Vers une épicerie coopérative et participative à Yverdon-les-Bains

Il était temps. Yverdon-les-Bains était l’une des rares villes de Suisse romande à ne pas avoir d’épicerie locale, coopérative et participative. Grâce à un groupe d’action issu du groupe alimentation de YET (Yverdon En Transition), une telle épicerie devrait être fondée prochainement. Il y a du pain sur la planche. Si les statuts sont déjà prêts, les types de produits sélectionnés, certains fournisseurs répertoriés, le lieu d’implantation est encore à fixer, de même que le financement ainsi que mille détails qui restent à régler. Des détails dans lesquels ne se cache pas forcément le diable mais l’inconnu d’une aventure humaine exaltante !

Une épicerie participative, c’est d’abord une société coopérative alimentaire qui rassemble des coopérateurs responsables de la gestion et de la maintenance quotidienne du magasin. Historiquement, l’une des plus anciennes coopératives alimentaires a été fondée en 1973 à Park Slope, quartier de Brooklyn à New York. A cette époque, l’objectif de la Slope Food Coop était essentiellement de fournir des aliments de qualité à une population sans ressource. Le magasin compte aujourd’hui quelque 17.000 membres.

En Suisse romande, seize supermarchés coopératifs et participatifs ont vu le jour, dès 2018 pour la plupart, dans tous les cantons romands. Quatorze d’entre eux sont déjà rentables ! C’est le constat de Dorian Meierhans, l’un des membres (une dizaine) du groupe alimentation de YET qui travaille sur le projet yverdonnois. Dorian vient de réaliser un mémoire de recherche sur les épiceries participatives en Suisse romande, lors de son master en management à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne.

Gestion par consentement

Valoriser une alimentation locale, de saison, bio de préférence, encourager des circuits courts du producteur au consom’acteur, nourrir une réflexion sur nos modes de production et de consommation, telles sont les lignes de force de la coopérative en gestation. Dès le départ, des questions essentielles doivent être tranchées :  l’épicerie doit-elle fonctionner sur un modèle dit « fermé », c’est-à-dire exclusivement réservée aux seuls coopérateurs ou au contraire sur un modèle « ouvert » également aux non-membres ? Ne doit-elle distribuer que des produits alimentaires, de surcroît labellisés bio ? Doit-elle disposer ou non d’une caisse ? La manière de répondre à ces interrogations en dit long sur le futur mode de fonctionnement de la coopérative. Le groupe d’action de la future épicerie a choisi la gestion par consentement et non par consensus. Plutôt que d’attendre que tout le monde soit d’accord et dise finalement « oui » (consensus), il a préféré faire en sorte que personne ne dise « non » (consentement). Cette formule, plus souple, évite tout blocage du processus décisionnel sans pour autant négliger les avis contradictoires et elle encourage l’esprit d’initiative.

Modèle fermé

Au terme d’un intense débat, il a donc été décidé que l’épicerie yverdonnoise serait fermée, donc exclusivement réservée aux coopérateurs. Cependant, tout le monde est invité à devenir coopérateur ! Pourquoi avoir écarté l’ouverture ? Quand on ouvre une épicerie coopérative à tout le monde, le risque est de voir les bénévoles qui offrent trois heures de leur temps par mois à la gestion du magasin finalement y renoncer, quitte à payer plus cher les produits qu’ils achètent. De telles épiceries pratiquent en effet deux prix, l’un plus bas réservé aux coopérateurs, l’autre plus élevé réservé aux clients non coopérateurs. A terme, les derniers fidèles bénévoles doivent remplir les tranches horaires laissées vacantes et deviennent des quasi-salariés. Ce qui ne colle plus vraiment avec la vocation de la coopérative qui est précisément de faire participer ses membres à son bon fonctionnement.

Le modèle fermé a par ailleurs l’avantage de la simplicité. Il peut permettre de faire l’économie d’une caisse. C’est le système développé par une épicerie neuchâteloise qui invite les clients-coopérateurs à scanner les articles achetés dont les prix sont déduits d’un compte qu’ils possèdent dans l’épicerie. Ces clients-coopérateurs créditent régulièrement leur compte selon leurs besoins, généralement par virement bancaire. Mais, observe Dorian, la plupart des épiceries coopératives préfèrent néanmoins garder une caisse qui suscite une précieuse convivialité !

Produits bio, de préférence

Le choix des produits vendus a lui aussi été largement débattu. Il n’y aura pas que des produits alimentaires mais aussi de nettoyages et cosmétiques. Enfin, tous les articles ne seront pas labellisés bio. « Nous connaissons des producteurs qui n’ont pas le Bourgeon de Bio Suisse mais qui ont des pratiques correspondant à notre charte. Nous ne souhaitons pas les exclure », souligne Dorian Meierhans. Tous les articles importés en revanche devront bénéficier d’un label bio.

Des prix moins chers

L’épicerie participative, sans but lucratif et quasiment sans salarié, dégage de très faibles marges bénéficiaires, tout en rémunérant les producteurs fournisseurs à un prix équitable. « Fruits et légumes bio sont moins chers dans une telle épicerie que dans un supermarché classique. C’est l’un des principaux résultats de mes recherches », ajoute Dorian Meierhans. C’est d’autant plus patent que les grands distributeurs réalisent des marges plus fortes sur leurs produits bio que sur leurs produits non bio. Exception à ce constat : le lait. Il sera plus cher dans l’épicerie que dans la grande distribution car les producteurs de lait sont à ce point sous-payés qu’il convient de ne pas faire la fine bouche sur leur rémunération.

Parts sociales et financement participatif

Pour financer l’épicerie yverdonnoise, les coopérateurs devront acheter une part sociale de 200 francs. Selon le principe de la coopérative – une personne, une voix – ils prendront les principales décisions en assemblée générale qui est souveraine. Un comité dirigera la bonne marche de l’organisation pour toutes les tâches qui ne seront pas du ressort de l’assemblée générale. Différents groupes de travail seront aussi formés pour gérer des tâches spécifiques (gestion des commandes, des producteurs, des finances, etc.). Avec une centaine de coopérateurs, un montant de 20.000 francs récoltés serait une bonne base pour faire démarrer la coopérative. Il est cependant fort probable qu’un financement participatif (crowdfunding) et/ou des subventions communales complémentaires seront nécessaires.

Un énorme travail en amont

Dorian ne cache pas que les personnes impliquées dans ce projet ont réalisé l’ampleur de la tâche à accomplir. Mettre en place les horaires, préciser les tâches à accomplir et qui ne s’improvisent pas au sein du magasin, connaître et respecter toutes les normes d’hygiène, élaborer un site WEB, créer des événements, la liste des questions à régler n’en finit pas. Aussi l’expérience réussie d’autres épiceries locales participatives, comme le Supermarché Participatif Paysan La Fève à Genève ou Le Vorace près du campus UNIL-EPFL, montre que l’effort de quelques-un(e)s peut faire boule de neige et être largement récompensé. L’équipe invite toute personne motivée à rejoindre le projet. Pour les Yverdonnoises et les Yverdonnois, ce sera un signal fort que leur ville s’est enfin engagée dans la transition écologique et solidaire.

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

Une réponse à “Vers une épicerie coopérative et participative à Yverdon-les-Bains

  1. Bonjour
    Pour votre info lejardinvivant.ch
    épicerie participative à lausanne vient d’ouvrir à ruchonnet.
    Meilleures salutations!

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