J’ai mis beaucoup de mois dans cet article

J’ai un patronyme extrêmement commun. Quand je me self-googlise (mon ego a une certaine ampleur), je suis, à part ma pomme, un auteur français de livres pour la jeunesse (365 questions-réponses pour s’amuser, en 1992, c’était moi); j’ai écrit un «Que sais-je» sur Les pêches maritimes françaises; je suis psychiatre à Nyon; je suis dentiste à Saint-Denis, et gynécologue à Bruxelles; je suis notaire à Houilles (non, il n’y a pas de contrepèterie), dans les Yvelines; j’enseigne le krav maga à la Police nationale; je suis même un cinéaste belge qui a été retenu en otage par les papous en 2001.

Bref, on est une horde. Dans la musique aussi. Vous ne le savez certainement pas, mais j’ai deux ou trois trucs dans ce domaine-là: Hundschopf (mon projet solo); Les Poissons Autistes, un duo avec Stéphane Babey, le réd-chef de Vigousse (on sort d’ailleurs le mois prochain un nouvel album en collaboration avec Hemlock Smith, alias Michael Frei); Sinn/rd, un autre duo, cette fois-ci avec Cyril Monnard (alias Larkian), et dans lequel Stéphane Babey intervient aussi ponctuellement.

Eh bien, dans le champ de la musique aussi, les Philippe Simon, c’est tout un orchestre. Un octuor, pour être précis. Je suis allé voir sur Discogs, la gargantuesque base de données des productions musicales; on est numérotés de 1 à 8 (personnellement, je suis Philippe Simon 2). A mes côtés, il y a celui (c’est certainement le plus connu) qui fait du bruit entre Nantes et Paris – il avait d’ailleurs joué au LUFF de Lausanne en 2014, où il avait mis en musique, avec Romain Perrot (alias Vomir), Poing de force, un porno gay des années 1970. On n’est jamais parvenus à se serrer la main, mais on s’envoie des messages de temps à autre. Il y a aussi le Philippe Simon qui fait de l’ambient à Bordeaux – son album Amarante, publié en 2012, est un bel exercice de synthétiseurs scintillants. Il y a encore le Philippe Simon tromboniste, qui a participé à plusieurs productions de Chute Libre, un projet situé entre jazz et funk, actif durant la deuxième moitié des années 70. Il y a enfin (je conclus, désolé pour les autres) celui qui a contribué, dans les années 80, à l’écriture de plusieurs titres du chanteur Jean-Marie Vivier.

J’en ai terminé avec mon alter-egotrip. Mais il est vrai que l’homonymie – dans le domaine de l’économie culturelle au sens large et dans celui du microcosme musical en particulier – peut avoir des effets qui oscillent entre le comique et le pénible. Quatre des vingt enfants de Jean-Sébastien Bach (Wilhelm Friedemann, Carl Philipp Emanuel, Johan Christoph Friedrich et Johann Christian) furent aussi compositeurs, ce qui plut moyen au paternel – «Mon Christian est un gamin fort sot et c’est pour cette raison qu’il aura du succès dans le monde», dira-t-il affectueusement du petit dernier. Selon certains spécialistes du baroque italien, il a existé deux Giovanni Zamboni, que plusieurs décennies auraient séparés. Auquel, dès lors, attribuer un madrigal comme «Cor mio, tu ti nascondi»? Mystère…

Ce genre de quiproquo peut également survenir dans le domaine des musiques actuelles. Je vous en donne quelques cas, en forme de banc d’essai. Par exemple, est-ce que vous préférez Death, le groupe de metal de feu Chuck Schuldiner…

… ou plutôt Death, fameux groupe de proto-punk formé à Detroit?

Personnellement, j’aime bien les deux. Autre exemple: vous préférez Nirvana (je prends grand plaisir à placer cette exécution complètement foutraque de «Smell Like Teen Spirit» faite au Reading Festival de 1992 parce que vous m’y verrez peut-être dans le public)…

… ou vous préférez Nirvana?

Quelques fois, ce genre d’imbroglio peut créer des frictions. On se souvient qu’ici, en 2014, Nicolas Julliard a dû se résoudre à abandonner son (antique) pseudonyme de Fauve pour ne plus avoir à être confondu avec les jeunes Français de Fauve≠. Julliard continue à faire de la musique sous le nom de Nicolas Nadar; ses homonymes, on l’ignore. Dans un registre sonore différent, Kreator (les papes du metal teuton) s’appelait tout d’abord Tormentor: un autre groupe allemand (qui n’a d’ailleurs pas fait long feu) ayant le même patronyme, ils ont dû changer le leur.

