Jean-Marc Lamunière (1925-2015)

Un grand protagoniste de la création architecturale moderne genevoise vient de nous quitter à l’aube de sa nonante-et-unième année. C’est bien plus qu’un professionnel de la construction qui tire son ultime révérence, c’est en effet également un théoricien et un enseignant que le monde de la culture vient de perdre.

Genevois de souche, il naquit à Rome en 1925, il entre à l’Université de Florence pour y poursuivre des études d’architecture. De 1950 à 1952, il s’éloigne encore une fois de sa ville d’origine, en se rendant à Mulhouse pour se confronter à la pratique, sous la direction des frères Perret, les précurseurs et les maîtres de la structure ponctuelle en béton armé. Il ne se départira jamais de cette première et définitive grande leçon d’architecture. Quelques années plus tard, il effectuera également un voyage initiatique aux Etats-Unis dont l’importance sur son travail ne sera jamais démentie : il y découvre l’esthétique constructive des œuvres de Ludwig Mies van der Rohe, dont les assemblages de profilés métalliques exploitent de manière admirable les qualité de la matière dans une maîtrise des proportions jusqu’alors inégalées.

Lors son implantation professionnelle à Genève, il bénéficie du boom des trente glorieuses, pour mettre en espace ce métissage qui unit le lyrisme italien à la raison française – ou américaine. Porté par une dynamique locale prolixe, le début de sa carrière le verra raconter sa passion de la structure à travers sa propre interpétation de la pensée de deux grands maîtres encore en activité : Le Corbusier et Ludwig Mies van der Rohe. Je pense par exemple à des œuvres de jeunesse comme l’immeuble des Ronzades à Genève (1955-1956), la tour Edipresse à Lausanne (1957-1961), la fabrique de chocolat Faverger à Versoix (1962-1968) ou les villas Bersch à Bernex (1965-1966) et Aumas à Jussy (1965-1968). A l’image d’ouvrages célèbres de l’architecte portugais Alvaro Siza, évoquant le maître finlandais Alvar Aalto, ou de celles de Mario Botta s’inspirant librement de la pensée de Louis I. Kahn, les bâtiments de Jean-Marc Lamunière, conçus « à la manière de », ont marqué, et marquent encore, le paysage urbain de la Romandie.

Mais c’est assurément dans les années soixante et septante, époque pendant laquelle la culture architecturale en Suisse romande effectuait une « traversée du désert », selon les termes de son ami l’historien Jacques Gubler, que son bureau a produit les ouvrages les plus remarquables et les plus personnels : les tours de Lancy (1961-1965), le siège de la Winterthur Assurances à Genève (1974-1978), en passant par la villa Dussel à Anières (1969-1974), l’immeuble mixte S.I. Internunité à Genève (1973-1980) ou encore le Conservatoire botanique de Genève (1967-1974). Dans cette période féconde, il fut entouré d’associés ou de collaborateurs de talent que son aura nationale attirait dans son modeste atelier, entièrement vitré, au dernier étage de l’immeuble des Terreaux-du-Temple dessiné par son renommé confrère Marc-Joseph Saugey.

C’est à cette même époque qu’il initie une carrière d’enseignant qui débute par des invitations dans une grande école américaine, pour se poursuivre à Zurich (EPFZ, 1970-1972), Genève (EAUG, 1972-1990) et Lausanne (EPFL, 1972-1992). A ses étudiants, dont je fus il y a trente ans, l’éphémère auditeur, il a fait connaître la théorie de l’histoire de l’architecture, la grande histoire, celle à laquelle on pouvait croire, celle qui relie l’Antiquité au Mouvement moderne, la Renaissance au néorationalisme. Il a donné les règles de la composition classique, les bases de la proportion structurelle, mais il a aussi abordé l’influence du texte ou de la citation sur la conception spatiale.

Lors de nos dernières discussions, très récentes, il évoquait avec nostalgie le temps de la modernité dont il fut un grand acteur local, ces années où le projet porté par une idée forte et progressiste prenait le pas sur les contraintes qui essorent le quotidien contemporain de leurs faibles ambitions. Cette époque bénie où la pensée des grands maîtres donnait sens à la création, cette période où un souffle de liberté a redéfini le contour de nos villes.

Il s’en est allé par un beau dimanche d’août. Je l’imagine longeant le portique majestueux de l’immeuble de Budé où il résidait depuis de longues années, perdu dans ses pensées, auréolé des volutes de fumée de sa célèbre pipe. Il a rejoint ses maîtres, condisciples et amis, au panthéon des architectes, là où, dans l’immatérialité du non-être, se retrouvent ceux qui ont bâti le socle de notre mémoire collective. 

Adieu donc, cher Jean-Marc, votre œuvre et votre pensée vous survivront, comme ont survécu celles de vos illustres prédécesseurs.

+ d’infos

Lamunière, Jean-Marc, Récits d’architecture, Editions Payot, Lausanne, 1996 

Charollais, Isabelle, Lamunière, Jean-Marc, Nemec, Michel, L’architecture à Genève 1919-1975, DAEL, Direction du patrimoine et des sites, Payot, Lausanne, 1999

Lamunière, Jean-Marc, L’architecture à Genève 1976-2000, DCTI, Direction du patrimoine et des sites, Infolio éditions, Gollion, 2007

Meier, Philippe, Jean-Marc Lamunière architecte, FAS section Genève, Genève 2007

Marchand, Bruno, Jean-Marc Lamunière – Regards sur son oeuvre, Infolio éditions, Gollion, 2007

Lamunière, Jean-Marc, Meier, Philippe, L’architecture à Genève XXIe siècle, DALE, Direction du patrimoine et des sites, Infolio éditions, Gollion, 2015

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Marc_Lamunière

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch