, on l’ignore. Dans un registre sonore différent, Kreator (les papes du metal teuton) s’appelait tout d’abord Tormentor: un autre groupe allemand (qui n’a d’ailleurs pas fait long feu) ayant le même patronyme, ils ont dû changer le leur.

A l’occasion, le débat peut dépasser le strict cadre musical. On se souviendra ici de Pan Sonic, duo d’életroniciens finlandais constitué d’Ilpo Väisänen et de feu Mika Vainio*. Mais au moment de leur fondation en 1994 à Turku, ils s’appelaient Panasonic. Ça n’a guère plu au fabricant japonais de tondeuses à barbe, qui leur a intenté un procès. Ils ont dû, eux aussi, changé de nom – il est vrai que certains de leurs sons bourdonnants pouvaient prêter à confusion.

Il y a plus retors que l’homonymie, c’est la paronymie – quand deux mots se ressemblent. Un phénomène qui m’a valu une grosse honte professionnelle. Connaissez-vous Cristian Vogel? C’est une des voix les plus intéressantes de la techno britannique, un de ces musiciens qui, dans les années 90, a défini ce qu’on a appelé l’école de Brighton. Un alliage de rudesse et de décalage du calibre de la gemme ci-dessous:

Et sinon: connaissez-vous Christian Vogel? En 2002, il a participé à ce disque:

Vous aurez peut-être remarqué la différence: Cristian contre Christian. Le deuxième est allemand, mais, à l’époque, j’avais bien entendu confondu les deux. Et dans Le Temps, il y a donc 19 ans, j’écrivais ceci du disque du deuxième, en pensant que je parlais du premier:

«Christian Vogel, qu’on savourait ces derniers temps pour sa techno déstabilisée constamment à la limite du dansant, s’est adjoint les services de Tom Knopf pour un des albums les plus généreux de l’année. C’est toujours de la techno, quoique fortement teintée de house. Et surtout d’une bonne dose d’esprit positif: les beats sont amples et puissants, les basses chaleureuses et enveloppantes, et le tout dégage une énergie qui ne peut que clouer un sourire de contentement sur la face du clubber. Tellement engageant et décomplexé qu’on leur excusera leur méconnaissance du français.»

«[…] on leur excusera leur méconnaissance du français.» Quelle arrogance, ces Philippe Simon.

 

* Le label autrichien Mego, en collaboration avec la Cave 12, vient d’ailleurs de publier son dernier live (en solo), enregistré dans la salle de concert genevoise dix jours à peine avant sa mort, en avril 2017. Un très beau témoignage – je vous en reparle illico presto dans Le Temps.

 

Un modem contre le Covid:

Comme il est tard et que je ne veux pas vous retenir plus longtemps, je prends juste quelques secondes pour vous inciter à vous brancher entre dimanche 24 et vendredi 29 sur le canal de diffusion de la Cave 12 de Genève. Vous pourrez y goûter toute une série de retransmissions en direct de lives pas piqués des vers, entre bruits et drones: Francisco Meirino, Jean-Philippe Gross, Pierce Warnecke, Louis Laurain, strom|morts et al.

Et une bonne santé surtout?

Sacrée année, tout de même: les disques géniaux y sont sortis par brouettes entières. En voici quelques-uns ci-dessous, par ordre complètement aléatoire. Et bien entendu, j’aurais pu en mettre cinquante autres.

Khost, Buried Steel (Cold Spring)

Andy Swan et Damian Bennett sont deux discrets artisans de Birmingham. Ce ne sont pas les musiciens les plus connus que la ville blême des Midlands a conçus (de Black Sabbath à, disons, Napalm Death et tant d’autres), mais c’est un duo à découvrir: on est avec eux dans le rayon de la musique industrielle, avec guitares au rasoir et changements de ton subits. Je me souviens les avoir vus il y a deux ans (c’était un autre monde) en concert à l’Ecurie, belle petite salle genevoise à deux pas de la gare Cornavin: j’en garde l’image d’un rouleau-compresseur rempli d’acide.

Krust, The Edge of Everything (Crosstown Rebels)

J’ai découvert ce disque il y a quelques jours à peine. Un jeune homme de Bristol. Je l’avoue, et vous vous en rendrez compte, je cultive un certain tropisme, même s’il est non exclusif, pour ce qui nous vient du Royaume-Uni (sauf la nouvelle souche de Covid). C’est une reconstruction subjective et romantique, bien entendu, mais je trouve à ces gens, tous genres confondus, une patte. Un mélange de délavé et de festif, une musique qui roule à gauche. C’est le cas avec Krust: une suite de sursauts en esquisses jungle toujours contrecarrés par des silences subits. Stop and go.

Fatwires, The Wicked Path (Depth of Field Music)

Gros câbles, grosses cordes: on est donc dans une histoire de basses. John Eckhardt est un maître qui se définit en trois mots: «bass, space & time». Dans Strings of Dread, le dernier mot peut indiquer qu’on trouvera ici du dub. Et il y en a, effectivement; mais cuirassé comme un indricothère. C’est une musique de piliers, une danse lente sur du béton armé.

Pale Spring, Dusk (Doom Trip Records)

Ce disque est à la fois sinistre et réjouissant. Je dirais même qu’il est réjouissant parce qu’il est sinistre. Emily Harper Scott, la chanteuse, a une voix douce, classiquement douce même (on pourrait penser à Julee Cruise, voire à Kelli Dayton, si vous vous souvenez du premier line up de Sneaker Pimps). Mais cette voix (et on retrouve ici quelque chose qui aurait pu être fait, en contexte lynchien, par Julee Cruise) est prise dans une gangue électronique d’une déprime abyssale. C’est un compliment.