A l’occasion, le débat peut dépasser le strict cadre musical. On se souviendra ici de Pan Sonic, duo d’életroniciens finlandais constitué d’Ilpo Väisänen et de feu Mika Vainio*. Mais au moment de leur fondation en 1994 à Turku, ils s’appelaient Panasonic. Ça n’a guère plu au fabricant japonais de tondeuses à barbe, qui leur a intenté un procès. Ils ont dû, eux aussi, changé de nom – il est vrai que certains de leurs sons bourdonnants pouvaient prêter à confusion.

Il y a plus retors que l’homonymie, c’est la paronymie – quand deux mots se ressemblent. Un phénomène qui m’a valu une grosse honte professionnelle. Connaissez-vous Cristian Vogel? C’est une des voix les plus intéressantes de la techno britannique, un de ces musiciens qui, dans les années 90, a défini ce qu’on a appelé l’école de Brighton. Un alliage de rudesse et de décalage du calibre de la gemme ci-dessous:

Et sinon: connaissez-vous Christian Vogel? En 2002, il a participé à ce disque:

Vous aurez peut-être remarqué la différence: Cristian contre Christian. Le deuxième est allemand, mais, à l’époque, j’avais bien entendu confondu les deux. Et dans Le Temps, il y a donc 19 ans, j’écrivais ceci du disque du deuxième, en pensant que je parlais du premier:

«Christian Vogel, qu’on savourait ces derniers temps pour sa techno déstabilisée constamment à la limite du dansant, s’est adjoint les services de Tom Knopf pour un des albums les plus généreux de l’année. C’est toujours de la techno, quoique fortement teintée de house. Et surtout d’une bonne dose d’esprit positif: les beats sont amples et puissants, les basses chaleureuses et enveloppantes, et le tout dégage une énergie qui ne peut que clouer un sourire de contentement sur la face du clubber. Tellement engageant et décomplexé qu’on leur excusera leur méconnaissance du français.»

«[…] on leur excusera leur méconnaissance du français.» Quelle arrogance, ces Philippe Simon.

 

* Le label autrichien Mego, en collaboration avec la Cave 12, vient d’ailleurs de publier son dernier live (en solo), enregistré dans la salle de concert genevoise dix jours à peine avant sa mort, en avril 2017. Un très beau témoignage – je vous en reparle illico presto dans Le Temps.

 

Un modem contre le Covid:

Comme il est tard et que je ne veux pas vous retenir plus longtemps, je prends juste quelques secondes pour vous inciter à vous brancher entre dimanche 24 et vendredi 29 sur le canal de diffusion de la Cave 12 de Genève. Vous pourrez y goûter toute une série de retransmissions en direct de lives pas piqués des vers, entre bruits et drones: Francisco Meirino, Jean-Philippe Gross, Pierce Warnecke, Louis Laurain, strom|morts et al.

Philippe Simon

Philippe Simon est chef d'édition au «Temps» et Dr ès Lettres de l'Université de Genève, spécialiste de Rabelais et des littératures de la Renaissance. En marge de cela, il se passionne pour les musiques singulières, curieuses, aventureuses – tous styles confondus. C'est de ces sons qu'on n'entend guère qu'il va vous parler ici.

4 réponses à “J’ai mis beaucoup de mois dans cet article

  1. Quelle belle passion que la musique.

    Si j’ai un seul regret dans la vie, c’est celui de n’y avoir croché, à ces croches.
    Piano désespérément de 7 à 9
    Violon vers 19
    Clarinette vers les 40, que même mon neveu m’a volé, une Buffet!!!

    Mais on toujours plus intelligent après et sans regrets 🙂

  2. Aah, finalement du journalisme des musiques contemporaines digne de ce nom. À dans quelques mois alors, pour la suite… 😌

  3. Cher Philippe,

    Puisqu’on est dans l’autopromotion, je me permets de squatter un petit coin de ton blog pour signaler la sortie du nouvel album de Malibu Interface «Mandala», disponible à l’écoute et en téléchargement sur Bandcamp : https://malibuinterface.bandcamp.com/album/mandala

    D’un style nettement moins aventureux que les musiques que tu nous fais découvrir d’habitude, l’album, inspiré par la musique répétitive, la musique électronique «Berlin School» et la musique de film, est constitué à 90% de morceaux joués «live» et enregistrés sur deux pistes en studio (finalisés sur un Nagra IV-SJ de 1972 pour les connaisseurs).

    Sur le 3ème titre, je tiens à signaler la collaboration à la basse de Jan Peyer, un musicien de très grand talent ( http://www.almost-human.ch/index.php/artist/jan-peier ).

    A signaler également une version double vinyle de luxe, fabriquée à la pièce et à la demande par un atelier de reliure de mon quartier, avec la possibilité de rajouter un message personnalisé à la dorure.

    Bonne écoute !

    https://youtu.be/xUhvTZFvYwM

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