Les années 1980 à Genève (8)

En cet hiver 2022-2023, je revisite le patrimoine bâti genevois des années 1980 en collaboration avec la revue Interface. Grâce au relevé photographique de Paola Corsini, un petit retour dans le temps permet de prendre conscience de ce court moment charnière pour l’architecture du XXe siècle où l’histoire vient questionner la modernité qui s’achève.

La période de l’après-guerre a vu Genève se doter de grandes mutations urbaines. On pense principalement aux opérations de Saint-Gervais, initiées sur le plan théorique dans les années 1930 par les plans d’aménagement de Maurice Braillard, puis formalisées par l’architecte Marc-Joseph Saugey avec l’ensemble Mont-Blanc Centre (1951-1954) ou la grande barre des Terreaux du Temple-Cornavin (1951-1955). L’approche volumétrique radicale est résolument moderne en opposition au tissu moyen-âgeux dont elle vient prendre la place. Au début des années 1970, c’est à une posture différente à laquelle on assiste, avec une conviction nouvelle que la ville historique peut évoluer, mais dans une continuité plus classique. Le premier exemple manifeste nous est donné par l’intervention conduisant à remplacer, par étape, les anciennes écoles primaires de la rue de Berne et de la rue de Neuchâtel. Il s’agit du grand projet « Pâquis-Centre » réalisé sous la direction de l’architecte Jean-Jacques Oberson entre 1972 et 1994. 

Par sa présence silencieuse à l’intersection des rues de Berne, du Môle et de la Navigation, l’école primaire, avec ses quatre blocs autonomes traversés par une passerelle métallique, est un objet reconnu de la production romande. De leur côté, les logements de la première étape (1980-1983) restent une référence majeure du logement social en Suisse et méritent qu’on y prête une attention toute particulière (1). Deux paires d’immeubles étroits posés sur un large socle contenant salles de gymnastique et piscine publique s’insèrent dans le tissu pré-existant. Il s’agit d’un ensemble d’édifices à coursives qui puisent leur identité dans les recherches de la Tendenza italienne des années 1970. Cette courte période, appelée aussi néo-rationalisme, revisite l’histoire de l’architecture en s’appuyant sur une forme de banalité dans l’écriture de façades, reprenant à son compte la présence de portiques ou en composant des plans très lisibles issus de la relecture de typologies ancestrales. 

logements de l’opération pâquis-centre ©pcorsini

Quarante années plus tard, on demeure fasciné par la qualité d’usage de l’espace semi-public entre les deux fines barres contenant les appartements avec leurs coursives qui se font face. La présence de bois naturel dans les cadres préfabriqués des façades intérieures confère un surplus de domesticité que l’usage contemporain confirme toujours. La grande qualité de l’opération est immédiatement reconnue, l’école primaire obtenant le prix Interassar en 1980 et l’ensemble du projet urbain recevant en 1987 le prix d’urbanisme Gottfried Semper, décerné par la fondation Geisendorf pour l’architecture.

Le décalage temporel dans la construction des immeubles de logements a impliqué une évolution du langage, l’architecte répondant à l’évolution stylistique des années 1990, où une forme de minimalisme apparaît. Comparé à l’axonométrie publiée en 1980, l’ensemble souffre par endroit de cet étapage linguistique. On se prend à imaginer ce qu’aurait pu être la formalisation du dessin original des années 1980 si sa réalisation avait pu se faire de manière plus unitaire et complète avec ses loggias, ses sobres colonnes maçonnées supportant les coursives ou son habillage en bois.

+ d’infos

1) Cette étape sera complétée au nord entre 1990 et 1994, tandis que la dernière, plus en amont, ne sera que partiellement réalisée entre 1987 et 1990.

Adresse de l’immeuble : Rue du Môle 19.

Architectes : Jean-Jaques Oberson, 1980-1983.

Voir aussi, Interface 36, « Les années 1980 à Genève », décembre 2022, avec des textes de David Hiler, Sabine Nemec-Piguet, Philippe Meier et Patrick Chiché, ainsi qu’une interview de Jacques Gubler. 

> https://www.fai-ge.ch/_files/ugd/cba177_251367fab3ef4103b1c361abda063b59.pdf

logements de l’opération pâquis-centre, escalier et coursives intérieures ©pcorsini
logements de l’opération pâquis-centre, détail d’une coursive ©pcorsini
logements de l’opération pâquis-centre, façade pignon ©pcorsini
logements de l’opération pâquis-centre, vue depuis la cour de l’école de zurich ©pcorsini
axonométrie de l’opération avec l’école en bas, extrait de AS Architecture Suisse n° 42, juin 1980, édition Kraft, Lausanne

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.