Les états généraux, une idée qui fera son chemin.

Les Français viennent de sélectionner les deux candidats du second tour de la présidentielle 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Selon toute vraisemblance, le fondateur du mouvement En Marche! sera élu dans deux semaines président de la République française, avec environ 60% des voix.

Mais il est à craindre qu’à l’image de François Hollande, élu par de nombreux électeurs surtout pour faire barrage à Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron soit élu pour faire barrage à Marine Le Pen. Et qu’il soit, lui aussi, un “président par défaut” pour un grand nombre d’électeurs. Sans compter tous ceux qui vont s’abstenir, notamment les partisans de Jean-Luc Mélenchon.

Le risque d’un pays difficilement gouvernable.

Dimanche 7 mai prochain au soir, la France pourrait bien être plus divisée que jamais si Emmanuel Macron ne parvient pas à convaincre un grand nombre de Français à se rassembler autour de lui et de son programme et non seulement d’empêcher la victoire du Front national. Le risque est grand qu’après quelques semaines, voire quelques mois d'”état de grâce”, la fronde s’organise contre lui. En proie à de fortes tensions, le pays deviendrait difficilement  ingouvernable. Au vrai, c’est tout le système politique de représentation qui pose problème.

Convaincus que nous n’avons rien trouvé de mieux depuis des lustres, nous refusons d’imaginer un autre modèle d’organisation de la cité. Et nous répétons à satiété que si les femmes et hommes politiques font des promesses qu’ils ne tiennent pas, c’est fort regrettable mais nous n’y pouvons rien. Vraiment?

L’autorité séparée du pouvoir.

Il existe pourtant un système de gouvernance totalement occulté qui implique notamment la séparation de l’autorité et du pouvoir. L’autorité appartient à quiconque enseigne quelque chose de bon et personne ne peut l’en déposséder. Un médecin fait « autorité » en matière de médecine et sa compétence ne peut être déléguée à une personne qui n’a aucune connaissance médicale. Le pouvoir, au contraire, doit être délégué par une personne ou un groupe ayant autorité et on peut le retirer à celle ou celui qui l’exerce. Ce système s’appelle la synarchie. Il a été analysé en profondeur par l’écrivain et érudit Alexandre Saint-Yves d’Alveydre, à la fin du XIXème siècle.

Il y a quelque quarante ans, j’ai rencontré à Paris le polytechnicien Jacques Weiss (aujourd’hui décédé) qui a synthétisé les oeuvres de Saint-Yves d’Alveydre dans un livre aujourd’hui épuisé (La Synarchie, Robert Laffont). J’ai aussi abordé ce thème avec feu Michel Jobert, fondateur du Mouvement des démocrates auquel j’ai appartenu. L’ancien ministre français des affaires étrangères trouvait l’idée intéressante mais trop difficile à réaliser. Mais, en quarante ans, le monde a sensiblement évolué, aussi bien dans les mentalités que dans la technologie. Et ce qui semblait hors de portée hier pourrait bien devenir accessible aujourd’hui.

Des revendications sociales.

Selon Saint-Yves d’Alveydre, la synarchie a bel et bien fonctionné, notamment en France du 14ème au 16ème siècle, quand les rois prenaient la peine de convoquer régulièrement les états généraux. Le peuple écrivait ses doléances dans des cahiers, revendications purement sociales et exprimées par profession avant d’être synthétisées dans les trois ordres d’alors, le clergé (qui serait aujourd’hui l’enseignement), la noblesse (la justice et la police) et le tiers état (l’économie).

Toujours aux yeux de Saint-Yves d’Alveydre, en négligeant la convocation des états généraux, les rois de France auraient dès le 16ème siècle contribué à alimenter la Révolution deux siècles plus tard. La population française n’acceptait plus de se voir dirigée par une caste de privilégiés tenant tous les leviers du pouvoir.

A l’ère du WEB et des réseaux sociaux.

Il serait bien sûr absurde de reproduire au XXIème siècle la synarchie telle qu’elle a fonctionné en France dans le passé. Mais, à la faveur du développement des réseaux sociaux et du WEB, permettre aux citoyens de se consulter eux-mêmes sur leurs propres besoins et souhaits serait une piste à explorer. Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des états généraux de l’enseignement, de l’énergie ou de la sécurité, rassemblant des professionnels dans chacun de ces domaines ainsi que – et c’est très important – des membres de la société civile qui agiraient comme contrepoids à toute dérive corporatiste?

Utopie aujourd’hui, réalité demain?

A l’issue de chacun de ces états généraux, une synthèse des propositions de réforme serait élaborée. Ces dernières, fruits d’une réflexion collective citoyenne, feraient « autorité » et se traduiraient ensuite par des lois et règlements élaborés par un corps d’élus « politiques » tenus de respecter les orientations prises par les états généraux respectifs.

La synarchie vue par Saint-Yves d’Alveydre (et qui n’a STRICTEMENT RIEN A VOIR avec des mouvements contemporains occultes qui l’ont dangereusement travestie) est peut-être une utopie. Mais cette dernière ne mérite-t-elle pas un commencement de réflexion ? Elle va en tous cas plus loin que le système suisse – de loin le moins pire – qui mélange représentation parlementaire et suffrage universel direct par le jeu des initiatives populaires et des référendums.

La fin de la politique spectacle.

Assurément, la synarchie signe la fin de la politique spectacle, des promesses non tenues, des visions électoralistes à très court terme, d’où le total manque d’intérêt qu’elle peut susciter auprès de tous ceux qui sont attachés à un système désormais clairement obsolète. Mais si, tôt ou tard, nos démocraties représentatives doivent ouvrir la voie au populisme avec, en ligne de mire, la généralisation des dictatures, à quoi bon s’accrocher à de tels lambeaux de la vie citoyenne? Ne serait-il pas temps d’imaginer d’autres voies comme celle des nouveaux états généraux de ce 21ème siècle?

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)