Co-habitations

C’était il y a plus de trois ans, dans un chantier qui s’achevait avec son lot d’ouvriers qui fourmillaient pour finaliser les dernières retouches que la perfection helvétique requiert. J’avais alors visité en compagnie de son auteur l’« immeuble de paille », surnom un peu désuet qu’une presse locale en perpétuelle recherche de slogan avait jugé bon de l’affubler. C’était à l’hiver 2017, lors d’une journée de janvier dont un ciel bas avait bien voulu saupoudrer le sol encore boueux d’un voile blanc. 

Porté par deux sociétés coopératives actives sur le territoire genevois, le projet véhiculait son lot de postures anti-conformistes dans un canton où tout est contrôlé par des offices étatiques dont la vision normative est porteuse de désillusions castratrices pour qui n’a pas d’intentions conceptuelles fortes. L’ambition commune du client et du mandataire, celle affichée dès les prémisses de l’opération, était la participation. Il ne s’agissait pas ici de la prise de température – parfois démagogique – de la pensée citoyenne du moment, mais bien de co-opération active et de future co-habitation engagée. Une approche qui impliquait de ne pas seulement émettre un avis distant, mais de donner de sa personne dans une pratique d’auto-construction rarissime dans nos contrées aisées. 

Les nombreuses tâches auxquelles les futurs occupants ont dû s’astreindre font prendre tout son sens à la locution « vivre ensemble » souvent absente de la terminologie du logement collectif. Dans un de ses moments de rare sagesse, Voltaire avait prédit que « le travail éloigne de nous trois grand mots : l’ennui, le vice et le besoin ».  Au lieu-dit de Soubeyran, les résidents se sont peut-être parfois retrouvés dans cette sentence à la morale puritaine quand ils ont dû se partager la difficile mission de tout décider ensemble, dans des assemblées où la minorité accepte les risques et les choix des plus nombreux ; lorsque chacune des familles a dû passer près de deux semaines à isoler la façade nord avec cette fameuse paille qui a ainsi dénommé leur logis ; et quand, plus tard, les soixante personnes qui concrétisent de leur présence cette collectivité habitante ont dû se partager au quotidien les six véhicules « communautarisés ».

Dans cette vision d’une écologie alternative, mais assurément plus concrète que les grands discours, les concepteurs ont lutté pied à pied contre les diktat d’un plan localisé de quartier qui exigeait le double de places de parking que ce qui a été effectivement réalisé, face aux montants plafonds imposés pour la construction de logement à « bon marché » en réussissant à ajouter, dans la même enveloppe financière, des chambres d’amis à partager et enfin à imposer un système de sanitaire sans eau courante quand le « taxateur cantonal à l’égout » s’est retrouvé perdu, sans repaires, lors de l’établissement de sa facture.

la façade nord ©phmeier

Cet été 2020, de retour sur les lieux de cette belle découverte, je constate que la prise de possession a parfaitement fonctionné et rend hommage aux idées premières qu
i l’ont générées : les vélos colonisent joyeusement les entrées ; les plantes grimpent sur les structures des balcons ; la dichotomie linguistique entre le nord – une façade assez banale en crépi – et le sud – une grille en béton animée de doubles niveaux – conforte un principe typologique où chaque appartement est entièrement traversant ; le grand jardin collectif est habité.

Au cœur de ce quartier à l’écart des grands axes, c’est bien un îlot de sociabilité en dehors de toute l’urbanité environnante qui s’est installé. Malgré, ou peut-être grâce à l’effort hors norme qu’il a fallu déployer pour arriver à ces fins, le projet recèle en lui une forme d’optimisme sur la forme que pourrait prendre, à l’avenir, une part des logements en ville. Un optimisme où même un Candide – encore Voltaire –, admettrait que, dans la vie, outre que de « cultiver son jardin », il faudrait avant tout cultiver son rapport à l’autre.

 

+ d’infos

Coopératives « Equlibre » et « Luciole »

Architecte : atba, architecture + énergie

 

les loggias en chantier ©phmeier
les loggias en 2020 ©phmeier

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.