Aurélien, son ange et le coronavirus

Conte philosophique

La pandémie fait rage. Confiné dans son appartement, Aurélien dialogue sans le savoir avec son ange. Qui l’aide à entretenir sa flamme intérieure.

 L’ange contemple Aurélien, rempli de compassion. Le jeune homme attend fébrilement le retour de sa mère Marie, infirmière à l’hôpital, partie très tôt ce matin, la peur au ventre, face au grand nombre de patients gravement atteints par le covid-19. Aurélien se demande si sa mère ne va pas, à son tour, être contaminée. L’ange n’a pas un grand cœur. Il est lui-même un cœur, minuscule, atomique, niché dans celui d’Aurélien dont il ressent tous les battements, au gré des émotions. Il accompagne son ami depuis toujours. Déjà bien avant sa naissance et jusqu’à sa mort, quand la corde d’argent reliant son corps physique à ses corps subtils sera rompue. Pour l’ange, si la mort est une naissance inversée, la vie, elle, est éternelle.

Aurélien est un amoureux de la vie. Il participe à toutes les manifestations pour le climat et la sauvegarde de la biodiversité. Reconnaissable entre tous avec ses yeux d’un bleu lumineux et ses cheveux bouclés couleur de blé, il porte fièrement une pancarte sur laquelle il a écrit en lettres rouges : « Nous allons droit dans le mur. Prenons un autre chemin ». Quelques jours après le début du confinement de la population, Aurélien a fait un étrange rêve. Il s’est vu défiler avec ses camarades de Greenpeace, une voix intérieure lui soufflant ce message : « Nous voilà vraiment au pied du mur. Pas d’autre choix que de prendre un autre chemin. Ici et maintenant ».

Le chant des oiseaux

A son réveil, il se sent habité par une intense joie. C’est enfin arrivé ! songe-t-il. Ouvrant toute grande la fenêtre de sa chambre, il est étonné et ravi d’entendre le chant des oiseaux jusqu’ici couvert par une intense circulation automobile, il lève les yeux vers un ciel débarrassé des traînées de condensation que laissaient des avions désormais cloués au sol, il aperçoit des animaux venant pour la première fois s’approcher des habitations. Le bien-être et la santé du monde vivant non humain seraient-ils inversement proportionnels à ceux des humains ? Puis, refermant la fenêtre, il constate que sa mère a déjà quitté la maison pour l’hôpital et que son père, Pierre, patron d’une PME en arrêt d’activité, s’est endormi devant son ordinateur sur lequel se dessinent des courbes qui s’effondrent. Sa joie le quitte un moment, la honte l’envahit. Comment ai-je pu être heureux que tout, ou presque tout, s’arrête ?

 Aurélien appartient à cette nouvelle génération d’âmes incarnées pour ouvrir les consciences. Ses moments de doute ne durent jamais longtemps. Cette étrange joie qu’il a notamment ressentie dans son rêve, précieux cadeau de son ange dont il ignore l’existence, ne s’éteint pas, ravivée par ses actions quotidiennes. Avec ses amis, il a organisé une chaîne d’entraide et de soutien aux personnes seules cloîtrées chez elles à cause de la pandémie ; tous les soirs il partage avec ses voisins, sur son balcon, chants et musique ; dans sa ville en transition il a mis sur pied avec ses amis un atelier de réparation, un magasin participatif dans lequel s’échangent des vêtements de seconde main, un autre où paysans et consommacteurs tissent des liens de solidarité renforcés par l’utilisation d’une monnaie locale. Un autre monde éclot, sous ses yeux, pour les jours d’après.

