Au bord de l’eau (1)

Il dresse fièrement sa silhouette de pierre dans le crépuscule d’un été breton. Lui, c’est l’un des derniers moulins à eau qui peuplaient les rives la Rance au nord du département français de l’Ille-et-Vilaine. Depuis le haut Moyen-âge, des hommes, meuniers de leur état, avaient compris tout le potentiel énergétique que l’on pouvait retirer du flux et reflux des marées. Dans cet estuaire qui s’ouvre sur la Côte d’Emeraude, le marnage y était important et l’eau remontait loin dans les terres. Elle était alors piégée dans de grands bassins bordant les moulins. Cette rétention de la « force liquide » permettait d’actionner des roues de bois ou de métal à mesure que la marée descendait : un travail continu de six heures par jour et par nuit pour moudre le grain. Mais ce n’était pas un horaire au sens moderne du terme, car le décalage journalier de cinquante minutes qui impacte le mouvement perpétuel de l’eau du fait d’une exception de la nature qui combine les forces gravitationnelle du soleil et de la lune, impliquait une présence non cadencée par un rythme circadien. 

moulin de beauchet ©phmeier

C’était il y a longtemps. Mais c’était hier encore, puisque le moulin de Beauchet a cessé ses activités en 1962 au moment de l’ouverture de l’unique barrage marémotrice européen. Ce dernier a été imaginé dans les années cinquante sous l’égide d’un ingénieur dont l’inlassable conviction a fini par l’emporter sur la méfiance générale qui habite le monde moderne. A la clé, un ouvrage d’art qui produit chaque année plus de cinquante mégawatts d’une énergie aussi propre que la transformation du littoral maritime de la Manche est fascinante.

Dans un paysage devenu horizontal et immobile suite à la retenue des eaux du petit fleuve d’à peine plus de cent kilomètres, le vieux moulin à « cycle unique » est un repère nostalgique dont l’œil contemporain ne retient que la belle proportion malgré l’obsolescence de son usage quotidien. Cette utilisation d’autrefois des ressources naturelles apparaît au regard de nos dérives énergétiques contemporaines comme une solution d’avant-garde à l’heure du solaire, de l’éolien, ou de l’hydraulique. Une belle leçon de l’histoire.

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L’usine marémotrice de la Rance produit 50 megaW. A titre de comparaison, une centrale nucléaire produit entre 1’200 / 1’300 megaW. A l’origine, ce barrage devait être le prototype d’un projet encore plus ambitieux dans le golfe du Cotentin, qui n’a jamais vu le jour. Seule une usine coréenne est en service dans le monde, sur le modèle de celui de la Rance.

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

2 réponses à “Au bord de l’eau (1)

  1. Magnifique, quelle ingéniosité des anciens, aucun des constructeurs n’a pas fait ses études à Harvard ni à l’EPFL !

  2. Ne pas confondre puissance et énergie produite (en physique: force et travail). La puissance installée à l’usine marémotrice de la Rance est de 240 MW et elle produit en moyenne 500 GWh d’électricité par an. En raison du cycle des marées, cela équivaut à une puissance moyenne de 57 MW.
    Parmi les sous-produits de cette usine, mentionnons l’envasement de l’estuaire de la Rance et une profonde modification de l’écosystème, la diminution graduelle de la capacité du barrage et la perte de navigabilité sur le fleuve.

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