Extinction Rebellion, ou la légitimité d’une désobéissance civile

Diffusé début mars 2020 dans la Pensée écologique (https://lapenseeecologique.com/extinction-rebellion-desobeissance-civile/), le dossier ci-dessous sur XR et la désobéissance civile, réalisé par Dominique Bourg et Philippe Le Bé, pourrait sembler inopportun au moment où tous les regards se tournent vers la redoutable pandémie du Covid-19. Pourtant, tout est lié. La déstabilisation des écosystèmes engendre bel et bien des perturbations dans les germes, devenus toujours plus envahissants et agressifs. «Plus rien ne sera comme avant», entend-on de nos jours. Concernant les conséquences du dérèglement climatique et de la destruction de la biodiversité, cela ne fait aucun doute. Concernant notre manière de produire, de consommer, voire tout simplement de vivre, la question reste posée. Saurons-nous, individuellement et collectivement, corriger la barre non pas demain ou après-demain mais ici et maintenant? Il est clair que les actions dévastatrices sur le vivant de certaines grandes entreprises n’est plus supportable. C’est le sens des actions de rébellion non violente entreprises en Suisse le 17 février dernier au sein des sociétés actives dans le négoce international. A la lumière de la pandémie du Covid-19, la question de la légitimité de la désobéissance civile prend une nouvelle dimension.

 

Du fondement de la désobéissance civile

Par Dominique Bourg

Au fondement de la désobéissance civile se trouve la conviction d’un écart insupportable entre ce qu’une morale minimale exige d’un côté, et de l’autre ce qu’autorise un état du droit ou quelque décision particulière des autorités publiques. Cette définition correspond parfaitement à l’occupation par XR le 17 février dernier des locaux de quelques sociétés de trading matières ou hydrocarbures à Genève ou Lausanne. D’un côté, un état du droit qui permet le développement des activités de ces sociétés sur le territoire de la Confédération, les encouragements mêmes du Conseil fédéral et, de l’autre, le caractère contradictoire de nombre de ces activités et de leur développement avec la préservation de l’habitabilité de la Terre, ou avec les accords de Paris sur le climat.

Rappelons que l’état actuel de nos émissions nous conduit désormais à une hausse de la température moyenne sur Terre de 2° supplémentaires par rapport à la seconde moitié du 19e siècle, et ce dès 2040 (selon notamment le modèle de l’IPSL). Ce qui signifie plus de méga-feux et d’inondations hors normes, plus de cyclones flirtant avec le plafond de la catégorie 5, des vagues de chaleur et des sécheresses plus intenses et fréquentes, une accélération de la montée des mers, etc. Et partant une habitabilité de la Terre de plus en plus compromise pour l’espèce humaine et les autres espèces. Avec le climat qu’a connu l’Australie lors de l’été austral 2019-2020, les récoltes (sorgho, riz, coton, etc.) y ont été inférieures de 66 % à la moyenne. Un avertissement pour l’avenir de nos capacités de production alimentaire. Ajoutons encore que dès 2° d’augmentation de la température moyenne, il est déjà de vastes zones sur Terre susceptibles d’être affectées quelques jours (à ce niveau de température moyenne) par un phénomène redoutable : la saturation de nos capacités de régulation thermique, due à la montée conjointe de la température et de l’humidité de l’air, laquelle entraine la mort en quelques minutes sans refuge plus frais. Dernier rappel, il est possible de reporter le raisonnement du rapport du GIEC SR 15 d’octobre 2018 sur la cible des 2°et non plus des 1,5°. Dès lors, le scénario P1 de baisse dans la prochaine décennie (2021-2030) de 58 % des émissions mondiales peut être considéré comme le seul raisonnable, ne tablant pas sur des émission négatives, aussi hypothétiques que dangereuses pour notre alimentation et la biodiversité (voir ici entretien avec Hervé Le Treut). Or, ce scénario n’impliquerait pas une « transition » énergétique, mais une décélération brutale débouchant sur une réduction non moins significative de nombre de consommations.

Le contraste entre ce qui est, et même ce que nous nous apprêtons au mieux à faire, et ce qui devrait être fait pour sauver l’habitabilité de cette planète, est béant ! Il est donc difficile de trouver une motivation supérieure en matière morale à la désobéissance civile, puisqu’il en va de l’avenir de l’humanité au plus long cours. Et sans même devoir évoquer l’autre aspect majeur du drame moral de l’époque, l’effondrement autour de nous du vivant, avec notamment la diminution rapide des populations d’arthropodes et autres insectes.

 Mais ce n’est pas tout, quand bien même tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes climatiques, le scandale de ces sociétés de trading n’en prévaudrait pas moins. Je rappellerai seulement ici les agissements de Vitol, une société de trading d’hydrocarbures, le second chiffre d’affaires sur la place helvétique, 254 milliards de CHF. Cette société s’est employée à cocher ces dernières années toutes les cases de l’horreur et de l’ignominie, et celles de nombreuses affaires judiciaires. Vitol a été poursuivie et condamnée par la Justice américaine dans le cadre de l’affaire Pétrole contre nourriture, à la suite de la guerre d’Irak ; elle a été dénoncée par l’ONG Public Eye pour avoir fabriqué et vendu des carburants toxiques pendant 30 ans à nombre de pays africains ; Vitol est mêlée au Brésil au scandale Petrobas et fait l’objet d’une enquête pour corruption de fonctionnaires brésiliens ; Vitol a maintenu l’approvisionnement en produits raffinés du gouvernement assiégé et ethnocidaire de Bachar al-Assad en Syrie, elle a aussi fourni du pétrole à une des factions libyennes ; Vitol est mêlée à un scandale de manipulation du marché de l’énergie en France, etc. Je renvoie le lecteur curieux à la notice de Wikipedia pour un premier aperçu du monstre. Face à Vitol, Monsanto y gagnerait presque l’absolution ! Deuxième société suisse, rappelons-le, dont les activités sont protégées par le silence et l’omerta ! D’où notre volonté de rappeler ici les faits, d’autant que les actions d’XR du 17 février ont été par trop succinctement médiatisées, alors qu’elles avaient pour insigne fonction de rendre public ce qui ne l’est pas, et pour cause !

Enfin, dira-t-on, certes, scandale il y a, mais ce n’est pas une raison suffisante pour défendre la désobéissance civile, et ce d’autant plus dans un pays de démocratie semi-directe comme la Suisse. Au-delà de la fierté nationale due à cet état de choses, il convient de rappeler que les votations populaires n’y réussissent que rarement. La raison en est simple, les initiatives échouent quasi systématiquement contre le mur de la contre-propagande des milieux économiques, dans un pays où le financement de la vie politique ne donne lieu à aucun contrôle public …

Quoi qu’il en soit, une telle remarque sur l’impertinence de la désobéissance civile dans un pays comme la Suisse relève d’une naïveté confondante. Le monde change, et change désormais très vite. Rien d’étonnant à ce qu’un état du droit puisse désormais être soumis à des pressions diverses. Globalement, l’ordre juridique actuel, et ce dans les pays occidentaux de façon générale, est le fruit de la modernité et de sa volonté alors légitime de nous arracher à la vallée des larmes de la pauvreté. Dès lors la liberté de produire est généralement au faîte des normes. Mais, désormais, nous devons au contraire, afin que la vallée en question ne devienne pas brûlante, apprendre à produire moins et à distinguer le superflu de l’essentiel. Alors, certes, la désobéissance crée une situation particulière qui ne saurait être indéfiniment tolérée. Mais c’est justement sa raison d’être. Elle est précisément là pour inciter, au sein d’une démocratie, à une évolution rapide des normes.

Considérons le cas de l’extrême pauvreté au 19e siècle. A la fin de ce siècle le juge français Magnaud a refusé de condamner une jeune mère, inventant ainsi l’état de nécessité cher aux défenseurs de la cause climatique. Cette mère avait violé le droit de propriété en volant un pain pour sauver sa fille de 4 ans de la faim. Le juge a estimé que l’impératif de sauver la vie de la fillette était supérieur à celui nous enjoignant de respecter le droit de propriété. Mais alors, quel chaos, a-t-on vociféré, si toutes les mères piégées par l’extrême pauvreté se mettent à voler ! Justement, telle est la dynamique. Créer une situation intenable pour susciter l’énergie d’en sortir. Tel est ce qui s’est produit avec l’extrême pauvreté. De façon générale, les sociétés bourgeoises ont reconnu le droit syndical, de grève notamment, et ont plus généralement construit le droit social. En conséquence, elles ont fini par éradiquer l’extrême pauvreté. Tel est, analogiquement, l’objectif de la désobéissance civile aujourd’hui : créer une situation impossible nous incitant à sortir du piège climatique, à éradiquer le carbone ! Entre autres changements.

D’ailleurs, quel contraste entre les décisions antiéconomiques prises au nom du Coronavirus, dont le risque est toutefois réel (saturation des services hospitaliers, dysfonctionnements en chaîne en cas de large pandémie compte tenu de la complexité de la division sociale du travail, possible mutation), mais réduit dans le temps, et l’absence de mesures dignes des enjeux en matière écologique ! Certes, les mesures sanitaires seront de courte durée, alors qu’il s’agit avec l’environnement d’infléchir fortement le cours d’une civilisation.

Quoi qu’il en soit, il nous est apparu pour le moins opportun de revenir ici même sur l’action d’XR Lausanne, pour au moins informer plus correctement le public sur une action de visibilisation d’acteurs économiques hautement destructeurs, agissant sous couvert de l’ignorance du grand public.

PS :  mentionnons ici l’appel de 1000 scientifiques à la désobéissance civile publié par le journal Le Monde du 20 février 2020 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/20/l-appel-de-1-000-scientifiques-face-a-la-crise-ecologique-la-rebellion-est-necessaire_6030145_3232.html), celui d’une centaine de scientifiques suisses publié par le journal Le Temps (https://www.letemps.ch/opinions/declarons-soutien-extinction-rebellion-lettre-ouverte-monde-academique-suisse) le 21 octobre 2019 et enfin le livre dirigé par Bernard Lemoult et Marine Jaffrézic, Désobéis-moi ?!, publié début 2020.

 

 

« Extinction Rebellion, le signe d’une saine démocratie »

Sarah et Célestine ont récemment participé à l’occupation du siège genevois de Cargill, compagnie notamment active dans le négoce de matières premières. Une première en Suisse. Leur témoignage au sein du mouvement Extinction Rebellion (XR).

Par Philippe Le Bé

Célestine, 23 ans, étudiante, et Sarah, 52 ans, active dans la communication scientifique. L’une pourrait être la fille de l’autre. Mais elles sont sœurs d’armes, à l’image de ces frères d’armes impliqués dans une guerre. Mais leur guerre à elles, c’est la lutte contre le réchauffement climatique qui s’aggrave et la lutte pour la sauvegarde de la biodiversité qui s’effondre. Leur arme, c’est la non-violence, principe de base du mouvement international Extinction Rebellion (XR) qu’elles ont rejoint en 2019. C’est en compagnie d’une quarantaine de « bloqueurs » qu’elles ont occupé, durant une heure, le 17 février dernier, le siège genevois de Cargill. La succursale de cette entreprise nord-américaine gère au niveau global le négoce du grain et des oléagineux. C’est aussi à Genève que se trouve la direction des opérations de transport maritime et du négoce de fret. La cité de Calvin est donc au cœur des activités de la multinationale.

Simulation d’une scène de crime, lecture d’un acte d’accusation (commun pour les différents sites occupés) à un responsable de la société présent et d’un autre texte destiné aux militants : c’était la première fois qu’XR s’en prenait directement à des sociétés privées en Suisse. S’appuyant sur divers rapports officiels ou d’ONG comme Oxfam, Public Eye ou Mighty Earth, XR accuse notamment Cargill de s’être accaparé plus de 50.000 hectares de terres en Colombie, soit 30 fois la limite légale, par le biais de 36 différentes sociétés écran. Elle lui reproche également d’être l’un des deux plus grands clients de la déforestation au Brésil, par des plantations de soja qui ont envahi les terres des peuples autochtones tributaires des forêts ; lesquels sont forcés de quitter leurs terres natives et souffrent de graves maladies ou malformations dues aux pesticides herbicides utilisés pour la culture du soja (lire ci-dessous : « La Suisse, une gigantesque scène de crime », selon XR).

C’est pour mettre en lumière les agissements de sociétés peu connues du public que les militants de XR ont occupé non seulement les locaux de Cargill mais aussi ceux de Vitol et Mercuria à Genève ainsi que d’Ifchor à Lausanne. Par leur concentration et hyperspécialisation, souligne Extinction Rebellion, « ces entreprises ont acquis une puissance irrésistible tant en matière de négociation que de quantité et de condition de production, et surtout la possibilité déterminer le prix de cette dernière. Ce mode de fonctionnement provoque des perturbations dans les pays concernés, mettant des populations entières à la merci de ces avides géants ».

Ces accusations tranchent singulièrement avec ce qu’on peut lire sur le site WEB de Cargill, qui se présente comme une société qui « s’engage à agir de manière responsable tout en poursuivant son objectif d’être le leader mondial engagé à nourrir les populations ». Et d’ajouter : « Nous sommes également engagés à réduire notre impact environnemental et à améliorer le quotidien des communes dans lesquelles nous vivons et travaillons ».

