Sophie Swaton: «Face aux effondrements, Zoein offre des clés pour un vivre autrement»

Zoein, fondation d’utilité publique en Suisse, a pour vocation de mettre les connaissances scientifiques les plus solides au service de la transition écologique et solidaire. Sa présidente et fondatrice Sophie Swaton, économiste et philosophe à l’Université de Lausanne, nous invite à découvrir cette nouvelle aventure humaine dans sa mission et ses réalisations sur le terrain.

 

Quand on crée une fondation d’utilité publique, c’est qu’il y a généralement un manque à combler. Lequel, concernant Zoein?

Sophie Swaton – Un manque de lien, pour commencer: il y a trop d’écart entre les universitaires et la société civile, leurs recherches et la visibilité de ces dernières aux yeux du grand public. Les informations sur l’écologie n’ont jamais été aussi abondantes sans que les passages à l’acte ne se réalisent vraiment. Il s’agit donc de recréer du lien, de faire en sorte que les chercheurs sortent de leur tour d’ivoire pour aller à la rencontre des gens.

Et d’autres manques à combler?

– Un manque de coopération, ensuite: animées par un esprit de compétition, les associations et organisations de toutes sortes se battent entre elles pour obtenir des subventions. Zoein a dès lors pour vocation d’inviter les auteurs des projets qu’elle soutient à coopérer entre eux, à créer des réseaux, à mutualiser des expériences. Secteur public et secteur privé sont incités à collaborer, sans arrière-pensée ni retenue.

Un manque de prise de hauteur, enfin: nous avons trop longtemps opposé le Nord au Sud, l’Occident à l’Orient, en prenant comme unique référence notre système de pensée occidentale. De ce fait, nous n’utilisons qu’une partie rationnelle de nos savoirs avec en corollaire une seule forme de transmission de ces derniers. Zoein nous invite à élargir notre champ de vision, à prendre ainsi conscience des subtiles relations d’interdépendance qui se tissent entre les mondes minéral, végétal et humain, à valoriser les coutumes traditionnelles en les connectant aux nouvelles technologies. Tout en veillant à prendre soin de notre environnement local, là où nous vivons, nous pouvons développer une vision plus globale à l’échelle de notre planète, la Terre!

 Zoein signifie « vivre » en grec. Pourquoi avoir choisi ce nom?

En ces temps de collapsologie ou d’effondrement de notre civilisation industrielle, on parle à juste titre de menace, de mort, de disparition des espèces. Sur cet horizon très obscur, il me semble indispensable de diriger un faisceau de lumière. Non pas seulement pour survivre mais pour vivre différemment et pleinement.

L’humanité peut donc encore s’en sortir?

– Dans l’Etre et le Néant publié en 1943, Jean-Paul Sartre écrit que paradoxalement «nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’Occupation». Cette réflexion apparemment extravagante nous interroge sur la liberté de nos choix: ou bien nous sommes résignés en collaborant, dans le mauvais sens du terme, ou bien nous résistons. Zoein nous convie à faire preuve de résilience. Face au dérèglement climatique et aux effondrements multiples, dont celui dramatique de la biodiversité, nous pouvons nous plonger dans le déni, voire aggraver encore les choses en pratiquant la politique de la terre brûlée, celle du «moi-je». Mais nous pouvons aussi choisir librement de participer à de nouveaux modes d’existence dont certains ont déjà fait leur preuve, non pas seulement individuellement mais collectivement. C’est une quête sans cesse renouvelée de la vie, «ce souverain bien» que l’on désire par-dessus tout dont nous parle Aristote.

Comment Zoein compte-t-elle réenchanter ce «souverain bien»?

– Le travail fait à mon sens pleinement partie de la vie, avec notamment ses rites de passage et d’initiation, trop souvent oubliés. Il devrait être épanouissant et permettre à chacun d’entre nous d’être reconnu dans ce qu’il a de meilleur. C’est pourquoi Zoein vise à mettre en œuvre non seulement un soutien monétaire mais aussi un soutien humain à toute personne ou groupe de personnes s’engageant dans la transition écologique et solidaire. Cela passe notamment par la mise en valeur des initiatives alternatives qui désormais germent sur de nombreux territoires, en particulier ceux que notre système économique a profondément blessés. Des territoires entrés en résilience et dont les acteurs doivent apprendre à se reconnecter, à retrouver la dimension humaine que notre type de société a broyée. Cela passe aussi par un revenu de transition écologique, pierre angulaire de Zoein.

 Quels sont les fondements de ce revenu de transition écologique (RTE)?

