Et si une épidémie permettait de changer le monde?

Chroniqueur pour l’Écho Magazine, Philippe Le Bé a écrit il y a quelques années un roman qui paraît prophétique : venu de Chine, un étrange virus se répand dans le monde et sème la mort sur son passage… Pour finalement faire plutôt du bien à l’humanité. Interview.

Apparu en Chine en 2020, un étrange virus mortel se propage à une vitesse foudroyante. Des millions de Chinois fuient leur pays pour se réfugier en Europe, encore relativement épargnée par l’épidémie. C’est la panique. Les pays occidentaux se replient sur eux-mêmes. Le racisme anti-asiatique s’installe et, avec lui, la violence.

Non, il ne s’agit pas des derniers développements liés au coronavirus, mais d’un scénario prémonitoire né il y a plusieurs années dans l’imagination foisonnante de notre collaborateur Philippe Le Bé. Celui-ci en a tiré un roman intitulé 2025 : « La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave ». Parue en 2016, cette fiction qui oscille entre catastrophisme et espoir éclaire de façon originale l’épidémie actuelle de coronavirus. Et, même si plus d’un quart de la population mondiale succombe, l’histoire se finit bien.

 

Vous décrivez une pandémie mondiale, des sociétés à l’arrêt, des attaques xénophobes, et pourtant, votre histoire est écrite de telle manière qu’on garde le sourire du début à la fin. Comment avez-vous fait ?

Philippe Le Bé : – Mon but n’était pas d’écrire un énième ouvrage catastrophe. En effet, je pense que quoi qu’il arrive, la vie l’emporte toujours sur la mort. Pour moi, la vie n’a pas de contraire. Si nous sommes, c’est que nous avons été et que nous serons.

Avec ce livre, j’ai voulu participer à l’éveil des consciences. Je pense que l’humanité aura du mal à faire l’économie d’un grand bouleversement. La catastrophe a déjà commencé. Dans le séisme climatique et la perte de biodiversité que nous subissons actuellement, il n’existe à mon avis pas d’autre issue que de vivre autrement. Et cela passe par un regain de spiritualité, par la reconnaissance qu’il existe un « Tout Autre ».

Si la souffrance doit nous permettre d’éveiller nos consciences, de nous faire évoluer vers plus de spiritualité, de sagesse et d’amour, peut-être n’est-elle pas inutile. Or, amour rime avec humour : il était important pour moi d’écrire une histoire drôle et positive malgré la tragédie.

 

Que vous inspire le coronavirus ? Votre livre était prophétique !

– J’ai envie de dire « Mince, je crains qu’ils n’en viennent à bout » ! (rires)

Dans une telle catastrophe, et c’est ce que je décris dans mon livre, on peut aussi voir des effets positifs. Le monde scientifique se met à coopérer, des personnalités politiques commencent à parler d’une même voix, la conscience collective se réveille. C’est comme dans une famille : le décès d’un proche et le deuil permettent aussi de rassembler.

Il est sidérant de voir, en Chine, ces villes de dizaines de millions d’habitants complétement désertées. Des gens meurent du coronavirus et c’est terrible. Mais pendant quelques semaines, les personnes affectées respirent aussi un air plus pur sans gaz d’échappements ni pollution des usines. L’économie s’arrête et pourtant la vie continue. Dans cette tragédie, des gens vont peut-être découvrir des relations différentes, une solidarité nouvelle qui va changer leur façon d’envisager la vie.

De notre côté, je trouve en revanche certaines réactions atrocement cyniques. Quel culot de s’inquiéter du devenir de notre industrie horlogère alors que, de l’autre côté de la planète, des gens meurent du coronavirus ! Cela éclaire le cancer de notre monde : le fait d’avoir mis l’économie à la première place, et non au service de l’homme.

 

Dans le livre, la présidente française Jocelyne Sans Gène, issue d’un parti nationaliste, évolue beaucoup, pour devenir presque sainte. Pourquoi ce choix ?

– Il y a plusieurs natures dans l’être humain. Alice Foy, une de mes professeures de lycée qui m’a profondément influencé – elle m’a ouvert aux pensées de saint Bernard de Clairvaux et de Pierre Teilhard de Chardin –, m’a un jour dit cette phrase : « Le plus grand des saints et le bourreau d’Auschwitz se trouvent à l’intérieur de moi ». J’ai mis du temps à comprendre ce que ça voulait dire.

Évidemment je n’adhère pas à la position extrémiste de Jocelyne Sans Gène et de son homologue suisse Hans Bürgenstock, mais je donne à ces êtres-là, comme à n’importe qui d’autre, la possibilité de passer de la peur à l’amour. Ce qui anime Jocelyne Sans Gène et qui fait qu’elle laisse un « Comité de sauvegarde de la race blanche » s’en prendre aux Chinois, c’est la peur. La peur est le début de toutes les catastrophes. A partir du moment où on la laisse entrer, tous les dérapages sont possibles. Mais chacun peut se transformer. N’oublions pas que saint Paul a commencé par bousiller pas mal de chrétiens ! Et finalement, toute l’énergie qu’elle avait mise à faire du mal, Jocelyne Sans Gène l’utilise pour créer un monde meilleur.

 

Vous avez travaillé pendant 40 ans comme journaliste économique dans de nombreux médias suisses. Qu’a apporté ce métier à votre compréhension du monde ?

– Cela m’a appris à quel point la relation est essentielle dans la vie quotidienne, et qu’on trouve chez chacun le meilleur comme le pire. J’ai dénoncé, à quelques reprises, de sales affaires. Mais ce n’est pas ma tasse de thé. Je préfère voir la lumière qui brille et montrer le meilleur chez les gens que j’interviewe. Si on se concentre sur le négatif, on risque de l’encourager. Alors que si on se focalise sur la lumière, on la révèle et on la développe. Mais il ne faut pas être dupe.

Quant à l’économie, j’ai passé quarante ans à essayer de démontrer qu’elle ne devrait pas tenir la première place. Prenez le PIB : on sait depuis cinquante ans que c’est un indice complétement dépassé qui ne met pas en valeur ce qui devrait l’être, mais on a la flemme d’en changer. Un accident qui fait de nombreux morts, par exemple, augmente le PIB parce qu’il donne du travail à des médecins, des infirmiers, des garagistes. Alors que des parents qui s’occupent de leurs enfants et les éduquent n’apportent rien au PIB !

Je demeure convaincu qu’on ne peut pas changer l’économie de ce monde sans nous changer nous-mêmes. Pour modifier nos comportements, nous avons besoin d’une conversion intérieure.

Recueilli par Aude Pidoux

 

Philippe Le Bé, 2025 : « La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave », Edilivre, 194 pages. (Disponible sur le site www.edilivre.com et sur www.payot.ch)

Paru dans l’Écho Magazine de mercredi 26 février 2020

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

Une réponse à “Et si une épidémie permettait de changer le monde?

  1. J’adhère tout à fait à votre point de vue.
    Un changement mondial est en route et soyons positifs pour du meilleur.
    C’est la puissance de l’intention.
    C’est toujours un plaisir de vous lire. Merci

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