Nous avons rencontré Célestine et Sarah. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a incitées à rejoindre Extinction Rebellion ?

Célestine – Très bien informée sur la situation de notre planète, notamment par mes parents, je ressens une forte angoisse provoquée par un sentiment d’impuissance. Or XR est un moyen d’exprimer le pouvoir, aussi faible soit-il à titre individuel, de changer le cours des choses.

Sarah –Ayant par mon travail l’occasion de rencontrer de nombreux scientifiques, notamment des climatologues et des biologistes, j’ai rapidement été confrontée à l’urgence de la situation écologique et climatique de notre planète. J’ai ressenti la nécessité d’aller plus loin, de m’engager et de ne plus rester seule dans cette prise de conscience.

Comment l’occupation de Cargill a-t-elle été organisée ?

Célestine – L’organisation de cette action s’est faite en souterrain. Quasiment personne n’a eu connaissance à l’avance du lieu de rendez-vous, découvert au dernier moment.

Sarah – Célestine et moi avons été mandatées pour réunir des informations concernant les activités des sociétés visées. Mais nous-mêmes ne connaissons pas la personne ou le groupe qui nous a confié ce mandat.

Des militants qui occupent un lieu sans savoir précisément pourquoi au préalable, cela ne pose-t-il pas un problème de crédibilité ?

Célestine – Garder le secret le plus longtemps possible est essentiel pour assurer notre sécurité et la réussite d’une action. Au sein de XR, nous misons sur la confiance. Chacun sait que toute opération est mûrement réfléchie et partagée par nous tous. Notre mouvement est par ailleurs très décentralisé. Nous agissons par petits groupes autonomes dans les villes comme Genève, Lausanne ou Yverdon-les-Bains. Personne n’a de compte à rendre à personne.

Êtes-vous satisfaites du résultat de cette opération ?

Célestine – Notre objectif était de mettre en lumière les noms de sociétés travaillant dans la plus grande opacité et dont l’impact sur l’environnement et la société est énorme. Nous voulions aussi montrer que la Suisse demeure une plaque tournante dans ce négoce international. Ce but a été atteint. Mais j’aurais souhaité une plus grande couverture médiatique.

Sarah – La presse relate comment on bloque telle voie de communication ou comment on occupe telle société, mais ne se demande pas vraiment pourquoi nous le faisons. Il manque trop souvent un travail d’investigation qui permettrait à l’opinion publique de comprendre notre urgence et le sens de nos actions de désobéissance civile, que nous n’entreprenons pas de gaité de cœur. Agir est pour nous une nécessité.

La Suisse est un pays de démocratie directe. Les citoyens peuvent lancer des initiatives populaires comme par exemple celle pour des multinationales responsables. N’est-ce pas suffisant pour faire entendre sa voix ?

Célestine – Le contre-projet alibi à cette initiative du Conseil fédéral et approuvé par le Conseil des États le 18 décembre 2019, qui ne rendrait pas des multinationales comme Glencore ou Syngenta responsables de leurs agissements, illustre bien l’influence des lobbies sur le monde politique. Concernant des sociétés de négoce comme Cargill, le fait de ne pas les connaître n’incite pas à les mettre en cause sur la place publique. Comment expliquer une telle concentration d’un demi-millier de sociétés de trading de matières premières en Suisse, notamment à Genève et Zurich, si ce n’est par des régimes fiscaux avantageux et une complicité malsaine des autorités qui ferment les yeux sur les agissements de ces sociétés à l’étranger ?

Sarah – En lisant le rapport du Conseil fédéral sur les matières premières daté de 2018, nous constatons que la Suisse encourage nettement ce commerce international et souhaite le rendre encore plus compétitif. D’un côté, la science nous alerte sur les émissions de dioxyde de carbone engendrées par un tel commerce, sans parler du pillage des ressources épuisables de notre planète, de l’autre côté nos autorités ne tiennent aucun compte de ces alertes. Elles tablent sur une auto-responsabilité des sociétés concernées. Mais cela est un leurre.

D’où l’intérêt de cette initiative pour des multinationales responsables, rejetée par le Parlement, qui obligerait ces dernières à évaluer si leurs activités à l’étranger présentent des risques de violation des droits humains ou des normes environnementales, et à prendre des mesures pour y remédier et à en rendre compte. Si les sociétés ne remplissaient pas ce devoir, elles pourraient être amenées à répondre de leurs manquements devant les tribunaux suisses.

