Caroline Lejeune: «Les institutions publiques doivent être le moteur du changement»

Si les populations peuvent initier de nouvelles pratiques face à l’effondrement de notre société, elles ne peuvent pas, à elles-seules, en assumer la responsabilité. Les pouvoirs publics doivent mettre en débat les conséquences de la crise environnementale, estime Caroline Lejeune, politiste à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL.

«Quand j’ai entrepris des études supérieures sur le développement durable, j’avais encore un peu d’espoir. Mais aujourd’hui je m’interroge sur notre capacité politique à surmonter la catastrophe environnementale en cours». Politiste au sein de l’équipe des humanités environnementales à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL (Université de Lausanne), Caroline Lejeune ne se voile pas la face. De l’agenda 21 à l’agenda 2030, du développement durable aux objectifs de développement durable, «le temps passe sans qu’il y ait une remise en cause de notre système économique. Au lieu de nous interroger sur les causes réelles du bouleversement climatique et de l’affaiblissement de la biodiversité, et de s’y attaquer résolument, nous essayons de réparer les dommages, en comptant vainement sur l’unique recours de la technologie».

Comment surmonter les tensions sociales provoquées par une pénurie énergétique et alimentaire, par l’afflux massif de réfugiés climatiques ? Nos modèles démocratiques y survivront-t-ils? Caroline Lejeune pose plus de questions qu’elle ne trouve de réponses. Mais la chercheuse, loin de baisser les bras, continue à interroger les implications politiques de la crise environnementale globale: «Si les initiatives individuelles, y compris celles qui explorent certaines utopies, sont nécessaires, elles n’auront pas d’effet si les institutions publiques ne portent pas elles-mêmes les mesures du changement. L’effort doit être collectif».

Comment agir? Il faut commencer par cesser de nier la situation environnementale dans laquelle nous évoluons. «Tous les projets, expertises ou délibérations ne peuvent plus ignorer que les sociétés sont en basculement écologique». Par ailleurs, souligne Caroline Lejeune, «le discours considérant que l’environnement correspond à une perte de liberté est contre-productif. Il empêche de nous interroger sur le modèle de société que nous voulons construire, politiquement et démocratiquement, dans un temps limité».

Université populaire et citoyenne

Cherchant toujours à concilier fondement théorique et expérimentation sur le terrain, Caroline Lejeune a notamment tiré les enseignements, à l’occasion de sa thèse de doctorat, d’une initiative lancée en 2005 par l’Université populaire et citoyenne (UPC) de Roubaix, l’une des villes de France les plus déshéritées. Sur un territoire en profonde mutation après la crise de l’industrie textile, l’UPC est un mouvement d’habitants engagés dans la transition écologique et sociale. Son objectif: accompagner les expérimentations innovantes de transformations des modes de vie, de production et de consommation vers plus d’entraide et de cohésion sociale face aux catastrophes à venir en imaginant des initiatives locales de sobriété. Les chemins les plus inventifs ne viennent pas seulement des plus convaincus, mais de ceux et celles qui sont aussi, a priori, éloignés des préoccupations environnementales. Quels enseignements et méthodes retenir des victimes des inégalités sociales et écologiques et qui portent aussi de nouvelles expérimentations démocratiques? Il vaut assurément la peine de s’y intéresser.

A l’écoute, sentir, voir, être

Le passage de modèles de société à d’autres se fera comme toujours progressivement, tout comme l’effondrement de notre société qui est aujourd’hui invisible. Dans ces nouveaux univers, encore à créer, notre sensibilité écologique, notre relation quotidienne avec la nature guidera nos décisions qui ne seront plus seulement une agrégation de préférences individuelles. Pour ce faire, imagine Caroline Lejeune, la femme ou l’homme de demain exercera non plus une seule mais plusieurs activités, lui laissant un espace-temps pour participer librement à la vie collective de la société et être attentif à ce qu’il fait. «À l’écoute, sentir, voir, être, participer tout simplement». Mais comment traduire dans les institutions ce qui relève encore, pour la plupart d’entre nous, de la pure utopie? «C’est une vraie question». En valorisant l’imaginaire sous toutes ses formes, sans exclusion, Zoein demeure un laboratoire de choix, une porte d’entrée vers la créativité sociale et politique. PLB

Lire aussi La Pensée écologique – Photo réalisée par Florian Barras –

 

 

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

3 réponses à “Caroline Lejeune: «Les institutions publiques doivent être le moteur du changement»

  1. L’efficience économique a été érigée en dogme avec ses conséquences, les multiples maltraitances, au sens large. L’equation effectivement va être difficile à résoudre, mais pas impossible.

Les commentaires sont clos.