Yverdon-la-Bagnole ou Yverdon-le-Bon Vivre?

Yverdon-les-Bains qui renouvelle ce dimanche 7 mars sa gouvernance locale va-t-elle rater son tournant écologique ? Empêtrée comme à l’accoutumée dans une stérile confrontation droite-gauche, héritage des siècles passés, la deuxième ville du canton de Vaud ne semble pas avoir encore saisi que les questions liées à la biodiversité et au réchauffement climatique sont d’une telle urgence qu’elles devraient être la priorité de tous les partis. Et pas seulement des Verts. Comme le souligne Météo Suisse, depuis 1971, chaque décennie a été plus chaude que la précédente. La décennie 2011-2020 a été en moyenne 2,5 degrés plus chaude que la période de référence préindustrielle 1871-1900. Elle est donc clairement la décennie la plus chaude depuis le début des mesures en 1864. Apparemment aveugle face à ce phénomène, la classe politique yverdonnoise dans son ensemble continue à soutenir la construction d’un parking souterrain de mille places, près de la gare, méga-projet dispendieux faussement présenté comme une avancée urbanistique majeure.

« Ce projet sera certainement continué. Tirer la prise, ce n’est pas ce qu’une Municipalité de gauche ferait », déclare le municipal et candidat socialiste Pierre Dessemontet lors d’un débat récemment organisé par le quotidien La Région. Dans son bulletin d’information, le PS souligne qu’il a obtenu en 2019 « la création historique de 100 places d’accueil de jour pour les 5 à 8 ans ». Mais il oublie de préciser que cette belle perspective est le fruit d’un marchandage abracadabrantesque avec le PLR de la ville : les places d’accueil contre le parking de 1000 places. Toujours dans La Région, la municipale et candidate PLR Gloria Capt déclare sans sourciller que « le souci des îlots de chaleur est pris en compte dans les futurs projets de (ses) services, notamment dans le cadre du futur parc de la Place d’Armes et du futur quartier Gare-Lac ». Vraiment ?

 

Un non-sens écologique

 

Laisser le parking actuel en l’état, véritable verrue de tôles entassées au cœur d’Yverdon-les-Bains, n’a certes pas de sens. Mais de là à mettre en chantier le projet prévu, c’est encore plus insensé. Pour rafraichir l’atmosphère et rendre l’air respirable dans une ville, il n’y a pas d’autres solutions que de grands arbres. Or dans le projet adopté par la Municipalité, il n’est ni prévu ni possible d’en planter sur une dalle bétonnée recouverte d’une mince couche de de 60 centimètres de terre. Comme l’a affirmé le 12 février 2020 lors d’une réunion publique Sandro Rosselet, chef de service des travaux et de l’environnement de la ville, « il faudra s’attendre à des étendues de pelouse brûlées en été ». Il est facile d’imaginer le plaisir qu’auront les Yverdonnois à se faire cramer sur l’îlot de chaleur de la nouvelle place d’Armes !

Par ailleurs, le dérèglement climatique entraîne d’ores et déjà une multiplication de cellules orageuses avec de fortes précipitations. Or, comme l’a encore souligné le service des travaux et de l’environnement, la dalle de béton prévue va bloquer l’évacuation de l’eau de pluie. Il faudra donc prévoir un système de pompage et de recyclage de l’eau.

 

Un aspirateur d’automobiles

 

Le projet ne résout pas les problèmes de circulation qui asphyxie la ville jour après jour. Après avoir mis en chantier une route de contournement pour désengorger la vile du trafic, la Municipalité programme d’aspirer la circulation au cœur même de la cité. Quelle incohérence ! Le projet de parking de la place d’Armes va sensiblement aggraver le trafic, notamment sur la rue de la Plaine, la rue des Remparts ainsi que sur le pont de Gleyres. C’est exactement le contraire de ce que prévoit le projet Agglo Y qui constate notamment que « la topographie plate et les courtes distances font de l’agglomération une région particulièrement propice à la mobilité douce, notamment au vélo ».