Sarah – Tout est entrepris pour étouffer dans l’œuf cette initiative. En regard de l’urgence climatique et de l’effondrement de la biodiversité, le temps des institutions est devenu beaucoup trop long. D’où la nécessité d’utiliser d’autres outils comme celui de la désobéissance civile, à condition qu’elle demeure sans dommage ni pour les personnes ni pour les biens matériels. Ce qu’XR entreprend, c’est à mon avis le signe d’une saine démocratie !

Mais n’y a-t-il pas un risque que l’on s’habitue à de telles actions non violentes et qu’elles finissent par devenir banales donc sans effet ?

Célestine – XR a adopté une stratégie d’escalade. D’autres actions vont se multiplier. Mais, encore une fois, toujours dans la non-violence. A nous de nous montrer inventifs !

Pensez-vous pouvoir également influencer les collaborateurs des entreprises dont vous dénoncez les actions ?

Célestine – Pourquoi pas ? Nous ne blâmons personne individuellement. Nous mettons le doigt sur un système qui ne fonctionne pas. Au sein même des entreprises, nous pouvons éveiller certaines consciences, auprès de collaborateurs qui se sentent impuissants et à qui nous disons : il y a des solutions, vous pouvez faire bouger les choses !

Sarah – Ne pas blâmer les individus est un des principes fondamental d’XR. Chacun est libre de s’engager à la hauteur de ses possibilités, de participer ou non à un blocage et de s’en retirer.

Quelles sont vos relations avec les forces de l’ordre ?

Célestine – Elles font leur travail. Notre pratique de la désobéissance civile nous met naturellement en rapport avec la police. Globalement, cela se passe plutôt bien en Suisse. Après nos blocages l’an dernier du Pont Bessières, de l’avenue de Rhodanie et de la place Saint François à Lausanne, nous avons été amendés, d’au moins 1000 francs par personne. Il est clair que nous ne paierons pas ces amendes et que nous irons le plus loin possible dans la voie judiciaire.

Et le soutien de la classe politique ?

Sarah – Je suis étonné du peu de soutien des politiques. XR est encore perçue comme un mouvement extrême alors que nos revendications (lire ci-dessous : « Les quatre revendications d’Extinction Rebellion ») s’alignent sur les constats de la science.

Comment voyez-vous ces prochaines 25 années ?

Sarah – Je suis vraiment inquiète pour mes trois enfants, deux ados et une jeune adulte. J’espère que ce ne sera pas trop dur pour eux. Quant à moi, j’aurai 80 ans en 2050. Pour une personne âgée, le réchauffement climatique sera bien difficile à supporter.

Célestine – J’ai très peur, de la famine, des inondations et des périodes de sécheresse qui vont se multiplier, d’un système de santé qui va s’écrouler. Les personnes en situation de précarité seront toujours plus nombreuses. Perdre les acquis sociaux gagnés par nos ancêtres à la sueur de leur front, c’est criminel. Quant aux droits humains, en période de crise, ils sont toujours en fort repli. L’arrivée en masse de réfugiés climatiques ne va rien arranger.

Qu’avez-vous changé dans votre vie ?

Sarah – Je n’ai plus de véhicule privé, utilise les transports en commun, ne mange plus de viande, privilégie les achats de nourriture en vrac, n’achète pratiquement plus d’habits neufs, utilise des shampoings solides, etc. J’essaie le plus possible de mettre mes actes en cohérence avec mes paroles. Et j’ai éduqué mes enfants dans la même voie.

Célestine – J’agis de la même manière que Sarah. L’essentiel, pour moi, est de prendre ses responsabilités de citoyen et d’être humain. Et de s’engager comme je le fais notamment dans Extinction Rebellion.

 

 

Documents XR : les quatre revendications d’Extinction Rebellion

  1. La reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles et une communication honnête sur le sujet.
  2. La réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025, grâce à une réduction de la consommation et une descente énergétique planifiée.
  3. L’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant.
  4. La création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable. Tirage au sort. Représentation de la société.

 

La Suisse, une gigantesque scène de crime, document XR :

On connaît le rôle de la Suisse dans le monde des banques et de la finance. Mais la population ignore largement celui que le pays joue dans le négoce des matières premières, dont il est pourtant l’une des principales plaques tournantes au niveau mondial. Pas moins de 540 entreprises travaillant dans ce secteur sont établies en Suisse. Ces sociétés – petites et très discrètes pour la plupart – travaillent d’ailleurs en général dans la plus grande opacité. Beaucoup n’ont même pas de site internet.

