Le point Oméga

Dans ma vie de jeune adulte, j’ai été fasciné par la théorie de l’évolution du jésuite et paléontologue Pierre Teilhard de Chardin. Le fait qu’au cours des millénaires, par le jeu de ce qu’il appelait la « complexité conscience », atomes, molécules, cellules se sont organisés pour donner naissance aux règnes minéral, végétal, animal puis finalement humain, au bout de la chaîne, cette perspective me ravissait. D’autant plus que, toujours selon Teilhard, au fur et à mesure de leur déploiement sur la planète, les hommes tendraient naturellement et biologiquement à se rapprocher et à se socialiser. Autrement dit, l’humanité finirait par devenir un tout organique, une réflexion collective unique, dont le terme idéal serait une parfaite communauté de pensée et d’amour. Le point Oméga serait ainsi le sommet de la pyramide évolutive, le point ultime de la conscience planétaire. Dans cette perspective, la vie, la mienne comme celle des êtres humains, avait un sens. Je baignais, comme chacun d’entre nous, dans cette nappe pensante, la « noosphère », où l’amour énergie s’accumulait.

Mais quand je vois aujourd’hui comment cette humanité s’y prend pour dérégler le climat, détruire les écosystèmes, se complaire dans des jeux de pouvoir et de domination politique, économique et militaire, ou faire de l’argent la référence suprême, je me demande si Teilhard ne s’est pas fourvoyé. Même dans un pays comme la France de ma jeunesse, considérée jadis comme la fille aînée de l’Eglise, que reste-t-il de sa vocation spirituelle, elle qui a même oublié que ses valeurs chrétiennes étaient le fondement même de ses fameuses valeurs républicaines ?

Vers un nouvel état de conscience ?

 e Pourtant, c’est plus fort que moi, je ne parviens pas à me désespérer. Est-ce à cause de l’énergie d’amour de la Terre que dégage cette jeune paysanne lancée dans l’agriculture biodynamique ? Est-ce à cause de la fougue passionnée de ce jeune danseur, de l’enthousiasme silencieux de ce chercheur réalisant une découverte majeure, de l’abnégation sans borne de ce médecin sans frontière qui se porte au secours des victimes de la guerre ? Tous ces gestes du quotidien que nous montrent les médias dans le flot d’une actualité démoralisante ne viennent-ils pas enrichir la « noosphère », comme des éclats de lumière projetés dans une matière chaotique ? Ces gestes nous révèlent qu’au-delà des effondrements dont nous sommes les acteurs-observateurs, l’humanité vit peut-être un accouchement, certes douloureux mais annonciateur d’un nouvel état de conscience. Des petits gestes aussi insignifiants et grandioses à la fois que les lumières de la Voie lactée. (Publié dans Echo Magazine du 6 octobre 2021)

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

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