Alexandre Aebi : «La science citoyenne au secours des abeilles»

Le professeur en biologie et anthropologie Alexandre Aebi parie sur l’agroécologie pour en finir avec les pesticides, dont les néonicotinoïdes.

 C’est après avoir lu une étude réalisée par l’Université de Neuchâtel (UNINE) et le Jardin botanique de Neuchâtel sur l’exposition des pollinisateurs aux néonicotinoïdes, publiée en octobre 2017 dans la revue Science, que le secrétaire d’Etat britannique à l’environnement Michael Gove a décidé de bannir les produits de cette famille d’insecticides. Comme il l’a confié au quotidien britannique The Guardian, une autre étude de chercheurs allemands portant sur l’effondrement en 30 ans de 75% de la biomasse d’insectes, d’araignées et d’arthropodes volants, l’a conforté dans sa décision. En avril 2018, grâce à la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, l’Union européenne (UE) a interdit trois produits appartenant aux néonicotinoïdes. La Suisse s’est alignée sur l’UE.

C’est une belle victoire pour les auteurs de cette étude, Prof. Alexandre Aebi, maître d’enseignement et de recherche en agroécologie à l’UNINE, et Prof. Edward Mitchell, qui dirige le laboratoire de diversité du sol dans la même université. Pour évaluer les risques posés par l’utilisation des néonicotinoïdes, les chercheurs ont mesuré la concentration de cinq de ces produits dans les miels en provenance de tous les continents. Pendant quatre ans, plus de 100 citoyens voyageurs ont rapporté des pots de miel dans un projet de «science citoyenne».

Difficile quête d’informations

L’analyse de 198 échantillons a révélé que les trois quarts de ces derniers contenaient au moins une des molécules testées, 45% deux ou plus, 10% quatre ou cinq. Il est donc prouvé que la majorité des abeilles dans le monde sont exposées aux néonicotinoïdes.

Reste maintenant à savoir quelles molécules sont utilisées sur tel territoire donné: une procédure indispensable pour vérifier leur degré de résilience, leur parcours dans les eaux de surface, les nappes phréatiques, etc. Longtemps, ces informations étaient impossibles à obtenir. Au vu de certaines données récentes recueillies et publiées par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), une ouverture semble se dessiner.

Les vertus de l’agroécologie

Les alternatives aux insecticides, le spécialiste en entomologie appliquée Alexandre Aebi les voit principalement dans l’agroécologie. A la fois pratique, science et mouvement social, «l’agroécologie intègre la gestion de l’eau et la protection des sols dans une approche paysagère, utilise des options comme l’agroforesterie, les cultures associées, la lutte biologique ou la sélection variétale pour réduire l’impact de ravageurs, sous un seuil tolérable pour les agriculteurs».

Les agronomes italiens ont récemment démontré qu’il était possible de ne plus utiliser des néonicotinoïdes. Dans la Vénétie, ils ont mis au point un système d’assurance tous risques destinés aux cultivateurs de maïs. Cette assurance donne accès à des experts capables d’évaluer les dommages subis par la plante et d’offrir des solutions alternatives pour lutter contre les ravageurs.

Non seulement les paysans ont pu apprécier l’efficacité de la méthode, mais ils ont pu réaliser de sérieuses économies: le contrat d’assurance leur coûte annuellement 3,5 euros par hectare contre 42 euros avec l’utilisation de néonicotinoïdes! Le plus difficile a été de trouver des experts indépendants des firmes vendant des produits phytosanitaires. «Le succès de cette opération nous incite à l’appliquer aux betteraves en Suisse», suggère Alexandre Aebi, convaincu que toutes les cultures peuvent être traitées de manière biologique.

Décloisonnement des disciplines

Les initiatives de «science citoyenne» tendent à se multiplier. Quatre fois par an, 30 apiculteurs vaudois et jurassiens donnent à la doctorante que dirige Alexandre Aebi accès à une dizaine de ruches pour y évaluer la charge en agents pathogènes et en pesticides. Les apiculteurs documentent chacune de leur pratique. Le chercheur-enseignant, qui a par ailleurs développé avec ses étudiants un jardin de permaculture, croit à la richesse de l’expérience sur le terrain, au décloisonnement des disciplines scientifiques et au dialogue entre les experts, la société civile et le monde politique. C’est l’essence même de Zoein et notamment de son comité scientifique auquel Alexandre Aebi appartient. Une fondation, dit-il, où «nous apprenons à nous connaître les uns les autres». PLB

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Photo réalisée par Florian Barras.

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)