The Bug Ft Dis Fig, In Blue (Hyperdub)

J’avais promis de ne pas faire de classement, mais ce disque est réellement un des (sinon le) beaux monstres de l’année. Année par ailleurs prolifique pour Kevin Martin (alias The Bug), qui a sorti une bonne poignée d’albums solos de confinement (entre autres la série Frequencies for Leaving Earth) et, donc, ce In Blue, en collaboration avec Dis Fig (aka Felicia Chen). On est à nouveau dans une musique de gangue, mais cette fois-ci dopée par la force propulsive, ondulante, des basses du Bug: ça avance à un train de sénateur, mais sans dévier de la ligne. Une comparaison m’est venue à l’écoute de ce disque: c’est comme si on avait laissé maturer le Nearly God de Tricky pendant 30 ans dans un fût de sherry.

Moor Jewelry, True Opera (Don Giovanni Records)

Si Kevin Martin peut être dit prolifique, il faudrait inventer un adjectif d’intensité supérieure pour qualifier Camae Ayewa, alias Moor Mother. Elle est active sur des fronts multiples: la poésie, le jazz (le projet Irreversible Entanglements est une colère noire), ou des formes altérées de musiques électroniques (en 2019, elle collaborait à Zonal, duo mené par Kevin Martin [cf. supra] et Justin Broadrick [cf. infra]). Ici, elle joue avec Steven Montenegro (aka Mental Jewelry) sur un autre champ encore, un punk rock noisy semi improvisé mais complètement ébouriffant.

Jéricho, De dreit nien (La Nòvia)

Placer un disque sous le patronage de Guillaume IX d’Aquitaine, le prince des troubadours de langue d’oc, ne pouvait qu’attirer mon attention. «Farai un vers de dreyt nien» («Je ferai une poésie de pur néant», ou «Je ferai des vers à partir de rien») est l’incipit de son œuvre la plus célèbre. Quand ce sont les gens de La Nòvia (de très inspirés rénovateurs des modes musicaux du Moyen Âge) qui s’en emparent, on peut s’attendre à ce que cela touche au sublime. C’est le cas ici: entre autres merveilles, la vielle à roue de Yann Gourdon est une véritable machine à rêves amples.

Psychic Graveyard, A Bluebird Vacation (Deathbomb Arc)

A Los Angeles, le label Deathbomb Arc s’est spécialisé dans les formes déviantes de hip hop. Mais il ne mégote pas sur les pas de côté, comme ici avec un rock à la fois bruyant et primitiviste: Psychic Graveyard est un groupe qui, quelque part, propose des choses simples (une ligne de basse, un rythme, un bruit qui fait motif), mais qui va les chercher dans des endroits insoupçonnés. Et en plus ça fait dodeliner.

Tech Level 2, Revolve (Avalanche Recordings)

Les gens qui me connaissent savent que je ne suis pas loin de vouer un culte à Justin Broadrick, un enfant de Birmingham (encore un!) à qui l’on doit parmi les propositions musicales les plus radicales et les plus inventives de ces vingt-cinq dernières années – de Godflesh à Techno Animal, de Napalm Death à Final et Zonal, etc. C’est, lui encore, un stakhanoviste: il aura marqué l’année 2020 par la sortie de Terminus, très bel album de pop minérale issu dans le cadre de son projet Jesu (j’en parlais il y a quelques jours dans Le Temps, ici), et j’avoue qu’il m’a aussi beaucoup attiré l’oreille avec un projet moins connu (et qui avait été mis en sommeil depuis la fin des années 90): Tech Level 2. On est là dans la plus pure tradition de la jungle et de la drum’n’bass rocailleuses et durailles de l’époque: un vrai festival de rythmes cassés et de basses qui vous prennent par l’arrière de la cage thoracique.

Gaudi, 100 Years of Theremin (The Dub Chapter) (Dubmission Records)

Daniele Gaudi est un as du thérémine – vous savez, cet instrument qui commence à chanter quand, de la main, on interfère avec les ondes qu’il produit. Pour célébrer le centenaire de l’outil, il a choisi de l’incarner dans des contextes inhabituels pour lui. Dans ce cabotage d’un genre à l’autre, j’avoue avoir été impressionné par l’escale dub: on retrouve des légendes du desk (Mad Professor ou Adrian Sherwood), et on est étonné de la fluidité avec laquelle les mélodies ondulatoires se glissent entre les vagues de basse et la delay.

Duma, Duma (Nyege Nyege Tapes)

Basé à Kampala (Ouganda), le label Nyege Nyege Tapes est l’une des officines les plus barrées des musiques actuelles. Il fait aussi office, bien entendu, de caisse de résonance pour toutes les voix qui se mettent à émerger en Afrique de l’Est. Les Kényans de Duma en sont un bel exemple. Qu’est-ce qu’ils font? Une forme de black metal de synthèse? Peut-être, mais alors entrelardé de nappes de synthés dans lesquelles il trébuche et se diffracte en rythmes impossibles. C’est très étrange, et c’est en cela que c’est très séduisant aussi.

Convulsif, Extinct (Hummus Records)

Il y a quelques semaines, en parlant d’eux dans Le Temps (c’était ici), je disais que «l’art de Convulsif consiste à mettre en scène une suite de déséquilibres contrôlés.» Je ne vais pas me contredire à si peu d’intervalle. Avec leur instrumentation atypique (basse, batterie, clarinette basse, violon), les exécutants réunis autour du Combier Loïc Grobéty font une musique qui se plie et se déploie sans cesse en une mécanique à la fois puissante et savante.

