Nicolas Hulot: “Oui à une croissance sélective”

 Interview publiée dans L’Hebdo en juin 2012.

Par PHILIPPE LE BÉ – Mis en ligne le 20.06.2012 à 12:51
Au cours de notre entretien avec Nicolas Hulot, ce vendredi 8 juin au siège de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme qu’il préside, à Boulogne-Billancourt, le téléphone sonne. C’est l’Elysée. François Hollande, qui la veille a déjà eu un contact avec l’écologiste, souhaite le revoir. Le journaliste-reporter, notamment inspirateur de la chaîne Ushuaïa TV, a décidé de ne pas aller au Sommet de la Terre Rio+20 qui se tient du 20 au 22 juin au Brésil. Candidat battu par Eva Joly à la primaire présidentielle écologiste en 2011, il n’a rien perdu de son enthousiasme à défendre la planète. Mais il ne voit pas d’intérêt à célébrer «vingt ans de futilité» depuis le premier Sommet de Rio en 1992 qui auraient dû être «vingt ans d’utilité». Si le président de la République française s’intéresse à lui, ce n’est pas pour le nommer ministre, mais à cause de ses idées et forces de propositions. Florilège.

01 Gouvernance environnementale

La gouvernance mondiale est au cœur des discussions au Sommet Rio+20. Il y a vraiment un vide à combler?

Assurément. Nos institutions ne sont pas adaptées aux enjeux collectifs à long terme. A l’issue de chaque sommet, les délégations s’en retournent dans leurs pays respectifs sans calendrier, sans cadre juridique ni contrainte. Ce n’est plus possible. Confrontée à des défis écologiques majeurs quant à son climat, sa biodiversité, l’épuisement de ses ressources, etc. l’humanité est au pied du mur. La communauté internationale doit créer une Organisation mondiale de l’environnement (OME).

Un nouveau «machin»?

Non, surtout pas. Cette OME souhaitée par la France rassemblerait notamment le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Elle bénéficierait d’une réelle force politique, un droit de régulation et d’ingérence sur l’OMC et le FMI. Tant qu’il y aura des pays qui pourront s’affranchir des contraintes écologiques et sociales, nous n’arriverons à rien.

Et au niveau national?

Avec d’autres voix, je souhaite que la France soit dotée d’une troisième chambre qui soit une émanation du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Aujourd’hui en France, le CESE est une assemblée purement consultative composée de représentants sociaux (patronat, syndicats, associations). Ses avis n’ont aucune force juridique. Cette nouvelle chambre disposerait d’un droit de veto suspensif. Lequel s’appliquerait à toutes les décisions prises par l’exécutif ou le législatif dont les conséquences sur l’environnement seraient particulièrement sensibles. Lois ou règlements suspects seraient donc suspendus pour être réévalués. Par ailleurs, cette troisième chambre serait un lieu de gestation des nouveaux outils économiques, financiers, fiscaux et technologiques du futur. Nos politiques, continuellement dans la réactivité, ne sont plus dans l’anticipation. Ils traitent les symptômes et non les causes. Il faut donc des lieux où tout cela soit coordonné.

Quelle serait la composition de cette assemblée?

Elle serait constituée de citoyens tirés au sort, de sages experts et des représentants des corps professionnels.

 

02 Finance responsable

Les inégalités ne cessent de se creuser. Comment casser cette spirale infernale?

Dans notre monde désormais connecté, les inégalités s’exposent au grand jour. Cette visibilité suscite de l’indignation qui conduira tôt ou tard à des révoltes majeures. Il est donc indispensable de mieux répartir la richesse pour réduire les inégalités. Par ailleurs, nous avons besoin de préserver les matières premières et les ressources naturelles. Pour y arriver, il faut de l’argent. Le politique doit donc montrer sa détermination à faire revenir dans l’économie réelle tous ceux qui se sont organisés pour échapper à l’impôt et à la solidarité. Cela représente des milliers de milliards de dollars à l’échelle de la planète. Ces sommes considérables doivent passer par la caisse des Etats qui, au lieu d’être condamnés à l’austérité, pourront relancer leur économie à la faveur d’un appel d’air financier conséquent. Une telle entreprise ne peut se faire qu’au niveau mondial et de manière coordonnée, sans zone blanche d’exclusion.

De quelle manière?

En redéfinissant les pouvoirs et les responsabilités des banques commerciales et des banques centrales. La création monétaire est une prérogative démocratique. Les Etats ne peuvent pas en être privés. Quitte à revisiter le traité de Maastricht, il faut permettre aux banques centrales de prêter aux Etats des liquidités à des taux quasiment nuls pour relancer leur économie. Ainsi par exemple, la Banque centrale européenne délivrerait de tels prêts par le biais de la Banque européenne d’investissement, la Banque de France par la Caisse des dépôts et consignations.

Pour quels types de projets?

Il s’agirait de financer des projets ayant un impact sensible et durable sur l’environnement: de grands plans de rénovation dans le domaine du bâtiment; des logements sociaux qui n’ont presque plus besoin de consommer de l’énergie – comme ces HLM que j’ai récemment visitées en Bretagne et dont la facture d’électricité par ménage n’a atteint cet hiver que quelques euros par mois –; de nouveaux modes de transport y compris individuels avec des véhicules ne consommant qu’un à deux litres aux cent kilomètres. Les exemples foisonnent!

 

03 Croissance sélective

Etes-vous un partisan de la décroissance?

Non. Je suis favorable à une croissance sélective. Certes les adeptes de la décroissance sont sûrs de leur fait: pour ne pas épuiser les ressources, il suffit d’arrêter de les consommer. Mais c’est faire abstraction des conséquences sociales d’une telle position ainsi que de sa recevabilité démocratique. Le progrès, à mes yeux, est fait de renoncements et d’acquiescements. Cela passe par de la régulation.

Précisément, à quoi renoncer?

A produire et à consommer n’importe quoi et n’importe comment. Prenez l’industrie automobile européenne. La plupart des véhicules qu’elle produit peuvent potentiellement rouler jusqu’à 200 km/heure. C’est absurde! Le politique doit imposer des normes interdisant la production de voitures roulant au-dessus des limites autorisées, d’autres normes limitant leur poids et leurs émissions nocives. Par ailleurs, la fiscalité doit nous dissuader de consommer des énergies fossiles et nous inciter à nous tourner vers les énergies renouvelables. Appliquons pour de bon la règle des trois «r»: réduction des prélèvements de matières premières, rallongement de la durée de vie des biens en mettant notamment fin à leur obsolescence programmée et recyclage des matériaux. Ce sont les vertus de l’économie circulaire qui non seulement ménage grandement l’environnement mais est fortement créatrice d’emplois. Il est urgent que nous changions de logiciel.

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)