Zaha Hadid (1950-2016)

Elle était apparue au début des années quatre-vingt avec un projet hors de cette époque postmoderne qui hantait les revues d’alors. Elle venait de remporter le concours pour le « Peak de Hong Kong », sorte de club chic perché au sommet du pic de Kowloon qui surplombe de ses six-cents mètres la baie Victoria. Elle avait livré des planches dont le contenu étrange évoquait les aspirations futuristes d’Umberto Boccioni ou les toiles suprématistes russes. Une architecture topographique dont les porte-à-faux majestueux défiaient l’entendement. Des images très éloignées des sempiternels frontons décorant les hangars les plus improbables dont les publications abreuvaient les lecteurs jusqu’à l’écœurement. Malgré la prouesse artistique et intellectuelle, elle n’a jamais construit cet édifice. De même que les conceptions suivantes.

Mais elle a persévéré dans sa voie. Avec conviction, avec passion. Elle a continué à produire ces tableaux splendides, où l’espace devenait si improbablement fluide, qu’on finissait par y croire. A force, elle est devenue un emblème d’un pseudo mouvement architectural inventé au tournant des années quatre-vingt comme pour combler un vide théorique de cette fin de siècle glissant irrémédiablement vers l’éclectisme annoncé par la fin des grands récits. On parlait alors de déconstruction en architecture.

Elle n’aspirait qu’à une chose : construire. Bâtir pour prouver que ses intuitions virtuoses sur toiles pouvaient apporter leur pierre à l’édifice de la pensée architecturale. Rolf Fehlbaum, le directeur de la firme de meubles Vitra, fut le premier en 1990 à offrir à la dame de Bagdad cette opportunité tant désirée. Ce fut la petite caserne de pompiers du site de production à Weil am Rhein, dans le voisinage urbain allemand de Bâle. Achevé en 1993, soit il y a à peine plus de vingt ans, cet ouvrage de béton dont les murs obliques furent coulés dans des coffrages en bois pliés et tordus de la manière la plus incroyable, fit la une de tous les magazines, dépassant même le cadre de l’architecture. Une juste récompense pour celle dont la ténacité n’avait d’égale qu’une solide estime de soi. Depuis, elle a enchaîné les projets, par centaines, les réalisations, par dizaines, dans toutes les villes, sur tous les continents.

Qu’on ait apprécié ou non cette architecture « totale » – qui comprend aussi le design sous toutes se déclinaisons – où forme, fonction, structure et enveloppe s’entremêlent dans un foisonnement de courbes et contre-courbes, elle n’en restera pas moins une ambitieuse contribution à la pensée contemporaine. Zaha Hadid laissera aux générations futures des objets étranges et passionnés ainsi que de nombreux projets de papier (ou d’écran), que son auteur aurait certainement voulu achever dans une soif inassouvie de voir se réaliser encore et encore ce flot de créativité qui la caractérisait.

Une femme reconnue. De cette carrière somme toute assez courte, l’histoire retiendra encore qu’elle fut la première femme à recevoir le prestigieux prix Pritzker en 2004 et la médaille d’or du Royal Institute of British Architects (RIBA), il y a quelques semaines de cela. A l’occasion de la remise de ce dernier honneur, Sir Peter Cook, le célèbre fondateur d’Archigram, lui adressa cet élogieux propos : « Nous nous rendons compte que Kenzo Tange et Frank Lloyd Wright n’auraient pas pu tracer chaque ligne ou vérifier chaque joint, pourtant Zaha partage avec eux le rôle précieux d’une influence imposante, distincte et presqu’implacable sur tout ce qui, autour d’elle, cherche un résultat hors norme ».

Dans ce monde trop masculin de l’architecture mondiale starifiée, Zaha Hadid fut une étoile, une de celle qui a filé son propre fil, qui a tissé sa toile (au sens propre et figuré) au delà des modes et des influences.

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Brève biographie

Naissance le 31 octobre 1950

Etudes supérieure de mathématiques à l’Université américaine de Beyrouth

Etudes d’architecture à l’Architectural Association de Londres (avec Bernard Tschumi, Elia Zenghelis et Rem Koolhaas)

Travaille à l’OMA (Office for Metropolitan Architecture) à Rotterdam

Fonde en 1980 son agence à Londres (qui compte plus de 400 collaborateurs dans le monde)

Reçoit en 2003 le prix Mies van der Rohe

En 2004, le prix Pritzker

Décès le 31 mars 2016 à Miami

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.