Lettre ouverte au futur rédacteur en chef de La Région

Monsieur le futur rédacteur en chef,

Vous allez donc avoir l’honneur et la joie de succéder à Caroline Gebhard, dont on ne sait toujours pas si elle a été sommairement licenciée ou tout simplement fortement poussée à démissionner, ce qui, vous en conviendrez, est tout différent.

J’écris « Monsieur » car j’imagine que le conseil d’administration de votre journal aura réfléchi à deux fois avant de nommer une femme à la rédaction en chef de La Région. Comme disait le général de Gaulle, cité par André Malraux, « avec les femmes, il faut s’attendre au meilleur comme au pire, c’est pour cela qu’il ne faut jamais les fusiller». En engageant Caroline Gebhard, le conseil d’administration de La Région a peut-être eu tort de suivre cette voie. Car c’est finalement le pire qui a prévalu et la rédactrice en chef a tout naturellement été fusillée.

Ce n’est pas parce que le canton de Vaud a commis l’impardonnable erreur d’être le premier canton de Suisse à accorder le droit de vote aux femmes en 1959 qu’il faut sans retenue continuer à faire confiance à ces dernières, dont l’esprit d’initiative et d’indépendance peut avoir de fâcheuses conséquences sur le bon déroulement de la vie dans la cité.

Permettez-moi donc, cher futur rédacteur en chef et aussi cher confrère, de vous donner, en toute modestie, quelques conseils dans votre nouvelle activité :

1 – Ne manquez jamais de couvrir tous les événements institutionnels de la ville d’Yverdon-les-Bains, sans exception. Car contrairement à ce que l’on enseigne aux jeunes journalistes, « l’institutionnel » est toujours d’un intérêt majeur. Réservez la première page à toute cérémonie officielle. Et ne croyez pas vous en sortir en faisant un reportage en profondeur sur, exemple pris au hasard, une nouvelle station d’épuration : c’est insuffisant. L’essentiel est de montrer que c’est bien grâce à nos élus que nos impôts sont judicieusement dépensés.

2 – Conséquence logique de ce qui précède, n’hésitez pas à retranscrire l’intégralité des discours officiels, surtout ceux du syndic de la Ville d’Yverdon-les-Bains, toujours riche en informations et particulièrement bien stylé. N’oubliez pas que votre journal constitue l’indispensable  “courroie de transmission”des autorités. Quelques citations, évidemment toujours sorties de leur contexte, laisseraient à penser que votre journaliste inexpérimenté n’a pas vraiment bien compris le message officiel. Ce qui serait fâcheux pour la réputation de votre journal. Par ailleurs, il est inutile de vous adresser à d’autres municipaux que le syndic car celui-ci s’exprime TOUJOURS au nom de la Municipalité, après avoir systématiquement tenu compte des avis de l’ensemble de ses collègues.

3 – Soucieux de l’importance capitale que vous accordez à l’image, ne manquez pas de publier des photos de nos autorités, surtout du syndic, pour les raisons exprimées plus haut. Des images statiques et bien posées, sous l’angle le plus flatteur dicté par les intéressés eux-mêmes, sont largement préférables à des images en situation. Ces dernières pourraient laisser croire à une bien malheureuse manipulation de votre rédaction.

En suivant ces judicieux conseils, Monsieur le futur rédacteur en chef de La Région, vous vous assurez un avenir glorieux à la tête de votre journal. Certes, il n’est pas exclu qu’à la longue le public finisse par se lasser, mais cela prendra sans doute un peu de temps. Il n’y a pas le feu au lac. L’important est d’agir en bonne conscience, dans le respect de l’éthique journalistique qui se reflète dans mes propos. Pour le reste, comme on dit chez nous, qui ne peut ne peut !

Veuillez croire, Monsieur le futur rédacteur en chef, à mes sentiments les meilleurs,

Philippe Le Bé.

 

 

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

2 réponses à “Lettre ouverte au futur rédacteur en chef de La Région

  1. Oui, la vie d’un quotidien local ne doit pas être facile.
    Mais c’est magnifique de pouvoir “attaquer” un quotidien depuis un autre.

    Il y a quelque chose qui me turlupine, si ce que j’ai lu dans ces colonnes est vrai. Le groupe Axel Springer a été vendu à un groupe américain.

    Alors, il faudrait un mouvement politique et citoyen (et même si le Temps n’est pas le média de chacun) pour déclarer “Le Temps”, patrimoine romand et celà malgré la liberté de commerce.
    Un média n’est pas qu’un objet commercial, même s’il doit vivre!!!!

    P.S. C’était mon hommage à Valérie Boagno, avec laquelle j’ai travaillé, il y a environ un siècle.

  2. Il est à mon avis bien dommage que des articles posant des questions importantes, celui-ci comme d’autres, soient rangés en bas de page du journal, prêts à être renouvelés, comme s’il ne s’agissait finalement que de faits divers. Je vois des affichages occupant beaucoup d’espace en milieu ou en haut de page, dont les sujets sont choisis pour répondre à ce que les lecteurs souhaitent trouver tout de suite, ce qui est bien sûr positif pour un journal vivant qui veut être attractif pour exister. Mais un journal qui réussit à susciter notre intérêt, en apportant une actualité donnant à réfléchir et discuter est quand même quelque chose qui participe à lui donner sa valeur. Suivre au plus près la demande immédiate, cela offre-t-il la meilleure garantie de survie d’un journal à long terme ? J’en doute… Un journal qui veut continuer à grandir devrait prendre le risque de ne pas plaire à coup sûr. La page d’accueil du site n’est pas la table sur laquelle on pose le repas du paysan, pour lequel la maxime dit : « Ce que le paysan ne connaît pas, il ne le goûtera pas… »

    (À l’auteur de l’article : Si vous estimez ce commentaire inutile ou inapproprié dans cet espace, vous êtes libre de ne pas le publier.)

Les commentaires sont clos.