Dominique Bourg: «Systèmes économique et juridique, modes de vie, tout est à repenser»

Le réchauffement climatique et la destruction accélérée de la biodiversité nous obligent à revoir toute notre organisation politique, économique et sociale, estime Dominique Bourg. Le philosophe et professeur ordinaire à l’UNIL conduit la liste Urgence écologie aux élections européennes du 26 mai.

En même temps que le groupe d’experts sur le climat (GIEC) publiait son rapport sur les effets d’un réchauffement climatique de 1,5 degré par rapport à l’ère industrielle, le 8 octobre 2018, la Banque de Suède décernait un «prix Nobel» d’économie à Paul Romer et William Nordhaus. Ce dernier, professeur à l’Université de Yale, avait suggéré dans un document de 2016 qu’un scénario «optimal» entraînant une augmentation de la température de 3,5 degrés permettait d’obtenir «une politique climatique qui maximise le bien-être économique».

Aux yeux de Dominique Bourg, cet exemple illustre «la dérive de ces économistes qui informent et conditionnent le monde politique en dépit du bon sens». Dès lors, le professeur ordinaire à la Faculté des géosciences de l’environnement de l’Université de Lausanne n’attend «plus rien» de nos dirigeants. Qu’ils soient marxistes ou libéraux, ils ont tous fait de la production et du commerce le principe cardinal du développement de nos sociétés, avec les conséquences écologiques désastreuses que l’on observe aujourd’hui sur le climat: vagues de chaleur, sécheresse, inondations, incendies, tempêtes. Avec en prime l’effondrement de la biodiversité dont l’état est encore plus grave que celui du climat. «Comparée à un réacteur nucléaire, la biodiversité serait en état de fusion».

 Un système juridique inadapté

Tout est donc à revoir dans le fonctionnement de nos sociétés. A commencer par notre système juridique totalement inadapté. Même la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui encadre pourtant les négociations internationales, stipule dans son article 3 que toute action en faveur du climat qui porterait atteinte au commerce international est à rejeter. Plus loin dans le temps, l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 continue à influencer nos comportements. Il y est écrit que «la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui». Les nuisances prises en compte sont donc exclusivement directes. Si elles sont indirectes, comme celles qui affectent l’environnement, elles sont tolérées. Ne troublons surtout pas les marchés!

Pour accompagner un sursaut de conscience citoyenne que l’on commence à observer dans les marches pour le climat qui se multiplient, il faudrait selon Dominique Bourg ancrer dans la constitution des pays «un engagement de l’Etat, avec force obligatoire, à garantir la sûreté de la population en matière de climat et de biodiversité. Non pas une incitation mais bien une obligation».

Une troisième chambre avec une vision à long terme

Le philosophe et professeur ordinaire suggère la création d’une troisième chambre en plus des deux qui composent généralement les parlements. Comme il le décrit dans son livre «Inventer la démocratie du 21ème siècle (Editions Les Liens qui Libèrent)», cette troisième chambre qui ne voterait pas de lois serait dotée de quatre pouvoirs: une alerte (en envoyant des délégués suivre les travaux du parlement), un veto suspensif (en obligeant les parlementaires à rediscuter un projet de loi), une saisine du conseil constitutionnel et un repérage de toutes les initiatives allant vers une transition écologique et solidaire. Ses membres, non élus, seraient pour moitié des personnes ayant fait preuve de leur engagement et de leurs compétences (ONG, milieux académiques), avec examen de leur CV par une commission parlementaire, et pour l’autre moitié des citoyens tirés au sort.

Sans être la panacée, cette formule aurait le mérite d’inciter les élus à se focaliser sur des priorités vitales pour l’avenir de l’humanité. «Quoi qu’on fasse, reconnaît Dominique Bourg, les conditions de vie sur Terre seront bien plus difficiles à la fin de ce siècle qu’elles ne l’étaient il y a dix ans. Mais il y a encore de la marge pour éviter une planète à plus de trois degrés qui serait tout simplement invivable pour partie».

Bond du PIB avant une plus grande sobriété

Comment agir? Dans un premier temps, d’importants investissements nécessaires pour décarboner, passer à une économie circulaire, isoler les bâtiments, etc. feraient bondir le PIB. De quoi réjouir les libéraux! Ensuite, on entrerait enfin dans une société plus sobre, dans un nouveau paradigme dominé non pas par la technologie mais par le vivant. PLB

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Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

2 réponses à “Dominique Bourg: «Systèmes économique et juridique, modes de vie, tout est à repenser»

  1. Tout est à revoir. C’est tellement juste. Il s’agit de revoir les fondements de notre économie, basée sur un système linéaire. Il s’agit d’opter pour une économie réellement circulaire. Il s’agit d’appliquer la Théorie du Donut de l’économiste anglaise Kate Rayworth, où on cesse de prier Saint PIB.

  2. La révision de tout notre système politique, économique et social est une bonne proposition, en espérant que de sa mise en route ne sera pas trop fastidieuse, car les oppositions de tout bord ne manqueront pas de se manifester. La théorie du Donut, développée à partir d’un constat objectif, est très séduisante, idéale, mais ce n’est pour l’instant, qu’une théorie de plus. Voilà déjà 25 ans, Jared Diamond dans sa grille d’analyse de l’effondrement d’une société (Effondrement, 2005), avait déjà identifié les causes et la nécessite à les résoudre, notamment les réponses apportées par une société aux problèmes environnementaux. Je constate aussi que partout les logiciels politiques sont en panne, car effectivement noyés dans leurs algorithmes avant tout électoraux. Cela dit, les idées ne manquent pas, car la situation à résoudre sera d’une complexité peu banale (économie, justice, emplois, retraites, ressources financières, santé, etc.). Ne rien faire est une option, mais il faudra assumer les conséquences sur notre environnement (air, eau, sols, biodiversité..) et notre santé (épidémies via divers vecteurs). Je vous encourage à continuer et répéter vos actions, pour notre descendance.

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