Selon les matières premières, entre 20% et 65% du commerce global s’effectuent via des entreprises suisses. Celles-ci brassent des milliards en achetant et revendant des denrées à tours de bras. Elles traitent plus du tiers de la demande globale de pétrole et les deux tiers de celle de métaux. Près de la moitié des échanges mondiaux de denrées agricoles – café, blé, chocolat – font également l’objet de transactions sur notre territoire.

Selon des études mandatées par la Confédération, plus de 3 milliards de tonnes de matières premières seraient négociées chaque année en Suisse pour une valeur de près de 960 milliards de francs. En 2017, les recettes tirées du commerce de transit en Suisse se montaient à plus de 25 milliards de francs suisses, soit presque 3,8 % du PIB helvétique.

Or, ce commerce a un impact environnemental global considérable, au moins 19 fois plus important que la consommation directe de la Suisse, estime l’une de ces études. Et onze fois plus important pour ce qui est strictement des émissions de CO2. Attention, ces chiffres ne comptabilisent que l’impact de l’extraction, du traitement, de la production de matières premières ou encore de l’épandage de pesticides par exemple, mais ne comprennent pas le CO2 émis par la combustion, après coup, des produits pétroliers, qui ferait énormément grimper ce chiffre. Comme ces pratiques se déroulent loin de chez nous et que la grande partie de ces denrées ne transitent jamais physiquement sur notre territoire, elles ne sont pas prises en compte dans le bilan carbone du pays.

Ces matières premières sont obtenues par des méthodes d’extraction de plus en plus invasives – forages en eaux profondes, fracturation hydraulique, etc. -, la recherche et l’ouverture incessante de nouveaux gisements ou encore la déforestation massive pour l’installation de cultures intensives. Les conséquences : érosion, perte de la biodiversité, destruction d’écosystèmes entiers, pollution de l’air, des sols et des cours d’eau, stress hydrique, émissions de CO2 supplémentaire à gogo, production de déchets non recyclables et toxiques, dangereux pour l’environnement et la santé des populations. De plus, les volumes de ces déchets augmentent à mesure que les gisements minéraux de haute qualité s’épuisent et que le minerai de qualité inférieure est exploité.

Par notre action de ce 17 février, nous avons enfin mis ce secteur et sa lourde responsabilité sous le feu des projecteurs. Mais nous dénonçons aussi notre gouvernement, qui le soutient ouvertement, souhaitant même, comme l’affirme un rapport du Conseil fédéral de 2017, en « renforcer la compétitivité et la force d’innovation à long terme ».

« La biodiversité est comme la tour Eiffel, disait Simonetta Sommaruga, présidente de la Confédération au dernier sommet de Davos. Si vous enlevez une vis chaque jour, rien de se passe, mais un jour, une vis de plus et c’est toute la tour qui s’effondre ». Or, ces « déboulonneurs » du climat sont là et agissent sous notre nez en toute impunité. Nous demandons à notre présidente de faire preuve de courage et de reconnaître leurs crimes d’écocide !

Dans un rapport de 2017, Public Eye publiait : « En 2013, le Conseil fédéral a reconnu pour la première fois le « risque de réputation » que le secteur des matières premières fait peser sur la Suisse. Un an plus tard, il a admis la « responsabilité » de la Suisse de lutter contre la malédiction des ressources, en tant que pays hébergeant plus de 500 sociétés actives dans le négoce de matières premières. Pourtant, rien n’a été fait à ce jour pour réguler de manière crédible les activités de ces sociétés. Au nom de la compétitivité de la place économique helvétique, les autorités campent sur une attitude attentiste consistant pour l’essentiel à espérer qu’elles adoptent d’elles-mêmes un « comportement intègre et responsable » ».

Plusieurs études menées par l’OCDE montrent que le secteur des matières premières est particulièrement exposé à la corruption. L’une des entreprises visées, sans intrusion toutefois, Gunvor, a d’ailleurs été condamnée à la fin 2019 pour des faits s’étant déroulés au Congo.

A l’heure où certaines de ces banques, de moins en moins à l’aise, annoncent se retirer des investissements les plus sales, les sociétés de négoce suisses prennent leur relais. Elles octroient d’énormes prêts (par exemple, prêts adossés au pétrole) aux entreprises d’extraction et aux gouvernements de pays dotés en ressources naturelles, s’assurant ainsi l’accès aux matières premières et fragilisant, en augmentant insidieusement leur dette, des pays qui le sont déjà terriblement (malédiction des ressources naturelles).