Yokel, Smell of Deer (Avon Terror Corps)

Retour à Bristol (c’est là que le label Avon Terror Corps est basé). On retrouve chez Yokel cette chose typiquement britannique qu’on pourrait nommer un «psychédélisme froid»: c’est une musique qui se libère (et qui libère) mais sans chercher à s’élever. On est ici dans des rythmes électroniques semi-tribaux et des déclamations coléreuses. On pourra parler d’une forme d’évasion par le sous-sol.

Simon Grab, Anthropocene Panic (Sound-Space)

Avec le Zurichois Simon Grab, on ne sait jamais d’où le son va sortir. Ce que l’on conçoit par contre, c’est qu’on a quelqu’un qui sait comment raffiner ce que le commun des mortels ne saisit pas comme étant du matériau musical: des plaintes de circuits qui se tordent, des feedbacks, etc. Mais de tout ça – que ce soit en solo ou en collaboration avec le rappeur Yao Bobby (j’en parlais ici) –, il fait une distillation qui lui sert ensuite à créer des plages acides sur lesquelles on ondule.

Bob Vylan, We Live Here (Venn Records )

On est maintenant à Londres. Bob Vylan a réussi une synthèse que l’on rêvait d’entendre entre grime (entendez par là cette paraphylétique forme de rap londonienne) et punk. Souvent, par le passé, ce type d’alliage pouvait pécher par la non-congruence des éléments censés le constituer. On ose proposer que Bob a, en la matière, trouvé la pierre philosophale.

strom|morts

Pas d’album en particulier ici (bien que j’aurais pu mettre l’accent sur leur Coronal Mass, sorti cette année justement chez Midira Records), mais plutôt la volonté de souligner le travail au long cours (je vous en parlais ici) lancé par Didier Séverin (un ex de Knut), Olivier Hähnel et Mathieu Jallut (deux anciens d’Abraham) depuis Conthey: celui de faire du drone une œuvre totale et participative. Toute une série de musiciens se sont déjà couchés sur leurs tapis d’ondes basses: le Neuchâtelois Jonathan Nido (guitariste chez Coilguns), le brutaliste hongkongais Sin:Ned, le duo helvéto-finlandais Fargue (Samuel Vaney et Eeli Helin), ou encore l’Allemand Paul Seidel (batteur chez The Ocean Collective, vous pouvez l’écouter ci-dessus).

Oranssi Pazuzu, Mestarin Kynsi (Nuclear Blast)

Il y a quelque chose d’étrange avec le black metal: c’est un genre qu’on pourrait dire, vu de l’extérieur, fermé à nous. C’est bien entendu une histoire de représentation (entre autres médiatique): cette musique, ce ne serait que celle de Varg Vikernes se plaignant que Breivik n’ait pas massacré assez de monde sur l’île d’Utøya. Ce qui est une forfaiture intellectuelle – sans quoi vous n’écouteriez plus les Beatles parce que Charles Manson a fait de «Helter Skelter» un mot-clé de son entreprise meurtrière. Ce qui, par contre, peut être dit vrai, c’est que le black metal est longtemps resté prisonnier de codes stylistiques stricts. Mais cela fait une bonne décennie, au bas mot, que les choses changent, que le style se décloisonne. C’est le cas chez nous avec Zeal and Ardor, le projet du Bâlois Manuel Gagneux, qui le frotte aux chants des esclaves des champs de coton. C’est le cas aussi des Finlandais d’Oranssi Pazuzu, qui empruntent une voie différente: eux prennent un soufflet pour installer de l’ampleur dans les desseins sombres: il en sort une musique qui conserve des marqueurs natifs, mais qui se met tout à coup à progresser et faire éclore des états de conscience nouveaux pour elle.

Clipping, Visions of Bodies Being Burned (Sub Pop)

Au début, l’objectif de Clipping relevait de l’expérimentation pure: faire du hip hop à partir de bruit blanc et de basses qui ne deviennent sensibles que par les os qu’elles mettent en vibration. Aujourd’hui, les fins de l’expérimentation sont devenues les moyens de l’expression d’une poétique, de sentiments, et surtout d’une angoisse. Car c’est bien, sous les ressorts d’une esthétique horrifique, l’angst existentialiste qui s’exprime ici. Mais avec un étonnant sens du rythme: il faut avouer qu’on n’avait jamais imaginé Meursault sur une piste de danse.

Snowbeasts + Solypsis, Fever Dream (Ohm Resistance)

J’ai toujours apprécié Snowbeasts (Elisabeth Virosa et Rob Galbraith), mais j’ai toujours trouvé qu’il leur manquait un petit quelque chose. J’ai toujours aimé Solypsis (James Miller), mais j’ai toujours trouvé qu’il lui manquait un petit quelque chose. Ils devaient se rencontrer: le travail d’équipe donne ici un résultat d’exception: un dub électronique wagnérien, d’une puissance pas très éloignée de l’absolu. Un cataclysme.

Loup Uberto, Racconto Artigiano (Three:Four Records)

Et voici quelque chose qui nous fait pénétrer à ras du crâne. Que dire de ce disque, sinon qu’il en sort comme une magie perturbée, et que c’est en cela qu’elle s’imprime en vous. C’est une musique de peu, de très peu: des esquisses de bruit jetées comme elles semblent être venues, une pastorale d’un berger sans plus de troupeau, mais qui lui hurle en direction du fond de la vallée. L’extrait partagé ci-dessus ne rend pas justice à ces dégringolades. Ecoutez le disque en entier.

