Ça va plus vite, ça va plus lentement…

J’ai un ami comédien. Pendant longtemps, j’étais très angoissé à l’idée d’aller le voir jouer sur scène – oh mon dieu, et s’il se plantait dans cet octosyllabe? Et s’il se prenait les pieds dans sa toge de Britannicus? Horreur!! Maintenant, ça va beaucoup mieux. Parce que je me suis rendu compte que Frank (c’est son prénom) était devenu un vrai pro; et aussi parce que je me suis considérablement décoincé face à la chose théâtrale.

Mais, c’est vrai, j’ai me décoincer. J’ai dû, consciemment, faire ce travail. Par contre, je n’ai pas eu à produire cet effort pour les concerts – je n’émets bien entendu aucun jugement de valeur ici, je transmets simplement les éléments d’une biographie esthétique (la mienne en l’occurrence). Pourquoi? C’est quelque chose, j’imagine, de pré-conscient: la musique a vocation à me prendre par quelque endroit qui n’est pas forcément circonscrit par la boîte crânienne; le théâtre – je frise la lapalissade en disant cela – sollicite davantage ma capacité de concentration.

Je suis presque en train de vous dire que, lorsque je me retrouve devant un mur d’amplis, j’accède à un niveau inférieur de conscience. En y repensant, je me rends compte que c’est assez vrai: le son a tendance à dissoudre mon ipséité, les parts inutiles de ma personne se désactivent (évitez alors de me parler si c’est possible – je suis de toutes manières peu intéressant dans ces moments-là), et je me dilue d’un bout à l’autre de la salle.

Vous l’aurez peut-être compris: cette période sans lieu ni temps pour la dissociation mentale commence à me peser. On n’en voit pas encore le bout, c’est vrai. Mais en fouinant un peu, on commence à pouvoir mettre en évidence quelques timides débuts de résurgence. Du coup, si j’étais chez vous, je partirais:

-> A Berne, à la Dampfzentrale le samedi 11, pour une soirée intitulée «Aether – a transcendental waveform market». Beaucoup de bonnes choses à y entendre, et en particulier le duo de Simon Grab & La Gale: le phrasé de la Lausannoise se pose avec merveilles sur les éruptions synthétiques du Zurichois – à témoin ce petit bout de concert daté de juin dernier:

-> A Courfaivre, au Glaucal le dimanche 12, pour y écouter BUNKR et Erskined. De la musique à guitares dures, bruitistes pour les premiers, fauves pour les seconds. Attention: nombre de places très limité.

-> A Lausanne, au Romandie le mardi 14, pour un chouette tir groupé de hip hop qui agrippe: La Gale (qu’on retrouve donc ici et qui vernira du neuf), Oddateee (kick en gants de boxe) et Abstral Compost – qui présentera lui aussi un nouvel EP tout en angles.

-> A Genève, chez Foound le samedi 25. Foound fête ses cinq ans en confiant à l’agence Bisque une série de concerts aux synthés déglingués. Au programme: Alice, Avventur, ou encore Bucheron.

Philippe Simon

Philippe Simon est chef d'édition au «Temps» et Dr ès Lettres de l'Université de Genève, spécialiste de Rabelais et des littératures de la Renaissance. En marge de cela, il se passionne pour les musiques singulières, curieuses, aventureuses – tous styles confondus. C'est de ces sons qu'on n'entend guère qu'il va vous parler ici.