L’extraction annuelle de matières premières a triplé au cours des 40 dernières années. Le volume de matières premières négociées mondialement a même augmenté de 60% depuis le début du 21e siècle, alors que l’on en connaissait déjà pertinemment les effets négatifs sur le climat et les impératifs de les limiter. Et ce n’est pas près de s’inverser : « l’utilisation de matières premières dans le monde devrait presque doubler d’ici 2060, exerçant une pression sur l’environnement deux fois plus forte qu’aujourd’hui », affirme un récent rapport de l’OCDE.

L’ONG Global Witness a quant à elle calculé que les grandes compagnies pétrolières auraient pour près de 5’000 milliards de dollars de projets de développement sur la prochaine décennie, allant ainsi totalement à l’encontre des recommandations du GIEC, selon lequel seul un retrait rapide du pétrole, du gaz et du charbon pourrait permettre de contenir la hausse des températures.

S’il.elle.s le savaient, Guillaume Tell et Heidi ne s’en retourneraient-il.elle.s pas dans les pages du joli mythe helvétique?

 

Sources :

 – Rapport du Conseil fédéral du 30.11.2018: «Le secteur suisse des matières premières: état des lieux et perspectives»

 –  Database de Public Eyes – April 2017

 – Jungbluth N. and Meili C. (2018) Pilot-study for the analysis of the environmental impacts of commodities traded in Switzerland. ESU-services Ltd. Financé par l’Office fédéral de l’environnement – OFEV, Schaffhausen, Switzerland.

– Chatham House, the Royal Institute of International Affairs,

– Rapport de l’OCDE, Global Material Resources Outlook to 2060, février 12, 2019.

– «Overexposed – The IPCC’s report on 1.5°C and the risks of overinvestment in oil and gas», 

Global Witness, rapport du 23 avril 2019. https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/oil-gas-and-mining/overexposed/

 – STSA, Commodity Trading Companies: what and how much in Geneva:

https://stsa.swiss/knowledge/main-players/companies

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

11 réponses à “Extinction Rebellion, ou la légitimité d’une désobéissance civile

  1. “Saurons-nous, individuellement et collectivement, corriger la barre non pas demain ou après-demain mais ici et maintenant?”

    Je n’ai pas réussi à lire beaucoup plus de cet article, car je n’ai juste pas la disponibilité temporelle de lire tout ce qui possible sur ce sujet. Réfléchir sur la responsabilité des multinationales, c’est aussi se demander d’où elles tiennent leur pouvoir. Pourquoi elle sont parreillements efficaces dans l'”influençage” de la société en générale et de la politique.

    Par contre j’aimerai développer les idées et les outils pour que votre question initiale soit reprise dans nos familles, sur nos lieux de travail, dans nos associations de tout genre, dans les paroisses et les communautés spirituelles auxquelles je participe.

    Comment redécouvrir les outils de dialogues et de philosophie favorisant une compréhension du sens de nos actions et de nos omissions et surtout de l’écoute. Le covid-19 est un rasoir qui montre les limites entre l’obéissance sociale et la désobéissance civile. Dans ce dernier cas, comme dans votre example la décision individuelle de s’adapter ou de se révolter se base sur une éducation et une information solide et crédible. Et probablement aussi d’une décision personnelle de ne pas considérer a priori comme imbécile ou criminel celui ou celle qui ne partage immédiatement toutes mes convictions.

  2. Je ne vais pas lire un article tout entier qui prendrait trop de mes secondes précieuses.

    Par contre, je vais juste dire une chose.

    Il y a un seul dénominateur commun à ce mouvement et ses activistes, partisans.

    Et ce n’est pas l’écologie.

    Ca s’appelle le gauchisme.

  3. Autre aspect non évoqué : les extravagances de ce système économique a engendré ces derniers décennies sont les dégâts planétaires rapportés dans les divers médias. Je constate que ces dégâts, ignorés ou volontairement sous estimés (business oblige) seront pour l’essentiel assumés par nos différents Etats et nos diverses assurances.
    Au final, le coût global de cette gabegie économique, non contrôlée au nom de l’ultra libéralisme, sera inévitablement socialisée, donc assumée par nos impôts et nos diverses primes d’assurances.