Hey Colossus, Dances / Curses (Wrong Speed Records)

Il y a quelques fois des groupes qui vous agrippent même s’ils ne proposent pas de révolutions formelles (vous voyez que je ne suis pas si snob…). Non, ils vous prennent simplement parce qu’ils ont un souffle. C’est le cas de Hey Colossus: ils font du rock, qu’on pourrait peut-être ramener à l’esthétique des gens d’Amphetamine Reptile Records (faites retour à Tar, Vertigo, Boss Hog et le début des années 90) mais dans une variante plus épique. Mais quel est ce souffle? L’été passé (un autre monde, on vous dit), j’ai pu les voir en concert durant le festival Supersonic de Birmingham (oui, encore Birmingham). Ils sont six sur scène (trois guitaristes, un bassiste, un batteur, un chanteur): c’est une famille, et je sens tout de suite qu’ils font une musique sérieuse – même quand Paul Sykes (le chanteur) fait le clown. Ils ont quelque chose de chevillé au corps: et quand ils balancent le morceau que je vous partage ci-dessus, ç’a été comme si une vague scélérate traversait la salle. C’est la musique, quoi.

Hundschopf, Deleatur (Dead Vox)

Non, là je plaisante. C’est mon disque. Mais il est effectivement sorti cette année.

Portez-vous bien.

Le son du canon

«La bataille est merveilleuse e cumune.» C’est un vers de la Chanson de Roland, un des plus anciens témoignages de ce qu’on pourrait appeler une culture francophone. Il célèbre la beauté des têtes qu’on tranche et des corps qu’on explose, il met en vers la poésie des conflits armés – ici entre les Sarrasins et les troupes de Charlemagne.

La guerre, c’est pas beau? Non, en effet. Mais on a longtemps pensé le contraire. On a beaucoup chanté (au sens propre) l’exploit guerrier. Au XVe siècle, on fredonne avec joie «L’Homme armé» («L’homme, l’homme, l’homme armé, l’homme armé, / L’homme armé doibt on doubter. / On a fait par tout crier, / Que chascun se viegne armer, d’un haubregon de fer. / L’homme, l’homme, l’homme armé, l’homme armé, L’homme armé doibt on doubter»). C’est une chanson d’armes, et elle sera d’ailleurs réinvestie par la musique sacrée: de Guillaume Dufay (1400-1474) à Giacomo Carissimi (1605-1674), on compte une bonne vingtaine de Messes qui reprennent le thème et mêlent le sabre et le goupillon.

La guerre, donc, est un sujet. Mais ça peut aussi être un matériau sonore: ça explose, ça craque, ça crie, ça entrechoque. Rabelais, dans son Quart Livre (1552), réalise un coup de maître en la matière: durant leur voyage vers l’Oracle de la Dive bouteille, Pantagruel et Panurge passent par les mers glacées, et plus particulièrement par le lieu d’une ancienne bataille qui opposa les Arismapiens aux Nephelibates. Il y fait si froid que les bruits du conflit sont restés figés sous la forme de paroles gelées. Mais quand Pantagruel les prend en mains (elles ressemblent à des dragées de couleurs), elles fondent et libèrent leur souvenir sonore. Rabelais écrit: «[…] ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr. On, on, on, on, ououououon: goth, magoth, et ne sçay quelz aultres motz barbares.» Tels sont, écrit-il encore, les «crys des homes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx, et tout aultre effroy de combat.»

A la même époque, Clément Janequin use d’un procédé similaire, mais pour en faire musique. La légende dit qu’il se serait trouvé à Marignan (je vous laisse placer la date) lors de la déculottée des Suisses, et qu’il se serait inspiré des bruits de la bataille pour composer une de ses pièces les plus célèbres, La Guerre. Ce qui est certain, c’est qu’il utilisera lui aussi l’onomatopée («von von patipatoc», «trique trac») pour en faire une matière poétique.

Aujourd’hui (dans la majeure partie des cas du moins), on ne célèbre plus la guerre comme on le faisait autrefois. Les tranchées, Auschwitz et la bombe atomique sont passés par là – le Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de Penderecki, c’est ni plus ni moins que le décalque d’un effroi (ce qui n’empêche d’ailleurs pas d’y trouver une grande beauté). Mais si on lui a (heureusement) donné une polarisation inverse, la matérialité sonore de la guerre est encore de nos jours un élément du vocabulaire musical. On peut l’utiliser de manière plus ou moins directe, mais toujours (ou en tout cas souvent) avec une forme d’ironie sous-jacente. C’est, par exemple, ce qu’a fait Tadas Maksimovas, un artiste contemporain basé à Amsterdam, avec son Gun Music Box. C’est exactement ce que ça dit être: une boîte à musique avec des révolvers.

La guerre possède des marqueurs sonores: le coup de feu (comme ci-dessus), l’explosion (on y reviendra), la sirène (celle qui prévient d’un raid aérien). Certains d’entre eux peuvent être corrélés à un développement technologique: le grondement sourd des vagues de bombardiers est né au milieu du XXe siècle. Au XXIe, c’est celui d’autres engins volants – les drones – qui fait office de topos. Lequel a tapé dans les oreilles de Gonçalo Cardoso et Ruben Pater (j’évoquais leur travail dans un précédent billet, ici), qui ont sorti (en 2015 chez Discrepant) A Study into 21st Century Drone Acoustics, une suite d’enregistrements de drones de différents modèles (le Predator, le Reaper, le Global Hawk, etc.). Leur argumentaire n’est pas dénué d’intérêt: «Le bruit des drones dans les zones de conflit crée des paysages sonores de terreur qui peuvent vivre pendant de nombreuses heures. Le bourdonnement des moteurs a généré des surnoms comme zanana en Palestine et bangana au Pakistan.» On est là dans le domaine du field (oserait-on dire du airfield?) recording, mais cette concaténation d’envols de grands moustiques métalliques – et ce qu’elle charrie d’imaginaire robotique et violent – suffit en effet à créer une écoute angoissante.

