Comment financer la presse en Suisse romande?

La tempête qui souffle sur les journaux de Tamedia, et qui n’épargne désormais plus aucun titre de presse, pose une fois de plus la question du financement de cette dernière.

Comment s’en sortir?

Sans avoir la moindre prétention d’offrir la solution, voici quelques pistes:

Quand je vois les sites de la RTS, de Franceinfo ou de la BBC, qui mélangent l’écrit, l’audio et la vidéo, les nouvelles brèves avec les longues analyses, je me dis qu’il est bien difficile de régater avec de tels sites. Leur seul point faible, et de taille, c’est l’absence d’un regard très local de l’actualité. C’est là où les journaux « traditionnels » ont encore toute leur place. Faire ce que les autres ne font pas, c’est la seule manière de s’en sortir d’un point de vue rédactionnel. Ce qui n’exclut pas, bien évidemment, une couverture de l’actualité nationale, économique et internationale, mais à la seule condition d’avoir un regard journalistique vraiment original. Sinon, cela n’a aucun intérêt.

Approche multimédia

Dans tous les cas, une approche multimédia me semble indispensable. Comme la télévision n’a pas tué le cinéma, l’audio-visuel et le WEB ne vont pas tuer l’écrit. Et cela d’autant plus qu’il y a toujours au sein de la population un besoin d’une information plus fouillée, avec des analyses en profondeur et une perspective historique qui font défaut dans l’événementiel. Le plus long doit côtoyer le plus court, le plus rapide le plus lent.

Comme il est de moins en moins possible de compter sur le soutien d’un grand groupe de presse, deux voies de financement sont à explorer:

Financement participatif

Si le public tient vraiment à tel média, qu’il le prouve non seulement en s’abonnant au titre de son choix mais aussi en en devenant actionnaire-propriétaire. Hélas, je ne suis pas certain que cette formule, eu égard à l’étroitesse du bassin en Suisse romande, soit suffisante à long terme.

Financement public

C’est pourquoi je suis aussi favorable à une aide publique de la presse. Comme les paysans bio en Suisse, dont la mission et le rôle sont considérés comme toujours plus indispensables et qui, sans aide directe, ne pourraient survivre, les journaux devraient aussi bénéficier d’une aide directe, compte tenu de leur vocation de service public.

Car ces médias ont bel et bien une place indispensable dans notre société, eu égard au foisonnement des réseaux sociaux qui nous abreuvent de nouvelles, vraies ou fausses, sans le recul et le discernement que l’on attend d’une démarche journalistique. La presse, dans son ensemble, a bel et bien une vocation de service public.

 Indépendance affichée, indépendance réelle

Quant à la prétendue mainmise de l’Etat sur une presse subventionnée, je n’y crois pas. Pour avoir travaillé dix ans au sein de la SSR (ex-Radio Suisse Internationale et Radio Suisse Romande), je n’ai jamais constaté un quelconque diktat étatique, cantonal ou fédéral. C’est un mythe.

En revanche, j’ai pu observer qu’il ne serait sans doute pas aisé, dans un média appartenant à un groupe privé, de publier par exemple un article incendiaire sur l’horlogerie la veille de Baselworld ou sur l’automobile, la veille du Salon de l’auto. Mécontents de certains articles leur étant défavorables, de grands groupes horlogers n’ont pas hésité dans le passé à boycotter la publicité de leurs marques pendant des mois, ce qui a causé des préjudices aux média concernés. Pire que la censure, l’autocensure…

Financement par des fondations

A cette aide publique dont les modalités resteraient à définir (Qui en bénéficierait ? De quelle manière ? Extension de la redevance ? Autre redevance ou taxe ?), le mécénat n’est pas à exclure. Par le jeu de fondations d’utilité publique, il serait sans doute possible de trouver des sources de financement intéressantes.

L’avenir de la presse multimédia c’est peut-être une combinaison de plusieurs sources de financement. Mais toutes devront répondre à un réel besoin, affirmé et affiché par la population, d’avoir encore et toujours des médias de qualité.

 

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

6 réponses à “Comment financer la presse en Suisse romande?