  4. Merci Monsieur Le Bé pour ce billet !
    Il éclairera bon nombre de conscience, de droite de gauche du centre etc…. contrairement à ce que peux écrire Kris qui peut utiliser son si précieux temps à se renseigner sur les motivations des activistes:
    Sauvez notre avenir à tous.
    Et oui cela change radicalement de la motivation de ces sociétés qui n’est que d’exploiter les ressources communes et aussi l’être humain.

  5. Quelle honte, que de profiter d’une brèche ouverte pour relancer le combat pour le climat, en établissant des liens de cause à effet complètement fantaisistes. Si un déséquilibre de la biodiversité devait conduire obligatoirement à une augmentation des bactéries, bacilles, virus et autres structures vivantes néfastes à l’être humain, c’est ignorer lourdement que, si nous n’avions pas été capables d’aménager un milieu plus propice à notre survie, nous aurions subi la sélection naturelle à larges coups de faux. Nous sommes des êtres vivants parmi tous les autres, micro-organismes inclus, la nature ne nous privilégie pas. Croire qu’il existerait un équilibre naturel qui nous serait plus favorable revient à nous accorder une supériorité originelle purement imaginaire. Nous pouvons tout au mieux gagner une supériorité grâce à nos facultés intellectuelles qui nous distinguent des autres formes vivantes entièrement dépendantes de leur structure biochimique organisée, de l’instinct et de l’apprentissage pour les plus évoluées.

    Vos certitudes sont les fruits magiques goûtés dès votre enfance dans le jardin de l’église, dont vous retrouvez le goût en remâchant les théories de l’écologie, vous êtes en symbiose ! Cet état d’esprit vous donne le droit sacré de juger le soi-disant égarement de vos semblables, avec l’espoir de légaliser des armées universelles du salut en accord avec une nouvelle vision de la « vraie démocratie » !

    Désolé Monsieur Le Bé, mais ce que vous voyez avec votre cœur en ayant les yeux fermés est un bien-être personnel qui n’apportera rien de sérieux aux problèmes de l’humanité, de même que ce n’est pas le sourire bienveillant de l’aumônier qui parviendra à guérir le malade, redonner des jambes au paralysé, ou souffler par une prière la formule du remède contre le cancer qui reste invisible au microscope, etc, etc, etc. Consacrez-vous à la « science du cœur », pourquoi pas, mais ne touchez pas au bistouri qui vous glisse des mains, sinon vous ferez des dégâts corps et âme.

    1. Dominic,

      La honte n’est pas de dire que “La déstabilisation des écosystèmes engendre bel et bien des perturbations dans les germes, devenus toujours plus envahissants et agressifs”
      mais plutôt de fermer les yeux sur ce qui se passe par manque de culture ou de civisme ou de responsabilité ou de discernement.
      Notre responsabilité devrait nous permettre de regarder dans les yeux nos petits enfants !
      Au passage, mes futurs petits enfant auront environ 65 ans en fin de ce siècle …. nul doute qu’ils devront porter des masques continuellement si on continue comme ça avec ce même aveuglement et irresponsabilité!

      1. La culture et le civisme ne suffisent pas pour combler un manque de connaissance scientifiques /
        Je ne poursuivrai pas la discussion plus loin.

  6. Excellentissime synthèse, chapeau bas.
    Vive XR 🙂
    (à distance, las, pour moi)

    P.S. Il est fort regrettable que des jeunes comme Kris voient encore la vie en NB, ou gauche-droite, car ce sont eux en première ligne qui vont devoir affronter la perte de durabilité!

  7. Merci pour cet article avec toutes ces précisions.
    Je savais que Genève traite une grande paties des transactions mondiales de matières premières mais j’avoue que je ne me rendais pas compte de cet implication au niveau écologie.
    Mille mercis de nous ouvrir les yeux.
    Bonne journée

  8. Bloquer la circulation sur un pont n’a rien d’une action de désobéissance civile. Non, LA DESOBISSANCE CIVLE ça consiste à accomplir des actes anticonstitutionnels tels que .. …….. … ……. .’…….. … ……… …. …. …. .. ……. .. ……………. …… .. ……. .. … ……. Ceci afin de contraindre notre gouvernement à prendre en considération les revendications de la population. La réussite de ces actions ne dépend que de la détermination que nous accorderons à la solidarité.
    Répondre à vos questions permettait non seulement d’actionner un nouveau mouvement pour lutter contre le réchauffement climatique, mais aussi de soumettre des propositions concrètes pour amorcer la transition de nos changements. Mieux qu’un long discours, des actions maintenant…
    BdDb

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