On trouvera un autre exemple de ce type de traitement chez Matthew Herbert. Je vous conseille vivement d’aller lire l’interview qu’il avait donnée, en 2015, à Thomas Burkhalter, le patron de l’excellente plateforme zurichoise Norient, dédiée aux soubassements des musiques aventureuses*. Herbert est un homme qui fait danser autant qu’il fait réfléchir, un musicien qui pousse l’art du concept assez loin – son album One Pig (Accidental, 2011) documentait la vie du cochon qu’il avait adopté: naissance, achat, engraissage, mise à mort, transformation, consommation. Une autre de ses tactiques consiste à acheter online des balles ou des obus (usagés, bien entendu) pour en explorer les capacités sonores: «La plupart viennent d’Irak ou d’Israël», dit-il. «Les gens les ramassent pour les vendre sur eBay. Des pièces magnifiquement exécutées, grâce à nos gouvernements qui dépensent tant d’argent pour les armes. Elles ressemblent à des bols de prière tibétains quand vous les frappez. Elles sont creuses, car il leur manque la partie explosive. C’est assez ironique.» Ironie? Oui, si on la considère (c’est l’une de ses définitions) comme une figure du dédoublement, par exemple ici entre l’antinomie des usages que l’on peut faire des munitions**. Matthew Herbert a poussé le bouchon un peu plus loin encore en publiant, sous le pseudonyme de DJ Empty, un disque du nom de Meaningless (en 2012, toujours chez Accidental), une suite techno brutaliste entièrement constituée de sons (profondément retravaillés) de coups de feu ou d’explosions. Il en parlait à Norient: «Je voulais voir si les gens étaient prêts à danser sur n’importe quoi. Quel impact cela aurait-il? Quelqu’un pourrait-il se renseigner?» Conclusion? «Nobody gave a shit.»

Je termine par un dernier exemple, qui sort un pied (mais un pied seulement) de la musique pour marcher vers les zones de la performance. Je veux parler ici de Survival Research Laboratories (SRL), un collectif fondé en 1978 à San Francisco par Mark Pauline. Avec ses collaborateurs, Pauline déconstruit, pirate et reconstruit des machines pour les faire ensuite se battre l’une contre l’autre jusqu’à destruction complète. On ne parle pas ici de dinky toys: chez SRL, on est adepte du gros calibre – Mark Pauline peut en témoigner, lui qui, en 1982, a eu la main droite en bonne partie arrachée par un moteur fusée qu’il était en train de traficoter pour la scène (il a publié les images des dégâts, je vous laisse les chercher dans Google si vous avez l’estomac ben accroché). En gros, une performance de SRL ressemble à ceci (Mark Pauline est le monsieur aux cheveux gris et en combinaison kaki):

On dira qu’on est ici dans une ironie plus massive, mais qui en conserve le schème de bifurcation – ce que fait SRL, c’est détourner la fonction des technologies (entre autres militaires, comme le missile ou le canon) pour bâtir des machines suicidaires. Mais c’est peut-être une autre manière de dénoncer qui est ici à l’œuvre, comme une continuation dadaïste. En 1920, Tristan Tzara disait: «Vivent les croque-morts de la recombinaison! Tout acte est un coup de révolver cérébral.» C’est un portrait, par anticipation, de Mark Pauline. Tzara, lui, terminait ainsi cette oraison: «Foutez-vous vous-même un coup de poing dans la figure et tombez morts.»

* On la retrouve par ailleurs dans Seismographic Sounds – Visions of a New World, passionnant bouquin publié la même année par Norient.

** On notera que l’ironie peut opérer en sens inverse. Durant la Seconde guerre mondiale, les ingénieurs militaires allemands appelaient «schräge Musik» un système de mitrailleuses automatisées installées sur certains avions.

Annonce de service: le virus nous réemprisonne à l’extérieur des salles, alas. J’ai donc le malheur de vous annoncer que je reviendrai tout prochainement ici avec ma sous-section «Un modem contre le Covid», qui vous aiguillera vers une série d’événements online.

C’était mieux avant (air connu)

Est-ce qu’on peut recréer des objets culturels du passé? Ou est-ce que l’on ne peut que créer des objets culturels qui ressemblent à ceux du passé? Vous ne vous êtes pas encore endormis? Dans ce cas, je vous propose de briser un dogme et d’empoigner le problème par le bout qui en semble le plus éloigné: celui des objets naturels.

Est-ce qu’on peut recréer des animaux disparus? C’était une des questions posées par Spielberg dans Jurassic Park. Il n’est pas le seul: plusieurs équipes de chercheurs ont par exemple pour intention de ramener à la vie le mammouth laineux. D’autres y sont en partie parvenus, par clonage, avec le bouquetin des Pyrénées (une sous-espèce du bouquetin d’Espagne disparue en 2000); mais le jeune animal produit en 2009 n’aura vécu que quelques minutes. Il y a eu des expériences plus anciennes, mais dont le succès n’a été que de façade: pensez, par exemple, à l’auroch de Heck, une tentative de reconstitution de l’auroch sauvage (Bos primigenius, dont le dernier spécimen était mort en 1627 en Pologne). Menée par les biologistes Lutz et Heinz Heck dans les années 1920, elle a consisté à hybrider des variétés de vaches rustiques pour remonter à leur ancêtre: le résultat fut certes une belle bête, mais dont le génotype n’avait rien à voir avec celui qu’elle était censée retrouver.