  1. la presse écrite a été un remarquable outil d’information; rappelez vous le journal Le Monde de Beuve-Méry (?) la thèse sur une page, l’anti-thèse sur la page d’en face; de quoi nourrir la réflexion !
    aujourd’hui c’est fini; un article de fond est systématiquement absent des colonnes des journaux actuels, car le statut du lecteur a évolué; en effet la presse n’a d’autre but désormais que d’influencer le lecteur, et non pas de lui fournir de l’information;
    ainsi ce journal qu’est Le Temps, s’est targué il y a quelques semaines d’être à l’affût systématiquement des erreurs d’information et de pratiquer désormais un journalisme d’investigation, comme l’ont vécu les journalistes US ayant dénoncé Nixon;
    or je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un quelconque article qui soit passé concernant l’évolution du libéralisme, un rapprochement avec l’Europe, l’évolution de votre système de protection sociale, alors qu’un libéralisme triomphant s’installe en Suisse
    ainsi, à mon humble avis, l’information est une affaire sérieuse et non pas une distraction à l’image des séries télévisées; proposez à vos lecteurs des articles de fond, et ils reviendront vous lire; passez du somnifère à la gastronomie;
    l’inconvénient d’une presse aux ordres des lobbys et qu’elle se fragilise; d’ailleurs, qu’en est-il de votre hebdomadaire l’HEBDO, disparu corps et bien, peu après un article remarquable sur Patrick Drahi, le critiquant pertinemment;
    cordialement;

  2. Ca y est! C’est l’appel à l’état. Et en plus on ose prétendre que cela m’empêchera pas la liberté d’opinion. Quel culot!

    Le seul qui a compris quelque chose à la presse, désolé de le dire mais c’est monsieur Christophe Blocher. On ferait mieux de lui vendre Le Matin. Lui au moins il serait capable de sauver les emplois des journalistes. Il l’a prouvé.

  3. Effectivement, il suffit de voir l’épaisseur du Temps ces jours pour comprendre. L’héritier du journal de Genève et du Nouveau Quotidien n’est plus que l’ombre de lui-même.
    Une diversification est essentielle, mais je pense que le problème est plus profond. Quantité de gens sont persuadés qu’ils ont suffisamment d’information entre facebook et 20min.ch. La capacité à se concentrer sur de long textes a également diminué.

    Je vois 2 solutions: 1) que le gouvernement soutienne ces journaux peut-être au détriment de certaines radios locales 2) que les journaux comme le Temps diversifient leur offre au mieux, comme ils le font avec des podcasts et vidéos.

  4. Cher Monsieur,
    Je ne vous connais pas et je ne fais pas de recherche avant et vous écrire. Je suis 200% pour la première partie et peut-être plus mesuré sur la seconde concernant le financement quoique encore !
    Si vous réunissez le première partie, je suis prêt à vous aider sur la seconde.

    Certains messages ne sont pas tendres mais c’est le jeu. Comme dirait l’autre, « à côté d’en la piste, tout le monde est bon ».

    Je me tiens à votre disposition si vous le souhaitez. Merci

  5. La communication entre les hommes a toujours existé, la presse n’est qu’un moyen parmi d’autres , Internet en a modifié les principes et a plutôt réussi à l’améliorer . Il ne faut pas s’en plaindre !
    La presse a de la peine à s’adapter à ce nouveau paradigme et a perdu de son influence : l’information ne passe plus par les journaux , les journalistes ne sont plus autant indispensables qu’auparavant ! quel choc pour cette “classe” qui se prenait pour le 4 ème pouvoir mais qui ne dépend plus que de groupes financiers. Alors à quoi bon renflouer un système financier nourrissant les journalistes ?
    Le principe d’un service public de l’information me parait bien plus logique aujourd’hui qui plus est dans une démocratie que des journalistes faisant plaisir au rédacteur en chef choisi par un quelconque mécène .
    Mais les journalistes ne sont pas à l’abri d’une vision égocentrique qui leur fait oublier bien des aspects du monde d’aujourd’hui très éloignés de leur petit confort personnel . Et même l’engagement de certains ne cachent que leurs ambitions de devenir des héros de l’information . La diversité qu’on trouve dans les kiosques ne reflète en rien la réalité du terrain . Comme les peintres, les journalistes ont tendance à décrire un monde différent de celui qu’ils voient et ensuite il ne faut pas qu’ils s’étonnent de réactions contraires à ce qu’ils avaient projetées !
    Comme les bons scientifiques, les journalistes devraient apprendre à vérifier leurs thèses par l’expérience sur le terrain , le media sur lequel ils transmettent l’information est secondaire .

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