Un langage symbolique

Quand Aurélien se révolte, que l’inertie des adultes inconscients de l’urgence climatique le désespère, que les mots non suivis d’actes des politiciens le révulsent, son ange vient lui souffler à l’oreille, toujours pendant son sommeil, que le temps d’un profond changement est vraiment arrivé. Et quel changement ! Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel nous annonce un Évangile. Il s’agit bien sûr d’un langage symbolique. Le soleil qui s’obscurcit, ce sont la science et la philosophie matérialistes qui s’effacent, faute de pouvoir répondre aux questions que l’humanité se pose. La lune qui ne donne plus de sa lumière, ce sont les religions fondées sur des bases erronées et conduisant au fanatisme et aux superstitions qui seront délaissées. Quant aux étoiles qui tomberont du ciel, ce sont toutes ces personnes gonflées de pouvoir économique ou politique, boursoufflées d’orgueil, qui tomberont de leur piédestal.

Une nouvelle alliance

De ce rêve récurrent dont il a oublié la substance, Aurélien ne retient que l’essentiel, un monde qui, après bien des épreuves dont celle de ce virus ravageur, scellera une nouvelle alliance avec le Tout Autre et les êtres de Lumière qui dansent en cercles autour de et avec Lui. Ce soir, quand Marie rentre à la maison, encore plus épuisée que la veille, le fils et l’époux décèlent une étrange lueur dans son regard. Une lueur d’espérance. L’infirmière vient de raccompagner chez elle une jeune femme, guérie après de longs jours de soins intensifs. Sans savoir vraiment à qui il le dit, Aurélien lâche dans un murmure : « merci ».

(Publié dans L’Écho Magazine de mercredi 15 avril 2020)

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

8 réponses à “Aurélien, son ange et le coronavirus

  1. Plusieurs articles du Temps parlent du chant des oiseaux.

    Maintenant, oui, c’est vrai, on les entend plus qu’avant puisque notre vacarme a cessé de couvrir leurs voix. Mais, les deux ou trois premiers jours du confinement, on ne les entendait plus. Comme s’ils avaient été surpris du silence soudain des humains et ça les avait peut-être inquiétés.

    Ça m’a rappelé ce que m’avait dit ma mère il y a des années: quand la guerre a éclaté, au mois de Mai 1940, les oiseaux s’étaient tus. Les Messerschmitt leur avaient cloué le bec. Alors aussi, ce n’est que quelques jours plus tard qu’ils s’étaient remis à chanter. Et, imitant les oiseaux, les humains se sont remis à espérer.

    L’illustration de titre est très belle. Qu’est-ce que c’est ?

  2. Cher Philippe! Je me sens un peu moins seule en lisant ce conte touchant… En écho, je me permets de te faire parvenir ci-dessous un article paru récemment sur mon blog. J’ai gardé un vif souvenir de toi à la RSR, et t’imagine jouant tous les soirs du saxo dans ta cour intérieure et portant toujours ces jupes pour hommes “tellement plus confortable que des pantalons”. Ton art d’être parfaitement toi-même dans un monde archi-formaté m’apportait les bouffée de fraîcheur qui me permettaient d’y survivre! https://christineley.ch/blog

    1. Merci pour ce lien. Je viens de passer une heure agréable sur ce blog et je compte bien y retourner pour y laisser quelques mots.

    2. Je viens de lire ton texte, chère Christine. Magnifique! J’invite mes lecteurs à le lire aussi (https://christineley.ch/blog). Je crois au pouvoir de l’imaginaire. Les pensées sont des entités vivantes. Dès lors, imaginer un monde comme tu le fais, c’est déjà le créer. Ce n’est pas un fantasme mais un phénomène que la science élucidera et documentera peut-être un jour. Qui plus est, ton écriture est fort belle. Donc c’est un plaisir pour la tête et pour le coeur!

  3. Bonjour ! J’aimerais savoir où a été prise cette magnifique photo d’illustration..
    Merci et bonjour de Bruxelles !
    Françoise

    1. Ce vitrail illustrant une spirale a été conçu par Gabriel Loire pour la chapelle de Grâce à Dallas (Texas). Bien à vous!

  4. Merci beaucoup pour cette belle histoire dans laquelle je me retrouve dans “le langage symbolique” et dans l’attente de “la nouvelle alliance”
    MERCI et bonne continuation NAMASTE

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