Comme le souligne l’Office fédéral de l’environnement, depuis le milieu des années 1950, la circulation routière est la principale responsable des émissions d’oxydes d’azote et une source importante de poussières fines et de suies de diesel, une substance cancérogène. Les rejets d’oxydes d’azote et de poussières fines sont encore trop importants et les émissions de CO2, très élevées, diminuent lentement. Et ce n’est pas demain la veille que les voitures électriques, qui engendrent les mêmes encombrements que les voitures à essence ou diesel, seront majoritaires en Suisse.

 

Des commerçants du centre-ville pénalisés

 

Déjà fortement fragilisés par les conséquences du Covid-19, le commerce en ligne et la cherté des loyers, les petits commerces du centre-ville pourront-ils supporter quatre ans de travaux avec le grand chamboulement qui va en résulter ? Rien n’est moins sûr. Une fois le parking souterrain de 1000 places réalisé, ce sera le coup de grâce pour ceux qui auront survécu. En effet, le projet Front-Gare qui s’insère dans la mise en œuvre du plan directeur localisé Gare-Lac prévoit un centre multifonctionnel regroupant commerces, bibliothèque et cinémas. Un passage direct du parking au centre commercial est cité comme condition sine qua non de la réalisation du parking dans le contrat passé entre le groupe privé Parking Place d’Armes SA (Marti/Amag) et la Ville. Les automobilistes ne seront donc vraiment plus incités à faire du shopping dans les rues du centre-ville.

 

Un financement déraisonnable

 

37 millions de francs à la charge de la commune, 54,6 millions à la charge du privé, c’est le coût global du projet. Un coût qui va durablement peser sur les finances de la Ville qui a déjà débloqué de gros crédits pour une route de contournement (60 millions) dont seulement un tiers a été réalisé et le collège des Rives (60 millions). Sans compter les 3 à 4 millions directement liés à la gestion du Covid-19. Par ailleurs, la Ville garantit un chiffre d’affaires annuel aux propriétaires du parking sur une période de 10 ans, ce qui pourrait coûter 1,5 million aux Yverdonnois (CHF 150.000 sur 10 ans). Au bout de la chaîne, ce sont bien les contribuables qui devront régler l’ardoise. Comme le souligne dans un document du PS Pierre Dessemontet, Municipal membre de la commission des finances du grand conseil, « la situation financière de la ville n’est pas rose : en quelques années son endettement net a doublé ». Est-ce donc vraiment le moment de se lancer dans un projet aussi dispendieux ?

Par ailleurs, en cédant aux groupes Marti et Amag un droit de superficie pour une durée de 70 ans, la Ville s’interdit tout droit de regard sur la gestion du parking. A qui la société Parking Place d’Armes SA, liée à Marti et Amag pendant une décennie, pourrait-elle ultérieurement céder l’exploitation de ce parking ? A une société étrangère ? Pourquoi pas ? La Municipalité n’aura rien à dire. Dans ces conditions, on se demande ce que le terme « public » peut bien vouloir signifier dans le mirobolant partenariat « public-privé » que la Ville agite comme un étendard de bonne gestion dans l’intérêt des Yverdonnois !

 

De bien meilleures solutions à la clé

 

La formule des parkings silo, très prisée dans les nouveaux éco-quartiers, a l’avantage d’être sensiblement moins onéreuse qu’un méga parking de 1000 places et de s’intégrer harmonieusement dans le paysage, y apportant même une note de fraîcheur végétale. La création d’un parking végétalisé sur trois étages sur l’emplacement de celui du Midi permettrait de gagner environ 300 places et de supprimer le parking actuel de la place d’Armes. De tels parkings peuvent être érigés à la rue du Midi mais aussi sur le parking de l’Office du tourisme ou de l’autre côté de la gare, dans des lieux desservis par la route de contournement ou les grandes avenues. Ces accès offriraient plus de fluidité dans le trafic.

