Premières commandes (4) : Ecole primaire de Saxé

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

C’est une école de couleur blanche qui s’implante très précisément et très subtilement entre vignes et rochers, entre route et montagne, entre tradition et modernité. Ces qualificatifs font émerger une relation théorique avec ce que le critique britannique Kenneth Frampton a appelé le régionalisme critique (« L’architecture moderne, une histoire critique », 1983). Cette notion renvoie à l’idée que chaque région possède en elle les capacités de résister à une forme de mainmise culturelle globalisante, issue de la mégalopole moderne comprise comme étant indifférente à la question locale. C’est donc dans cette volonté de « création d’un lieu » que les deux jeunes architectes remportent le concours pour l’école primaire de Saxé.

Le programme requerrait l’agrandissement d’un établissement scolaire datant du début du vingtième siècle avec la création de salles de classe primaire et d’une salle de gymnastique. Le parti pris consiste en la mise en place d’un long volume destiné à l’enseignement, placé perpendiculairement aux courbes de niveaux, suffisamment détaché de la face rocheuse pour créer une cour qui permet également d’articuler l’édifice existant. Sous cet espace extérieur de récréation ainsi créé se glisse, en s’enterrant, la salle de gymnastique qui gagne son éclairage naturel par des puits de lumière qui émergent sur le sol du préau.

Maîtrise du lieu. La précision presque chirurgicale de l’implantation des éléments constitutifs du nouveau groupe scolaire n’a pas impliqué pour les auteurs du projet, la mise en place d’une boîte prismatique minimaliste qui commençait à inonder les publications au début des années nonante sous l’influence suisse alémanique. Ici l’architecture se décline selon des principes plus classiques avec des volumes articulés en fonction de la pente, une corniche qui détache le niveau de l’attique dans le ciel, une dichotomie du langage de façade entre les classes et le couloir. Si cette forme d’écriture moins puriste ne la situe pas dans l’air de son temps, on peut cependant déceler dans le langage architectural proposé, une sorte de clin d’œil à celui développé par l’architecte portugais Alvaro Siza. On remarque en particulier le rapport d’un socle en pierre naturelle avec une façade en crépi blanc, le traitement de quelques fenêtres sur les angles des volumes ou les escaliers et gradins en béton qui s’enracinent dans la roche de la montagne, à la manière des longs murets de la piscine publique de Quinta da Conceição (Porto, 1958-1965).

Cet hommage est d’autant plus judicieux que le maître portugais faisait partie du jury du concours pour l’hôtel de ville de Monthey, remporté deux ans plus tôt par les mêmes architectes à peine diplômés de l’EPFL, et qui ne se réalisera malheureusement pas sous leur égide, mais dont l’école de Saxé reprend certains points comme le rapport à la topographie. Sur cette question de l’implantation, les architectes sont redevables à leur professeur d’alors, Luigi Snozzi. En effet, durant tout le cours de sa longue carrière, ce dernier n’a eu de cesse de valoriser l’importance de l’inscription d’un projet dans le territoire, que ce soit à travers ses réalisations ou par sa capacité pédagogique à transmettre cette notion dans les ateliers d’architecture qu’il a dirigé à Zurich et à Lausanne. La manière de poser un volume par rapport au bâti et à la pente existante, la manière d’orienter les vues vers le paysage, la manière de composer avec la pente – thématique typiquement helvétique – sont un héritage direct de la pensée de Luigi Snozzi qui a influencé des dizaines d’architectes de renom ayant suivi son enseignement. Mais alors que leur maître tessinois formalisait ses réponses territoriales par des bâtiments exclusivement en béton brut, les deux jeunes lausannois, recherchent des solutions expressives accordées au lieu, également à travers le choix des matériaux.

Ce projet de l’école primaire de Saxé fut le premier d’une longue série de concours publics qu’ils ont remporté, souvent sur le thème scolaire. Rappelons également que c’est grâce à l’engagement et à l’opiniâtreté de Bernard Attinger, l’architecte cantonal valaisan à cette époque – auquel Olivier Galletti succèdera de 2007 à 2015 – que les concours en Valais ont offert de nombreuses opportunités à de jeunes architectes qui ont pu ainsi réaliser leurs premières commandes.

+ d’infos

Architectes : Olivier Galletti et Claude Anne-Marie Matter (aujourd’hui Galletti-Matter architectes), Lausanne

Lieu : Saxé, Valais

Dates : 1991-1994

Acquisition : Concours, premier prix

1991 : Les architectes ont respectivement 28 et 27 ans, le prix Pritzker est décerné à Robert Venturi, sortie de l’album « Achtung Baby »du groupe irlandais U2, considéré aujourd’hui comme étant le plus abouti, décès de Freddie Mercury, Serge Gainsbourg et Yves Montand, le film des frères Coen « Barton Fink » obtient la palme d’or à Cannes.

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.