Pendant longtemps, les questions écologiques et sociales ont été dissociées. Mais nous avons pris conscience qu’il était vain de prétendre résoudre des problèmes sociaux sans se préoccuper des problèmes environnementaux. Et vice versa. Voyez les réfugiés climatiques: ils ont économiquement tout perdu; et les nouveaux pauvres dans nos sociétés occidentales: ils sont et seront les premiers à souffrir du renchérissement de l’énergie et des matières premières devenues plus rares. La diminution de notre empreinte écologique et la participation responsable de tous à cet effort sont les fondements du revenu de transition écologique. *

 C’est fort différent du revenu de base universel ?

– En effet. Versé par une communauté politique à tous ses membres, sans exception, le revenu de base n’exige aucune contrepartie. Ses bénéficiaires n’ont pas besoin de justifier une recherche d’emploi ou un travail en échange. En revanche, toute personne au bénéfice d’un revenu de transition écologique doit impérativement être impliquée dans une activité socio-écologique. Les mesures d’impact sur la planète et d’avancées sociales sont fondamentales. Le revenu de transition écologique peut se voir comme une étape avant l’instauration peut-être un jour d’un revenu de base universel, une étape pour accélérer la transition écologique et valoriser les activités innovantes dans ce sens.

Qui sont concernés?

– Sont particulièrement concernés les jeunes et tous ceux qui souhaitent opérer une transition dans leur vie professionnelle. Le revenu de transition écologique inclut un dispositif d’accompagnement, de soutien aux personnes concernées dans leurs projets de transition en durabilité. Dans les domaines les plus variés: agroécologie, permaculture, habitat écologique, énergies renouvelables, finance durable, écomobilité, biens ou matériaux biosourcés, recyclerie, etc. Enfin, tout bénéficiaire d’un tel revenu doit adhérer à une structure démocratique: par exemple une coopérative d’activité et d’emploi en France ou l’une des très nombreuses associations existant en Suisse. Une telle intégration sociale est indispensable.

Quelle sont les initiatives déjà soutenues par Zoein?

– Quelques exemples: La ferme de Rovéréaz, à Lausanne dans le canton de Vaud, fait participer à ses activités de maraîchage des enseignants , formateurs, jeunes enfants, etc. à qui elle transmet ses valeurs et ses connaissances dans le domaine de la permaculture. Zoein soutient par ailleurs l’activité du gérant du supermarché participatif situé dans l’éco-quartier de Meyrin près de Genève. Dans l’éco-hameau de Tera, dans le Lot-et-Garonne, Zoein a financé deux revenus de transition écologique, dont bénéfice notamment le coordinateur d’un projet qui vise à construire un éco-village exemplaire d’un point de vue écologique et économique. Le développement d’un centre de formation est au programme.

En résumé, Zoein soutient une activité existante qui rencontre des difficultés, ou bien participe à la création de nouveaux métiers qui ne sont pas assez valorisés par le marché.

 Hormis ces expérimentations locales, Zoein a d’autres ambitions

– Même si les petits ruisseaux font les grandes rivières, nous voyons en effet plus grand: Zoein a élaboré un modèle économique qui sera vendu aux collectivités locales. Sur un territoire en déclin ou périurbain, par exemple, la fondation s’engage à verser une somme destinée à financer une recherche action ainsi qu’un poste de coordinateur qui met en chantier un revenu de transition écologique à grande échelle à travers la création d’une coopérative de transition. En échange, la collectivité territoriale – la commune par exemple – s’engage à trouver à son tour des fonds pour financer ce poste de recherche. Par ailleurs, entreprises et associations sont invitées à adhérer à la coopérative de transition, pensée sur le modèle des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) en France.

Recréer de l’activité économique et sociale sur un territoire en déclin, c’est l’objectif final?

– C’est cela. L’idée générale est de former un collège fixe comprenant, selon les circonstances, des coopératives d’activités et d’emploi – qui offrent aux porteurs de projets un statut d’entrepreneur salarié – des coopératives d’habitation, des associations de monnaie locale, etc. Un collège à l’image d’un cœur qui viendrait alimenter un corps social en manque d’énergie vitale.

 Les communes réagissent-elles positivement à ce nouveau modèle économique et social?

– Pour ne citer que deux exemples parmi bien d’autres, la Commune de Grande Synthe dans le département du Nord en région Hauts-de-France comme celle de Meyrin dans le canton de Genève se sont notamment montrées fort intéressées par ce modèle. La force de Zoein, c’est de présenter aux collectivités une équipe de chercheurs qui les accompagnent dans leur transition écologique et solidaire.

Précisément, Zoein rassemble treize chercheurs au sein de son conseil scientifique. Quel est leur rôle?