C’est à se demander si la nature ne fait pas mieux les choses quand on lui laisse les manettes. Connaissez-vous la notion d’«évolution itérative»? On dira, en prenant le risque de résumer affreusement, qu’il s’agit d’un cas particulier de ce que l’on appelle l’«évolution convergente». Exemple: les ancêtres du thylacine (en Australie) et ceux des canidés actuels (ailleurs), en évoluant dans des conditions environnementales similaires, ont donné naissance à des formes semblables – c’est bien pour ça qu’on donne aussi le nom de «loup marsupial» au thylacine (Thylacinus cynocephalus). Ça, c’est l’évolution convergente.

On parle d’évolution itérative quand la nature, au fil du temps, propose plusieurs fois de suite les mêmes réponses à une même équation environnementale, voire en un même lieu. Un exemple assez fameux de ce genre de mécanisme, c’est celui du râle de Cuvier: il y a environ 200000 ans, cet oiseau malgache a colonisé l’atoll d’Aldabra, à plusieurs centaines de kilomètres au nord-ouest de Madagascar. Là, sans menace de prédateur, il a évolué vers une forme aptère, incapable de voler (comme le dodo de l’Ile Maurice). Quelques dizaines de milliers d’années plus tard (il y a environ 136000 ans), une inondation de grande ampleur a fait disparaître ces oiseaux marcheurs. Mais d’autres râles sont revenus plus tard depuis Madagascar, une fois Aldabra à nouveau émergé; et là, ils ont, une nouvelle fois, évolué de la même manière – en perdant leur capacité à voler. Ces deux versions du râle aptère étaient-elles strictement identiques (par exemple au niveau de leur plumage)? On n’en sait rien. Ce que l’on sait, c’est que les réponses apportées à une pression environnementale l’ont été.

Dans le cadre d’un billet comme celui-ci, on ne va pas prétendre résumer (ni réinventer) le système qui articule ce que nous appelons la culture à ce que nous appelons la nature. On se contentera de constater que, visiblement, lorsqu’il s’agit de ramener du passé dans le présent, l’intentionnalité humaine visant la re-création parfaite (l’auroch de Heck), ça marche moins bien que son absence (le râle de Cuvier).

Et sinon, connaissez-vous le rétro-swing? En voici un exemple, piqué chez Big Bad Voodoo Daddy:

Sous une vidéo YouTube du groupe, une certaine Maureen Wagg s’extasie de la manière suivante (le commentaire date d’il y a quatre mois): «I love the hair. I love the clothes and I love the music. We don’t need to go back, we can bring this back here.» Musicalement, ce que l’on appelle le rétro-swing consiste à rejouer la structure et l’économie (instrumentation, arrangements, codes rythmiques, harmoniques, mélodiques, thématiques) d’un genre source (le swing). Qu’est-ce qui différencie les deux? Leur ancrage historique, et la qualité du rendu de l’enregistrement – c’est d’ailleurs peut-être en vertu de ça que, par effet miroir, le «rétro-swing» est souvent aussi nommé «néo-swing».

Mais le commentaire de Maureen dit autre chose encore: autant sinon plus que la résurrection d’un style musical, le revival est aussi le désir de captation de (ou de retrouvailles avec) un moment historique particulier (par exemple les années 1930) et ses marqueurs (ici: la coiffure ou l’habillement). C’est, autrement dit, l’expression d’une nostalgie.

Attention lapalissade: si l’on souhaite faire revivre quelque chose, il faut en théorie que ce quelque chose soit préalablement décédé – ou plutôt: qu’il ait été déclaré mort. Ou mieux encore: qu’il soit en «demi-vie», cet état imaginé par Philip K. Dick dans What the Dead Men Say ou dans Ubik et dans lequel les morts, cryogénisés, peuvent être temporairement ramenés à l’existence selon les vœux de leurs proches. Et de fait, le destin des genres musicaux n’est pas forcément de disparaître dans l’absolu; ils peuvent se contenter de se faire très discrets, silencieux. Ils retournent dans leur niche.

Développons: le «décès» des objets culturels (leur assourdissement) peut être plus ou moins ancien: pour ma part, j’ai connu l’efflorescence et le reflux de la scène illbient dans la deuxième moitié des années 1990, mais pas ceux du swing. Je ne sais pas quel âge a Maureen, mais j’ai tendance à penser qu’elle ne courait pas forcément les bars new-yorkais des années 30. D’où la question suivante: peut-on éprouver de la nostalgie pour quelque chose qu’on n’a pas connu? C’est une idée qui existe, elle se nomme «nostalgie de substitution», et elle a été développée par Arjun Appadurai, un sociologue et anthropologue indien, dans son livre Modernity at Large (1996). Elle a été réutilisée dans le domaine des musiques actuelles dans une série de contributions, et en particulier dans celle que Nicholas Russo a consacrée, en 2014 dans la revue Volume, à la musique de Tame Impala («Les Sixties psyché-reliques. Nostalgie de substitution et pouvoir évocateur du son dans le rock rétro de Tame Impala»).

Russo (et l’on ne peut qu’être d’accord avec lui) explique que ce groupe australien nourrit un fort tropisme pour les années 60. Il isole une série de tactiques utilisées par Tame Impala pour «faire sonner le passé dans [leur] musique»: des utilisations particulières du delay, du fuzz, des modulations, un recours courant à l’«automated double tracking» (ADT, c’est-à-dire le ré-enregistrement d’un même élément sonore pour épaissir le son d’ensemble).

Surtout, Nicholas Russo s’intéresse à l’objectif de cette résurrection sonore (c’est-à-dire celle, précisément, menée par Tame Impala): «[…] dans le rock rétro contemporain, le tableau est celui d’une nostalgie de substitution où seule la coquille de la nostalgie subsiste, vide de substance mémorielle, remplacée par une musique qui évoque le passé […] sa réussite dans la construction du sentiment nostalgique est rehaussée par l’émulation sonore du passé qui lui est propre.»

