Franz Füeg (1921-2019)

Dans l’histoire récente de l’architecture suisse Franz Füeg tenait une place à part. De sa personne on retiendra la discrétion, la soif de connaître liée à son parcours d’autodidacte et la recherche de la cohérence. Celui qui vient de nous quitter à l’âge de 98 ans, avait commencé sa carrière au milieu des années cinquante par de modestes maisons particulières, où son souci du détail constructif apparaissait déjà. C’est en 1961 qu’il remporte le concours pour l’église catholique de St. Pius à Meggen, près de Lucerne, projet qui lui conférera une notoriété nationale jamais démentie. Aujourd’hui reconnu comme un chef d’œuvre intemporel, ce bâtiment, qui mêle le langage de la halle industrielle moderne et une matérialité d’une grande spiritualité, le marbre blanc translucide, aborde de façon magistrale la question de la lumière et de sa transcendance. 

Eglise St. Pius, Meggen, 1960-1968 ©phmeier

Je l’avais rencontré en 2005, pour un portrait publié dans une revue d’architecture. Plus qu’octogénaire, il s’était déjà reconverti dès la fin des années quatre-vingts dans une vaste recherche sur la numismatique moyen-âgeuse, avec le même intérêt qu’il avait pour son métier d’architecte qu’il décide de clore en 1999, pour se consacrer à cette nouvelle quête intellectuelle. Je retiens de cette rencontre la mémoire d’un homme apaisé, rare dans notre profession, qui appartenait à cette catégorie d’architectes qui pensaient « avoir fait le tour de la problématique et qui ont la capacité de s’arrêter »(1). Il m’avait aussi surpris en m’apprenant qu’il avait failli ne pas remettre les dessins du concours de cette désormais fameuse église, car il n’était pas encore satisfait du résultat. Cette approche absolutiste qui lui a fait renoncer parfois à rendre certains projet, se traduit dans son oeuvre, somme toute assez modeste en terme de quantité de bâtiments, par une écriture architecturale très soignée, héritée de ses maîtres à penser que furent principalement Auguste Perret et Ludwig Mies van der Rohe. 

Sa carrière ne pourrait se résumer à ces quelques lignes sans évoquer son passage au Département d’architecture de l’EPFL où il fut engagé comme professeur ordinaire de 1971 à 1987, presque contre son gré, sa modestie l’empêchant de postuler. Il fut un enseignant précis et recherchant avant tout à transmettre à ses étudiants la complétude du domaine, lui qui affirmait qu’un jeune « devrait au moins une fois avoir fait à l’école le tour du problème, sous tous ses aspects » (2).

C’est donc un des derniers, si ce n’est le derniers des « modernes suisses » qui part, laissant derrière lui une œuvre construite et écrite de grande qualité dont l’antienne serait l’humanisme. En effet, à l’image de certains grands maîtres du Mouvement moderne, il a su conjuguer le progrès et la sagesse.  Dans une récente interview à la Neue Zürcher Zeitung, quelques semaines avant sa disparition, il résumait ainsi son engagement architectural dans la société : « Le sens de l’architecture est d’offrir un service à l’être humain, et cette idée est importante aussi pour notre façon d’envisager la modernité ».

 

+d’infos 

1). Philippe Meier, « Franz Fueg », in AS – Architecture Suisse n°158, éditions Anthony Krafft, Pully, 2005

2). Franz Füeg « Enseigner et apprendre », Les Bienfaits du temps. Essais sur l’architecture et le travail de l’architecte, PPUR, Lausanne, 1985. 

3) Neue Zürcher Zeitung, 31.10.2019, interview de Sabine von Fischer

Eglise St. Pius, Meggen, 1960-1968 ©phmeier
Eglise St. Pius, Meggen, 1960-1968 ©phmeier

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.