La lancinante question du logement à Genève

Prendre la mesure du problème

Lors de la récente douzième «Journée du logement», on a pu relever un fait marquant : la présence de deux conseillers d’Etat, François Longchamp – président du Conseil d’Etat et ancien magistrat en charge du DCTI – et Antonio Hodgers – actuel magistrat en charge du DALE. Au-delà de la frénésie genevoise du perpétuel changement de la définition acronymique du nom du Département en charge des constructions – le terme «travaux publics» avait tellement plus de signification –, c’est bien sur le fond du(es) discours qu’il importe de s’arrêter un instant. La classe politique qui se doit de prendre la question du logement à bras le corps, semble avoir uni ses efforts, et surtout ses visions, quant aux grandes orientations à donner pour proposer une potentielle sortie de la «crise genevoise du logement».

Une assurance reçue ce jeudi 2 octobre 2014 : le Plan directeur cantonal 2030, et ses grands principes, est «non négociable».

Enoncé on ne peut plus clair venant d’un jeune élu et qui a de quoi surprendre par sa clarté dans un univers rhétorique qui a l’habitude de recourir à la périphrase et au non-dit. Que nous promet ce Plan directeur cantonal 2030? Il reprend les objectifs annoncés avec conviction par le prédécesseur des deux hommes politiques présents à la tribune, l’ancien conseiller Mark Muller, à savoir la création de cinquante mille nouveaux logements d’ici 2030. Premier constat: les données statistiques qui sont énoncées lors de cette journée démontrent que le rythme des constructions est loin d’atteindre le compte. Deuxième constat: la mise sur le marché de logements d’utilité publique (LUP) n’entre  pas dans les pourcentages envisagés. Troisième constat: les dissensions entre les communes et l’Etat participent de ce ralentissement.

Vision pessimiste? Vision réaliste?

Quoiqu’il en soit, la prise en compte de ces chiffres par l’administration du DALE est propre à permettre de mesurer les obstacles à franchir pour entrevoir une issue. Antonio Hodgers affirme avoir pris la dimension de la tâche à accomplir et propose de mettre en place quatre ateliers thématiques d’observation sur le sujet, réunis sous le vocable «Rencontres du logement». Pas de miracles, mais une deuxième annonce rassurante sur le plan de la communication politique.

Vers la fin du quantitatif?

Un autre message émanant des milieux de la profession architecturale semble avoir enfin été entendu : celui de la notion de qualité comme contre-poids indispensable à celle de la quantité qui alimente les grandes envolées lyriques des magistrats. Prendre un peu de recul par rapport à la réglementation légiférant les concepts typologiques, instiller un peu de pensée fondamentale dans le thème du logement, envisager d’autres approches que celle du Plan localisé de quartier (PLQ) quant à la planification urbaine du canton, sont les pistes de réflexion évoquées lors de ces débats.

Car le logement genevois est aujourd’hui régi par des contraintes issues de la rébellion des milieux associatifs de défense des locataires, à l’époque des fameux «congés-ventes» des années quatre-vingt. S’il est aujourd’hui non contestable que le logement est un bien commun et que le sur-profit doit être contrôlé, il n’en demeure pas moins vrai que la constitution d’un parc immobilier passe aussi par l’apport nécessaire du monde privé. Dans cette équation somme toute assez subtile, la discussion tourne souvent au bras de fer, éternelle «lutte des classes», que la conscience de la complexité sociétale actuelle devrait être capable de considérer comme étant dépassée.

Dans cet imbroglio politico-juridico-financier, un oublié : le plan du logement.

Le Corbusier écrivait en 1923: «Le plan est le générateur. Le plan porte en lui l’essence de la sensation. Les grands problèmes de demain, dictés par des nécessités collectives, posent à nouveau la question du plan. La vie moderne demande, attend un plan nouveau pour la maison et pour la ville». Face à cette vision sociale de la ville dont le terreau bâti est précisément le logement collectif, les acteurs étatiques de la construction se doivent de reconsidérer leurs acquis. Penser les seuils qui conduisent de la ville à la porte de son chez-soi, imaginer ce qu’un grand hall d’entrée collectif peut apporter à la qualité de la vie quotidienne, considérer que des prolongements extérieurs des pièces sont une réelle plus value sociale, sans ramener tout cela à un exercice comptable des plus dévalorisants, serait une prise en considération essentielle pour le futur.

Il est important que la thématique de l’habiter redevienne une source de création, de plaisir et de partage dont le plus grand bénéficiaire sera le futur locataire. Car il ne faut pas oublier que, si sortie de crise il y a un jour, ce seront justement ces logements qui auront été pensés avec conviction et attention qui trouveront preneur, face à la cohorte des mètres carré mis à la hâte sur le marché.

De tout cela les nombreux auditeurs de cette douzième «Journée du logement» ont été les témoins attentifs. Sera-ce suffisant pour faire bouger un canton enfermé dans ses convictions malgré tout conservatrices? Un petit pas a néanmoins été franchi et une prise de conscience est en train de naître.

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PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.