D’un bovidé à l’autre, est-ce qu’il faut en déduire que l’art de Tame Impala est à la musique ce que l’auroch de Heck est à la génétique? Rapporté au fait que la flèche du temps se déplace toujours dans le même sens, on peut dire que oui – recréer le passé, c’est une antiphrase. On joue avec du passé, mais on en fait forcément du neuf. On peut aller au-delà (ou plutôt à côté): car, nonobstant le fait que cette musique, en tant qu’objet contemporain, est valide (elle a des fans, elle me semble «honnête», et je n’ai rien à y redire), le procédé général ouvre toute une série de questions.

La première, c’est celle de la distance historique (vu sous l’angle du développement technologique) qui nous sépare de l’objet dont on souhaite s’inspirer. J’en ai vaguement parlé plus haut, à propos du swing. Mais si je n’ai pas connu le New York des années 30, j’ai toutefois accès à des exemples (auditifs, visuels quelques fois) de ce à quoi le swing ressemblait: il y a des enregistrements, des captations. Le problème se complique avec des traditions plus anciennes – allez trouver un mp3 de la première exécution du Canon de Pachelbel… C’est toute la problématique de ce que l’on appelle l’«interprétation historiquement informée», ou period music en anglais (dont on dira, en gros, qu’elle cherche à recréer les conditions d’exécution de pièces anciennes): les esprits chagrins diront que s’il est possible de retrouver quelques traits du passé (jouer sur des instruments d’époque, par exemple), il est impossible d’imaginer le recréer (beaucoup de partitions baroques sont lacunaires, ou ne donnent pas d’instrumentation). C’est ce qu’on appelle «la querelle de l’authenticité», et le camp opposé y répond de la manière suivante: le but de n’est pas une résurrection, mais une approche faite au mieux de ce que l’on peut retrouver des intentions du compositeur (s’il y en a un)*. Quand on parle de préhistoire de la musique (ou mieux, de musique préhistorique), cette question-là se pose en effet: la réponse est qu’on tient une matière à son, mais que l’on ne sait pas forcément comment la faire sonner.

Remarquez, il y a plus fort encore: créer un passé qui n’a jamais existé. C’est la tâche un peu frankensteinienne que l’on a confiée à une IA nommée JukeBox, qui crache des pastiches créés à partir de toutes les données dont on l’a farcies – écoutez ici (ça fait un peu froid dans le dos quand même) une chanson d’Elvis Presley qui n’a jamais existé (cela dit, qui sait: c’est peut-être ce que Jesse Garon aurait chanté):

Il est une question qui indique le coefficient de validité de ces démarches: c’est celle de l’intentionnalité. L’objectif tend-il vers l’imitation (qu’elle y parvienne ou non, le débat n’est pas là), ou vers la dérivation? Les exemples dont je parlais plus haut se rangent dans la première catégorie. Mais si l’on ne peut que faire du neuf en voulant retrouver l’ancien, on peut aussi, a contrario, vouloir créer de la nouveauté en puisant dans des éléments du passé.

Prenez par exemple ce collectif français nommé La Nòvia. Voici comment il se décrit: «La Nòvia est un collectif basé en Haute-Loire qui réunit des musiciens professionnels résidant sur un large territoire – Auvergne, Rhône-Alpes, Béarn, Cévennes, Hautes-Alpes, Alsace. Ce collectif est un lieu de réflexion et d’expérimentation autour des musiques traditionnelles et/ou expérimentales.» Tout est dans ce «et/ou»: les gens de La Nòvia reprennent des tropes anciens (c’est-à-dire, pour faire large, une instrumentation, des manières de jouer, des gestes et des schémas mélodiques et harmoniques), non pas pour les épingler dans un musée, mais pour en faire une matière musicale totalement neuve. Ecoutez par exemple ce que Yann Gourdon – l’une des figures de proue du collectif – fait de sa vielle.

Pour terminer, je ne voudrais pas oublier de mentionner une dernière manière de s’attacher au passé musical: la fatalité. Je m’explique: si vous utilisez un ordinateur pour faire de la musique (c’est mon cas), vous savez que l’acquisition d’une machine plus moderne présente toujours le risque que celle-ci ne reconnaisse plus certains éléments que vous aviez construits sur l’ancienne. C’est exactement ce qui m’arrive: après sept ans de bons et loyaux services, j’ai légué mon vieil ordinateur à mes enfants. Comme de bien entendu, le nouvel ordinateur ne reconnaît qu’à peine 15% des plug-ins d’effet que j’utilisais auparavant. Mains moites, sueurs froides. Mais j’ai pris une décision: ne pas tenter de retrouver des versions compatibles des anciens plug-ins, mais essayer de m’en rapprocher avec ce qu’il me restait de matériel fonctionnel. C’est usant mais passionnant: parce qu’on crée forcément des sons encore inouïs**.

* On peut rapprocher cette question de celles qui s’attachent à reproduire la prononciation des langues mortes. Comment, par exemple, s’y prend-on pour essayer de faire sonner l’ancien français comme il le devrait? En cherchant des témoignages d’époque sur la dite prononciation (il y en a), en étudiant les suites de rimes (si roy rime avec simplet, c’est vraisemblablement qu’il se prononçait «rouè»), ou en comparant avec d’autres langues.

** Je profite de cette thématique rétro pour parler du travail de Mike Hamerski, un mien ami musicien, vidéaste, satiriste et j’en passe (à la Renaissance, on appelait ça un «polymathe») aujourd’hui établi à Varsovie. Quand il met de la musique en images (il l’avait fait pour mon projet Hundschopf – vous retrouverez le clip en remontant les épisodes de ce blog –, et vous voyez ci-dessous ce qu’il vient de réaliser pour Ishma, son ancien groupe de hard core), il travaille selon la méthode dite du found footage. Comprenez par là qu’il recycle des pellicules anciennes (années 50 et 60 principalement) et leur donne, par le montage, des expressions parfaitement contemporaines. Regardez, tout cela donne quelque chose qui pourrait être qualifié d’hypnose stroboscopique.