Ces chercheurs sont pour Zoein la garantie d’être au top de l’information scientifique concernant le climat, la biodiversité, les nouveaux modèles économiques et, plus généralement, la transition écologique et solidaire.

Par ailleurs, ce sont des chercheurs engagés qui, dans leur parcours personnel, veulent aller plus loin qu’un simple état des lieux de la science. Enfin, ils proposent une expertise pertinente des projets soutenus par Zoein dont peuvent profiter également les partenaires de la fondation. Qui plus est, chacun de ces chercheurs jouit d’une connaissance plus affinée de certaines régions du monde: l’Inde et le Mexique pour l’économiste Jean-Michel Servet, la Bolivie pour la socio-économiste Solène Morvant-Roux, le monde des Amérindiens pour le climatologue Hervé Le Treut, etc.

Qu’en est-il des relations de Zoein avec la Fondation Nicolas Hulot (FNH)?

Je suis moi-même membre du conseil scientifique de la FNH avec l’économiste Alain Karsenty et la climatologue Marie-Antoinette Mélières. Les deux fondations partagent des projets de recherche. Par ailleurs, Zoein est impliquée dans l’international, contrairement à la FNH.

 La transition écologique et solidaire n’inclut-elle pas aussi une transition intérieure?

– Assurément. Face aux bouleversements présents et à venir, il nous appartient de dépasser ce sentiment de peur qui fait partie de la vie mais qui ne la résume pas. Une fondation qui précisément met en œuvre la vie, comme son nom le souligne, rassemble des membres qui partagent en commun la volonté de transcender les émotions qui nous paralysent. Autant que faire se peut, en toute humilité. Dans sa dimension spirituelle, la transition intérieure nous relie à la sagesse, notamment celle véhiculée par nos ancêtres, sur tous les continents, qui constituent le socle de notre humanité.

Quels sont les projets de Zoein dans cette dimension intérieure?

– Zoein participe notamment à une collection aux Presses universitaires de France (PUF) qui met en lumière la tradition orale de certains peuples par le témoignage vivant de leurs représentants. Nos savoirs universitaires et leurs savoirs ancestraux se valorisent mutuellement. Nous sommes frères et sœurs d’une même planète!

 Propos recueillis par Philippe Le Bé.

 

(A lire aussi dans Le Pensée écologique)

 

* Pour un revenu de transition écologique, par Sophie Swaton, 2018 (PUF)

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

2 réponses à “Sophie Swaton: «Face aux effondrements, Zoein offre des clés pour un vivre autrement»

  1. Terriennes, Terriens, nous sommes à l’orée d’un nouvel âge d’or.

    Imaginez que toutes les jeunesses du monde, emportées par la détermination de la Jeanne d’Arc du climat, cette adolescente suédoise qui tente de mouvoir les décideurs de son pays et d’ailleurs, se mettent à freiner la course à l’abîme dans laquelle nous avons tous la sensation d’être engagés.

    Imaginez que, debout sur les freins, les jeunesses de la planète cessent de renouveler leurs appareils téléphoniques et informatiques avant qu’ils ne tombent en panne, cessent de consommer une alimentation certes bon marché mais néfaste à leur santé, abandonnent le tourisme par avion pour privilégier les aventures autour du monde en voyageurs à pied, en train et autres locomotions offrant une juste mesure de l’espace et du temps, quitte à rester plusieurs mois hors de leurs pays afin de découvrir la vie des autres jeunesses de notre Terre.

    Imaginez que, soucieux d’avoir un avenir autre que dans la précarité et la violence, toutes ces jeunesses prennent le temps de participer à la vie civique, soutiennent partout lors des votations et élections les personnes qui, dans la réalité et pas seulement dans le discours, agissent afin de réaliser un nouveau pacte social qui ferait de l’économie, de l’écologie et de la solidarité non pas des ennemis mais un trio honnête et coopératif.

    Imaginez que, face à tant de problèmes présents et à venir, toutes ces jeunesses solidaires autour du monde décident de remplacer la concurrence par l’émulation, le respect par la bienveillance et la peur par la connaissance.

    Imaginez une paix mondiale basée non sur l’équilibre de la terreur mais sur la mise en commun des forces et faiblesses de l’humanité.

    Imaginez que tous ces cortèges, ces slogans, ces jeunesses en mouvements hebdomadaires, deviennent un équipage de bonne volonté, tous embarqués dans la même galère, certes proches des récifs mais en pleine manoeuvre de sauvetage, armés de la hardiesse des braves et de la vaillance des enfants.

    Courage, imaginons…

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