Outre les parkings centraux, des parkings situés à l’extérieur, desservis par des navettes gratuites, permettraient d’effacer ces interminables files de voitures sans surcharger les quartiers alentour, avec des accès proches des autoroutes.  De tels choix de parkings ouvrent la mobilité douce au centre-ville. Les accès décrits garantissent une vraie zone conviviale dans la rue des Remparts. La circulation y offre une réelle sécurité, favorise les rencontres en toute quiétude, et incite à la flânerie.  Des études ont prouvé que de tels centres apportent plus de bénéfice aux commerces. Les piétons – qui sont aussi des automobilistes sortis de leur véhicule – et cyclistes fréquentent plus souvent et plus volontiers de telles zones. La place Pestalozzi n’a-t-elle pas fait le bonheur des cafés-restaurants et des Yverdonnois de toujours ou d’un jour, en devenant piétonne ? De plus, les petits commerces du centre-ville et les riverains de la Place n’auraient pas à supporter des années de travaux. Et encore moins la concurrence d’un nouveau centre commercial à l’américaine dont la création n’est pas justifiée, et qui laisserait place à un parking central à étages, végétalisé.

 

Un jardin japonais revisité

 

Avec son kiosque, ses oiseaux, ses poissons, ses espaces ouverts à des rencontres culturelles, conviviales, ses espaces de jeux pour tous les âges, l’actuel jardin – qui n’a de japonais que le nom lâché par son créateur à un journaliste pressé – pourrait se développer sur la plus grande surface de la place. Des arbres y sont déjà plantés sur les parkings actuels. Ils ne demandent qu’à grandir. Au lieu des larges passages prévus, inadaptés aux piétons comme le laissait entendre la Municipalité elle-même le 12 février 2020 en exprimant son inquiétude à ce sujet, dessiner de charmants chemins pour relier ces arbres, leur offrir des espaces de respiration et de développement, multiplier les massifs fleuris et les lieux à la fois intimes et conviviaux, voilà qui favoriserait la vie sociale, dans un vrai parc central.

Le kiosque, qui n’a toujours pas de place dans le projet actuel, pourrait rester où il est. Il continuerait à accueillir des fêtes telles que celle des jodleurs ou des food-trucks. Il pourrait devenir le cœur d’un marché plus musical. Du côté du collège, un aménagement des arbres pourrait offrir un parcours aérien aux plus sportives et sportifs (vœu exprimé par les élèves lors du concours d’idées dans cette école en 2014). Un espace original, conçu pour accueillir des manifestations culturelles pour tous les âges pourrait aussi y être créé.

 

Place à l’imagination créatrice

 

La Maison d’Ailleurs, célèbre dans toute la Suisse romande, a invité en 2006-2007 l’architecte novateur Luc Schuiten dans son exposition Archiborescence. En s’inspirant de ses dessins, de ses réalisations, construire un espace de spectacle en plein air avec des arbres vivants est sûrement à la hauteur des talentueux jardiniers d’Yverdon et serait un vrai projet marquant pour le siècle.

Il est encore temps qu’à l’image de villes comme Pontevedra, au Nord-Ouest de l’Espagne, Yverdon-les-Bains évacue l’automobile de son centre et fasse la part belle à la mobilité douce, pour le bien-être de ses habitants et la vie de ses commerces, favorisés par la fréquentation des piétons et des cyclistes. Il est encore temps de ne pas s’embarquer dans une aventure ruineuse, nuisible à l’environnement, et de se tourner résolument vers l’avenir avec un projet novateur qui propulsera Yverdon-les-Bains dans le 21ème siècle.

Il est encore temps pour les nouveaux élus, roses, bleus ou verts, d’avoir le courage de renoncer à un projet qui plombera la ville pour des décennies et de faire enfin preuve d’imagination créatrice.

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)