Si j’étais chez vous, je partirais:

-> A Berne, à l’ISC, qui fête durant tout le mois d’octobre ses 50 ans avec toute une série de dates de haut intérêt: et par exemple les synthétiseurs cahoteux de Dedelaylay le jeudi 8, ou la no wave atmosphérique de Tout Bleu le jeudi 29.

-> A Berne toujours, le jeudi 1er au Buffet Nord, pour y écouter, dans le cadre d’un spin off des Digitales, Sunna Margrét. Un bel exemple de pop synthétique venue d’Islande – on trouve dans sa voix et dans son esthétique certaines réminiscences de ce qui fit les belles heures de Mark Van Hoen dans les années 90.

-> A Fribourg, le vendredi 2 à Fri Son, pour y écouter le post rock tout en altitudes d’Hubris et le rock de jaguars de Closet Disco Queen.

-> A Bulle, le même soir à Ebullition, pour y écouter Murmures Barbares, hip hop souterrain qui manie les infrabasses comme on fait dériver les continents. Le même soir: Cinq, et Femme Fatale.

 

-> A Lausanne, le même soir au Standard/Deluxe, pour y écouter Loup Uberto. C’est une splendeur, un musicien adonné à parts égales à l’expérimentation, au pastoralisme et aux vieilles sorcelleries. On peut réécouter son Racconto Artigiano, sorti très récemment chez Three:Four Records.

-> A Fribourg, les jeudi 8 et vendredi 9 au Nouveau Monde, pour y écouter The Burden Remains vernir sa nouvelle production, Fluid. L’objet prend la forme d’un ciné-concert aux guitares de poids. En ouverture: Kernal.

-> A Saignelégier, le vendredi 9 à la Brasserie BFM, pour y écouter Reverend Beat-Man. Le Bernois (Beat Zeller de son vrai nom) est un artificier soliste, quelqu’un qui vous brûle le blues en escarbilles.

-> A Sion, le même soir au Point 11, pour y écouter deux objets de drone massifs: StromImortS, une immersion ferreuse dans les soubassements, et Somnolent Priests, une montée au Golgotha en slow motion.

-> A Fribourg, le samedi 10 à Fri-Son, pour y écouter Mudhoney. Est-ce qu’on présente encore les papes du grunge? Non, just touch them, they are sick.

-> A Lausanne, du mercredi 14 au dimanche 18 au Casino de Montbenon et dans ses environs pour la nouvelle édition du LUFF (Lausanne Underground Film and Music Festival). Malgré le pangolin, comme le soulignent les organisateurs, la caravane de l’étrange s’ébranlera bel et bien. Avec, côté musique, de belles découvertes en gésine: Souharce, Officine, Antoine Chessex, Erwan Keravec ou encore Golem Mécanique. Je vous en reparlerai plus longuement dans le journal.

-> A Martigny, le vendredi 16 aux Caves du Manoir, pour y voir StromImortS (je vous en parlais ci-dessus), mais dans une optique particulière, à savoir celle de présenter, sous forme de ciné-concert, la bande-son qu’ils ont imaginée pour l’Antichrist de Lars von Trier.

-> A Delémont, le même soir au SAS, pour une soirée intitulée «rap de cave». C’est bien trouvé: Oddateee, Abstral Compost ou Cyrus Dufoy, il y a de quoi faire gigoter les sous-sols.

-> A La Chaux-de-Fonds, le samedi 17 à la Brasserie de la Meute, pour y écouter Aeroflot. On rappellera qu’il s’agit du duo electropop monté par POL et Goodbye Ivan, et c’est d’une beauté absolument aérienne.

-> A Bâle, le même soir à l’Elysia, pour y écouter AnD. On n’a jamais vraiment su qui étaient ces deux Britanniques, mais le fait est qu’ils produisent la techno la plus tellurique qui soit. C’est une pure merveille qui vous écrase.

-> A Düdingen, le dimanche 25 au Bad Bonn, pour y écouter DJ Marcelle, alias Marcelle van Hoof, qui a élevé le DJing au rang d’un objet foutraque qui retombe toujours sur ses pattes. C’est impressionnant.

-> A Genève, le mercredi 28 à la Cave 12, pour y écouter un trio d’improvisateurs hors-pair: Jérôme Noetinger, Francisco Meirino et Antoine Chessex – lauréat du dernier Prix suisse de musique. Du saxophone, du Revox et du synthétiseur analogique pour une exploration brutale et intelligente des marges du son.

-> A Bulle, du jeudi 29 au samedi 31 pour l’édition 2020 du Festival Poutre et terroir. Il y aura du beau monde dans les musiques romandes dures, et en particulier Coilguns et Rorcal.

-> A Düdingen, le vendredi 30 au Bad Bonn, pour y écouter Joe Volk, un beau rock tendu – qui brûle les doigts mais avec une certaine classe.

-> A Neuchâtel, le même soir à la Case à Chocs, pour y écouter Rorcal. S’il faut nommer les choses par un nom, les spécialistes diront que Rorcal fait du black metal (ça peut aller très vite, c’est coupant) avec des éléments de vocabulaire issus du doom (c’est beaucoup plus lent, c’est large).

-> A Monthey, le même soir au Pont Rouge, pour y écouter Coilguns (cf. supra) et Camilla Sparksss, experte en ambiance de fête froide.